Joe Rogan vient de franchir une ligne que personne n’imaginait le voir traverser. Le podcasteur le plus écouté d’Amérique, celui qui avait offert à Donald Trump une plateforme de trois heures avant l’élection de 2024, celui dont l’endorsement aurait contribué à propulser le président à la Maison-Blanche, vient de qualifier les actions de son administration de «précédent dangereux». Dans un épisode récent de The Joe Rogan Experience diffusé cette semaine d’octobre 2025, Rogan a dénoncé avec une intensité rare le déploiement de la Garde nationale et des forces fédérales dans les villes américaines sous la bannière de l’opération Midway Blitz. «Le militaire dans les rues—je pense que c’est un précédent dangereux», a-t-il lancé, ajoutant cette phrase qui résonne comme un avertissement prophétique: «Une fois que tu franchis cette ligne, c’est difficile de revenir en arrière». Pour un homme qui compte plus de 20 millions d’abonnés sur YouTube et dont chaque épisode atteint en moyenne 11 millions d’auditeurs, ces mots ne sont pas anodins. Ils représentent une fissure majeure dans le soutien de la base trumpiste, un signal que même les plus fidèles commencent à s’interroger sur la direction que prend ce pays.
Ce n’est pas la première fois que Rogan critique l’administration Trump, mais c’est sans doute la plus brutale, la plus directe, la plus dévastatrice. Depuis des mois, le podcasteur exprime son malaise face aux raids de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) qui ciblent non pas des criminels dangereux comme promis, mais des ouvriers de la construction, des jardiniers, des travailleurs journaliers qui attendent devant les Home Depot dans l’espoir de gagner de quoi nourrir leurs familles. «Quand tu arrêtes des gens devant leurs enfants, et ce sont juste des gens ordinaires qui vivent ici depuis vingt ans, n’importe qui avec un cœur se dit que ça ne peut pas être juste», avait-il déclaré en octobre lors d’un épisode avec le comédien Duncan Trussell. Mais cette fois, Rogan va plus loin: il ne se contente pas de critiquer une politique spécifique, il remet en question la nature même du pouvoir exécutif sous Trump. «La question n’est pas de savoir si c’est de droite ou de gauche—c’est de savoir si tu veux vivre dans un pays où le gouvernement tourne son pouvoir vers l’intérieur», a-t-il conclu avec une gravité inhabituelle. Ces mots, prononcés par l’homme qui avait contribué à normaliser Trump auprès de millions de jeunes électeurs masculins, marquent un tournant historique dans la résistance à l’autoritarisme trumpien.
L'opération Midway Blitz: quand Chicago devient un champ de bataille

Une invasion fédérale qui défie la constitution
L’opération Midway Blitz a débuté le 9 septembre 2025 à Chicago, transformant la troisième plus grande ville d’Amérique en laboratoire d’une expérience autoritaire sans précédent. Le Département de la Sécurité intérieure a déployé des centaines d’agents de l’ICE qui utilisent une base navale proche comme zone de rassemblement, un détail qui donne à l’opération des allures militaires inquiétantes. Officiellement, l’objectif est d’arrêter les immigrants illégaux ayant des antécédents criminels et de sévir contre les politiques de «villes sanctuaires» qui refusent de coopérer avec les autorités fédérales d’immigration. Mais la réalité sur le terrain raconte une histoire beaucoup plus sombre. Le gouverneur de l’Illinois, JB Pritzker, affirme que l’administration Trump n’a jamais communiqué avec son bureau avant de lancer l’opération—un affront constitutionnel qui viole les principes mêmes du fédéralisme américain. Des experts juridiques ont immédiatement questionné la légalité de cette opération, et Pritzker prépare des poursuites judiciaires pour tenter de l’arrêter. Mais Trump ne recule pas. Au contraire, il a doublé la mise en envoyant 400 membres de la Garde nationale du Texas à Chicago en octobre, malgré l’opposition farouche des autorités locales et de l’État.
Des chiffres qui masquent une réalité brutale
Les statistiques officielles parlent de près de 1500 arrestations effectuées dans le cadre de l’opération Midway Blitz entre septembre et octobre 2025, avec plusieurs milliers d’autres individus encore ciblés selon les autorités fédérales. Le Département de la Sécurité intérieure se vante de ces chiffres comme preuve de l’efficacité de la campagne. Mais ces nombres dissimulent une vérité beaucoup plus troublante: seulement un tiers des personnes détenues lors des raids nationaux de l’ICE sont des criminels condamnés. Les deux tiers restants? Des travailleurs ordinaires, des parents, des membres de communautés établies depuis des décennies. Les raids ont ciblé des chantiers de construction, des parkings de grandes surfaces comme Home Depot où les journaliers cherchent du travail, des usines de vêtements. À Los Angeles au début de l’été, des raids similaires ont déclenché des manifestations massives dans le centre-ville, conduisant à des troubles, des pillages, des affrontements avec la police—et en réponse, Trump a envoyé la Garde nationale et un bataillon de Marines. À Chicago, l’anxiété règne parmi les résidents latinos. Une ligne téléphonique mise en place pour signaler les observations de l’ICE a été submergée dès le premier jour de l’opération. Des organisations religieuses se coordonnent pour offrir des refuges temporaires et des ressources juridiques aux familles terrorisées.
La loi Posse Comitatus bafouée en toute impunité
Ce qui rend l’opération Midway Blitz particulièrement inquiétante, c’est qu’elle viole ouvertement la loi Posse Comitatus—une loi fédérale adoptée en 1878 qui interdit au gouvernement d’utiliser l’armée pour faire respecter les lois domestiques. Cette loi a été créée précisément pour empêcher les présidents de transformer les militaires en force de police nationale, une pratique associée aux dictatures et aux régimes autoritaires. Lorsque Trump a déployé des membres de la Garde nationale à Los Angeles cet été en réponse aux émeutes anti-raids d’immigration, un juge fédéral a explicitement déclaré que l’administration avait violé cette loi. Mais Trump a continué. Il a tenté d’envoyer la Garde à Portland, Oregon, pour contrôler les manifestations anti-raids; à Chicago pour protéger les forces fédérales d’immigration; à Memphis, Tennessee, pour lutter contre la criminalité. Des gouverneurs démocrates comme Pritzker et Gavin Newsom de Californie ont intenté des poursuites pour bloquer ces déploiements, arguant qu’ils sont inconstitutionnels. Certains juges fédéraux ont même émis des ordonnances temporaires bloquant les actions de Trump. Mais le président invoque un pouvoir présidentiel rarement utilisé: la fédéralisation des troupes d’État, qui lui permet théoriquement de prendre le contrôle de la Garde nationale d’un État contre la volonté de son gouverneur. C’est cette escalade qui a finalement poussé Rogan à parler de «précédent dangereux».
Rogan face à sa propre contradiction: l'awakening d'un influenceur

Du supporter enthousiaste au critique désabusé
L’évolution de Joe Rogan vis-à-vis de Trump constitue une étude de cas fascinante sur la dissonance cognitive et le réveil politique. En novembre 2024, à la veille de l’élection présidentielle, Rogan avait offert son endorsement à Trump après une interview-marathon de trois heures où il avait écouté, souvent en riant, le candidat répéter ses mensonges sur l’élection volée de 2020. Cet endorsement, combiné avec ceux d’autres influenceurs de la «manosphère» comme Adin Ross et Theo Von, avait joué un rôle crucial dans la mobilisation des jeunes électeurs masculins—un groupe démographique qui s’était révélé déterminant pour la victoire de Trump. Rogan avait présenté Trump comme un outsider anti-establishment, un homme qui défiait les médias traditionnels et parlait sans filtre. Mais à partir de juillet 2025, quelque chose a changé. Lors d’un dîner privé le 30 juin avec Trump et Dana White, le patron de l’UFC, Rogan aurait poussé le président à abandonner la déportation de travailleurs migrants sans antécédents criminels, selon des sources citées par le Washington Post. Quelques jours plus tard, le 3 juillet, Rogan a publiquement qualifié les raids de l’ICE d’«insensés», se demandant à haute voix si Trump aurait gagné l’élection s’il avait clairement dit pendant la campagne qu’il allait débarquer aux Home Depot pour arrêter des jardiniers.
«Je pensais vraiment qu’ils allaient juste cibler les criminels»
Cette phrase, répétée plusieurs fois par Rogan dans différents épisodes depuis l’été, révèle à la fois sa naïveté initiale et sa désillusion progressive. «Je pensais vraiment qu’ils allaient juste cibler les criminels», a-t-il dit début octobre, exprimant une surprise qui paraît presque enfantine chez un homme de 57 ans qui suit la politique depuis des décennies. Comment a-t-il pu croire que Trump, qui avait bâti toute sa carrière politique sur une rhétorique anti-immigration brutale, qui avait séparé des enfants de leurs parents à la frontière lors de son premier mandat, qui avait promis explicitement «la plus grande déportation de masse de l’histoire des États-Unis», allait soudainement faire preuve de nuance et de compassion? Rogan lui-même semble maintenant reconnaître cette erreur de jugement. Lors d’un épisode avec le comédien Duncan Trussell, il a déclaré: «Quand tu arrêtes des gens devant leurs enfants, et ce sont juste des gens ordinaires qui vivent ici depuis vingt ans, n’importe qui avec un cœur se dit que ça ne peut pas être juste. Il doit y avoir une meilleure façon de gérer ça.» Il a poursuivi avec une critique dévastatrice: «Si tu arraches publiquement des femmes au sol et menotte des gens simplement pour exister du mauvais côté d’une ligne imaginaire, sans aucun antécédent criminel—le seul ‘crime’ qu’ils ont commis, c’est de traverser la frontière enfants—c’est inacceptable.»
L’influence d’une voix qui atteint 11 millions d’oreilles
L’importance des critiques de Rogan ne peut être sous-estimée. Avec une audience moyenne de 11 millions d’auditeurs par épisode et plus de 20 millions d’abonnés YouTube, Rogan est sans conteste le podcasteur le plus influent d’Amérique—et peut-être du monde. Contrairement aux médias traditionnels que les supporters de Trump ont appris à ignorer ou à détester, Rogan parle directement à la base: des hommes jeunes et d’âge moyen, souvent blancs, souvent issus de la classe ouvrière ou moyenne, qui se méfient des institutions mais font confiance à Rogan parce qu’ils le perçoivent comme authentique. Quand CNN critique Trump, la base trumpiste hausse les épaules. Quand Joe Rogan critique Trump, ça fait mal—parce que Rogan est l’un des leurs. Son revirement crée une permission implicite pour d’autres supporters de Trump de questionner, de douter, de critiquer. Des commentateurs politiques comme Nicolle Wallace de MSNBC ont même «accueilli» publiquement Rogan dans la réalité du schéma de déportation massive de Trump, reconnaissant que sa voix peut atteindre des électeurs que les médias progressistes ne toucheront jamais. Mais Rogan reste prudent dans sa critique. Il insiste toujours sur le fait qu’il soutient certaines politiques de Trump, comme le renforcement de la sécurité frontalière. «Ça ne veut pas dire que je soutiens tout ce qu’ils font maintenant», a-t-il précisé lors d’un épisode récent avec le comédien Bryan Callen. Cette nuance est stratégique: elle lui permet de critiquer sans aliéner complètement son audience pro-Trump.
Les raids de l'ICE: une machine à broyer des vies ordinaires

Home Depot, chantiers de construction: l’Amérique qui travaille devenue cible
Les images sont partout sur les réseaux sociaux, diffusées par des témoins horrifiés: des agents de l’ICE en vestes tactiques, parfois cagoulés, débarquant dans les parkings de Home Depot où des dizaines de journaliers—pour la plupart latinos—attendent chaque matin dans l’espoir qu’un entrepreneur les embauche pour la journée. Ces hommes ne sont pas armés. Ils ne sont pas dangereux. Leur seul «crime» est d’être entrés illégalement aux États-Unis, souvent il y a des décennies, pour fuir la pauvreté ou la violence dans leur pays d’origine. Mais pour l’administration Trump, ils sont des objectifs prioritaires. Lors d’un raid particulièrement médiatisé en mai 2025, des agents ont arrêté entre 15 et 20 journaliers devant un Home Depot, utilisant des véhicules banalisés et marqués pour encercler le groupe. Des témoins ont décrit une scène chaotique où des hommes terrifiés tentaient de s’enfuir pendant que d’autres étaient menottés et emmenés. Un journalier qui a demandé à rester anonyme a dit aux médias: «Nous sommes seuls. Ils ont la patrouille frontalière. Nous sommes seulement ici pour nous soutenir et maintenir nos familles. Ce n’est pas un crime de chercher du travail. Ce n’est pas un crime d’être un journalier.» Mais pour Trump et son directeur de l’ICE, apparemment, ça l’est.
Vingt ans de vie en Amérique effacés en quelques minutes
Ce qui scandalise Rogan—et ce qui devrait scandaliser tout le monde—c’est que beaucoup de personnes arrêtées lors de ces raids ont vécu aux États-Unis pendant des décennies. Elles ont des enfants nés américains. Elles paient des impôts (souvent avec des numéros d’identification fiscale individuels créés précisément pour permettre aux sans-papiers de contribuer au système). Elles ont des emplois stables, des maisons, des vies entières construites sur le sol américain. Et en quelques minutes, tout s’effondre. Rogan a décrit cette réalité avec une clarté dévastatrice: «Quand les gens sont ici depuis 20 ans, franchement, c’est scandaleux. S’ils ont contribué positivement à la société pendant deux décennies, n’ont aucun antécédent criminel, ont travaillé et payé des impôts, alors créons un chemin vers la citoyenneté pour eux.» Cette proposition—un chemin vers la citoyenneté pour les immigrants de longue date sans casier judiciaire—était autrefois une position bipartisane raisonnable. Sous Trump, elle est devenue une hérésie politique. L’administration rejette toute forme d’amnistie ou de régularisation, insistant sur le fait que tous les immigrants illégaux, quelle que soit la durée de leur présence ou leur contribution à la société, doivent être expulsés. C’est cette rigidité idéologique, cette absence totale de compassion ou de nuance, qui a finalement poussé même des supporters comme Rogan à se révolter.
«ICE Barbie» et la spectacularisation de la cruauté
Un aspect particulièrement troublant des raids de l’ICE sous Trump est leur spectacularisation délibérée. Certains agents sont devenus des mini-célébrités sur les réseaux sociaux, notamment une agente surnommée «ICE Barbie» par ses détracteurs, qui publie des vidéos glamourisées de raids et d’arrestations. Rogan a spécifiquement critiqué ces «stunts d’immigration» lors d’un épisode en octobre, dénonçant la transformation de l’application de la loi en divertissement viral. Cette approche n’est pas accidentelle: elle fait partie d’une stratégie plus large de l’administration Trump pour normaliser la violence contre les immigrants et déshumaniser les sans-papiers aux yeux du public. En transformant les raids en spectacle, en célébrant les arrestations comme des victoires, l’administration cherche à conditionner les Américains à accepter des niveaux de cruauté qui auraient été impensables il y a quelques années. Mais cette stratégie se retourne contre eux. Les images de mères arrachées à leurs enfants, de travailleurs menottés devant leurs collègues horrifiés, d’hommes âgés déportés après 40 ans de vie aux États-Unis—ces images créent une réaction viscérale que même la propagande la plus sophistiquée ne peut contrer. «Tout le monde avec un cœur voit ça et se dit que ça ne peut pas être juste», a résumé Rogan.
La Garde nationale dans les rues: franchir le rubicon

Chicago, Los Angeles, Portland: des villes américaines sous occupation fédérale
Le déploiement de la Garde nationale dans les villes américaines représente une escalade qualitativement différente des raids de l’ICE. C’est une chose d’avoir des agents d’immigration qui arrêtent des sans-papiers—une pratique certes brutale mais techniquement légale. C’en est une autre d’avoir des militaires en uniforme patrouillant dans les rues de Chicago, Los Angeles ou Portland contre la volonté explicite des autorités locales et d’État. Trump justifie ces déploiements par des affirmations souvent non étayées selon lesquelles ces villes seraient envahies par le crime ou les émeutes incontrôlables. Mais la réalité est plus sombre: ces troupes sont déployées spécifiquement pour protéger les opérations de l’ICE et intimider les manifestants qui protestent contre les raids d’immigration. À Los Angeles cet été, des Marines ont été envoyés après que des manifestations anti-raids aient dégénéré en troubles. À Chicago, 400 membres de la Garde nationale du Texas ont été déployés en octobre pour «sécuriser» les installations de l’ICE et libérer des agents fédéraux pour qu’ils se concentrent sur l’opération Midway Blitz. À Portland, Trump a tenté d’envoyer la Garde pour contrôler des manifestations, mais a été bloqué temporairement par des juges fédéraux. Des témoins rapportent avoir vu des militaires affronter physiquement des civils, une image qui devrait horrifier tout Américain conscient de l’histoire de son pays.
«Une fois que tu franchis cette ligne, c’est difficile de revenir»
La phrase de Rogan—«Le militaire dans les rues—je pense que c’est un précédent dangereux. Une fois que tu franchis cette ligne, c’est difficile de revenir»—capture parfaitement l’enjeu existentiel de cette situation. L’histoire montre que lorsque les démocraties commencent à militariser leur propre territoire, lorsque les citoyens s’habituent à voir des soldats patrouiller dans leurs quartiers, lorsque l’armée devient un outil de politique intérieure plutôt qu’une force de défense nationale, la pente glissante vers l’autoritarisme devient presque impossible à remonter. Les Pères fondateurs américains comprenaient ce danger, c’est pourquoi ils ont inscrit dans la Constitution des limites strictes sur l’utilisation de l’armée contre les citoyens. C’est pourquoi le Congrès a adopté la loi Posse Comitatus en 1878. Mais Trump, dans son mépris caractéristique pour les normes et les lois, balaie ces protections centenaires. Et à chaque déploiement, à chaque ville transformée en zone militarisée, à chaque affrontement entre soldats et manifestants, cette ligne rouge s’estompe un peu plus. Rogan a raison d’être inquiet. La question n’est plus «Est-ce que Trump va trop loin?»—il va clairement trop loin. La question est: Pourrons-nous revenir en arrière une fois qu’il sera parti?
Des gouverneurs en rébellion ouverte contre Washington
L’un des développements les plus remarquables de cette crise est la rébellion ouverte de plusieurs gouverneurs démocrates contre l’autorité fédérale. JB Pritzker en Illinois, Gavin Newsom en Californie, Kate Brown (et maintenant son successeur) en Oregon—tous ont intenté des poursuites judiciaires pour bloquer les déploiements de la Garde nationale dans leurs États. Pritzker a été particulièrement véhément, accusant Trump d’envoyer des forces fédérales spécifiquement pour «créer le chaos» dans les villes démocrates. Des juges fédéraux ont dans certains cas donné raison aux États, émettant des injonctions temporaires qui bloquent les actions de Trump. Mais le président trouve toujours des moyens de contourner ces décisions—en invoquant des pouvoirs d’urgence différents, en déployant d’autres types de forces fédérales, en fédéralisant les troupes pour les soustraire au contrôle des gouverneurs. Ce bras de fer constitutionnel entre les États et le gouvernement fédéral rappelle les moments les plus sombres de l’histoire américaine—la crise de la déségrégation dans les années 1950 et 60, ou même les tensions qui ont précédé la Guerre civile. Nous ne sommes évidemment pas au bord d’une guerre civile aujourd’hui, mais la fracture du contrat fédéral est réelle et profonde. Et comme l’a souligné Rogan, la vraie question n’est pas de droite ou de gauche—c’est de savoir quel genre de pays nous voulons être.
La résistance s'organise: manifestations et backlash politique

Des millions dans les rues pour la journée «No Kings»
Les critiques de Rogan arrivent dans un contexte de mobilisation massive contre les politiques de Trump. Ce week-end des 18-19 octobre 2025 a vu la deuxième itération des manifestations «No Kings» (Pas de rois), avec plus de 2700 rassemblements prévus à travers les États-Unis et des événements de solidarité au Canada et dans d’autres pays. La première journée «No Kings» en juin avait attiré des millions de participants—la plus grande mobilisation depuis le retour de Trump au pouvoir. Les organisateurs, incluant plus de 300 associations, dénoncent ce qu’ils appellent la «prise de pouvoir autoritaire» de Trump: l’utilisation de la Garde nationale contre des civils, les raids brutaux de l’ICE, les poursuites judiciaires contre des opposants politiques, les attaques contre la presse et les institutions démocratiques. Le mouvement affirme que Trump «pense que son pouvoir est absolu», une référence directe à sa propre déclaration selon laquelle l’Article II de la Constitution lui donne «le droit de faire ce que je veux». Ces manifestations ne se limitent pas aux progressistes habituels—elles attirent également des conservateurs traditionnels alarmés par l’érosion des normes constitutionnelles, des libertariens inquiets de l’expansion du pouvoir fédéral, et même certains républicains modérés qui ne reconnaissent plus leur parti.
Le backlash électoral qui terrifie l’administration
Derrière les critiques de Rogan se cache une réalité politique qui terrife l’administration Trump: les raids de l’ICE et le déploiement militaire créent un backlash électoral significatif, même parmi les électeurs qui avaient soutenu Trump. Lors d’un épisode en août avec la représentante républicaine Anna Paulina Luna de Floride, Rogan a articulé ce phénomène avec une clarté dévastatrice: «Ça effraie les gens quand ils voient l’ICE. Ils pensaient: ‘Super, vous allez vous débarrasser des membres de gangs.’ Ils n’ont pas pensé: ‘Super, vous allez vous débarrasser du paysagiste.’» Luna a tenté d’argumenter que les manifestations anti-ICE étaient financées par l’argent chinois pour créer la discorde avant les élections de mi-mandat. Rogan, bien qu’ouvert à cette possibilité, a insisté sur le fait qu’il y avait également une réaction viscérale authentique de nombreux Américains face aux méthodes employées. «C’était une réaction viscérale que beaucoup de gens ont eue à l’idée de voir des personnes arrêtées dans les écoles ou sorties de Home Depot—juste des travailleurs acharnés qui peut-être sont entrés illégalement mais qui depuis ont été de bonnes personnes et font partie de communautés.» Des sondages montrent effectivement que la majorité des Américains s’opposent à l’utilisation de l’armée pour contrôler les villes, et que même parmi les électeurs de Trump, il y a un malaise croissant face à l’agressivité des tactiques d’immigration.
Rogan n’est pas seul: MTG et d’autres trumpistes expriment leur inquiétude
Ce qui rend la situation encore plus remarquable, c’est que Rogan n’est pas le seul supporter de Trump à exprimer publiquement son malaise. Marjorie Taylor Greene, la congressiste ultra-MAGA de Géorgie habituellement connue pour ses positions extrêmes, a également émis des réserves sur certaines tactiques de l’administration, selon des rapports médiatiques. D’autres influenceurs et commentateurs conservateurs commencent discrètement à prendre leurs distances avec les aspects les plus brutaux des politiques trumpiennes, conscients que leur base—constituée en partie de travailleurs de la construction, de petits entrepreneurs qui emploient des immigrants, de personnes ayant des voisins ou des amis sans-papiers—ne soutient pas une application aveugle et impitoyable de la loi. Cette fissure dans le soutien de la base trumpiste est potentiellement catastrophique pour l’administration. Trump a construit son pouvoir sur une loyauté quasi-religieuse de ses supporters, qui le défendaient contre toutes les critiques «mainstream». Mais quand ces mêmes supporters commencent à critiquer, quand des voix comme Rogan—qui atteint des audiences que Fox News ne peut que rêver d’avoir—dénoncent les «précédents dangereux», le vernis d’invincibilité commence à craquer.
Les conséquences à long terme d'un «précédent dangereux»

La normalisation de l’autoritarisme en démocratie
Ce qui rend les avertissements de Rogan si pertinents, c’est qu’il comprend intuitivement un principe que les politologues étudient depuis des décennies: l’érosion démocratique ne se produit pas d’un coup. Elle arrive par petites étapes, chacune justifiée par une urgence spécifique, chacune présentée comme temporaire ou nécessaire. Aujourd’hui, c’est la Garde nationale déployée pour protéger les opérations de l’ICE. Demain, ce sera peut-être pour contrôler des manifestations contre d’autres politiques gouvernementales. Après-demain, pour «maintenir l’ordre» pendant une élection contestée. Une fois que le précédent est établi, une fois que les Américains s’habituent à voir des militaires dans leurs rues, la barrière psychologique et politique contre l’utilisation de la force armée à des fins domestiques s’effondre. Et comme Rogan l’a dit: une fois que tu franchis cette ligne, c’est difficile de revenir. L’histoire du XXe siècle regorge d’exemples de démocraties qui ont glissé vers l’autoritarisme précisément par ce mécanisme—des mesures d’urgence temporaires qui sont devenues permanentes, des pouvoirs exceptionnels qui sont devenus la norme, des militaires «temporairement» déployés qui ne sont jamais repartis. Les États-Unis ne sont pas immunisés contre ce processus simplement parce qu’ils ont 250 ans d’histoire démocratique derrière eux.
Le traumatisme des communautés immigrantes pour des générations
Au-delà des implications constitutionnelles, les politiques de Trump créent un traumatisme profond et durable dans les communautés immigrantes—y compris parmi les immigrants légaux et même les citoyens américains d’origine latino-américaine qui craignent d’être pris pour cible par erreur. À Chicago, l’anxiété parmi les résidents latinos est palpable depuis le début de l’opération Midway Blitz. Des parents gardent leurs enfants à la maison par peur que l’ICE débarque à l’école. Des travailleurs évitent les lieux publics où ils trouvaient habituellement du travail. Des familles entières vivent dans la terreur constante qu’un coup à la porte signifie la séparation, l’expulsion, la destruction de tout ce qu’elles ont construit pendant des décennies. Ce trauma ne disparaîtra pas lorsque Trump quittera le pouvoir. Il marquera une génération entière—des enfants qui auront vu leurs parents arrachés par des agents en uniformes, des adolescents qui auront grandi dans la peur constante, des adultes qui ne feront plus jamais confiance aux autorités. Et ce trauma s’étendra au-delà des communautés directement affectées, créant une méfiance généralisée entre les immigrants (légaux et illégaux) et le système juridique américain, rendant infiniment plus difficile toute tentative future de réforme migratoire constructive.
L’érosion de la confiance dans les institutions démocratiques
Peut-être l’impact le plus dévastateur à long terme des actions de Trump est l’érosion de la confiance dans les institutions démocratiques américaines. Lorsque le président viole ouvertement des lois fédérales comme Posse Comitatus et n’en subit aucune conséquence réelle, cela envoie un message dévastateur: les lois ne s’appliquent qu’aux gens ordinaires, pas aux puissants. Lorsque des juges fédéraux émettent des ordonnances bloquant les actions présidentielles et que le président trouve simplement des moyens de les contourner, cela démontre que même le système judiciaire—censé être le dernier rempart contre les abus de pouvoir—est impuissant face à un exécutif déterminé. Lorsque des gouverneurs doivent poursuivre le gouvernement fédéral pour protéger leurs citoyens contre l’armée de leur propre pays, cela révèle une fracture fondamentale dans le contrat social américain. Cette érosion de confiance ne sera pas facilement réparable. Une génération d’Américains grandit maintenant en voyant que les institutions démocratiques ne protègent pas nécessairement contre les abus de pouvoir, que les garde-fous constitutionnels peuvent être ignorés, que la force prime le droit. Comment convaincrons-nous ces jeunes de croire en la démocratie, de participer au processus politique, de faire confiance aux institutions, après avoir vu tout cela?
La réponse de Trump: silence, déni ou escalade?

Une administration sourde aux critiques
Jusqu’à présent, l’administration Trump n’a pas répondu publiquement aux critiques spécifiques de Joe Rogan concernant les déploiements militaires et les raids de l’ICE. Newsweek a contacté la Maison-Blanche pour un commentaire mais n’a reçu aucune réponse officielle. Ce silence est révélateur. Normalement, Trump ne peut résister à l’envie de répondre à ses critiques, surtout lorsqu’il s’agit de personnalités influentes. Le fait qu’il ignore (publiquement du moins) les commentaires de Rogan suggère soit une stratégie délibérée de ne pas amplifier les critiques venant de sa propre base, soit—plus inquiétant—une indifférence totale aux conséquences politiques de ses actions. Trump semble opérer selon la théorie que sa base le suivra quoi qu’il fasse, et que les critiques de modérés comme Rogan peuvent être simplement ignorées. Mais cette stratégie comporte des risques. Dans le passé, lors du premier mandat de Trump, le président a effectivement changé de cap sur certaines politiques lorsque la pression politique—y compris de ses propres supporters—est devenue trop intense. La séparation des familles à la frontière en 2018 a finalement été suspendue (au moins officiellement) après un tollé public. Trump pourrait-il faire marche arrière sur certains aspects des raids de l’ICE ou du déploiement militaire si la pression continue de monter?
Le dîner secret avec Rogan: une tentative ratée d’influencer le podcasteur?
Le dîner du 30 juin 2025 entre Trump, Rogan et Dana White prend une signification particulière dans ce contexte. Selon les sources du Washington Post, Rogan aurait poussé Trump lors de ce dîner privé à abandonner la déportation de travailleurs migrants sans antécédents criminels. Quelques jours plus tard, Rogan publiait ses premières critiques virulentes des raids de l’ICE. On peut imaginer que Trump pensait pouvoir convaincre ou neutraliser Rogan lors de ce dîner, utilisant leur relation personnelle et l’influence de Dana White (un ami commun et fervent supporter de Trump) pour maintenir le podcasteur dans le giron. Manifestement, cette stratégie a échoué. Rogan est sorti de ce dîner non pas rassuré, mais apparemment encore plus convaincu que les politiques de Trump étaient problématiques. Depuis lors, ses critiques n’ont fait que s’intensifier, culminant avec ses commentaires récents sur le «précédent dangereux» des déploiements militaires. Ce que cela révèle, c’est que même les relations personnelles et la loyauté politique ont leurs limites lorsque confrontées à des réalités morales incontournables. Rogan ne peut pas ignorer les images de familles brisées et de militaires dans les rues simplement parce qu’il a dîné avec le président.
L’escalade comme seule réponse: Operation Midway Blitz s’intensifie
Plutôt que de reculer face aux critiques, Trump semble avoir choisi l’escalade comme réponse. L’opération Midway Blitz à Chicago s’est intensifiée en octobre avec l’arrivée de 400 membres de la Garde nationale du Texas, malgré l’opposition du gouverneur Pritzker et les poursuites judiciaires en cours. Le nombre d’arrestations continue d’augmenter—près de 1500 en un mois, avec plusieurs milliers d’autres individus ciblés. Des plans sont en cours pour étendre des opérations similaires à d’autres grandes villes, transformant effectivement l’ensemble du pays en zone d’application agressive des lois d’immigration. Cette escalade suggère que Trump voit les critiques non pas comme un signal d’alarme à prendre en compte, mais comme une preuve qu’il doit doubler la mise pour montrer sa force. C’est la logique classique de l’homme fort autoritaire: toute critique est perçue comme une faiblesse qu’il faut écraser, toute opposition comme une menace qu’il faut éliminer. Le danger de cette approche est qu’elle crée une spirale où chaque escalade provoque plus de résistance, qui provoque à son tour plus d’escalade, jusqu’à ce que quelque chose se brise—soit les institutions démocratiques, soit la cohésion sociale, soit les deux.
Conclusion

Les mots de Joe Rogan—«Le militaire dans les rues, je pense que c’est un précédent dangereux»—résonnent comme un avertissement prophétique pour l’Amérique d’octobre 2025. Venant d’un homme qui a contribué à porter Donald Trump à la présidence, qui représente une voix influente auprès de millions d’électeurs traditionnellement pro-Trump, ces critiques représentent bien plus qu’une simple désapprobation politique. Elles signalent une fissure profonde dans le soutien de la base trumpiste, un moment où même les alliés les plus fidèles commencent à réaliser que les promesses de campagne brutales se sont transformées en réalités encore plus brutales. Les raids de l’ICE qui ciblent non pas des criminels dangereux mais des jardiniers, des ouvriers de construction, des parents qui vivent en Amérique depuis des décennies. Le déploiement de la Garde nationale dans les villes américaines contre la volonté des gouverneurs et en violation apparente de lois fédérales centenaires. La transformation de Chicago, Los Angeles et d’autres métropoles en zones militarisées où des soldats affrontent des civils. Tout cela au nom de la «restauration de l’ordre» et de la «sécurité des frontières»—des euphémismes qui masquent une réalité beaucoup plus sombre: l’expansion systématique du pouvoir exécutif au détriment des libertés individuelles et des protections constitutionnelles.
Ce qui rend cette situation particulièrement terrifiante, c’est l’absence de tout mécanisme efficace pour arrêter cette escalade. Les gouverneurs poursuivent en justice, mais Trump trouve des moyens de contourner les décisions judiciaires. Les juges fédéraux émettent des ordonnances, mais l’administration les ignore ou invoque d’autres pouvoirs d’urgence. Le Congrès reste paralysé par la polarisation partisane. Et le public, bien que de plus en plus inquiet selon les sondages, semble impuissant à influer sur les décisions d’une administration qui opère comme si elle n’avait de comptes à rendre à personne. Les manifestations «No Kings» mobilisent des millions de personnes, mais changent-elles réellement les politiques? Les critiques de Rogan atteignent 11 millions d’auditeurs, mais Trump en tient-il compte? L’histoire nous dira si ces résistances ont suffi, si ces voix qui s’élèvent ont réussi à préserver ce qui reste de la démocratie américaine. Mais en cette fin d’octobre 2025, la question reste ouverte, dangereusement ouverte. Rogan a raison: une fois que tu franchis cette ligne, c’est difficile de revenir. Et l’Amérique, sous Trump, franchit cette ligne chaque jour un peu plus. Reste à savoir si elle pourra jamais retrouver le chemin du retour, ou si ce «précédent dangereux» deviendra la nouvelle norme—le début d’une ère où les militaires dans les rues, les raids brutaux, l’autoritarisme déguisé en ordre public ne surprendront plus personne. Où l’Amérique que nous connaissions disparaîtra, remplacée par quelque chose de plus sombre, de plus effrayant, de profondément incompatible avec les idéaux sur lesquels ce pays a été fondé. Le compte à rebours a commencé.