Samedi 18 octobre 2025. L’Amérique descend dans la rue par millions. Plus de 2700 rassemblements éclatent simultanément à travers le pays, de New York à Los Angeles, de Chicago à Myrtle Beach. Des manifestations baptisées No Kings — un cri de colère contre ce que les organisateurs décrivent comme une dérive autoritaire du président Donald Trump. Sept millions de personnes, selon les estimations, ont marché ce jour-là pour défendre la démocratie, pour rappeler qu’aucun homme n’est au-dessus des lois. Mais au milieu de cette marée humaine pacifique, quelque chose s’est brisé. À Myrtle Beach, en Caroline du Sud, une femme de 59 ans portant un t-shirt « Trump: The Revenge Tour » a décidé que sa réponse à ces manifestants serait… une arme. Mary Moriarty a pointé son pistolet en direction de deux protestataires depuis sa voiture, transformant instantanément un acte politique en menace mortelle. Elle a été arrêtée quelques minutes plus tard, menottes aux poignets, sous les chants de la foule qui scandait « manifestation pacifique ». Son geste? Elle l’a qualifié d' »impulsif, ignorant, totalement regrettable ». Mais les mots semblent bien faibles face à la gravité de ce qui aurait pu se passer.
Cette scène, capturée en vidéo et diffusée massivement sur les réseaux sociaux, cristallise une Amérique au bord du gouffre. D’un côté, des millions de citoyens qui exercent leur droit constitutionnel de manifester. De l’autre, des individus armés qui voient dans ces rassemblements une provocation, une menace existentielle à laquelle il faut répondre par la force. L’incident de Myrtle Beach n’est pas isolé. À Kent dans l’Ohio, un homme a bousculé une manifestante avant qu’on découvre qu’il portait une arme chargée, sécurité désactivée. À New York, un homme de 54 ans a été arrêté après avoir menacé de bombarder des agents de l’ICE lors des manifestations. À travers le pays, treize arrestations ont été recensées lors de ces rassemblements — non pas de manifestants, mais de contre-manifestants armés ou de personnes ayant menacé la sécurité publique. Cette réalité révèle une fracture profonde, dangereuse, peut-être irréparable. Quand des citoyens armés répondent à la liberté d’expression par la menace létale, on ne parle plus de désaccord politique. On parle de quelque chose de bien plus sombre.
Le moment où tout a basculé à Myrtle Beach

Une arme brandie en plein jour
Il est environ 14h09 ce samedi après-midi à Myrtle Beach. Le soleil de Caroline du Sud illumine le parc Chapin Memorial où se rassemblent des centaines de manifestants. Des pancartes s’élèvent vers le ciel — « Rien n’est plus patriotique que manifester », « Résister au fascisme », « Pas de rois en Amérique ». L’atmosphère est festive, presque joviale. Des groupes de musique jouent, des familles déambulent, certains portent des costumes gonflables de grenouilles, symbole de résistance devenu viral dans plusieurs villes. C’est alors qu’une voiture passe lentement près du rassemblement. À l’intérieur, Mary Moriarty, résidente de Surfside Beach, observe les manifestants. Elle porte fièrement son t-shirt Trump. Et soudain, elle sort une arme. Un pistolet qu’elle pointe délibérément vers deux protestataires. Le geste dure quelques secondes, mais ces secondes suffisent. Des témoins figent, certains crient, d’autres filment. Les policiers qui patrouillaient à proximité réagissent immédiatement. Ils interceptent le véhicule, procèdent à l’arrestation sans incident. Moriarty ne résiste pas.
Alex Meranco, manifestant de 59 ans présent sur les lieux, n’a pas directement vu l’arme être brandie mais a assisté à l’arrestation. Il a filmé la scène — les policiers qui encadrent Moriarty, la foule qui scande « manifestation pacifique » puis « USA, USA » pendant qu’elle est menottée. Sur les images, on distingue clairement son t-shirt provocateur. Dans un message envoyé au journal local The Sun News, Meranco confie — « Ce que je dis à propos de cet incident, c’est qu’il n’a pas eu l’effet escompté. Il n’a pas semé la peur dans mon cœur ni ébranlé ma résolution de lever la voix contre ce que je crois être en désaccord avec cette administration. Si quoi que ce soit, cela m’a rendu plus fort. » Cette résilience face à la menace armée témoigne d’une détermination qui va bien au-delà du simple activisme politique. C’est la détermination de ceux qui refusent d’être intimidés, même lorsque la violence devient explicite.
Une caution à cent mille dollars et des remords tardifs
Mary Moriarty est immédiatement conduite au commissariat où elle est inculpée de deux chefs d’accusation pour avoir pointé et présenté une arme à feu. La caution est fixée à cent mille dollars — certaines sources mentionnent 50000 dollars, mais la plupart confirment le montant plus élevé. Elle la paie rapidement et est libérée. Le dimanche matin, elle comparaît pour une audience de caution. C’est là qu’elle tente de s’expliquer, de minimiser son geste. « C’était impulsif, ignorant, quelque chose que je regrette totalement étant donné les 18 heures que j’ai eues pour réfléchir, » déclare-t-elle devant le juge. Elle précise que l’arme n’était pas chargée, comme si ce détail changeait fondamentalement la gravité de son acte. Pointer une arme, chargée ou non, vers des civils pacifiques constitue une menace mortelle, une agression, un acte criminel. Le juge ne se laisse pas attendrir. Il ordonne à Moriarty d’éviter tout contact avec les deux victimes identifiées et lui interdit de posséder ou de porter toute arme à feu ou arme létale.
Sa prochaine comparution est prévue pour le 19 décembre 2025. Si elle est reconnue coupable des deux chefs d’accusation, elle encourt une peine maximale de dix ans de prison. Cette perspective semble enfin avoir pénétré la réalité de Moriarty. Ses excuses, bien que tardives et probablement dictées par son avocat, révèlent une prise de conscience du gouffre dans lequel elle a failli tomber. Mais ces remords arrivent après le fait, après que le geste ait été posé, après que la menace ait été proférée. Combien d’autres Mary Moriarty existent à travers le pays, armées et convaincues que leur devoir patriotique consiste à intimider ceux qui osent s’opposer au président? Combien d’entre elles n’ont simplement pas encore été prises en flagrant délit? Ces questions hantent désormais les organisateurs de manifestations et les forces de l’ordre à travers toute l’Amérique.
Le symbole du t-shirt — quand le soutien devient menace
Le détail du t-shirt de Moriarty n’est pas anodin. « Trump: The Revenge Tour » — cette formule résume parfaitement l’état d’esprit d’une partie des supporters du président. Pour eux, la victoire électorale de novembre 2024 n’était pas simplement un triomphe politique, mais le début d’une campagne de représailles contre tous ceux qui ont osé s’opposer à Trump pendant son premier mandat et durant la période où il était hors du pouvoir. Cette mentalité de vengeance, encouragée par certains discours et rhétoriques, transforme l’opposition politique en ennemi personnel. Et lorsque l’ennemi devient personnel, la violence n’est plus un tabou mais une réponse légitime. Moriarty n’a pas simplement brandi une arme — elle a matérialisé une idéologie qui considère la dissidence comme une trahison méritant châtiment. Son geste est devenu instantanément viral, non pas parce qu’il est unique, mais parce qu’il symbolise une tendance beaucoup plus large et profondément inquiétante dans le paysage politique américain actuel.
Kent, Ohio — quand la violence se cache sous un imperméable

Une bousculade qui révèle une arme chargée
Pendant que Myrtle Beach vivait son drame, à Kent dans l’Ohio, une autre scène troublante se déroulait presque simultanément. La manifestation No Kings battait son plein près du pub Zephyr sur West Main Street. Des centaines de personnes s’étaient rassemblées pour exprimer leur opposition aux politiques de Trump. L’ambiance était positive, engagée. C’est alors qu’un homme non identifié s’est approché de la foule. Sans provocation apparente, il a violemment poussé une femme par derrière. Jeff Clapper, conseiller municipal représentant le sixième district de Kent, venait tout juste d’arriver sur les lieux. Il a vu la scène se dérouler sous ses yeux. « Je n’ai aucune idée de ce qui a provoqué la situation, » raconte-t-il. « Mais je n’allais pas permettre que ça continue. Alors je suis intervenu et je l’ai plaqué au sol. » C’est à ce moment précis que la situation a basculé du simple incident à la menace armée potentiellement mortelle.
Une fois l’homme immobilisé au sol, quelqu’un a crié — « Il a une arme! » Clapper et d’autres manifestants ont alors intensifié leur prise, s’assurant que l’individu ne puisse pas accéder à son pistolet. Un témoin a pris possession de l’arme pour éviter tout déclenchement accidentel en attendant l’arrivée de la police. Selon ce témoin, le pistolet était chargé et la sécurité était désactivée. Cela signifie qu’une simple pression sur la détente aurait suffi à tirer un coup de feu. L’homme était-il venu avec l’intention d’intimider? De tirer si la situation dégénérait selon lui? Ces questions restent sans réponse définitive, mais les faits parlent d’eux-mêmes — un individu armé, sécurité désactivée, qui agresse physiquement une manifestante pacifique. La police de Kent a été alertée et est arrivée rapidement sur les lieux. L’homme a été arrêté et placé en garde à vue. Les autorités n’ont pas immédiatement divulgué son identité ni précisé les charges retenues contre lui.
Le courage d’un élu municipal
Jeff Clapper, dans ses déclarations aux médias, a insisté sur un point crucial — sa décision d’intervenir n’avait rien à voir avec l’affiliation politique de l’agresseur présumé. « J’ai entendu dire que l’homme arrêté était un supporteur de Trump, bien que je ne puisse pas le confirmer moi-même, » explique-t-il. « Mais que ce soit un supporteur de Trump ou non n’a pas influencé ma décision. J’ai simplement vu un homme pousser une femme, et ce comportement est inacceptable. » Cette clarté morale, cette capacité à distinguer le bien du mal au-delà des lignes partisanes, représente ce qu’il y a de meilleur dans la tradition civique américaine. Clapper n’a pas agi en tant que démocrate ou républicain — il a agi en tant que citoyen refusant de tolérer la violence contre une personne sans défense. Son intervention a potentiellement évité un drame bien plus grave. Si cet homme avait réussi à dégainer son arme, combien de personnes auraient pu être blessées ou tuées?
Une manifestation réussie malgré l’incident
Malgré cet incident troublant, Clapper a tenu à souligner que la manifestation de Kent avait été globalement un succès. « C’était merveilleux de voir autant de gens venir soutenir la démocratie, » a-t-il déclaré. « La foule était fantastique, le temps était magnifique, et l’événement s’est bien déroulé à part cet incident. » Cette perspective équilibrée est importante. Il serait facile de réduire toute la journée du 18 octobre à une série d’agressions armées. Mais la réalité est bien différente. Sur les sept millions de manifestants qui ont défilé à travers le pays, seule une poignée d’incidents violents ont été recensés — et dans presque tous les cas, la violence provenait non pas des manifestants eux-mêmes, mais de contre-manifestants ou d’individus cherchant à perturber les rassemblements. À Austin au Texas, à San Diego en Californie, à New York — aucune arrestation de manifestants. Zéro. Cette discipline, cette détermination à maintenir un caractère pacifique malgré les provocations, témoigne d’un mouvement mûr, organisé et conscient de l’importance symbolique de ses actions.
New York — quand la menace devient terroriste

David Cox et le projet de bombardement
L’incident le plus glaçant de cette journée du 18 octobre ne s’est pas produit à Myrtle Beach ni à Kent, mais à New York. Ou plutôt, il a été empêché de se produire grâce à une intervention policière remarquable. David Cox, 54 ans, originaire de Newark Valley dans l’État de New York, avait un plan. Un plan terrifiant. Le vendredi 17 octobre au soir, il s’est arrêté dans une station-service à Oswego. Là, devant un employé qu’il ne connaissait pas, il a lâché une déclaration qui allait tout changer — il prévoyait de se rendre à New York le lendemain pour bombarder des agents de l’ICE lors des manifestations No Kings. L’employé de la station-service, abasourdi par cette révélation, a immédiatement alerté les autorités. Le NYPD a été informé dans la nuit. Une chasse à l’homme discrète mais intense s’est alors mise en place. Les forces de l’ordre devaient retrouver Cox avant qu’il n’atteigne Manhattan et ne mette son plan à exécution.
Le samedi après-midi, alors que plus de cent mille manifestants envahissaient Times Square dans une démonstration pacifique et colorée, les policiers new-yorkais traquaient un potentiel terroriste. Ils ont finalement localisé le véhicule de Cox à Borough Park, Brooklyn. L’interpellation s’est déroulée sans incident. Cox a été arrêté et inculpé de menaces terroristes, de faux rapport de terrorisme et de menace de préjudice de masse. Ces charges sont parmi les plus graves du code pénal américain, reflétant la nature exceptionnellement dangereuse de ses intentions déclarées. Qu’est-ce qui pousse un homme de 54 ans, vivant dans une petite ville de l’État de New York, à concevoir un tel acte de violence? Quelle rhétorique, quels messages, quelle propagande ont pu convaincre cet individu que bombarder des agents fédéraux constituait une réponse appropriée à une manifestation politique?
Le contexte des opérations de l’ICE
Pour comprendre les motivations potentielles de Cox, il faut replacer l’incident dans son contexte. Les manifestations No Kings du 18 octobre se déroulaient sur fond de fermeture gouvernementale prolongée qui laissait des milliers de fonctionnaires fédéraux sans salaire. Elles intervenaient également alors que l’ICE — l’agence d’immigration et de contrôle des douanes — intensifiait considérablement ses opérations d’arrestation dans le cadre d’une campagne contre l’immigration illégale. La Garde nationale avait même été déployée pour soutenir ces opérations, créant des scènes de militarisation urbaine qui rappelaient à beaucoup les pires moments de régimes autoritaires. Pour les manifestants, ces mesures représentaient une escalade inacceptable, une transformation des États-Unis en état policier. Mais pour certains partisans de Trump, ces mêmes opérations étaient perçues comme un combat patriotique contre l’invasion et le chaos. Cox, apparemment, se situait dans un troisième camp — celui qui voulait activement saboter ces opérations par la violence.
La prévention d’une tragédie
L’arrestation de Cox représente un succès indéniable des forces de l’ordre et du système de signalement citoyen. Si l’employé de la station-service d’Oswego n’avait pas pris au sérieux les propos de Cox, si les autorités n’avaient pas agi rapidement, si la localisation du véhicule avait échoué… les conséquences auraient pu être catastrophiques. Un bombardement ou une attaque armée au milieu de cent mille personnes rassemblées à Times Square aurait produit un carnage inimaginable. Des dizaines, peut-être des centaines de morts et de blessés. Une escalade de violence qui aurait pu déchirer définitivement le tissu social américain. Au lieu de cela, Cox a été neutralisé avant de pouvoir agir. Cette victoire préventive démontre que les systèmes de sécurité peuvent encore fonctionner, que la vigilance citoyenne reste essentielle, et que tous les scénarios catastrophes ne se réalisent pas. Mais elle révèle également à quel point le danger est réel, présent, immédiat. Combien d’autres David Cox existent, qui n’ont simplement pas encore parlé à la mauvaise personne au mauvais moment?
Le bilan national — treize arrestations révélatrices

Des chiffres qui racontent une histoire
Lorsqu’on examine les statistiques globales de la journée du 18 octobre 2025, un portrait fascinant émerge. Sur les sept millions de manifestants qui ont défilé dans 2700 villes et villages à travers les États-Unis, combien ont été arrêtés pour comportement violent ou perturbateur? La réponse tient en un mot — aucun. À Austin au Texas, la police a rapporté zéro arrestation. À San Diego en Californie, où 25000 personnes ont exercé leur droit du Premier Amendement, aucune arrestation. À New York, malgré la présence de cent mille manifestants inondant Times Square, aucune arrestation liée aux protestataires eux-mêmes. À travers le pays, les rapports se répètent — des rassemblements massifs, pacifiques, organisés, où la seule chose perturbée fut la circulation. Par contre, les treize arrestations recensées racontent une histoire bien différente. Mary Moriarty à Myrtle Beach. L’agresseur armé de Kent. David Cox à New York. À Los Angeles, des arrestations après qu’une assemblée ait été déclarée illégale le soir, suite à des bouteilles lancées contre des policiers — mais là encore, les incidents se sont produits après la tombée de la nuit, longtemps après la fin des marches pacifiques diurnes.
Cette asymétrie est révélatrice. Elle démolit le narratif que les républicains ont tenté d’imposer, qualifiant ces événements de « rassemblements Haïssez l’Amérique ». Trump lui-même, interrogé par Fox News avant les manifestations, a tenté de les discréditer en les appelant « une blague ». Pourtant, les faits sont têtus. Les manifestants ont démontré une discipline remarquable, une organisation méticuleuse, un engagement envers la non-violence qui contraste fortement avec les contre-manifestants et perturbateurs armés. Les organisateurs avaient mis en place des formations virtuelles de sécurité avant les événements, avec l’aide de l’ACLU. Ils avaient insisté sur le caractère pacifique absolu des rassemblements. Et cette préparation a payé. Malgré les provocations, malgré les armes brandies, malgré les menaces, les manifestants sont restés dignes, calmes, résolus. Cette retenue collective représente peut-être leur plus grande victoire.
La comparaison avec d’autres manifestations
Pour mesurer pleinement l’extraordinaire discipline des manifestations No Kings, il suffit de les comparer à d’autres rassemblements massifs dans l’histoire récente américaine. Les émeutes qui ont suivi le meurtre de George Floyd en 2020 ont vu des milliers d’arrestations, des dizaines de bâtiments incendiés, des affrontements violents entre manifestants et forces de l’ordre. L’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 a entraîné plus de mille arrestations et des scènes de chaos qui ont choqué le monde entier. Même certaines manifestations progressistes antérieures ont connu des débordements, des dégâts matériels, des confrontations. Mais les événements du 18 octobre 2025 ont établi un nouveau standard. Sept millions de personnes mobilisées, zéro manifestant arrêté pour comportement violent. Cette statistique devrait faire la une de tous les journaux, être célébrée comme un triomphe de l’organisation citoyenne et du droit de manifester. Au lieu de cela, les médias se sont concentrés sur les quelques incidents impliquant des contre-manifestants, perpétuant l’image d’un chaos qui n’a jamais vraiment existé.
Ce que les arrestations révèlent sur la polarisation
L’analyse détaillée des treize arrestations effectuées le 18 octobre révèle un schéma troublant mais cohérent. Dans presque tous les cas, les individus arrêtés étaient soit des contre-manifestants cherchant activement à perturber les rassemblements, soit des personnes armées représentant une menace pour la sécurité publique, soit des individus ayant proféré des menaces terroristes. Aucun n’était un manifestant pacifique exerçant son droit constitutionnel. Cette réalité soulève des questions profondes sur l’état de la polarisation américaine. Quand l’exercice légitime du droit de manifester provoque systématiquement des réponses armées ou violentes de la part de ceux qui s’y opposent, nous ne sommes plus dans le cadre d’un débat démocratique normal. Nous sommes dans une dynamique préinsurrectionnelle où chaque camp perçoit l’autre non comme un adversaire légitime mais comme un ennemi existentiel. Cette perception transforme la politique en guerre par d’autres moyens — et parfois, comme le montrent ces incidents, en guerre tout court.
Le mouvement No Kings — genèse d'une résistance

De juin à octobre — l’amplification d’un message
Les manifestations du 18 octobre ne sont pas apparues spontanément. Elles représentent la troisième vague de mobilisation massive depuis le retour de Trump à la Maison Blanche en janvier 2025. La première série de rassemblements No Kings s’était tenue le 14 juin 2025, jour de l’anniversaire de Trump et de la parade du 250ème anniversaire de l’armée américaine. Ce choix de date était délibéré — les organisateurs voulaient créer un contre-narratif au triomphalisme militariste orchestré par l’administration. Plus de cinq millions de personnes s’étaient alors rassemblées dans plus de 2100 villes. L’événement phare s’était déroulé à Philadelphie, berceau historique de la démocratie américaine, où la Déclaration d’Indépendance et la Constitution avaient été signées. Entre juin et octobre, d’autres mobilisations ont eu lieu — le week-end « Free America » le 4 juillet, les rassemblements « Good Trouble Lives On » le 17 juillet en hommage à John Lewis. Mais octobre a marqué une escalade quantitative et qualitative. Sept millions contre cinq en juin. 2700 villes contre 2100. L’élargissement du mouvement témoigne d’une colère croissante, d’une inquiétude qui s’amplifie face aux actions de l’administration Trump.
Les organisateurs — un front uni progressiste
Derrière les manifestations No Kings se trouve une coalition sans précédent de quelque deux cents organisations progressistes. On y trouve des géants comme l’ACLU, l’organisation de défense des libertés civiles la plus puissante du pays. Planned Parenthood, au cœur des batailles pour les droits reproductifs. La Human Rights Campaign, défenseur des droits LGBTQ+. Les Socialistes démocrates d’Amérique, l’aile gauche radicale du spectre politique. Mais aussi des syndicats comme l’American Federation of Teachers et la Communications Workers of America. Des groupes environnementaux comme la League of Conservation Voters. Des organisations de base comme Indivisible, né après l’élection de 2016. Cette diversité organisationnelle représente à la fois la force et la faiblesse potentielle du mouvement. Sa force, parce qu’elle permet une mobilisation massive et coordonnée. Sa faiblesse, parce que maintenir l’unité entre des groupes aux priorités parfois divergentes exige un travail constant de compromis et de négociation. Pour l’instant, l’unité tient, cimentée par un ennemi commun perçu comme existentiel.
Le message central — « Pas de rois en Amérique »
Le slogan « No Kings » capture brillamment l’essence de la critique portée contre Trump. Il évoque la Révolution américaine, la rupture fondatrice avec la monarchie britannique, l’idée que l’Amérique est une république où personne n’est au-dessus des lois. En accusant Trump d’agir comme un monarque plutôt qu’un président élu, les organisateurs frappent au cœur de l’identité nationale américaine. Ils ne disent pas « nous n’aimons pas ses politiques » ou « nous sommes en désaccord avec son programme » — ils disent « il détruit les fondements mêmes de notre système de gouvernement ». Cette accusation d’autoritarisme n’est pas nouvelle, mais elle a pris une dimension nouvelle avec la fermeture gouvernementale prolongée qui a laissé des dizaines de milliers de fonctionnaires sans salaire, le déploiement de la Garde nationale pour des opérations d’immigration, et une série de décrets exécutifs que les critiques jugent inconstitutionnels. Pour les manifestants, Trump n’est pas simplement un mauvais président — il représente une menace existentielle pour la démocratie américaine elle-même. D’où l’urgence, d’où la mobilisation massive, d’où la détermination à résister coûte que coûte.
Les réponses républicaines — déni et diabolisation

Trump et le mépris affiché
La réaction de Donald Trump aux manifestations No Kings a oscillé entre le mépris et la distorsion. Dans une interview accordée à Fox News diffusée le vendredi précédant les rassemblements, Trump a tenté de minimiser l’ampleur du mouvement. « Ils disent qu’ils me considèrent comme un roi. Je ne suis pas un roi, » a-t-il déclaré, déformant délibérément le message des organisateurs. Le slogan n’était pas « Trump est un roi » mais « Pas de rois en Amérique » — une distinction cruciale que le président a choisi d’ignorer. Plus tard, il a qualifié les manifestations de « blague », suggérant qu’elles ne représentaient qu’une minorité bruyante sans importance réelle. Cette stratégie de minimisation vise à priver le mouvement de sa légitimité, à le présenter comme marginal et insignifiant. Mais les chiffres racontent une autre histoire. Sept millions de manifestants représentent environ 2% de la population américaine — un pourcentage qui, s’il se traduisait en mobilisation électorale, pourrait basculer n’importe quelle élection. Trump le sait. D’où sa nervosité palpable malgré le mépris affiché.
Le narratif des « rassemblements Haïssez l’Amérique »
Le Parti républicain, dans son ensemble, a adopté une ligne de communication particulièrement agressive contre les manifestations. Les dirigeants du parti ont systématiquement qualifié les rassemblements No Kings de « Hate America rallies » — des rassemblements anti-américains. Cette formulation est révélatrice. Elle ne dit pas « manifestations anti-Trump » ou « protestations contre nos politiques ». Elle dit « anti-américaines », transformant la dissidence légitime en trahison nationale. Cette tactique rhétorique n’est pas nouvelle — tous les régimes autoritaires l’ont utilisée pour délégitimer l’opposition. Mais son application systématique dans le contexte américain actuel marque un tournant dangereux. Quand l’un des deux grands partis politiques du pays traite automatiquement toute critique comme anti-patriotique, les fondements du débat démocratique s’effondrent. Il ne reste plus que loyauté aveugle d’un côté, résistance désespérée de l’autre. Aucun espace pour le compromis, aucune possibilité de trouver un terrain commun. Juste deux camps irréconciliables en marche vers un affrontement dont personne ne peut prédire l’issue.
Les gouverneurs et la militarisation préventive
Dans plusieurs États contrôlés par les républicains, les gouverneurs ont réagi aux annonces des manifestations No Kings en plaçant la Garde nationale en état d’alerte. Au Texas et en Virginie notamment, des troupes ont été mises en standby, prêtes à intervenir en cas de « désordres ». Cette militarisation préventive envoie un message clair — les autorités républicaines s’attendaient à la violence, espéraient peut-être la violence, car elle aurait justifié leur narratif sur le chaos progressiste. Mais cette violence n’est jamais venue. Les manifestations se sont déroulées pacifiquement, laissant les troupes mobilisées sans mission réelle. Cette surréaction calculée révèle une stratégie de communication désormais familière — créer l’image d’une menace imminente, mobiliser des forces de sécurité disproportionnées, puis prétendre que c’est précisément cette mobilisation qui a prévenu le chaos. Une prophétie auto-réalisatrice qui ne se réalise jamais mais qui justifie toujours plus de pouvoir, toujours plus de contrôle, toujours plus de militarisation de l’espace public.
Les implications pour l'avenir — vers quoi allons-nous?

L’escalade de la violence politique
Les incidents du 18 octobre — Moriarty brandissant son arme, l’agresseur armé de Kent, Cox planifiant un bombardement — ne sont pas des anomalies isolées. Ils s’inscrivent dans une tendance croissante de violence politique aux États-Unis. Les menaces contre les élus ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années. Les agressions lors d’événements politiques se multiplient. Les milices armées se présentent désormais ouvertement lors de manifestations, créant une atmosphère de menace permanente. Cette normalisation de la violence armée dans l’espace politique représente peut-être le danger le plus grave pour la démocratie américaine. Historiquement, les démocraties meurent rarement par coup d’État militaire. Elles s’effondrent progressivement quand la violence devient un outil politique accepté, quand les institutions perdent leur légitimité, quand les citoyens cessent de croire qu’ils peuvent résoudre leurs différends pacifiquement. Les États-Unis sont-ils sur cette trajectoire? Les événements du 18 octobre suggèrent que oui, mais aussi que la résistance à cette dérive reste massive et déterminée.
Le rôle des armes à feu dans la polarisation
Il est impossible d’analyser ces incidents sans aborder le rôle central des armes à feu dans la culture politique américaine contemporaine. Mary Moriarty n’aurait pas pu menacer des manifestants sans son pistolet. L’agresseur de Kent n’aurait été qu’un simple perturbateur sans son arme chargée. Cette ubiquité des armes transforme chaque conflit potentiel en situation potentiellement mortelle. Dans d’autres démocraties occidentales où les armes sont strictement contrôlées, les tensions politiques existent également. Mais elles se manifestent rarement par des menaces létales lors de manifestations. Aux États-Unis, le mélange toxique entre polarisation extrême et facilité d’accès aux armes crée un contexte unique où chaque rassemblement politique devient potentiellement sanglant. Les organisateurs des manifestations No Kings ont dû mettre en place des protocoles de sécurité élaborés, des formations de désescalade, une coordination étroite avec les forces de l’ordre — non pas à cause de leurs propres participants, mais à cause de la menace constante représentée par des individus armés hostile à leur message.
Les élections de mi-mandat comme enjeu crucial
Pour beaucoup de manifestants interrogés le 18 octobre, l’objectif ultime n’est pas la rue mais les urnes. Les prochaines élections de mi-mandat représentent une opportunité cruciale de freiner l’agenda de Trump en reprenant le contrôle de la Chambre des représentants, voire du Sénat. Cette stratégie électoraliste coexiste cependant avec une conscience douloureuse que les élections pourraient ne pas suffire. Comme l’a exprimé Ethan Wilson, vétéran de la guerre d’Irak membre du collectif progressiste Common Defense — « Les tribunaux et les élections comptent, mais ça ne suffira pas. Il faut un grand mouvement de résistance civile non violente, capable de créer un contre-pouvoir face aux élites qui soutiennent ce régime naissant. » Cette double approche — institutionnelle et extra-institutionnelle — reflète l’incertitude profonde qui traverse le mouvement progressiste. Peut-on encore faire confiance aux institutions démocratiques traditionnelles pour résoudre cette crise? Ou faut-il imaginer de nouvelles formes de résistance, de nouveaux modes d’action collective qui contournent les mécanismes institutionnels devenus dysfonctionnels?
Conclusion

Le 18 octobre 2025 restera gravé comme un moment charnière dans l’histoire politique américaine. Pas à cause de la violence qui s’y est produite — elle est restée marginale, confinée à quelques incidents certes graves mais ne représentant qu’une infime fraction des événements. Mais à cause de ce que cette journée a révélé sur l’état de la nation. D’un côté, sept millions de citoyens ont démontré qu’ils sont prêts à descendre dans la rue pour défendre leurs valeurs, qu’ils croient encore suffisamment en la démocratie pour en exercer les droits fondamentaux. De l’autre, des individus armés comme Mary Moriarty, convaincus que leur patriotisme s’exprime par la menace et l’intimidation, ont montré jusqu’où la polarisation peut mener. Entre ces deux pôles, une Amérique fragmentée cherche son chemin, oscillant entre espoir et désespoir, entre institutions démocratiques et autoritarisme rampant. L’arrestation de Moriarty à Myrtle Beach, son « geste très ignorant » comme elle l’a qualifié elle-même, symbolise parfaitement cette fracture. Une femme ordinaire, une supportrice de Trump, qui en quelques secondes d’impulsivité armée, a franchi la ligne séparant l’engagement politique de la menace criminelle.
Ce qui se joue désormais dépasse largement le sort individuel de Mary Moriarty ou des autres personnes arrêtées ce jour-là. C’est l’âme même de la république américaine qui est en jeu. Les manifestations No Kings continueront-elles à croître, mobilisant des dizaines de millions de citoyens dans une résistance pacifique mais déterminée? Ou s’essouffleront-elles face à l’indifférence médiatique et l’épuisement des militants? Les institutions démocratiques — les tribunaux, le Congrès, les élections — tiendront-elles face aux assauts répétés d’un exécutif qui ne reconnaît aucune limite? Ou s’effondreront-elles progressivement, vidées de leur substance, réduites à des façades sans pouvoir réel? Ces questions restent ouvertes. Mais une chose est certaine — l’Amérique de 2025 ne peut plus prétendre que tout va bien, que les mécanismes traditionnels fonctionnent normalement, que la démocratie est un acquis permanent. Elle est fragile. Elle est menacée. Et sa survie dépendra de la capacité des citoyens ordinaires à rester mobilisés, vigilants, résolus face à ceux qui, armes à la main ou rhétorique autoritaire aux lèvres, cherchent à imposer leur vision par la force plutôt que par la persuasion. Mary Moriarty regrettera peut-être son geste. Mais l’Amérique, elle, ne peut se permettre de regretter ce moment. Elle doit le saisir, le comprendre, et décider collectivement quel genre de nation elle veut être.