Le 17 octobre 2025, dans les eaux troubles des Caraïbes, trois hommes ont été désintégrés par un missile américain. Leur bateau, selon le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, transportait des quantités substantielles de narcotiques et appartenait à l’Armée de libération nationale colombienne — cette guérilla marxiste que Washington a rebaptisée organisation terroriste pour justifier l’injustifiable. Pas d’interception. Pas de sommation. Pas de procès. Juste une explosion filmée depuis un drone, postée triomphalement sur les réseaux sociaux comme un trophée de chasse. Cette septième frappe porte à 32 le nombre de morts en six semaines d’une campagne militaire que l’administration Trump présente comme une guerre sainte contre le fentanyl, mais que les experts juridiques du monde entier qualifient d’exécutions extrajudiciaires et de violations massives du droit international. Le problème? Personne — absolument personne — n’a vu la moindre preuve que ces victimes étaient vraiment des trafiquants.
Pendant que Trump célèbre ses explosions virales et affirme avoir « sauvé 25 000 vies américaines » par bateau détruit (un chiffre mathématiquement délirant), la Colombie hurle à l’assassinat. Le président Gustavo Petro accuse Washington d’avoir tué Alejandro Carranza — un pêcheur innocent dont le moteur était tombé en panne, dont le bateau dérivait avec son signal de détresse activé quand le missile l’a frappé en septembre. Trump, au lieu de répondre aux accusations, a traité Petro d’« illegal drug dealer » et coupé toute l’aide américaine à la Colombie. Nous assistons en direct à quelque chose de profondément terrifiant : la transformation d’une démocratie en machine d’exécution extrajudiciaire, où un président peut ordonner la mort de dizaines de personnes sans preuve publique, sans débat congressionnel, sans contrainte juridique visible. Et le plus glaçant? Un sondage Harris révèle que 71% des Américains soutiennent ces frappes. La normalisation de l’exécution sans procès est complète. L’État de droit, cette illusion fragile qui séparait encore la démocratie de la tyrannie, vient de s’évaporer dans la mer des Caraïbes.
Trente-deux cadavres et aucune preuve exposée au public

Sept bateaux détruits, mais où sont les montagnes de cocaïne?
Depuis le début septembre, l’armée américaine a pulvérisé sept embarcations dans les Caraïbes. Le bilan officiel? Trente-deux personnes tuées, dont trois dans cette dernière frappe du 17 octobre. Mais voici ce qui devrait alarmer n’importe quel citoyen rationnel : à aucun moment l’administration Trump n’a présenté de preuve tangible que ces victimes étaient effectivement des narcotrafiquants. Pas de photos des cargaisons saisies. Pas de ballots de cocaïne empilés sur un pont de navire. Pas de rapports d’inspection post-frappe montrant le contenu exact de ces bateaux. Hegseth affirme que les services de renseignement ont « confirmé » que les navires transportaient des drogues substantielles et naviguaient sur des routes connues du trafic. Mais où sont les preuves?
Cette opacité totale contraste brutalement avec les opérations antidrogue traditionnelles. Quand la Garde côtière américaine intercepte un vrai navire de trafiquants — ce qu’elle fait régulièrement — les médias sont convoqués pour photographier les montagnes de drogue disposées sur le pont, les suspects menottés alignés, les statistiques détaillées sur la valeur marchande de la saisie. C’est un rituel de relations publiques parfaitement orchestré. Mais dans ces sept frappes militaires? Rien. Juste des vidéos aériennes montrant des explosions spectaculaires, accompagnées d’affirmations non vérifiées du Pentagone. Les preuves ont été vaporisées avec les bateaux, nous dit-on. Il faut simplement croire Washington sur parole — parce que les cadavres ne parlent pas, et les débris coulés au fond de la mer ne témoignent pas.
Le cas Alejandro Carranza: un pêcheur innocent exécuté?
L’absence de transparence devient carrément sinistre quand on examine le cas d’Alejandro Carranza. Ce pêcheur colombien de 41 ans a disparu le 14 septembre après avoir quitté le port de Santa Marta. Sa famille affirme qu’il gagnait sa vie modestement en pêchant dans les eaux caribéennes, sans aucun lien avec le narcotrafic. Le 15 septembre, les États-Unis ont frappé un bateau au large de la Colombie — leur deuxième frappe confirmée. Trois personnes ont été tuées. Le président colombien Gustavo Petro a publié des témoignages vidéo de la famille Carranza identifiant Alejandro comme l’une des victimes. Selon ces témoignages, le moteur du bateau était tombé en panne. L’embarcation dérivait, son signal de détresse activé, quand le missile américain l’a frappée.
Si ces allégations sont exactes — et Washington n’a jamais fourni de réfutation convaincante — alors les États-Unis ont commis un homicide illégal en eaux territoriales colombiennes. Un civil innocent, paralysé par une panne mécanique, attendant des secours, pulvérisé par un missile parce qu’un analyste du renseignement à des milliers de kilomètres a décidé que son bateau « ressemblait » à un navire de trafiquants. Audenis Manjarrés, cousin de Carranza, a déclaré à la télévision d’État colombienne: « Ce n’est pas juste qu’ils l’aient bombardé de cette manière. C’était un pêcheur toute sa vie. » Les vidéos diffusées montrent effectivement un grand bateau de pêche avec deux moteurs puissants — exactement le type d’embarcation utilisée par les pêcheurs commerciaux dans cette région — immobile dans l’eau au moment de l’attaque, avec un moteur relevé hors de l’eau (signe classique de réparation ou de panne).
Une théorie juridique aussi créative qu’effrayante
Pour légaliser ces exécutions, l’administration Trump a développé une théorie juridique radicale : les États-Unis sont engagés dans un « conflit armé non international » contre les cartels de drogue désignés comme organisations terroristes. Dans un mémorandum classifié envoyé au Congrès début octobre — dont l’existence a été révélée accidentellement lors d’auditions de confirmation sénatoriales — le Bureau des conseillers juridiques affirme que les membres de ces cartels peuvent être traités comme des « combattants illégaux » sujets à l’élimination militaire sous les lois de la guerre, plutôt qu’arrêtés comme des criminels ordinaires. Cette logique présente des failles béantes que même un étudiant en première année de droit international pourrait identifier.
Un conflit armé au sens des Conventions de Genève requiert un certain niveau d’organisation structurée, de contrôle territorial durable, et d’intensité des hostilités. Les cartels de drogue, aussi violents soient-ils, ne remplissent pas ces critères. Ils ne contrôlent pas de territoire de manière ouverte comme ISIS ou les talibans l’ont fait. Ils n’ont pas de chaînes de commandement militaires formelles. Leur objectif n’est pas politique mais financier — maximiser les profits du trafic. Cette distinction n’est pas sémantique, elle est fondamentale. Si on accepte que le narcotrafic constitue un conflit armé justifiant l’usage de la force militaire létale, alors littéralement n’importe quelle activité criminelle transnationale pourrait être traitée de la même manière. Les réseaux de traite humaine? Frappes de drones. Les gangs de cybercriminels? Missiles de croisière. C’est un précédent juridique qui dynamite la distinction entre guerre et maintien de l’ordre, entre combat et assassinat.
La Colombie accuse, Trump insulte et coupe l'aide

Gustavo Petro dénonce un « meurtre » en eaux territoriales
Le 18 octobre, le président colombien Gustavo Petro a publié une série de messages incendiaires sur X (anciennement Twitter) qui ont explosé la façade diplomatique. « Des officiels du gouvernement américain ont commis un meurtre et violé notre souveraineté dans nos eaux territoriales », a-t-il écrit avec une rage que même la traduction n’atténue pas. « Le pêcheur Alejandro Carranza n’avait aucun lien avec les narcotrafiquants et son activité quotidienne était la pêche. » Petro a partagé des témoignages vidéo déchirants de la famille Carranza — sa cousine Audenis en larmes, expliquant qu’Alejandro était parti pêcher le 14 septembre et n’était jamais revenu. Que le bateau avait des problèmes mécaniques. Qu’il dérivait avec son signal de détresse quand le missile est arrivé.
Cette accusation ne constitue pas une simple posture diplomatique — elle soulève des questions juridiques et morales dévastatrices. Si Carranza était effectivement un civil innocent, alors sa mort représente un homicide illégal sous le droit international, potentiellement un crime de guerre selon les Conventions de Genève. Les États-Unis ont l’obligation légale d’enquêter sur de telles allégations, de rendre les résultats publics, et de poursuivre les responsables si une faute est établie. Au lieu de cela, l’administration Trump a réagi avec… du mépris absolu. Aucune enquête annoncée. Aucune excuse présentée. Aucune explication fournie à la famille de Carranza ou au gouvernement colombien. Juste un silence radio arrogant, suivi par l’escalade diplomatique la plus brutale qu’on puisse imaginer.
Trump traite Petro de trafiquant et suspend toute l’aide américaine
Le lendemain des accusations de Petro, Trump a riposté avec sa subtilité habituelle — c’est-à-dire aucune. Dans une publication Truth Social d’une violence verbale rare même pour lui, le président américain a qualifié Petro de « leader peu populaire avec une grande gueule » et — infiniment plus grave — d' »illegal drug dealer ». Cette dernière accusation, dénuée de toute preuve, ne constitue pas une simple insulte diplomatique. Traiter le chef d’État démocratiquement élu d’un allié historique de baron de la drogue représente une déclaration de guerre verbale qui dépasse tous les précédents modernes. Trump a même épelé « Colombia » comme « Columbia » à plusieurs reprises, ajoutant l’ignorance géographique à l’insulte politique.
Mais Trump n’en est pas resté aux mots. Il a immédiatement annoncé la suspension totale de toute l’aide américaine à la Colombie — une décision aux conséquences potentiellement catastrophiques. Les États-Unis fournissent des centaines de millions de dollars annuellement pour des programmes de lutte antidrogue, de déminage dans les anciennes zones contrôlées par les FARC, de développement rural, de soutien aux institutions démocratiques. Cette aide, fruit du Plan Colombia lancé dans les années 1990, avait déjà été considérablement réduite plus tôt en 2025. Son élimination totale marque une rupture sans précédent dans les relations bilatérales. L’ironie est écrasante : Trump prétend faire la guerre au narcotrafic, mais en coupant l’aide à la Colombie — un pays qui combat réellement les cartels sur son propre territoire avec ses propres soldats qui meurent par centaines chaque année — il sabote les efforts mêmes qu’il prétend soutenir.
Une escalade qui fracture toute l’Amérique latine
La confrontation Trump-Petro ne se déroule pas dans le vide diplomatique. Le Venezuela de Nicolás Maduro observe avec un mélange de satisfaction idéologique et d’inquiétude pragmatique — plusieurs frappes américaines ont eu lieu au large de ses côtes, et Trump a ouvertement discuté d’une action militaire directe pour renverser son régime. L’Équateur, dont certains ressortissants ont été tués dans ces attaques, maintient un silence prudent mais profondément inconfortable. Le Brésil, sous son gouvernement de gauche, y voit la confirmation de ses pires craintes concernant un retour à l’impérialisme américain dans l’hémisphère occidental. Le Mexique, partenaire commercial crucial et voisin immédiat, se demande anxieusement s’il sera le prochain ciblé.
Cette militarisation unilatérale de la lutte antidrogue détruit l’architecture de coopération régionale patiemment construite depuis des décennies. Traditionnellement, les opérations antidrogue internationales reposaient sur des accords bilatéraux détaillés, des opérations conjointes avec les marines locales, et le respect scrupuleux de la souveraineté nationale. Les États-Unis pouvaient opérer dans les eaux d’un pays partenaire seulement avec autorisation explicite et souvent avec des observateurs locaux à bord des navires américains. Trump a jeté tout ce cadre aux ordures. Désormais, Washington frappe où bon lui semble, tue qui bon lui semble, et accuse quiconque proteste d’être complice des cartels. Cette approche ne détruit pas seulement les relations diplomatiques — elle crée les conditions parfaites pour une escalade militaire régionale dont personne ne peut prédire l’issue.
Les chiffres mensongers et la manipulation statistique

25 000 vies sauvées par bateau? Les mathématiques de la propagande
Dans chacune de ses annonces concernant ces frappes, Trump répète une affirmation extraordinaire : chaque bateau détruit « sauve 25 000 vies américaines ». Lors d’une rencontre avec des officiels canadiens, il a même déclaré : « Chaque bateau est responsable d’environ 25 000 morts. En éliminant ces bateaux, nous avons probablement sauvé au moins 100 000 vies. » Ces chiffres, martelés avec une certitude absolue, sont mathématiquement impossibles et logiquement délirants. Les données provisoires fédérales indiquent qu’environ 82 000 décès par overdose de toutes substances confondues sont survenus aux États-Unis en 2024. Même en ajoutant les décès canadiens, le total n’atteint pas 100 000.
Trump affirme donc essentiellement que ses attaques contre sept bateaux ont prévenu plus de morts — 175 000 selon sa propre mathématique (7 bateaux × 25 000 vies) — que le nombre total de décès par overdose enregistrés sur une année entière. C’est non seulement faux, c’est grotesquement faux. Carl Latkin, professeur à l’École de santé publique Johns Hopkins, a qualifié ces affirmations d' »absurdes » dans une déclaration à CNN. « Il affirme avoir résolu la crise de mortalité par overdose avec quelques frappes sur des bateaux, ce qui est complètement déconnecté de la réalité. L’épidémie d’overdose continue de dévaster d’innombrables familles américaines. » Mais la vérité factuelle n’a jamais gêné Trump. Ces chiffres ne sont pas destinés à informer — ils sont conçus pour justifier émotionnellement l’injustifiable.
L’économie du narcotrafic rend l’interdiction structurellement inutile
Ce que Trump refuse d’admettre — et que les experts de la politique antidrogue savent depuis cinquante ans — c’est que l’interdiction maritime est structurellement inefficace pour réduire le flux de drogue. Les cartels utilisent une stratégie économique de « saturation » : pour chaque bateau intercepté ou détruit, dix autres passent. L’énorme marge bénéficiaire créée artificiellement par la prohibition — le prix de la cocaïne augmente de 10 000% entre la production colombienne et la vente de rue à New York — permet aux trafiquants d’absorber des pertes massives et de rester massivement profitables. Les économistes estiment qu’un cartel peut perdre jusqu’à 70% de ses cargaisons par saisie ou destruction et continuer à prospérer, simplement en ajustant ses volumes à la hausse.
Détruire sept bateaux ne change rien à cette équation fondamentale. Les cartels ne vont pas abandonner un marché valant des dizaines de milliards de dollars annuellement parce que quelques cargaisons ont explosé. Ils vont diversifier leurs routes, utiliser plus de sous-marins semi-submersibles (comme celui frappé le 16 octobre), corrompre plus d’officiels portuaires, investir dans des technologies d’évitement plus sophistiquées. Chaque tactique d’interdiction développée par les États-Unis au cours des cinquante dernières années a été contournée par les trafiquants dans les 18 mois. Les chiens renifleurs? Les cartels ont développé des techniques d’emballage sous vide trompant l’odorat canin. Les radars maritimes? Ils ont construit des sous-marins. Les drones de surveillance? Ils utilisent des mules humaines et des tunnels sophistiqués. Cette course aux armements est impossible à gagner du côté de l’interdiction tant que la demande américaine reste massive et que la prohibition maintient les profits artificiellement élevés.
Pendant ce temps, les overdoses continuent d’augmenter
Pendant que Trump publie des vidéos d’explosions spectaculaires et tweete sur les dizaines de milliers de vies prétendument sauvées, la réalité sur le terrain raconte une histoire radicalement différente. Les décès par overdose aux États-Unis restent à des niveaux historiquement catastrophiques. Les salles d’urgence continuent de traiter des dizaines de surdoses quotidiennes au fentanyl. Les familles continuent d’enterrer des fils, des filles, des parents emportés par des opioïdes synthétiques fabriqués dans des laboratoires clandestins mexicains. Aucune des sept frappes n’a produit le moindre impact mesurable sur la disponibilité de rue du fentanyl. Les prix n’ont pas augmenté d’un cent. La pureté n’a pas diminué. Les délais d’approvisionnement ne se sont pas allongés d’une heure.
Cette disjonction totale entre la rhétorique triomphaliste de Trump et la réalité épidémiologique révèle le véritable objectif de ces frappes : ce ne sont pas des opérations de santé publique, ce sont des opérations de relations publiques. Elles permettent à Trump de projeter une image de leadership fort face à une crise qui terrifie légitimement beaucoup d’Américains. Les vidéos d’explosions sont visuellement satisfaisantes, émotionnellement cathartiques, et jouent parfaitement sur les médias sociaux où la complexité meurt et où les solutions simples prospèrent. Peu importe qu’elles ne résolvent rien. Peu importe qu’elles créent des problèmes juridiques massifs. Peu importe qu’elles tuent potentiellement des innocents. Ce qui compte, c’est l’apparence de l’action décisive — le spectacle de la puissance américaine transformant des bateaux en boules de feu.
Les questions juridiques que personne ne veut vraiment affronter

L’ACLU et les groupes de droits exigent le mémorandum secret
Reconnaissant la gravité constitutionnelle de ces frappes, l’ACLU et le Center for Constitutional Rights ont déposé une demande formelle sous le Freedom of Information Act pour obtenir le mémorandum classifié du Bureau des conseillers juridiques qui fournit la justification légale interne à ces opérations. Jeffrey Stein, avocat du projet de sécurité nationale de l’ACLU, n’a pas mâché ses mots : « Toutes les preuves disponibles suggèrent que les frappes létales du président Trump dans les Caraïbes constituent un meurtre, pur et simple. Le public mérite de savoir comment notre gouvernement justifie ces attaques comme légales. » L’existence de ce mémorandum a été confirmée accidentellement par Charles Young, nominé pour devenir conseiller juridique général de l’armée, lors d’auditions sénatoriales.
Young a révélé que l’opinion juridique avait été « dérivée à travers un groupe de travail d’avocats interagences » incluant des représentants de la Maison-Blanche, du Pentagone, du département d’État et de la CIA. Mais le contenu exact reste classifié, soustrait au débat public et à l’examen académique. Cette opacité est elle-même un scandale démocratique. Lorsque le gouvernement américain développe des théories juridiques radicalement nouvelles justifiant le pouvoir présidentiel de tuer des gens sans procès dans des pays tiers, le public a le droit absolu de connaître et de débattre ces théories. Sinon, nous ne vivons plus dans une démocratie régie par la loi, mais dans une monarchie exécutive où le président décide secrètement qui vit et qui meurt, et où des avocats complaisants fournissent après coup une couverture juridique classifiée.
Même les faucons de la sécurité nationale sont profondément inquiets
Ce qui rend cette situation encore plus extraordinaire, c’est que même les figures traditionnellement favorables à l’usage agressif de la force militaire expriment des réserves sérieuses. John Yoo — l’avocat qui a rédigé les infâmes mémorandums de torture sous l’administration Bush, celui qui a trouvé des moyens juridiques de légaliser le waterboarding — a déclaré que ces frappes soulèvent des « questions légales très sérieuses ». Ben Wittes de Lawfare, qui a défendu le programme de drones d’Obama pendant des années, a qualifié la théorie juridique de Trump de « légalement douteuse au mieux ». Andy McCarthy, ancien procureur fédéral et commentateur conservateur de la National Review, a écrit que l’extension du paradigme de guerre au narcotrafic « étire le droit international au-delà de toute reconnaissance ».
Quand les architectes mêmes du cadre juridique post-11 septembre — ces avocats qui ont passé des années à trouver des moyens créatifs de justifier la torture, la détention indéfinie à Guantanamo, les assassinats ciblés par drones dans sept pays — disent que Trump va trop loin, ça devrait sonner comme une alarme assourdissante. Nous ne parlons pas ici de progressistes pacifistes ou de défenseurs prévisibles des droits humains. Nous parlons de personnes qui ont bâti leurs carrières juridiques sur la défense du pouvoir exécutif en temps de guerre. Leur malaise collectif face à ces frappes révèle à quel point l’administration Trump a quitté même les marges les plus extrêmes du cadre juridique post-11 septembre pour entrer en territoire véritablement inconnu et potentiellement irréversible.
Le Congrès observe en silence pendant que le pouvoir présidentiel explose
La Constitution américaine accorde au Congrès — et seulement au Congrès — le pouvoir de déclarer la guerre. Pourtant, Trump a unilatéralement déclaré que les États-Unis sont en « conflit armé » avec les cartels de drogue sans aucune autorisation législative formelle. Quelques membres du Congrès des deux partis ont exprimé des inquiétudes. La sénatrice démocrate Jeanne Shaheen a interrogé Charles Young lors de son audition de confirmation sur l’existence et le contenu du mémorandum OLC. Des républicains ont demandé plus d’informations à la Maison-Blanche sur la justification juridique. Le Sénat a même voté sur une résolution de pouvoirs de guerre qui aurait interdit ces frappes sans autorisation congressionnelle spécifique — mais elle a échoué.
Malgré ces grognements, aucune action concrète n’a été prise. Aucune audition formelle du Comité judiciaire ou des services armés n’a été organisée. Aucune résolution de désapprobation contraignante n’a été introduite. Aucune menace crédible de couper le financement de ces opérations. Le Congrès, institutionnellement affaibli après des décennies d’abdication de son rôle de guerre au profit du pouvoir exécutif, semble incapable ou réticent à freiner Trump. Cette passivité législative établit un nouveau plancher pour ce qu’un président peut faire sans autorisation parlementaire. Si Trump peut déclarer unilatéralement une guerre contre les cartels et tuer 32 personnes sans débat ni vote congressionnel, quelles sont les limites restantes sur le pouvoir présidentiel d’utiliser la force létale? La réponse terrifante : probablement aucune.
Le précédent catastrophique et ses implications futures

Si les cartels aujourd’hui, qui demain?
La logique juridique développée par l’administration Trump pour justifier ces frappes ne s’arrête pas miraculeusement aux cartels de drogue des Caraïbes. Une fois qu’on accepte le principe qu’une organisation criminelle transnationale peut être désignée comme organisation terroriste et que ses membres peuvent être traités comme des combattants illégaux sujets à l’élimination militaire sans tentative d’arrestation, les implications s’étendent exponentiellement. Qu’est-ce qui empêche une future administration d’appliquer ce cadre aux gangs transnationaux comme MS-13 opérant depuis l’Amérique centrale? Aux réseaux de traite humaine basés en Asie du Sud-Est? Aux groupes de ransomware russes qui paralysent les hôpitaux américains?
Des experts juridiques internationaux ont immédiatement identifié ce risque de prolifération du précédent. Si les États-Unis peuvent unilatéralement désigner des groupes criminels comme terroristes et les attaquer militairement dans les eaux internationales sans consentement des États riverains, qu’est-ce qui empêche la Chine de faire exactement la même chose contre des groupes séparatistes ouïghours ou tibétains qu’elle qualifie de terroristes? Qu’est-ce qui empêche la Russie d’attaquer des « organisations terroristes » perçues comme menaçantes en mer Noire ou en Baltique? Qu’est-ce qui empêche l’Inde de frapper des militants cachemiris en haute mer? Le système international repose sur des normes mutuellement respectées précisément parce que chaque État comprend qu’il pourrait être du côté receveur demain. En dynamitant ces normes pour un gain tactique à court terme, Trump ne renforce pas la sécurité américaine — il crée un précédent que les adversaires des États-Unis utiliseront avec joie pour justifier leurs propres violations.
Les alliés latino-américains recalculent leurs alliances
Partout en Amérique latine, les gouvernements observent nerveusement et recalculent leurs relations avec Washington. Le Mexique, partenaire commercial crucial et voisin immédiat, maintient un silence public prudent, mais les discussions privées dans les cercles diplomatiques révèlent une profonde anxiété. Si Trump est prêt à frapper des bateaux dans les Caraïbes sans autorisation des pays riverains, qu’est-ce qui l’empêche de lancer des opérations similaires dans le golfe du Mexique? Cette inquiétude n’est pas paranoïaque — Trump a ouvertement discuté d’opérations militaires au Venezuela pour renverser Maduro, justifiées en partie par des préoccupations antidrogue. Il a récemment autorisé la CIA à opérer dans ce pays, une escalade significative vers une intervention directe.
Le Brésil, sous son gouvernement de gauche de Lula, observe avec alarme ce qu’il perçoit comme un retour à l’impérialisme militaire américain dans l’hémisphère occidental — ces interventions unilatérales qui ont caractérisé la guerre froide et laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective latino-américaine. Même des alliés traditionnels comme le Chili et l’Argentine se demandent si la coopération avec Washington vaut le risque d’être traînés dans des aventures militaires dont ils ne contrôlent ni les objectifs ni les conséquences. Cette érosion de la confiance régionale sabote des décennies de construction patiente de partenariats en matière de sécurité, remplaçant la coopération volontaire par la crainte et le ressentiment — exactement les conditions qui, historiquement, ont poussé les pays latino-américains vers des alliances alternatives avec la Chine ou la Russie.
Le soutien public américain révèle une normalisation terrifiante
Malgré l’absurdité des affirmations de Trump, malgré les questions juridiques non résolues, malgré les protestations colombiennes et les avertissements d’experts, le public américain soutient massivement ces frappes. Un sondage Harris réalisé en octobre révèle que 71% des électeurs inscrits approuvent la destruction des bateaux transportant de la drogue vers les États-Unis. Ce chiffre stupéfiant coupe à travers les lignes partisanes traditionnelles — républicains et démocrates, progressistes et conservateurs, tous semblent d’accord que tuer des suspects de narcotrafic depuis le ciel est non seulement acceptable, mais souhaitable. Peu importe les preuves. Peu importe la légalité. Peu importe les victimes innocentes potentielles.
Cette apathie morale collective révèle quelque chose de profondément troublant sur l’état de la démocratie américaine après deux décennies de guerre contre le terrorisme. Les frappes de drones, les listes d’assassinat, les morts civiles euphémisées comme « dommages collatéraux » — tout cela a normalisé l’idée que le président américain peut ordonner la mort de personnes sans procès ni preuve publique, tant qu’elles sont qualifiées de « terroristes » ou de « menaces pour la sécurité nationale ». Le Bureau of Investigative Journalism estime qu’Obama seul a autorisé 563 frappes de drones au Pakistan, au Yémen et en Somalie, tuant entre 384 et 807 civils aux côtés de milliers de militants. Si c’était acceptable pour combattre Al-Qaïda, raisonne le public, pourquoi pas pour combattre le fentanyl? Cette normalisation progressive de l’exécution extrajudiciaire représente peut-être le legs le plus toxique et le plus durable de la guerre contre le terrorisme.
La vraie solution que personne ne veut entendre

L’interdiction militaire ne fonctionnera jamais structurellement
Tous les experts sérieux de la politique antidrogue — épidémiologistes, économistes, criminologues, spécialistes de santé publique — s’accordent sur un fait profondément inconfortable : la crise du fentanyl ne sera jamais résolue par des mesures d’application de la loi, qu’elles prennent la forme d’arrestations traditionnelles ou de frappes de missiles spectaculaires. Le Portugal a démontré l’efficacité d’une approche radicalement différente après avoir décriminalisé toutes les drogues en 2001. Les décès par overdose ont chuté de plus de 80% en deux décennies. L’hépatite C et le VIH liés à l’usage de drogues injectables ont pratiquement disparu. Le nombre total d’usagers problématiques a diminué significativement. Comment? En traitant l’addiction comme un problème médical plutôt qu’un crime.
La solution réelle nécessite une transformation fondamentale : accès massif aux traitements de substitution comme la méthadone et la buprénorphine. Sites de consommation supervisée où les utilisateurs peuvent obtenir des substances testées, éliminant les overdoses par contamination au fentanyl. Programmes d’échange de seringues pour prévenir les infections. Logements stables pour les sans-abri dépendants. Emplois et formation pour ceux qui sortent de la dépendance. Bref, une approche de santé publique plutôt qu’une approche militaire. Mais ces solutions ne produisent pas de vidéos spectaculaires d’explosions. Elles ne permettent pas aux présidents de tweeter sur les dizaines de milliers de vies sauvées par leurs actions héroïques. Elles requièrent des investissements à long terme, de la patience, et l’acceptation que l’addiction est une maladie chronique plutôt qu’un échec moral justifiant la punition ou la mort.
Les décès continuent pendant que Trump célèbre des explosions
Pendant que l’administration Trump publie des vidéos de bateaux explosant et que le président célèbre ses prétendues victoires, la réalité sur le terrain américain raconte une histoire de dévastation continue. Les salles d’urgence traitent des dizaines de surdoses quotidiennes. Les familles enterrent des proches. Les communautés entières sont ravagées par le fentanyl qui continue d’affluer en quantités massives. Aucune des sept frappes n’a produit le moindre impact mesurable. Les prix de rue n’ont pas bougé. La disponibilité n’a pas diminué. La pureté reste mortellement élevée. Pour les Américains mourant réellement du fentanyl, ces frappes sont complètement, absolument, totalement irrelevantes à leur survie.
Cette disjonction révèle le véritable objectif : ce ne sont pas des opérations de santé publique mais des opérations de théâtre politique. Elles permettent à Trump de prétendre « faire quelque chose » face à une crise qui terrifie légitimement beaucoup d’électeurs. Les explosions sont visuellement satisfaisantes, émotionnellement cathartiques, parfaites pour la consommation sur les réseaux sociaux où la complexité meurt et où les solutions simples prospèrent. Mais pendant ce temps, les vrais programmes qui pourraient sauver des vies — les cliniques de traitement, les sites de consommation supervisée, les programmes de logement — manquent désespérément de financement. L’ironie cruelle : le coût d’une seule frappe de missile — des centaines de milliers de dollars — pourrait financer une clinique de traitement pendant des mois, sauvant réellement des dizaines de vies. Mais ça ne fait pas de bonnes vidéos.
Conclusion

Cette septième frappe du 17 octobre 2025 — trois hommes morts, aucune preuve publique de leur culpabilité, aucune tentative d’arrestation — n’est pas une aberration mais une révélation. Elle expose une administration qui a abandonné l’État de droit en faveur de l’exécution expéditive, qui a remplacé la coopération internationale par l’unilatéralisme militaire brutal, et qui confond spectacle viral avec politique publique efficace. Trente-deux personnes sont mortes dans ces sept frappes depuis septembre. Pas une seule preuve tangible n’a été présentée au public pour démontrer que ces individus étaient réellement des narcotrafiquants. Pas un gramme de drogue exhibé. Pas un manifeste publié. Juste la parole du Pentagone et des vidéos d’explosions spectaculaires — parce que les preuves, nous dit-on, ont été vaporisées avec les bateaux.
Les implications dépassent largement le nombre de morts immédiat. L’administration Trump a établi un précédent juridique catastrophique : un président américain peut déclarer unilatéralement un « conflit armé » contre une organisation criminelle, désigner ses membres comme combattants illégaux, et les tuer par missiles sans tentative d’arrestation, sans procès, sans présentation de preuves. Ce cadre, une fois normalisé, sera utilisé par de futurs présidents contre d’autres cibles. Il sera imité par d’autres pays qui justifieront leurs propres violations du droit international en citant le précédent américain. La Colombie crie à l’assassinat, accusant Washington d’avoir tué Alejandro Carranza, un pêcheur innocent dont le bateau dérivait avec son signal de détresse activé. Trump répond en traitant le président colombien de trafiquant de drogue et en coupant toute l’aide, fracturant une alliance de plusieurs décennies et semant le ressentiment à travers toute l’Amérique latine.
Pendant ce temps, les décès par overdose continuent à des niveaux catastrophiques. Le fentanyl continue de circuler en quantités massives. Les cartels ajustent leurs routes et envoient plus de bateaux pour compenser ceux qui ont explosé. Parce que c’est ainsi que fonctionne l’économie du narcotrafic — imperméable aux frappes militaires, résiliente face à l’interdiction, prospérant grâce à la prohibition elle-même. La solution réelle nécessite des investissements massifs en traitement de l’addiction, en réduction des risques, en santé publique. Elle nécessite la décriminalisation et la régulation plutôt que la militarisation et l’exécution. Mais ces approches ne produisent pas de vidéos virales d’explosions. Alors à la place, nous obtenons 32 cadavres, une escalade diplomatique régionale, un système juridique international dynamité — tout cela pour une guerre contre la drogue qui ne sera jamais, jamais gagnée par la violence. Et le plus terrifiant? Soixante-et-onze pour cent des Américains applaudissent. L’État de droit est mort dans les Caraïbes, et personne ne semble s’en soucier suffisamment pour l’enterrer dignement.