Changpeng Zhao : du génie technologique au criminel financier
Changpeng Zhao, universellement connu sous le pseudo CZ, incarne à lui seul les contradictions abyssales de notre époque. Né en Chine, devenu citoyen canadien, cet entrepreneur a fondé Binance en 2017, transformant une simple plateforme d’échange en un empire financier qui brasse des milliards de dollars quotidiennement. Sa fortune personnelle est estimée à environ 86 milliards de dollars selon Forbes, faisant de lui l’un des hommes les plus riches de la planète dans le secteur des cryptomonnaies. Mais derrière cette réussite fulgurante se cachait un système opaque qui permettait aux terroristes, aux trafiquants de drogue et aux organisations criminelles de blanchir leur argent en toute impunité. Zhao savait. Il a fermé les yeux. Pire encore, il a activement négligé de mettre en place les mesures anti-blanchiment requises par la loi américaine, transformant Binance en un paradis pour les transactions illicites.
Un empire bâti sur les zones d’ombre
Binance n’est pas une petite entreprise de quartier. C’est la première bourse mondiale de cryptomonnaies, un géant qui domine le marché avec une emprise quasi monopolistique. Mais ce succès repose sur des fondations pourries. En novembre 2023, confronté à une enquête approfondie menée par les autorités américaines et les régulateurs financiers, Zhao a finalement plaidé coupable. L’accord passé avec le gouvernement américain prévoyait sa démission immédiate de son poste de directeur général et le versement d’une amende colossale de 4,3 milliards de dollars à deux agences du Trésor américain. Ce règlement visait à éviter un procès long et médiatisé qui aurait révélé l’étendue complète des activités criminelles facilitées par la plateforme. Quatre mois de prison, une peine dérisoire pour des crimes d’une telle ampleur, et Zhao était déjà libre en septembre 2024.
Le retour orchestré d’un paria
Mais Zhao n’était pas satisfait de sa semi-liberté. Il voulait plus. Il voulait l’effacement complet de son passé criminel. Alors il a embauché des avocats et des lobbyistes ayant des connexions directes avec l’administration Trump. Il a tissé des liens d’affaires avec World Liberty Financial, la startup crypto de la famille Trump. Il a ouvert les portes de Binance aux investissements émiratis qui transitaient par les cryptomonnaies contrôlées par le clan présidentiel. Un ballet financier parfaitement chorégraphié où chaque mouvement rapprochait Zhao de son objectif ultime : la grâce présidentielle. Et mercredi dernier, il l’a obtenue. Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison Blanche, a déclaré que Trump avait « exercé son autorité constitutionnelle en accordant une grâce à M. Zhao, qui avait été poursuivi par l’administration Biden dans le cadre de sa guerre contre les cryptomonnaies ».
Les tentacules financiers de l'empire Trump
World Liberty Financial : la machine à blanchir la réputation
Au cœur de cette affaire se trouve World Liberty Financial, une entreprise de cryptomonnaies étroitement liée à la famille Trump. Cette société émet l’USD1, une stablecoin indexée sur le dollar américain, censée offrir stabilité et confiance dans l’univers volatile des cryptos. Mais la réalité est tout autre. World Liberty Financial est devenue un véhicule d’enrichissement personnel pour les Trump et leurs associés, générant des revenus substantiels grâce à des accords commerciaux douteux. En mai 2025, lorsque le fonds souverain émirati MGX a décidé d’investir 2 milliards de dollars dans Binance, il a choisi d’utiliser l’USD1 comme monnaie de transaction. Un choix qui n’a rien d’anodin. Chaque transaction génère des frais, des commissions, des revenus pour World Liberty Financial, et donc pour la famille Trump.
Plus d’un milliard de dollars en douze mois
Selon une estimation récente du Financial Times, les participations diverses de la famille Trump et de ses proches dans des projets liés aux cryptomonnaies ont rapporté plus de 1 milliard de dollars au cours des douze derniers mois. Un chiffre qui donne le vertige. En juin 2025, un document de plus de 230 pages émanant du Bureau d’éthique gouvernementale révélait que le président américain avait personnellement empoché 57,35 millions de dollars grâce à la vente de jetons de World Liberty Financial. Ces sommes colossales soulèvent des questions fondamentales sur les conflits d’intérêts qui minent l’intégrité de la présidence. Comment un chef d’État peut-il prendre des décisions impartiales lorsque ses intérêts financiers personnels sont directement liés aux secteurs qu’il est censé réguler ?
Le fonds émirati : un partenaire bien commode
Le fonds souverain MGX des Émirats arabes unis joue un rôle central dans cette toile complexe. En utilisant l’USD1 pour investir massivement dans Binance, MGX a non seulement renforcé la position financière de la plateforme, mais a également généré des revenus substantiels pour World Liberty Financial. Cette transaction à trois bandes — Binance, MGX, World Liberty Financial — illustre parfaitement comment les intérêts géopolitiques, financiers et personnels se mélangent dans un cocktail explosif. Les Émirats obtiennent une influence accrue dans le secteur des cryptos. Binance regagne sa légitimité et sa capacité à opérer. La famille Trump s’enrichit. Et Zhao obtient sa grâce. Tout le monde gagne, sauf la justice et l’intégrité démocratique.
La transformation de Trump en champion des cryptos
Du scepticisme radical à l’évangélisme crypto
L’ironie de cette situation est presque comique. Pendant des années, Donald Trump a violemment critiqué les cryptomonnaies, les qualifiant de fraude, d’arnaque, d’instruments utilisés par les criminels. Il affirmait publiquement préférer le dollar américain et considérait Bitcoin et autres monnaies numériques comme une menace pour la stabilité financière. Puis, quelque chose a changé. Pendant sa campagne présidentielle de 2024, Trump a opéré un virage à 180 degrés, se transformant soudainement en défenseur et promoteur du secteur des cryptomonnaies. Coïncidence ? Absolument pas. L’industrie crypto a contribué à hauteur de plus de 100 millions de dollars au financement de sa campagne. Un investissement qui a largement porté ses fruits.
Le démantèlement systématique de la régulation
Dès son investiture en janvier 2025, Trump s’est attelé à démanteler méthodiquement le cadre réglementaire imposé à l’industrie des cryptomonnaies sous l’administration Biden. Les régulateurs ont retiré des poursuites contre Coinbase et plusieurs autres grandes entreprises crypto. Des décrets exécutifs ont interdit la création de monnaies numériques de banques centrales (CBDC) aux États-Unis, considérées comme une concurrence déloyale aux cryptos privées. Une réserve stratégique de Bitcoin a même été créée, légitimant cet actif au niveau national. Cette offensive réglementaire a transformé le paysage américain des cryptomonnaies, créant un environnement ultra-favorable à l’innovation — mais aussi à l’absence de surveillance et de contrôle.
Une série de grâces troublantes
La grâce accordée à Changpeng Zhao n’est pas un cas isolé. Trump a déjà gracié Ross Ulbricht, l’opérateur de Silk Road, un marché noir sur le darknet alimenté par Bitcoin où se vendaient drogues, armes et services criminels. Il a amnistié les émeutiers du 6 janvier 2020 qui ont pris d’assaut le Capitole. Il a gracié l’ancien élu George Santos, condamné à sept ans de prison pour fraude. Un schéma se dessine : ceux qui soutiennent Trump, financièrement ou politiquement, bénéficient de sa clémence. Les lois ne s’appliquent plus de manière égale. La justice à deux vitesses n’est plus une métaphore, c’est une réalité documentée.
L'ampleur du crime et la dérisoire sanction
Des milliards blanchis, quatre mois de prison
Revenons aux faits bruts. Changpeng Zhao a plaidé coupable d’avoir violé la législation antiblanchiment américaine. Sous sa direction, Binance a permis à des organisations terroristes, à des cartels de drogue, à des réseaux de cybercriminalité de faire transiter des sommes colossales sans aucun contrôle ni vérification. Les montants en jeu se chiffrent en milliards de dollars. Des vies ont été détruites par les activités criminelles financées via cette plateforme. Des attentats ont été possiblement financés. Des trafics humains facilités. Et la sanction ? Quatre mois de prison dans une installation fédérale. Même le juge ayant prononcé la sentence a admis n’avoir jamais vu une peine aussi clémente pour des crimes d’une telle gravité en trente ans de carrière. L’administration Biden avait demandé trois ans de prison, mais même cette requête était ridiculement insuffisante au regard des dommages causés.
L’absence de victimes identifiables : un argument fallacieux
Karoline Leavitt a justifié la grâce en affirmant qu’il n’y avait « aucune allégation de fraude ni de victimes identifiables ». Un argument qui révèle soit une ignorance profonde, soit une mauvaise foi éhontée. Les victimes du blanchiment d’argent sont rarement directement identifiables. Ce sont des sociétés entières fragilisées par le crime organisé. Des familles détruites par la drogue. Des communautés terrorisées par la violence financée par l’argent sale. Prétendre qu’il n’y a pas de victimes parce qu’on ne peut pas pointer du doigt une personne spécifique est une insulte à l’intelligence et à la morale. Zhao savait exactement ce qu’il faisait. Il a choisi le profit plutôt que la légalité. Il a choisi l’enrichissement plutôt que l’éthique.
Le précédent dangereux pour l’industrie financière
Cette grâce envoie un message terrifiant à l’ensemble de l’industrie financière mondiale. Le message est clair : si vous êtes assez riche, si vous avez les bonnes connexions, si vous investissez dans les bonnes entreprises, vous pouvez violer la loi en toute impunité. Les règles antiblanchiment ? Optionnelles pour les milliardaires. Les sanctions pénales ? Négociables. L’État de droit ? Une fiction pour les puissants. Ce précédent encourage d’autres acteurs du secteur financier à prendre des risques réglementaires, sachant qu’une éventuelle condamnation pourra être effacée par une grâce présidentielle si les bonnes alliances sont forgées. Nous entrons dans une ère où le crime financier devient une simple variable d’ajustement dans les stratégies d’affaires.
Les accusations de conflits d'intérêts qui s'accumulent
Un président entrepreneur : l’incompatibilité fondamentale
Donald Trump n’a jamais vraiment quitté le monde des affaires. Contrairement à la tradition établie par ses prédécesseurs qui plaçaient leurs actifs dans des fiducies aveugles pour éviter tout conflit d’intérêts, Trump a maintenu des liens directs avec ses entreprises et celles de sa famille. Cette situation crée une incompatibilité fondamentale entre ses responsabilités présidentielles et ses intérêts personnels. Chaque décision politique affectant le secteur des cryptomonnaies a un impact direct sur sa fortune personnelle et celle de ses enfants. Chaque régulation assouplie augmente la valeur de World Liberty Financial. Chaque grâce accordée renforce ses alliances commerciales. Le conflit d’intérêts n’est pas une possibilité théorique, c’est une réalité quotidienne et documentée.
Le refus persistant de publier ses déclarations fiscales
Depuis sa première campagne en 2016, Trump a rompu avec la tradition des présidents américains de rendre publiques leurs déclarations d’impôts. Ce refus n’est pas anodin. Il empêche le public et les médias d’analyser en détail ses sources de revenus, ses investissements, ses dettes et ses potentiels conflits d’intérêts. Le document de 230 pages publié par le Bureau d’éthique gouvernementale en juin 2025 offre un aperçu partiel, mais incomplet, de ses participations financières. Sans accès aux déclarations fiscales complètes, impossible de tracer l’ensemble des flux financiers qui pourraient influencer ses décisions présidentielles. Cette opacité volontaire nourrit les soupçons et mine la confiance dans l’intégrité de la fonction présidentielle.
Une famille au cœur des affaires crypto
Ce n’est pas seulement Donald Trump qui profite de son statut présidentiel. Ses enfants, son gendre, ses associés proches ont tous pris des participations diverses dans des projets liés aux cryptomonnaies. Selon le Financial Times, ces investissements ont rapporté plus d’un milliard de dollars à la famille élargie en douze mois. Ivanka Trump, Jared Kushner, Donald Trump Jr., tous bénéficient directement ou indirectement des politiques favorables aux cryptos mises en place par l’administration. Steve Witkoff, conseiller principal du président pour les affaires du Moyen-Orient, est également impliqué dans World Liberty Financial et en tire des revenus substantiels. Cette concentration de pouvoir politique et d’intérêts financiers dans un cercle restreint crée un système quasi-féodal où la loyauté personnelle prime sur l’intérêt public.
Les répercussions internationales et géopolitiques
La crédibilité américaine en chute libre
Cette grâce présidentielle ne se limite pas aux frontières américaines. Elle envoie un signal catastrophique à la communauté internationale sur la crédibilité des États-Unis en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Pendant des décennies, Washington a imposé des standards stricts aux institutions financières mondiales, exigeant conformité et transparence. Désormais, comment les États-Unis peuvent-ils légitimement exiger d’autres pays qu’ils appliquent des règles antiblanchiment rigoureuses quand le président américain lui-même amnistie un criminel financier condamné ? Cette hypocrisie sape l’autorité morale et réglementaire américaine sur la scène mondiale.
Binance autorisé à revenir aux États-Unis
L’accord de 2023 interdisait à Binance d’opérer aux États-Unis. Cette interdiction vient d’être levée de facto par la grâce présidentielle. Zhao peut désormais envisager le retour de sa plateforme sur le marché américain, potentiellement le plus lucratif au monde pour les cryptomonnaies. Cette réouverture pose des risques systémiques considérables. Si Binance a déjà facilité le blanchiment d’argent par le passé, quelles garanties existent que cela ne se reproduira pas ? Les régulateurs américains, affaiblis et démoralisés par les décisions politiques de l’administration Trump, auront-ils la capacité et la volonté de surveiller efficacement les opérations de Binance ? La réponse semble malheureusement négative.
L’effet domino sur la régulation mondiale
D’autres pays observent attentivement ce qui se passe aux États-Unis. Si la première puissance économique mondiale abandonne ses standards réglementaires pour favoriser l’industrie crypto, d’autres nations pourraient être tentées de faire de même pour attirer les capitaux et les entreprises du secteur. Une course vers le bas réglementaire pourrait s’engager, créant des paradis fiscaux et réglementaires pour les cryptomonnaies. Cette fragmentation internationale rendrait encore plus difficile la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui sont par nature des phénomènes transnationaux nécessitant une coopération internationale coordonnée. La grâce de Zhao pourrait ainsi déclencher un effet domino aux conséquences mondiales désastreuses.
Les voix de l'opposition et de la société civile
Les critiques des experts en éthique gouvernementale
De nombreux experts en éthique gouvernementale ont réagi avec virulence à cette grâce présidentielle. Ils dénoncent une instrumentalisation flagrante du pouvoir de grâce, transformé en outil de favoritisme politique et financier. Des organisations de surveillance de la corruption, comme Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (CREW), ont publié des rapports détaillés documentant les liens financiers entre Zhao, Binance, World Liberty Financial et la famille Trump. Ces analyses révèlent un schéma systématique où les bénéficiaires de grâces présidentielles ont préalablement établi des relations d’affaires ou effectué des contributions financières substantielles aux intérêts de Trump.
L’inquiétude des professionnels de la finance
Paradoxalement, certains acteurs de l’industrie financière traditionnelle expriment également leur inquiétude. Ils craignent que cette déréglementation excessive des cryptomonnaies ne crée des risques systémiques pour l’ensemble du système financier. Les banques et institutions financières régulées sont soumises à des contraintes strictes en matière de lutte contre le blanchiment. Si les plateformes crypto peuvent opérer sans ces contraintes, cela crée une distorsion de concurrence inacceptable et des vulnérabilités exploitables par les criminels. Certains banquiers centraux, même aux États-Unis, ont exprimé off the record leurs réserves sur la direction prise par l’administration Trump en matière de régulation crypto.
Le silence assourdissant du Congrès
Le Congrès américain, théoriquement gardien de l’équilibre des pouvoirs, reste largement silencieux face à ces dérives. Les républicains, majoritaires dans les deux chambres, ne montrent aucune volonté de questionner les décisions présidentielles, même les plus controversées. Les démocrates, affaiblis électoralement, peinent à faire entendre leur voix. Quelques élus courageux ont lancé des appels à des enquêtes parlementaires sur les conflits d’intérêts de Trump, mais ces initiatives n’ont jusqu’à présent abouti à aucune action concrète. Cette paralysie législative témoigne de la capture complète du système politique par les intérêts partisans et financiers, au détriment de la fonction de contrôle démocratique.
Conclusion
La grâce présidentielle accordée à Changpeng Zhao par Donald Trump le 22 octobre 2025 restera dans les annales comme un moment charnière dans la dégradation de l’État de droit américain. Ce qui aurait dû être un instrument de justice correctrice est devenu un outil de corruption légalisée, où les milliardaires achètent leur impunité en enrichissant le président et sa famille. Les montants en jeu — 2 milliards d’investissement émirati, plus d’un milliard de dollars de revenus pour la famille Trump en douze mois, 4,3 milliards d’amende transformée en simple formalité administrative — donnent le vertige. Mais au-delà des chiffres, c’est la substance même de la démocratie qui se dissout sous nos yeux. Quand les lois ne s’appliquent plus également à tous, quand la fortune et les connexions politiques déterminent qui sera puni et qui sera gracié, nous ne vivons plus dans un État de droit. Nous vivons dans une ploutocratie, un système où le pouvoir appartient aux plus riches.
Les conséquences de cette décision dépassent largement le cas individuel de Zhao. Elles établissent un précédent catastrophique pour l’industrie financière mondiale, encourageant d’autres acteurs à violer les réglementations en comptant sur leur capacité à obtenir ultérieurement la clémence présidentielle. Elles sapent la crédibilité internationale des États-Unis dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elles révèlent l’ampleur des conflits d’intérêts qui gangrènent la présidence Trump, où chaque décision politique peut directement enrichir le président et ses proches. Et surtout, elles normalisent un peu plus l’idée que dans l’Amérique de 2025, la justice n’est qu’une marchandise comme une autre, disponible pour ceux qui ont les moyens de se l’offrir. Le reste d’entre nous, citoyens ordinaires sans milliards ni connexions, devons nous contenter de regarder ce spectacle désolant en espérant que l’Histoire, un jour, rendra justice à ceux qui n’ont pas pu l’acheter.