L’Amérique retient son souffle. Le 5 novembre 2025, neuf juges vont décider si le président Donald Trump a commis l’impensable — usurper le pouvoir constitutionnel du Congrès en imposant la plus grande augmentation de taxes en temps de paix de l’histoire américaine. Derrière leurs portes closes, des petites entreprises comme Learning Resources et hand2mind, fabricants de jouets éducatifs, se battent pour leur survie contre un empire présidentiel qui a multiplié leurs coûts d’importation par quarante-cinq. Quarante-cinq fois. Imaginez un instant : ce qui vous coûtait 2,2 millions de dollars en 2024 vous en coûte désormais 100 millions en 2025. Pas à cause d’une récession, pas à cause d’une pandémie — mais à cause d’un simple décret présidentiel signé en février dernier, invoquant une urgence nationale basée sur des déficits commerciaux qui existent depuis des décennies. Cette affaire ne concerne pas seulement les tarifs douaniers ou les relations commerciales internationales. C’est un combat existentiel sur qui détient le pouvoir de taxation dans une démocratie — le peuple par ses représentants élus, ou un seul homme dans le Bureau ovale.
Les chiffres donnent le vertige, presque abstraits dans leur démesure. Trois mille milliards de dollars sur dix ans. Plus de 210 milliards déjà perçus depuis le printemps. La Cour d’appel fédérale a tranché en août dernier par 7 voix contre 4 : ces tarifs sont illégaux. Trump a outrepassé son autorité en utilisant l’International Emergency Economic Powers Act, une loi de 1977 conçue pour geler des avoirs étrangers en cas d’urgence réelle, pas pour restructurer l’ensemble du système commercial américain. Mais Trump refuse de plier. « TOUS LES DROITS DE DOUANE SONT ENCORE EN VIGUEUR! » a-t-il hurlé sur Truth Social, comptant sur « sa » Cour suprême à majorité conservatrice — celle qu’il a lui-même cimentée durant son premier mandat — pour renverser ces décisions embarrassantes. Le pari est risqué, les enjeux colossaux. Si la Cour confirme l’illégalité, l’administration devra peut-être rembourser les 210 milliards. « Ce serait dévastateur pour notre pays », a admis Trump avec une franchise inhabituelle. Mais pour les petites entreprises étranglées par ces taxes arbitraires, c’est déjà dévastateur.
La genèse d'une catastrophe économique annoncée

Février 2025 : le jour où tout a basculé
Le 1er février 2025 restera gravé comme le jour où Donald Trump a déclenché une guerre commerciale sans précédent contre le monde entier — et, ironiquement, contre son propre pays. Par une série de décrets présidentiels, le chef d’État a imposé des droits de douane massifs en invoquant l’IEEPA, prétendant que les déficits commerciaux américains constituaient une urgence nationale extraordinaire menaçant la sécurité du pays. Les premiers tarifs, baptisés tarifs « de trafic », visaient le Canada, le Mexique et la Chine — accusés de ne pas faire assez pour stopper le flux de fentanyl et de migrants vers les États-Unis. Puis vint le « Liberation Day » du 2 avril, une offensive commerciale qui imposa des tarifs de 10% à 50% sur les produits de virtuellement tous les pays du monde. Le nom ironique — Jour de la Libération — cachait mal ce qu’il était vraiment : une déclaration d’hostilité économique généralisée.
Ce qui rendait ces mesures particulièrement toxiques, c’était leur instabilité chronique. Trump montait les tarifs un lundi, les suspendait un jeudi, les réimposait le mois suivant. Certains pays obtenaient des exemptions temporaires de 90 jours pour négocier — le Royaume-Uni, le Japon, l’Union européenne — mais les accords étaient jugés déséquilibrés et fragiles. Pour les entreprises qui dépendent de la planification à moyen terme pour signer des contrats avec des fournisseurs étrangers, cette volatilité était pire qu’un simple tarif élevé mais stable. Comment négocier avec un fournisseur chinois quand vous ne savez pas si le tarif sera de 10%, 25% ou 50% le trimestre prochain? Cette incertitude manufacturée a paralysé des secteurs entiers. Le PIB canadien a chuté en raison de l’effondrement des exportations. Des designers québécois qui comptaient sur le marché américain ont dû fermer boutique. L’exemption pour les petits colis de moins d’un dollar américain — une bouée de sauvetage pour les micro-entrepreneurs — a pris fin le 1er septembre 2025, remplacée par des frais de 50 dollars par article importé. Une sentence de mort pour l’innovation à petite échelle.
L’invocation douteuse d’une loi d’urgence
Au cœur de la stratégie juridique de Trump se trouve une interprétation audacieuse — certains diraient grotesquement élastique — de l’IEEPA. Cette loi de 1977 accorde au président le pouvoir d' »adresser toute menace inhabituelle et extraordinaire… à la sécurité nationale, à la politique étrangère ou à l’économie des États-Unis » en lui permettant de « réguler… l’importation » de biens. Le texte ne mentionne nulle part les « tarifs », les « droits de douane » ou tout mécanisme de génération de revenus. Mais l’administration Trump soutient que le mot « réguler » inclut nécessairement le pouvoir d’imposer des taxes — car les tarifs sont, historiquement, un moyen « traditionnel et commun » de réguler les importations. Si cette logique tient, alors des centaines d’autres lois fédérales qui utilisent le mot « réguler » pourraient soudainement être réinterprétées comme accordant des pouvoirs de taxation — une perspective qui terrifie les juristes.
Mais le problème le plus flagrant avec l’argument de Trump, c’est la notion même d’urgence. Les déficits commerciaux américains existent depuis des décennies. Ce sont des phénomènes économiques de longue durée, débattus par les économistes, gérés par les politiques commerciales habituelles. Déclarer soudainement en février 2025 qu’ils constituent une menace « inhabituelle et extraordinaire » nécessitant des pouvoirs d’urgence présidentiels relève de la fiction juridique. Comme l’ont souligné les avocats de Learning Resources dans leur mémoire déposé le 20 octobre 2025 : « Le gouvernement prétend que le président peut imposer des tarifs au peuple américain quand il veut, au taux qu’il veut, pour les pays et produits qu’il veut, aussi longtemps qu’il veut — simplement en déclarant que des déficits commerciaux de longue date constituent une urgence nationale. » C’est précisément ce pouvoir discrétionnaire illimité que la Constitution américaine a voulu empêcher en confiant le pouvoir de taxation au Congrès, pas à un seul individu.
Le désastre humain derrière les statistiques
Les chiffres macro-économiques — 3 000 milliards sur dix ans — masquent des tragédies humaines à l’échelle micro. Prenez Learning Resources et hand2mind, deux petites entreprises américaines spécialisées dans les jouets éducatifs. En 2024, elles payaient 2,2 millions de dollars en frais d’importation. En 2025, ce chiffre a explosé à 100 millions de dollars — une multiplication par 45. Comment une entreprise absorbe-t-elle une telle augmentation? Soit elle répercute les coûts sur les consommateurs — rendant ses produits inabordables et détruisant sa part de marché — soit elle absorbe les pertes et fait faillite. Il n’y a pas de troisième option. Ces entreprises ne peuvent pas simplement « relocaliser » leur production aux États-Unis du jour au lendemain, comme le suggère naïvement la rhétorique trumpienne. Construire des usines, former du personnel, établir des chaînes d’approvisionnement locales — tout cela prend des années et des investissements massifs que les petites entreprises n’ont tout simplement pas.
Le distributeur de vins et spiritueux V.O.S. Selections raconte une histoire similaire. Dans son mémoire juridique déposé le 20 octobre, l’entreprise a dénoncé une politique qui « bouleverse un siècle de droit commercial ». Des décennies passées à bâtir des relations avec des vignerons européens, à comprendre les marchés, à établir la confiance — tout cela balayé en quelques mois par des décrets capricieux. Et ce ne sont que les histoires qui arrivent devant les tribunaux. Combien de milliers d’autres petites entreprises — celles qui n’ont pas les ressources pour intenter des poursuites contre le gouvernement fédéral — souffrent en silence? Combien ont déjà fermé leurs portes, licencié leurs employés, abandonné leurs rêves entrepreneuriaux? Les statistiques officielles ne captureront jamais ces pertes humaines. Mais elles sont réelles, elles sont massives, et elles sont le prix que des Américains ordinaires paient pour une politique commerciale qui prétend les protéger mais qui, en réalité, les écrase.
La bataille judiciaire qui fait trembler Washington

La décision fracassante de la Cour d’appel d’août 2025
Le 28 août 2025, la Cour d’appel du circuit fédéral a infligé à Donald Trump l’un des revers juridiques les plus humiliants de sa carrière politique. Par un vote de 7 contre 4, elle a statué qu’une grande partie des droits de douane imposés par le président étaient illégaux — Trump avait excédé son autorité sous l’IEEPA. Ce qui rend ce jugement particulièrement dévastateur, c’est la marge : sept juges contre quatre, pas une décision partagée d’un petit panel divisé. Une majorité claire de magistrats — incluant plusieurs nommés par des présidents républicains — ont conclu que Trump avait violé la Constitution. La cour a appliqué la « doctrine des questions majeures », un principe selon lequel le Congrès doit clairement autoriser l’exécutif pour prendre des décisions ayant une « signification économique et politique vaste ». Imposer 3 000 milliards de dollars de taxes sur une décennie se qualifie indéniablement comme une telle décision.
Trump a réagi avec une fureur caractéristique. « TOUS LES DROITS DE DOUANE SONT ENCORE EN VIGUEUR! » a-t-il immédiatement posté sur Truth Social, dénonçant une « cour d’appel hautement politisée » — son code habituel pour « des juges qui ont osé me donner tort ». Il a ajouté : « Désormais, avec l’aide de la Cour suprême des États-Unis, nous les utiliserons au service de notre pays », affichant publiquement sa conviction que « sa » Cour suprême à majorité conservatrice renverserait cette décision embarrassante. Sa ministre de la Justice, Pam Bondi, a rapidement confirmé sur X que l’administration intenterait appel. Le jugement avait été suspendu jusqu’au 14 octobre pour permettre cet appel — ce qui signifiait que les tarifs restaient en place, continuant d’étrangler les petites entreprises en attendant. C’était un répit temporaire pour Trump, mais le message était clair : les tribunaux ne lui donnaient pas carte blanche pour réinterpréter la Constitution à sa guise.
Les arguments dévastateurs des petites entreprises
Dans leurs mémoires déposés le 20 octobre 2025 devant la Cour suprême, les avocats de Learning Resources, hand2mind et V.O.S. Selections ont déployé une artillerie juridique impressionnante. Leur premier argument est textuel : contrairement à toutes les vraies lois tarifaires, l’IEEPA ne mentionne nulle part les « tarifs », les « droits » ou tout mécanisme de génération de revenus. Si le Congrès de 1977 avait voulu donner au président le pouvoir d’imposer des milliers de milliards de dollars de taxes, il l’aurait dit explicitement — avec des limites, des durées, des taux maximums. L’absence totale de ces spécifications dans l’IEEPA n’est pas un oubli, c’est une indication claire que ce pouvoir n’était pas délégué. « Le gouvernement ne peut trouver un seul autre exemple où le Congrès a délégué un pouvoir de taxation par le mot ‘réguler' », ont souligné les avocats. Si « réguler » signifiait « taxer », cela « renverserait la compréhension acceptée de centaines d’autres lois ».
Leur deuxième argument invoque la doctrine de non-délégation — le principe que le Congrès ne peut pas déléguer ses pouvoirs législatifs sans fournir des « principes intelligibles » pour guider leur exercice. Les États qui challengent également les tarifs ont reconnu que « le Congrès a délégué l’autorité au président d’ajuster les taux tarifaires en réponse à des circonstances discrètes et spécifiquement énumérées. Mais il l’a toujours fait explicitement et soumis à des principes intelligibles qui encadrent l’autorité du président. » Ici, par contraste, Trump s’est arrogé « l’entièreté du pouvoir tarifaire du Congrès » sans aucune limite prévisible. Il monte et baisse les tarifs « à volonté, pour un sac fourre-tout de raisons » — démontrant l’absence totale de principes directeurs. Si cette interprétation était validée, elle viderait de son sens la séparation constitutionnelle des pouvoirs, permettant au président d’exercer un pouvoir de taxation virtuellement illimité simplement en déclarant une « urgence ».
Le pari risqué de Trump sur la Cour suprême
La vraie carte que Trump joue — celle qu’il a brandie ouvertement depuis le début — c’est la composition de la Cour suprême elle-même. Durant son premier mandat (2017-2021), il a nommé trois juges conservateurs : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, cimentant une majorité conservatrice 6-3. Trump compte explicitement sur cette majorité pour renverser les décisions défavorables. Sa confiance n’est pas entièrement injustifiée — la Cour conservatrice actuelle a montré un certain scepticisme envers l' »État administratif » et une volonté d’interpréter généreusement les pouvoirs présidentiels dans certains domaines. Mais le pari comporte des risques énormes. La « doctrine des questions majeures » que les plaignants invoquent a justement été développée et amplifiée par cette même Cour suprême conservatrice pour limiter le pouvoir des agences fédérales de prendre des décisions économiquement massives sans autorisation claire du Congrès.
De plus, même les juges conservateurs attachent généralement une grande importance au rôle du Congrès en matière de taxation — c’est un principe fondamental qui traverse les lignes idéologiques. Le fait que la Cour ait accepté d’entendre l’affaire sur un calendrier inhabituellement accéléré — arguments oraux fixés au 5 novembre, à peine deux mois après avoir accepté le cas — suggère qu’elle prend les questions constitutionnelles au sérieux plutôt que de les balayer d’un revers de main. Trump lui-même a admis les enjeux colossaux. En septembre, il a déclaré : « C’est une décision très importante, et franchement, s’ils prennent la mauvaise décision, ce serait dévastateur pour notre pays. » Ce qu’il ne dit pas, c’est que pour les petites entreprises, c’est déjà dévastateur — les tarifs ont créé une hémorragie financière qui dure depuis des mois, avec ou sans validation de la Cour suprême.
Les répercussions internationales d'une folie protectionniste

Le Canada en première ligne de la guerre commerciale
Au nord de la frontière américaine, les tarifs de Trump ont créé un cataclysme économique dont les ondes de choc se font encore sentir en octobre 2025. Le PIB canadien a chuté de manière mesurable en raison de l’effondrement des exportations vers les États-Unis — principal partenaire commercial du pays, absorbant normalement plus de 75% des exportations canadiennes. Des secteurs entiers — bois d’œuvre, produits agricoles, composantes automobiles, aluminium — ont vu leurs marges s’évaporer du jour au lendemain. L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), censé garantir des échanges fluides entre les trois pays, s’est révélé être du papier sans valeur face aux décrets trumpiens. Bien que Trump ait modifié son décret le 6 mars 2025 pour exempter certaines marchandises conformes à l’ACEUM, l’application de ces exemptions est restée floue, changeante, imprévisible — créant un climat d’anxiété permanente.
Au Québec, l’impact a été particulièrement cruel pour les petites entreprises et les artisans. Une designer québécoise interviewée en août 2025 a expliqué comment les nouveaux tarifs sur les colis l’avaient forcée à abandonner le marché américain et à se concentrer exclusivement sur le Canada — un marché dix fois plus petit. La fin de l’exemption pour les petits colis de moins d’un dollar américain, effective depuis le 1er septembre, a été le coup de grâce pour beaucoup de micro-entrepreneurs. Désormais, chaque article importé coûte 50 dollars de frais de douane — rendant impossibles les commandes de petits volumes qui permettaient aux PME de tester les marchés et de croître graduellement. « Ça va être un peu chaotique », avait prédit avec euphémisme un observateur économique au printemps. La réalité s’est avérée bien pire : des fermetures d’entreprises, des licenciements, des rêves entrepreneuriaux brisés sur l’autel du protectionnisme américain.
Une fragmentation de l’ordre commercial mondial
Ce qui se joue avec les tarifs de Trump dépasse largement les relations canado-américaines — c’est toute l’architecture du commerce international qui vacille. Depuis 1945, les États-Unis ont été les principaux architectes et garants d’un système commercial basé sur des règles multilatérales, incarné par des institutions comme l’Organisation mondiale du commerce. Ce système n’était pas parfait, mais il offrait une prévisibilité, des mécanismes de résolution des différends, des limites aux comportements prédateurs. Quand le pays qui a conçu ce système décide soudainement de l’ignorer, imposant des tarifs massifs en violation probable de ses engagements à l’OMC, quel message cela envoie-t-il aux autres nations? Si les États-Unis peuvent unilatéralement déclarer que leurs déficits commerciaux constituent une urgence nationale justifiant des tarifs punitifs, qu’est-ce qui empêche la Chine, l’Inde ou le Brésil de faire de même demain?
Les représailles ont déjà commencé. La Chine, principale cible des tarifs « de trafic », a imposé ses propres mesures protectionnistes. L’Union européenne évalue ses options. Même le Canada, traditionnellement réticent à confronter son puissant voisin, a mis en place des contre-tarifs sur certains produits américains. Cette spirale d’escalade menace de déchirer le tissu du commerce international qui a sous-tendu la prospérité mondiale depuis des décennies. Les économistes avertissent qu’une telle fragmentation pourrait déclencher une récession mondiale — ironie suprême pour une politique que Trump justifie comme nécessaire pour protéger l’économie américaine. Le coût global dépasse largement les 3 000 milliards que les tarifs vont coûter aux Américains. Quand on ajoute les représailles, la perturbation des chaînes d’approvisionnement, la perte d’efficacité économique, le chiffre réel pourrait facilement doubler ou tripler.
Les petites entreprises prises en otage géopolitique
Dans cette guerre commerciale qui ne dit pas son nom, ce sont toujours les petites entreprises qui paient le prix le plus lourd. Les multinationales ont les ressources pour diversifier leurs chaînes d’approvisionnement, ouvrir des usines dans de nouveaux pays, embaucher des armées d’avocats pour obtenir des exemptions. Mais un distributeur de vins comme V.O.S. Selections? Un fabricant de jouets éducatifs comme Learning Resources? Ils n’ont ni les ressources financières ni le poids politique pour naviguer dans ce chaos. Chaque dollar compte. Chaque décision d’achat est un pari sur ce que sera la politique tarifaire le mois prochain — un pari que personne ne peut gagner quand les règles changent hebdomadairement. Cette précarité imposée tue l’entrepreneuriat aussi sûrement que les tarifs eux-mêmes.
Les enjeux constitutionnels qui transcendent les tarifs

Qui détient le pouvoir de taxer dans une démocratie?
Au cœur de cette bataille juridique se trouve une question qui remonte aux origines mêmes de la démocratie américaine : qui a le pouvoir de taxer le peuple? Les fondateurs des États-Unis, qui s’étaient révoltés contre la « taxation sans représentation » britannique, ont été clairs — ce pouvoir appartient au Congrès, c’est-à-dire aux représentants élus du peuple. L’Article I, Section 8 de la Constitution accorde au Congrès le pouvoir « de lever et percevoir des taxes, droits, impôts et accises ». Ce n’est pas un détail technique obscur enterré dans les notes de bas de page juridiques — c’est un pilier fondamental de l’architecture constitutionnelle américaine. Le président peut proposer, peut recommander, peut faire pression — mais il ne peut pas imposer des taxes de sa propre autorité. C’est précisément ce principe que Trump a violé avec ses tarifs.
Les avocats de Learning Resources ont formulé l’accusation avec une clarté dévastatrice : « Le président ne peut pas imposer de tarifs au peuple américain quand il veut, au taux qu’il veut, pour les pays et produits qu’il veut, aussi longtemps qu’il veut — simplement en déclarant que des déficits commerciaux de longue date constituent une urgence nationale. » C’est exactement ce que Trump a fait depuis février 2025. Il a monté les tarifs sur la Chine, puis les a baissés. Il a imposé des taxes de 50% sur certains pays, puis les a suspendues pendant 90 jours pour négociations, puis les a réimposées. Cette volatilité capricieuse démontre l’absence totale de principes directeurs ou de limites prévisibles. Si cette interprétation présidentielle de l’IEEPA était validée par la Cour suprême, elle créerait un précédent terrifiant : tout président futur pourrait déclarer une « urgence » pour n’importe quel problème économique persistant et s’arroger le pouvoir de taxer, contournant complètement le Congrès.
La doctrine des questions majeures comme garde-fou
La doctrine des questions majeures — invoquée avec force par les plaignants — représente une tentative judiciaire de préserver la séparation des pouvoirs face à l’expansion constante du pouvoir exécutif. Le principe est simple : quand une agence ou le président revendique un pouvoir ayant d’énormes conséquences économiques ou politiques basé sur une interprétation créative d’une vieille loi, les tribunaux doivent exiger une autorisation claire et spécifique du Congrès. La Cour suprême conservatrice actuelle a développé cette doctrine dans une série de décisions récentes, notamment dans West Virginia v. EPA, où elle a limité le pouvoir de l’Agence de protection environnementale de réglementer les émissions de carbone sans autorisation congressionnelle explicite. Appliquer cette même logique aux tarifs de Trump serait parfaitement cohérent avec cette jurisprudence.
Les plaignants ont souligné que l’IEEPA date de 1977 — une époque où personne n’imaginait qu’elle serait utilisée pour imposer des milliers de milliards de dollars de tarifs. Le Congrès de l’époque concevait la loi comme donnant au président des outils pour geler des avoirs étrangers, bloquer des transactions financières avec des régimes hostiles, imposer des sanctions ciblées — pas pour restructurer l’ensemble du système commercial américain. « Congress does not use such vague terminology to grant the Executive virtually unconstrained taxing power of such staggering economic effect », ont argumenté les avocats. Si le Congrès avait voulu donner au président un tel pouvoir, il l’aurait dit explicitement, en fixant des limites, des durées, des taux maximums — exactement comme il l’a fait dans d’autres lois tarifaires spécifiques. L’absence de toute mention de « tarifs » dans l’IEEPA n’est pas un oubli — c’est une indication claire que ce pouvoir n’était pas délégué.
Les implications pour la présidence future
Si la Cour suprême donne raison à Trump, elle établira un précédent aux implications vertigineuses pour toutes les présidences futures. Imaginez : un président qui veut financer un programme massif d’infrastructures mais ne peut obtenir l’accord du Congrès déclare que l’état des routes américaines constitue une « urgence nationale » et impose des taxes sur l’essence en utilisant une loi d’urgence. Un autre président, préoccupé par le changement climatique, déclare que les émissions de carbone sont une urgence et impose des taxes carbone massives par décret. Les possibilités d’abus deviennent infinies une fois qu’on accepte le principe qu’un président peut contourner le Congrès en redéfinissant n’importe quel problème persistant comme une « urgence » justifiant des pouvoirs extraordinaires. C’est précisément ce glissement vers un pouvoir exécutif non contrôlé que la séparation constitutionnelle des pouvoirs était censée empêcher.
Le 5 novembre 2025 : un jour qui façonnera l'avenir

Un calendrier exceptionnellement accéléré
Le fait que la Cour suprême ait accepté d’entendre les appels le 9 septembre 2025 et fixé les arguments oraux au 5 novembre — à peine deux mois plus tard — est remarquable. Normalement, le processus entre l’acceptation d’un cas et les arguments oraux prend plusieurs mois, parfois près d’un an. Ce calendrier accéléré indique que les juges comprennent l’urgence économique de la situation. Chaque jour où les tarifs restent en place coûte des millions aux entreprises américaines. Chaque semaine d’incertitude juridique empêche des investissements et des embauches. La Cour a clairement décidé que cette affaire méritait d’être tranchée rapidement, sans les délais habituels. Mais cette rapidité comporte des risques — les juges auront moins de temps pour digérer les arguments complexes, étudier les précédents historiques, peser les implications constitutionnelles profondes de leur décision.
Les scénarios possibles et leurs conséquences
Si la Cour suprême confirme l’illégalité des tarifs, les conséquences seront immédiates et massives. L’administration Trump devra probablement rembourser les 210 milliards de dollars déjà perçus depuis le printemps — un transfert financier sans précédent qui pourrait lui-même déclencher des perturbations économiques. Comment se fera ce remboursement? L’administration pourrait rembourser toutes les entreprises en bloc — mais cela nécessiterait une appropriation massive du Congrès. Ou elle pourrait forcer chaque entreprise à intenter son propre recours individuel — une perspective cauchemardesque pour les petites compagnies qui n’ont ni le temps ni les ressources pour des litiges prolongés. Trump pourrait tenter d’imposer les mêmes tarifs sous une autorité légale différente, mais cela nécessiterait de suivre les procédures prévues — enquêtes, périodes de commentaires publics, limites de taux — précisément les contraintes qu’il avait cherché à éviter.
L’heure de vérité pour la démocratie américaine
Mais si la Cour donne raison à Trump, elle établira un précédent extraordinairement large pour le pouvoir présidentiel — un précédent qui devrait inquiéter les Américains de toutes tendances politiques. Les présidents futurs pourront potentiellement imposer des milliers de milliards de dollars de taxes simplement en déclarant une urgence nationale. L’équilibre constitutionnel entre le Congrès et le président sur la question cruciale du pouvoir de taxation aura été radicalement altéré. Les petites entreprises perdront leur combat juridique mais continueront de subir les coûts écrasants des tarifs. Le système commercial international continuera de se fragmenter. Et fondamentalement, la question de qui gouverne vraiment l’Amérique — le peuple par ses représentants élus, ou un seul homme dans le Bureau ovale — aura reçu une réponse troublante.
Ce que cette bataille révèle sur l'Amérique de 2025

Un système constitutionnel sous pression
L’affaire des tarifs de Trump n’est pas un incident isolé — c’est un symptôme révélateur d’une tension croissante dans le système constitutionnel américain. Durant les deux dernières décennies, le pouvoir exécutif s’est considérablement étendu au détriment du législatif, souvent avec la complicité passive d’un Congrès paralysé par la polarisation partisane. Les présidents ont découvert qu’ils pouvaient accomplir beaucoup plus par décrets exécutifs et interprétations créatives de vieilles lois que par le processus législatif laborieux. Cette tendance n’a pas commencé avec Trump — mais il l’a poussée à des extrêmes que ses prédécesseurs n’auraient jamais osé. Imposer 3 000 milliards de dollars de taxes par décret présidentiel, c’est franchir un Rubicon constitutionnel. Si la Cour suprême valide cette action, elle aura essentiellement reconnu que les contraintes constitutionnelles sur le pouvoir présidentiel sont devenues optionnelles.
La vulnérabilité des petites entreprises face au Léviathan étatique
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est le courage des petites entreprises qui osent défier le gouvernement fédéral devant les tribunaux. Learning Resources, hand2mind, V.O.S. Selections — ce ne sont pas des multinationales avec des départements juridiques de centaines d’avocats. Ce sont des compagnies relativement modestes qui ont pris la décision extraordinaire de poursuivre le président des États-Unis, sachant que cela leur coûterait des millions en frais légaux et pourrait potentiellement les exposer à des représailles administratives. Qu’est-ce qui pousse des entrepreneurs à prendre un tel risque? La réponse simple : la survie. Quand vos coûts d’importation multiplient par 45, vous n’avez plus rien à perdre. Mais il y a aussi quelque chose de plus noble à l’œuvre — une conviction que les règles doivent s’appliquer à tous, même au président, et que quelqu’un doit tenir la ligne contre l’arbitraire.
L’érosion de la confiance dans les institutions
L’un des dommages collatéraux les plus graves de cette bataille est l’érosion de la confiance dans les institutions judiciaires elles-mêmes. Quand Trump dénonce publiquement les juges qui lui donnent tort comme « hautement politisés », quand il affiche ouvertement ses attentes que « sa » Cour suprême renversera ces décisions, il mine la légitimité même du système judiciaire comme arbitre impartial. Si les citoyens commencent à voir les tribunaux comme simplement une autre arène de combat partisan — où les victoires dépendent de qui a nommé les juges plutôt que du mérite des arguments — alors la règle de droit elle-même s’effondre. Et sans la règle de droit, qu’est-ce qui nous reste? La loi du plus fort, le pouvoir brut sans contraintes, l’autoritarisme déguisé en démocratie. C’est un glissement dangereux qui transcende largement les tarifs douaniers.
L'attente insoutenable des petites entreprises

Des mois de saignement financier
Pendant que les avocats argumentent et que les juges délibèrent, les petites entreprises continuent de saigner financièrement. Chaque mois depuis février 2025, elles paient des droits de douane qu’une Cour d’appel fédérale a déclarés illégaux par 7 voix contre 4. Chaque semaine, elles doivent choisir : augmenter les prix et perdre des clients, ou absorber les coûts et s’approcher de la faillite. Il n’y a pas de bonnes options. Learning Resources et hand2mind ont payé près de 100 millions de dollars en tarifs en 2025 — de l’argent qu’elles auraient pu investir dans la recherche et développement, dans de nouveaux emplois, dans l’expansion. Au lieu de ça, cet argent a été aspiré par le trésor fédéral pour financer une politique commerciale que les tribunaux ont jugée inconstitutionnelle. Même si elles gagnent devant la Cour suprême, même si elles récupèrent cet argent, le temps perdu ne reviendra jamais.
L’impossibilité de planifier dans le chaos
Mais le coût financier direct n’est qu’une partie du problème. L’autre, peut-être plus insidieuse, c’est l’impossibilité de planifier dans un environnement où les règles changent hebdomadairement. Comment signer un contrat de deux ans avec un fournisseur chinois quand vous ne savez pas si le tarif sera de 10%, 25% ou 50% le trimestre prochain? Comment investir dans une nouvelle ligne de production quand l’économie de ce projet dépend entièrement de coûts d’importation qui fluctuent au gré des tweets présidentiels? Cette incertitude paralyse l’entrepreneuriat aussi sûrement que des coûts prohibitifs. Les petites entreprises vivent de marges serrées et de planification minutieuse. Quand ces deux éléments disparaissent, remplacés par la volatilité et l’imprévisibilité, l’innovation s’arrête, les risques deviennent inacceptables, la croissance s’évapore.
Le coût humain invisible
Derrière chaque statistique se cachent des visages humains. L’entrepreneur qui a hypothéqué sa maison pour financer son entreprise et qui voit maintenant cette maison menacée. Les employés qui sentent l’anxiété monter en voyant les chiffres trimestriels se dégrader. Les familles dont l’avenir dépend de la survie d’une petite compagnie secouée par des forces qu’elle ne contrôle pas et ne comprennent pas totalement. Ces coûts humains n’apparaissent jamais dans les analyses économiques officielles, ne figurent pas dans les mémoires juridiques soumis à la Cour suprême. Mais ils sont réels, massifs, dévastateurs. Chaque fermeture d’entreprise est une tragédie personnelle multipliée par le nombre d’employés affectés, de fournisseurs impactés, de communautés appauvries. Le vrai coût des tarifs de Trump ne sera jamais pleinement comptabilisé parce que les rêves brisés et les carrières détruites ne se mesurent pas en dollars.
Conclusion

Ce qui se joue devant la Cour suprême des États-Unis transcende infiniment la question technique des droits de douane ou des relations commerciales internationales — c’est un combat existentiel sur la nature même de la démocratie constitutionnelle américaine. Quand des petites entreprises comme Learning Resources, hand2mind et V.O.S. Selections affrontent le pouvoir présidentiel devant les tribunaux, elles ne défendent pas seulement leurs marges ou leur survie économique, aussi cruciales soient-elles. Elles défendent le principe fondamental gravé dans la Constitution par les fondateurs qui avaient fui la taxation sans représentation : personne, pas même le président, ne peut imposer des milliers de milliards de dollars de taxes aux citoyens sans l’autorisation explicite de leurs représentants élus. C’est ce pilier de la liberté qui vacille aujourd’hui, menacé par une interprétation présidentielle qui voudrait transformer une loi d’urgence de 1977 en carte blanche pour taxer à volonté.
Les chiffres sont vertigineux — 3 000 milliards sur dix ans, 210 milliards déjà perçus, des coûts multipliés par 45 pour certaines entreprises. Mais derrière chaque dollar se cachent des tragédies humaines : entrepreneurs qui ont passé des décennies à construire leurs affaires et les voient s’effondrer en quelques mois, employés dont les postes dépendent de la viabilité de compagnies secouées par des forces qu’elles ne contrôlent pas, consommateurs qui paieront ultimement la note par des prix plus élevés. Les petites entreprises, colonne vertébrale de l’économie américaine, se retrouvent prises en otage d’une guerre commerciale qu’elles n’ont jamais voulue, imposée par des décrets changeants qui rendent toute planification impossible. L’instabilité est devenue la nouvelle normalité — une normalité qui tue les investissements, l’innovation, l’espoir entrepreneurial lui-même.
Le 5 novembre 2025, neuf juges de la Cour suprême rendront une décision qui résonnera pendant des générations, qui définira les contours du pouvoir présidentiel pour l’avenir. Confirmeront-ils qu’un président peut contourner le Congrès en redéfinissant n’importe quel problème persistant comme une « urgence » justifiant des pouvoirs de taxation extraordinaires? Ou réaffirmeront-ils que même en matière de sécurité nationale et de politique étrangère, le pouvoir de taxer appartient au peuple par l’intermédiaire de ses représentants élus? La réponse déterminera non seulement le sort de ces tarifs spécifiques, mais l’équilibre fondamental des pouvoirs dans le système constitutionnel américain. Les enjeux dépassent largement les frontières américaines — le monde entier observe, car l’ordre commercial international lui-même pend dans la balance. Dans cette bataille juridique apparemment technique se joue quelque chose de bien plus vaste : la question de savoir si les règles, les institutions et les contraintes constitutionnelles comptent encore face au pouvoir présidentiel affirmé sans nuances, si la séparation des pouvoirs reste un principe vivant ou devient une relique du passé que les présidents modernes peuvent ignorer quand ça les arrange. La réponse de la Cour suprême façonnera la démocratie américaine pour les décennies à venir — et déterminera si les petites entreprises qui ont osé tenir tête au Léviathan étatique auront combattu en vain ou si leur courage aura préservé quelque chose d’essentiel pour tous.