Reagan contre les tarifs : les mots interdits
La publicité en question est d’une simplicité dévastatrice. Elle s’ouvre sur des images de paysages américains — des champs de blé dorés, des usines fumantes, des ouvriers au travail — accompagnées de la voix immédiatement reconnaissable de Ronald Reagan. « Quand quelqu’un dit ‘Imposons des tarifs sur les importations étrangères’, cela semble patriotique, comme si on protégeait les produits et emplois américains », commence Reagan, sa voix chaleureuse et rassurante résonnant comme un écho du passé. « Et parfois, pendant un court moment, ça fonctionne. Mais seulement pour un court moment. » Puis vient le coup fatal : « Mais sur le long terme, ces barrières commerciales blessent chaque travailleur et consommateur américain. » La caméra montre alors des visages d’Américains ordinaires — des mères, des pères, des enfants — pendant que Reagan continue son plaidoyer passionné pour le libre-échange.
« Les tarifs élevés mènent inévitablement à des représailles de la part des pays étrangers et au déclenchement de guerres commerciales féroces », poursuit la voix de Reagan. « Puis le pire arrive. Les marchés rétrécissent et s’effondrent. Les entreprises et industries ferment et des millions de personnes perdent leur emploi. » Ces mots — prononcés par Reagan lui-même le 25 avril 1987 dans une allocution radio nationale sur le libre-échange — résonnaient avec une force prophétique en 2025. Comme si le défunt président regardait depuis sa tombe la catastrophe que Trump était en train de créer et implorait ses compatriotes de ne pas répéter les erreurs du passé. La publicité se terminait sur une image vintage de Reagan parlant dans un microphone, suivie d’un message simple mais puissant : « Les emplois et la croissance américains sont en jeu. »
Le contexte du discours original de Reagan
Pour comprendre pourquoi cette publicité a tant enragé Trump, il faut comprendre le contexte du discours original de Reagan. En avril 1987, les États-Unis traversaient une période de tensions commerciales intenses avec le Japon. Les entreprises japonaises — Toyota, Sony, Panasonic — inondaient le marché américain de produits de haute qualité à bas prix, écrasant les géants américains comme General Motors et RCA. La pression politique montait pour que Reagan impose des mesures protectionnistes massives contre Tokyo. Quelques jours avant son allocution radio, Reagan avait effectivement imposé des tarifs sur certains semi-conducteurs japonais, citant des pratiques commerciales déloyales. Mais dans son discours du 25 avril, il voulait expliquer pourquoi ces tarifs étaient une exception limitée et non une politique générale.
« Nous avons des preuves claires que des compagnies japonaises se livrent à des pratiques qui violent un accord entre le Japon et les États-Unis », avait déclaré Reagan — une partie du discours que la publicité ontarienne n’incluait pas. « Nous attendons de nos partenaires commerciaux qu’ils respectent leurs accords. » Mais Reagan avait ensuite mis en garde contre l’élargissement de ces mesures ciblées en une guerre commerciale totale. « À travers le monde, il y a une prise de conscience croissante que le chemin vers la prospérité pour toutes les nations passe par le rejet de la législation protectionniste et la promotion d’une concurrence libre et équitable », avait-il affirmé. C’était cette vision — libre-échange, compétition loyale, rejet du protectionnisme généralisé — que l’Ontario voulait rappeler aux Américains. Et c’était précisément cette vision que Trump détestait par-dessus tout.
Une campagne publicitaire à 75 millions de dollars
Le gouvernement de l’Ontario n’avait pas lancé cette campagne à la légère. Le premier ministre provincial Doug Ford — habituellement un allié conservateur qui partageait beaucoup des positions de Trump — avait pris la décision audacieuse d’investir 75 millions de dollars dans une offensive médiatique directement ciblée sur le public américain. La publicité diffusait sur toutes les grandes chaînes de télévision américaines, y compris pendant les événements sportifs majeurs comme la Série mondiale de baseball opposant les Blue Jays de Toronto aux Dodgers de Los Angeles. L’objectif était clair : contourner Trump et parler directement aux citoyens américains, en utilisant leurs propres héros politiques pour leur expliquer pourquoi les tarifs présidentiels leur faisaient du tort. C’était une stratégie brillante, audacieuse, et extrêmement risquée.
Ford avait adopté une approche beaucoup plus confrontationnelle que le gouvernement fédéral canadien dirigé par le premier ministre Mark Carney. Alors que Carney privilégiait la diplomatie traditionnelle — rencontres discrètes, négociations à huis clos, compromis prudents — Ford allait directement au peuple américain avec un message simple : vos propres dirigeants républicains vous ont toujours dit que les tarifs étaient mauvais pour vous, alors pourquoi laissez-vous Trump détruire votre économie ? La publicité ne mentionnait jamais Trump par son nom. Elle n’attaquait pas directement le président. Elle se contentait de laisser Reagan parler, sachant que ses mots contredisaient totalement la rhétorique trumpienne. Et c’était précisément cette subtilité — cette utilisation d’une icône républicaine intouchable pour démolir la politique trumpienne — qui rendait la pub si dévastatrice. Et si dangereuse.
L'explosion présidentielle et ses justifications
Le message rageur sur Truth Social
Tard dans la soirée du jeudi 23 octobre 2025, Donald Trump a saisi son téléphone et tapé furieusement un message qui allait faire trembler les marchés financiers et jeter le Canada dans une crise diplomatique majeure. « La Fondation Ronald Reagan vient d’annoncer que le Canada a frauduleusement utilisé une publicité qui est FAUSSE, présentant Ronald Reagan parlant négativement des tarifs », a-t-il écrit sur Truth Social, sa plateforme de médias sociaux personnelle. « La pub coûtait 75 000 000 $. Ils n’ont fait cela que pour interférer avec la décision de la Cour suprême des États-Unis et d’autres tribunaux. » Chaque mot dégoulinait de rage. Chaque majuscule hurlait son indignation. Et puis est venu le coup de grâce, en lettres capitales : « BASÉ SUR LEUR COMPORTEMENT IGNOBLE, TOUTES LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES AVEC LE CANADA SONT MAINTENANT TERMINÉES. »
Ce n’était pas une déclaration diplomatique soigneusement calibrée. Ce n’était pas une position négociée avec ses conseillers commerciaux. C’était une crise de rage présidentielle, déversée directement sur les réseaux sociaux sans filtre ni réflexion. En quelques secondes, des mois de négociations délicates — des centaines d’heures de travail de la part de diplomates canadiens et américains — étaient jetées à la poubelle. Mark Carney avait rencontré Trump à la Maison-Blanche le 7 octobre, juste quelques semaines auparavant. Les discussions progressaient, selon plusieurs sources gouvernementales canadiennes. Des compromis prenaient forme. Un accord semblait possible. Et maintenant, tout était anéanti parce qu’une publicité télévisée avait blessé l’ego présidentiel. Les marchés ont immédiatement réagi. Le dollar canadien a chuté. Les actions des entreprises dépendantes du commerce transfrontalier ont plongé. La panique s’installait.
L’accusation d’ingérence dans la justice
L’aspect le plus révélateur du message de Trump était son accusation selon laquelle le Canada essayait d’« interférer avec la décision de la Cour suprême ». Il faisait référence à un cas juridique crucial que la plus haute juridiction américaine s’apprêtait à entendre le 5 novembre 2025 — juste quelques jours après l’explosion diplomatique. Ce cas, *Trump v. V.O.S. Selections*, conteste la légalité même des tarifs massifs que le président a imposés en utilisant l’*International Emergency Economic Powers Act* (IEEPA). En mai 2025, la Cour du commerce international des États-Unis avait statué que Trump avait excédé son autorité en imposant des tarifs généralisés sous IEEPA, arguant que la collecte de revenus tarifaires est un pouvoir constitutionnel réservé au Congrès, pas au président. En août, la Cour d’appel du circuit fédéral avait confirmé cette décision par un vote de 7 contre 4.
La décision de la Cour suprême pourrait potentiellement annuler des milliards de dollars de tarifs déjà collectés, forçant le gouvernement à rembourser les entreprises qui avaient payé ces droits de douane. Trump était terrifié par cette perspective. Il savait que si la Cour confirmait les décisions des tribunaux inférieurs, l’ensemble de sa stratégie tarifaire — le pilier central de sa politique économique — s’effondrerait. Alors quand il a vu la publicité ontarienne diffuser massivement un message anti-tarifs juste avant les arguments oraux devant la Cour suprême, il a immédiatement sauté à la conclusion paranoïaque que c’était une tentative coordonnée pour influencer les juges. Jamais d’esprit qu’une publicité télévisée grand public n’a aucune chance d’influencer les délibérations de la Cour suprême. Jamais d’esprit que les neuf juges ne basent pas leurs décisions constitutionnelles sur des publicités télévisées. Pour Trump, tout était un complot contre lui. Tout était une attaque personnelle. Et tout méritait une riposte maximale.
La réaction de la Fondation Reagan
Trump avait un allié inattendu dans sa colère : la Fondation présidentielle Ronald Reagan elle-même. Quelques heures avant le message explosif du président, la fondation avait publié une déclaration sévère condamnant la publicité ontarienne. « La publicité utilise des extraits audio et vidéo sélectifs de Reagan le 25 avril 1987 prononçant son allocution radio à la nation sur le libre-échange et le commerce équitable », avait déclaré l’organisation. « La pub déforme l’allocution radio présidentielle, et le gouvernement de l’Ontario n’a ni demandé ni reçu la permission d’utiliser et de modifier ces remarques. » La fondation a ajouté qu’elle « examinait ses options juridiques » concernant cette utilisation non autorisée. C’était exactement la munition dont Trump avait besoin pour justifier sa réaction explosive.
Mais la position de la fondation Reagan était profondément problématique sur le plan factuel. La publicité n’avait pas « déformé » les paroles de Reagan — elle les avait simplement réorganisées. Tous les mots prononcés dans la pub provenaient effectivement du discours du 25 avril 1987. Ils n’avaient pas été inventés, modifiés ou sortis de leur contexte au point de changer leur signification fondamentale. Reagan avait vraiment dit que les tarifs « blessent chaque travailleur et consommateur américain ». Il avait vraiment dit que les tarifs élevés « mènent inévitablement à des représailles et au déclenchement de guerres commerciales féroces ». Il avait vraiment plaidé pour le libre-échange et mis en garde contre le protectionnisme. La publicité omettait certes sa défense des tarifs limités sur le Japon, mais elle ne falsifiait pas son message global. Pourtant, pour la fondation — et pour Trump — cette nuance n’avait aucune importance. Ils voulaient tuer le messager, alors ils ont attaqué la méthode de livraison du message plutôt que son contenu.
Les négociations commerciales en ruines
Le progrès soudainement anéanti
L’annonce de Trump a pris l’administration canadienne complètement par surprise. Selon des sources gouvernementales s’exprimant sous couvert d’anonymat auprès de CBC News et Radio-Canada, personne à Ottawa ne s’attendait à une réaction aussi extrême. Les négociations progressaient réellement. Dominic LeBlanc, le ministre canadien du Commerce Canada-États-Unis, était revenu de Washington le vendredi 17 octobre après plusieurs jours de discussions intensives avec des représentants américains. Il avait rapporté que les discussions semblaient gagner du terrain suite à la visite du premier ministre Carney à la Maison-Blanche au début du mois. Des compromis sur des questions épineuses prenaient forme. Un chemin vers un accord devenait visible. Et puis, d’un seul tweet rageur, tout s’est évaporé. Terminé. Fini. Annulé.
Une source gouvernementale a confié aux journalistes que Trump ne simulait pas sa colère pour obtenir un avantage tactique dans les négociations. « Il réagit véritablement à la publicité plutôt que d’utiliser cela comme un stratagème de négociation », a déclaré l’insider. En d’autres termes, ce n’était pas du théâtre calculé. C’était une véritable crise de rage présidentielle. Trump était sincèrement, profondément, viscéralement offensé que le Canada ose utiliser Reagan — son héros présumé, l’icône du Parti républicain — pour critiquer ses politiques. C’était personnel. Et quand les choses deviennent personnelles avec Trump, toute rationalité disparaît. Les intérêts nationaux ? Secondaires. Les emplois américains qui dépendent du commerce avec le Canada ? Peu importants. L’économie nord-américaine intégrée qui génère des billions de dollars d’activité ? Négligeable. Ce qui comptait, c’était que quelqu’un avait osé blesser l’ego du président. Et cela exigeait une punition immédiate et dévastatrice.
Les enjeux économiques colossaux
Pour comprendre l’ampleur catastrophique de cette décision impulsive, il faut saisir l’importance du commerce entre les États-Unis et le Canada. Les deux pays partagent la plus longue frontière non militarisée du monde et entretiennent des relations commerciales parmi les plus intégrées de la planète. En 2024, les échanges bilatéraux de biens et services entre les deux nations ont atteint environ 750 milliards de dollars. Le Canada est le plus grand marché d’exportation pour 36 états américains. Environ 400 000 personnes traversent quotidiennement la frontière canado-américaine pour des raisons liées au travail ou au commerce. Des chaînes d’approvisionnement complexes — particulièrement dans l’automobile, l’aérospatiale et la fabrication — traversent la frontière plusieurs fois avant qu’un produit final ne soit complété.
Les tarifs que Trump avait imposés — et qui faisaient l’objet du litige devant la Cour suprême — touchaient des secteurs vitaux de l’économie américaine. L’acier et l’aluminium canadiens alimentent les usines américaines. Le pétrole canadien raffine dans les raffineries américaines et alimente les véhicules américains. Les pièces automobiles voyagent d’un côté à l’autre de la frontière pendant le processus de fabrication. Perturber ce système complexe avec des tarifs punitifs et des guerres commerciales ne blesse pas seulement le Canada — cela blesse massivement les entreprises et consommateurs américains. Les économistes avaient déjà calculé que les tarifs de Trump coûtaient aux ménages américains des milliards de dollars en prix plus élevés. Maintenant, en détruisant les négociations qui auraient pu résoudre ces disputes, Trump garantissait que ces coûts continueraient d’augmenter. Les emplois disparaîtraient. Les prix grimperaient. Les entreprises souffriraient. Mais au moins, l’ego présidentiel était satisfait. Au moins, Trump avait montré au Canada qui commandait. Quelle victoire magnifique.
La réaction canadienne : surprise et résolution
Le lendemain matin, vendredi 24 octobre, le premier ministre Mark Carney a tenu une conférence de presse où il a affiché un calme remarquable face à la tempête trumpienne. « Nous avons fait des progrès substantiels dans nos discussions commerciales », a-t-il déclaré avec une retenue diplomatique impressionnante. « Le Canada se tient prêt à reprendre ces négociations quand les Américains seront préparés. » C’était une manière élégante de dire : nous n’allons pas paniquer face à vos crises de colère infantiles, monsieur le président. Quand vous aurez fini de bouder, nous serons ici, prêts à discuter comme des adultes. Carney refusait de se laisser entraîner dans le drame trumpien. Il maintenait une posture de maturité diplomatique face au chaos impulsif de Washington. C’était digne. Et totalement inutile face à un président qui confond dignité avec faiblesse et maturité avec défaite.
Pendant ce temps, Doug Ford se retrouvait dans une position extrêmement inconfortable. C’était sa publicité — son initiative audacieuse — qui avait déclenché cette catastrophe diplomatique. Les pressions montaient de toutes parts pour qu’il retire la pub immédiatement et s’excuse. Mais Ford résistait initialement. Il a même publié sur les réseaux sociaux vendredi matin des extraits supplémentaires du discours de Reagan montrant encore plus clairement l’opposition de l’ancien président aux tarifs généralisés. « Regardez les mots complets de Reagan », semblait-il dire. « Nous n’avons rien déformé. » Mais finalement, après une conversation téléphonique avec le premier ministre Carney, Ford a cédé. Il a annoncé que la publicité serait retirée des ondes lundi 28 octobre « pour permettre aux discussions commerciales de reprendre ». Toutefois, la pub continuerait de diffuser pendant le week-end, notamment durant la Série mondiale. Un dernier coup de semonce avant la capitulation. Une dernière affirmation de principe avant de plier face à la pression trumpienne.
La bataille juridique imminente à la Cour suprême
L’enjeu constitutionnel fondamental
Pendant que le drame diplomatique se déroulait publiquement, une bataille juridique encore plus importante se préparait silencieusement dans les couloirs de la Cour suprême des États-Unis. Le 5 novembre 2025 — seulement douze jours après l’explosion de Trump contre la publicité canadienne — les neuf juges de la plus haute juridiction américaine devaient entendre les arguments oraux dans le cas *Trump v. V.O.S. Selections*. Cette affaire posait une question constitutionnelle fondamentale : le président peut-il imposer unilatéralement des tarifs massifs en invoquant des pouvoirs d’urgence, sans autorisation explicite du Congrès ? La réponse à cette question déterminerait non seulement le sort des tarifs de Trump, mais aussi l’équilibre constitutionnel entre les branches exécutive et législative du gouvernement américain. C’était immense. Et Trump le savait.
Les tarifs contestés incluaient les mesures du « Jour de la Libération » du 2 avril 2025 — quand Trump avait imposé des tarifs « réciproques » massifs sur pratiquement tous les partenaires commerciaux américains — ainsi que les tarifs sur le Canada, le Mexique et la Chine imposés au début de l’année sous prétexte de combattre l’immigration illégale et le trafic de fentanyl. Trump avait justifié ces tarifs en invoquant l’*International Emergency Economic Powers Act* (IEEPA), une loi adoptée en 1977 qui accorde au président des pouvoirs étendus pour réguler les transactions économiques internationales pendant des urgences nationales. Mais l’IEEPA autorise-t-elle vraiment le président à imposer des tarifs — essentiellement des taxes — sans l’approbation du Congrès ? C’était là le cœur du débat juridique. Et les tribunaux inférieurs avaient déjà donné leur réponse : non.
Les décisions des tribunaux inférieurs contre Trump
En mai 2025, la Cour du commerce international des États-Unis avait porté un coup dévastateur à la stratégie tarifaire de Trump. Dans une décision cinglante, le juge avait statué que « l’autorité accordée par l’IEEPA au président de ‘réguler’ les importations n’autorise pas les tarifs imposés par les ordres exécutifs » de Trump. Le raisonnement était simple mais puissant : la Constitution américaine accorde au Congrès — et non au président — le pouvoir de « lever et collecter les taxes, droits, impôts et accises ». Les tarifs sont des taxes sur les importations. Donc, seul le Congrès peut les imposer, sauf si le Congrès délègue explicitement ce pouvoir au président dans des circonstances spécifiques et limitées. L’IEEPA permet au président de « réguler » les transactions économiques internationales pendant les urgences, mais « réguler » ne signifie pas « taxer ». C’était une distinction cruciale.
Le 29 août 2025, la Cour d’appel du circuit fédéral avait confirmé cette décision par un vote de 7 contre 4 lors d’une audience en banc (avec tous les juges participant). L’opinion majoritaire avait souligné que « la seule question que nous résolvons en appel est de savoir si les tarifs sur le trafic et les tarifs réciproques imposés par les ordres exécutifs contestés sont autorisés par l’IEEPA. Nous concluons qu’ils ne le sont pas. » C’était clair, direct, et dévastateur pour l’administration Trump. Cependant, la cour d’appel avait également annulé l’injonction universelle émise par le tribunal inférieur, permettant temporairement aux tarifs de rester en place pendant que l’affaire progressait vers la Cour suprême. Cette suspension temporaire donnait à Trump un répit, mais si la Cour suprême confirmait les décisions des tribunaux inférieurs, les conséquences seraient catastrophiques pour l’administration. Des milliards de dollars de tarifs déjà collectés devraient potentiellement être remboursés aux entreprises. L’ensemble de la politique économique trumpienne s’effondrerait.
Les briefs contre les tarifs s’accumulent
À l’approche des arguments oraux du 5 novembre, une avalanche de briefs amicus curiae (« ami de la cour ») se déversait à la Cour suprême, presque tous plaidant contre les tarifs de Trump. Le vendredi 24 octobre 2025 — le jour même où Ford annonçait le retrait de la publicité controversée — un groupe de 31 anciens juges fédéraux nommés par des administrations républicaines et démocrates a soumis un brief dévastateur. Ils ont argué que la plupart des tarifs de Trump « dépassent l’autorité légale du président pour ‘réguler’ les importations » et ont rejeté l’affirmation de l’administration selon laquelle les tribunaux n’avaient pas le pouvoir de réviser la déclaration présidentielle d’urgence nationale. « Si le président peut exercer ces pouvoirs à tout moment simplement en déclarant qu’une urgence existe, l’équilibre soigneusement structuré des pouvoirs… » a déclaré leur brief, soulignant les dangers constitutionnels de la position trumpienne.
Un autre brief, soumis par un groupe de près de 50 économistes — incluant d’anciens présidents de la Réserve fédérale comme Ben Bernanke et Janet Yellen — a attaqué les fondements économiques de la justification de Trump. L’administration prétendait que les déficits commerciaux américains constituaient une « menace inhabituelle et extraordinaire » justifiant l’invocation des pouvoirs d’urgence. Les économistes ont démoli cet argument, expliquant que les déficits commerciaux entre les États-Unis et d’autres nations sont normaux et attendus dans une économie mondiale interconnectée. De plus, les tarifs ne fermeraient de toute façon pas ces déficits — ils ne feraient que redistribuer les flux commerciaux et augmenter les coûts pour les consommateurs américains. C’était une répudiation scientifique totale de la logique économique trumpienne. Mais Trump se souciait-il de ce que pensaient les économistes ou les anciens juges ? Évidemment non. Il se souciait de gagner. Par n’importe quel moyen nécessaire. Y compris intimider quiconque osait le contredire. Comme le Canada avec sa publicité Reagan.
Les véritables victimes : les travailleurs et consommateurs
L’impact des tarifs sur les familles américaines
Pendant que Trump livrait ses guerres commerciales et diplomatiques, les véritables victimes — comme toujours — étaient les citoyens ordinaires des deux côtés de la frontière. Les tarifs massifs imposés par Trump en 2025 avaient déjà eu des conséquences dévastatrices sur les ménages américains. Une étude menée par la Peterson Institute for International Economics avait calculé que les tarifs coûtaient au ménage américain moyen environ 1 300 dollars par an en prix plus élevés. Les produits de consommation — vêtements, électronique, jouets, meubles — avaient tous vu leurs prix grimper. Les matériaux de construction — acier, aluminium, bois — étaient devenus plus chers, augmentant les coûts de construction de maisons et d’infrastructures. Les pièces automobiles importées avaient fait monter le prix des voitures neuves et des réparations. Les aliments importés — fruits, légumes, café, produits laitiers — pesaient plus lourd sur les budgets d’épicerie déjà serrés.
Mais l’impact allait bien au-delà des prix à la consommation. Les entreprises américaines qui dépendaient de composants importés voyaient leurs coûts de production exploser. Certaines absorbaient ces coûts, réduisant leurs marges bénéficiaires et conduisant à des licenciements. D’autres augmentaient leurs prix, perdant des parts de marché face à des concurrents qui avaient délocalisé leur production à l’étranger pour éviter les tarifs américains. Les agriculteurs américains — un groupe démographique qui avait massivement soutenu Trump — souffraient terriblement des représailles commerciales. Le Canada, le Mexique, la Chine et l’Union européenne avaient tous imposé des contre-tarifs ciblant spécifiquement les produits agricoles américains. Les exportations de soja, de porc, de bœuf et de produits laitiers s’étaient effondrées. Des milliers de fermes familiales étaient au bord de la faillite. Mais Trump continuait de prétendre que sa guerre commerciale était un triomphe magnifique.
Les emplois perdus de part et d’autre de la frontière
Les conséquences sur l’emploi étaient tout aussi graves. Une analyse du Trade Partnership Worldwide avait estimé que les tarifs de Trump détruiraient environ 950 000 emplois américains sur trois ans. Bien sûr, certains emplois seraient créés dans les industries protégées par les tarifs — l’acier, l’aluminium, certaines manufactures. Mais ces gains seraient largement dépassés par les pertes dans les secteurs qui utilisaient ces matériaux plus chers ou qui dépendaient des exportations maintenant frappées par les représailles étrangères. Le secteur automobile — profondément intégré à travers la frontière canado-américaine — était particulièrement vulnérable. Des usines de pièces automobiles au Michigan, en Ohio et en Indiana licenciaient des travailleurs. Des concessionnaires voyaient leurs ventes chuter alors que les prix des véhicules grimpaient. Les mécaniciens facturaient plus pour les réparations utilisant des pièces importées devenues plus chères.
Au Canada, la situation n’était guère meilleure. L’économie canadienne dépend massivement des exportations vers les États-Unis. Environ 75 % des exportations canadiennes vont au marché américain. Les tarifs de Trump frappaient directement les industries canadiennes clés — foresterie, métaux, automobile, agriculture. Des scieries en Colombie-Britannique fermaient. Des aciéries en Ontario réduisaient leur production. Des producteurs laitiers au Québec perdaient leurs débouchés. Des milliers de travailleurs canadiens perdaient leur emploi ou voyaient leurs heures réduites. Les communautés frontalières — qui dépendaient du commerce transfrontalier pour leur survie économique — étaient dévastées. Et maintenant, avec Trump annulant brusquement les négociations qui auraient pu résoudre ces disputes, toute espérance de soulagement s’évaporait. Les emplois continueraient de disparaître. Les familles continueraient de souffrir. Les communautés continueraient de s’effondrer. Tout parce qu’une publicité d’une minute avait offensé un président narcissique.
L’incertitude paralysante pour les entreprises
Au-delà des coûts directs des tarifs, l’incertitude créée par la volatilité de Trump causait des dommages économiques énormes. Les entreprises prospèrent avec la prévisibilité. Elles ont besoin de planifier leurs investissements, leurs chaînes d’approvisionnement, leurs stratégies d’embauche sur des horizons de plusieurs années. Mais avec Trump, rien n’était prévisible. Un tweet rageux pouvait annuler des mois de négociations. Une publicité télévisée pouvait déclencher une guerre commerciale. Une humeur présidentielle pouvait faire basculer la politique d’un extrême à l’autre sans avertissement. Comment une entreprise peut-elle planifier dans un tel environnement ? Comment peut-elle investir dans de nouvelles installations quand elle ne sait pas si les tarifs seront de 10 %, 25 % ou 100 % l’année prochaine ? Comment peut-elle s’engager dans des contrats à long terme quand les règles commerciales peuvent changer du jour au lendemain ?
Le résultat était un gel massif de l’investissement des entreprises. Les compagnies reportaient les projets d’expansion. Elles retardaient les nouvelles embauches. Elles accumulaient des liquidités au lieu de les investir dans l’innovation et la croissance. Cette paralysie frappait particulièrement durement les petites et moyennes entreprises qui n’avaient pas les ressources pour naviguer dans le chaos réglementaire constant ou pour faire du lobbying auprès du gouvernement pour obtenir des exemptions. Les grandes multinationales pouvaient embaucher des avocats commerciaux, des lobbyistes, des consultants. Elles pouvaient diversifier leurs chaînes d’approvisionnement à travers plusieurs pays pour se protéger contre les tarifs. Mais la quincaillerie familiale qui importait des outils de Chine ? L’atelier de fabrication qui utilisait de l’acier canadien ? Le restaurant qui achetait des produits frais du Mexique ? Ils étaient coincés. Ils absorbaient les coûts. Ils réduisaient leurs marges. Ils licenciaient du personnel. Et ils priaient pour que la tempête passe. Mais avec Trump, la tempête ne passait jamais. Elle s’intensifiait constamment.
Les précédents historiques : quand Reagan imposait des tarifs
Le contexte commercial des années 1980
L’ironie suprême de cette controverse est que Reagan — le héros mythifié que Trump prétendait vénérer — avait effectivement imposé certains tarifs durant sa présidence. Ce n’était pas un libre-échangiste absolu et dogmatique. Il comprenait que dans certaines circonstances limitées, des mesures commerciales ciblées pouvaient être nécessaires. En 1987, au moment précis où il prononçait le discours utilisé dans la publicité ontarienne, Reagan faisait face à une pression politique intense pour imposer des mesures protectionnistes massives contre le Japon. Le Congrès américain — contrôlé par les démocrates — débattait d’une législation qui aurait imposé des restrictions commerciales draconniennes contre Tokyo. Les entreprises japonaises — particulièrement dans l’automobile et l’électronique — dominaient le marché américain avec des produits de meilleure qualité à prix inférieurs. Les géants américains comme General Motors, Ford et RCA perdaient des parts de marché et licenciaient massivement.
Face à cette pression, Reagan avait choisi une approche mesurée et stratégique. Il avait imposé des tarifs sur les semi-conducteurs japonais — un secteur spécifique où il affirmait avoir des preuves que Tokyo violait des accords commerciaux existants en subventionnant illégalement ses exportations. Mais simultanément, il avait prononcé son discours radio du 25 avril 1987 pour expliquer pourquoi ces tarifs étaient une exception limitée et pourquoi le protectionnisme généralisé serait catastrophique. « Ce sont des cas sélectifs spécifiques », avait-il souligné, insistant que les États-Unis maintenaient « notre engagement de longue date envers le commerce libre et la croissance économique ». Reagan utilisait les tarifs comme un outil chirurgical pour corriger des violations spécifiques d’accords commerciaux, pas comme un marteau pour détruire l’ensemble du système commercial mondial. C’était précisément la distinction que Trump refusait de reconnaître.
La différence cruciale avec l’approche de Trump
Comparer les tarifs limités de Reagan aux guerres commerciales massives de Trump, c’est comme comparer une intervention chirurgicale précise à une amputation à la tronçonneuse. Reagan ciblait des secteurs spécifiques avec des preuves de violations commerciales vérifiables. Trump imposait des tarifs généralisés sur pratiquement tous les partenaires commerciaux américains basés sur des prétextes fluctuants — déficits commerciaux, immigration, trafic de drogue, « sécurité nationale ». Reagan utilisait les tarifs temporairement pour forcer des négociations et obtenir des changements de comportement spécifiques. Trump les utilisait indéfiniment comme punition et symbole de sa « force ». Reagan maintenait son engagement fondamental envers le libre-échange même en imposant des mesures ciblées. Trump rejetait explicitement le libre-échange comme une « arnaque » qui avait « détruit l’Amérique ». Reagan comprenait que les tarifs élevés « blessent chaque travailleur et consommateur américain ». Trump prétendait que les tarifs étaient « payés par la Chine » — un mensonge économique flagrant.
Plus important encore, Reagan avait l’autorisation explicite du Congrès pour ses actions commerciales. Il opérait sous des statuts spécifiques — comme la Section 301 de la Trade Act de 1974 — qui déléguaient clairement certains pouvoirs tarifaires au président dans des circonstances définies. Trump, par contre, tentait d’invoquer l’IEEPA — une loi sur les urgences nationales — pour imposer unilatéralement des tarifs massifs sans approbation congressionnelle. C’était précisément cette usurpation du pouvoir constitutionnel que les tribunaux avaient rejetée. Donc quand la Fondation Reagan et Trump accusaient la publicité ontarienne de « déformer » la position de Reagan sur les tarifs, ils manquaient complètement le point. La pub ne prétendait pas que Reagan n’avait jamais imposé aucun tarif. Elle soulignait son opposition aux tarifs généralisés et au protectionnisme systémique — exactement ce que Trump pratiquait. Et sur ce point, la pub avait parfaitement raison.
Ce que Reagan dirait vraiment aujourd’hui
Il est évidemment impossible de savoir avec certitude ce que Ronald Reagan penserait des politiques commerciales de Trump s’il était vivant aujourd’hui. Mais en se basant sur ses discours, ses écrits et son bilan en tant que président, on peut faire des inférences raisonnables. Reagan croyait profondément que « le commerce libre et équitable est une clé de la prospérité américaine ». Il avait négocié l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis en 1988 — le prédécesseur de l’ALENA — précisément parce qu’il voyait l’élimination des barrières commerciales comme bénéfique pour les deux nations. Il avait déclaré lors de la signature de cet accord que « le libre-échange n’est pas seulement une question économique, mais aussi une question de liberté ». Il avait mis en garde contre le « poison du protectionnisme » qui « appauvrit les nations qui l’adoptent et enrichit ceux qui le rejettent ».
Aurait-il soutenu les tarifs massifs de Trump ? Hautement improbable. Aurait-il approuvé l’utilisation de l’IEEPA pour contourner l’autorité constitutionnelle du Congrès ? Presque certainement pas — Reagan respectait profondément la séparation des pouvoirs et les limites constitutionnelles. Aurait-il déclenché une guerre commerciale contre le Canada — l’allié le plus proche de l’Amérique et son deuxième plus grand partenaire commercial ? Absurde. Reagan voyait le Canada non pas comme un adversaire économique mais comme un partenaire essentiel dans la prospérité nord-américaine. L’idée qu’il aurait annulé des négociations commerciales cruciales parce qu’une province canadienne avait osé citer ses propres mots en faveur du libre-échange ? C’est risible. Reagan aurait probablement été flatté que ses principes soient utilisés pour promouvoir le commerce libre. Trump, par contre, était enragé précisément parce que ces principes contredisaient sa propre idéologie protectionniste. Et cette différence révèle tout ce qu’on doit savoir sur l’écart immense entre ces deux présidents républicains.
Les conséquences à long terme pour les relations canado-américaines
Une confiance brisée difficile à reconstruire
Au-delà des dommages économiques immédiats, l’incident de la publicité Reagan et la réaction explosive de Trump ont causé des blessures profondes dans la relation canado-américaine qui prendront des années — peut-être des décennies — à guérir. Les partenariats internationaux se construisent sur la confiance, la prévisibilité et le respect mutuel. Mais comment le Canada peut-il faire confiance à un partenaire qui annule brusquement des mois de négociations difficiles à cause d’une publicité télévisée ? Comment peut-il planifier sa politique commerciale quand les règles peuvent changer selon l’humeur présidentielle du jour ? Comment peut-il maintenir une relation respectueuse quand son voisin traite toute critique — même fondée sur des faits historiques incontestables — comme une « agression ignoble » méritant une punition collective ? La réponse simple est : il ne peut pas. Pas vraiment. Pas de manière durable.
Les diplomates canadiens qui ont passé des mois à construire patiemment des relations avec leurs homologues américains, à négocier des compromis délicats, à chercher un terrain d’entente sur des questions commerciales complexes — tous ces efforts ont été anéantis en quelques secondes. Et pour quoi ? Pour défendre l’honneur présidentiel offensé. Pour punir l’audace canadienne d’avoir utilisé les mots d’un ancien président républicain. C’est enfantin. C’est destructeur. Et c’est profondément corrosif pour l’alliance bilatérale la plus importante de l’hémisphère occidental. Les fonctionnaires canadiens se souviendront de cette trahison. Les politiciens canadiens en tireront des leçons sur la fiabilité américaine. Et les citoyens canadiens — qui ont traditionnellement vu les États-Unis comme un allié et ami — commenceront de plus en plus à voir leur voisin du sud comme un partenaire imprévisible et dangereux dont il faut se méfier plutôt que sur lequel compter.
La diversification économique devient impérative
L’instabilité créée par Trump accélère une tendance que les stratèges canadiens discutent depuis des années : la nécessité de diversifier l’économie canadienne loin de sa dépendance écrasante envers le marché américain. Pendant des décennies, les 75 % d’exportations canadiennes allant aux États-Unis étaient vues comme un atout — un accès privilégié au plus grand marché de consommation du monde. Mais maintenant, cette dépendance ressemble de plus en plus à une vulnérabilité dangereuse. Quand un seul tweet présidentiel peut détruire des milliards de dollars de commerce, quand une publicité télévisée peut déclencher une crise diplomatique, quand l’ensemble de la relation économique dépend des caprices émotionnels d’un homme, il est temps de repenser la stratégie.
Le gouvernement canadien investit déjà massivement dans des accords commerciaux avec d’autres partenaires. L’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne offre un accès au marché européen. L’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste ouvre des portes en Asie-Pacifique. Des négociations sont en cours pour approfondir les liens commerciaux avec l’Inde, le Brésil et d’autres économies émergentes. L’objectif est clair : réduire progressivement la proportion des exportations canadiennes allant aux États-Unis à peut-être 60 % ou même 50 % au cours de la prochaine décennie. Ce ne sera pas facile. La géographie favorise le commerce nord-sud. Les chaînes d’approvisionnement intégrées prennent des années à reconfigurer. Mais la volatilité trumpienne rend cette diversification non pas optionnelle mais existentielle. Le Canada ne peut tout simplement plus se permettre de dépendre aussi massivement d’un partenaire aussi imprévisible.
L’exemple pour les autres alliés américains
L’incident de la publicité Reagan envoie un message glacial aux autres alliés américains à travers le monde. Si le Canada — le voisin le plus proche, l’allié le plus fidèle, le partenaire commercial le plus intégré — peut être traité avec un tel mépris pour une publicité télévisée, qu’est-ce que cela signifie pour les autres partenaires de Washington ? L’Europe regarde attentivement. Le Japon observe avec inquiétude. La Corée du Sud tire des leçons. L’Australie réévalue ses priorités stratégiques. Tous voient clairement que sous Trump, les alliances traditionnelles ne signifient rien. La loyauté historique ne compte pas. Les sacrifices passés — les soldats canadiens morts en Afghanistan aux côtés des Américains, les billions de dollars de commerce mutuellement bénéfique, les décennies de coopération en matière de défense et de renseignement — tout cela peut être jeté aux ordures si le président se sent offensé.
Cette réalité pousse les alliés traditionnels de l’Amérique à reconsidérer fondamentalement leurs relations avec Washington. L’Europe accélère son projet d’autonomie stratégique, cherchant à réduire sa dépendance envers la protection militaire américaine et à construire ses propres capacités de défense. Le Japon et la Corée du Sud renforcent leurs liens avec d’autres partenaires régionaux, créant des architectures de sécurité qui ne dépendent pas uniquement de Washington. L’Australie diversifie ses relations commerciales pour réduire sa vulnérabilité aux caprices de la politique américaine. Partout dans le monde, les alliés de longue date de l’Amérique apprennent la même leçon douloureuse que le Canada vient d’apprendre : on ne peut pas compter sur Trump. On ne peut pas lui faire confiance. On ne peut pas construire des stratégies à long terme basées sur ses promesses parce qu’il peut tout détruire sur un coup de tête. Et cette leçon affaiblit profondément la position globale de l’Amérique dans le monde d’une manière que Trump ne semble même pas comprendre ni reconnaître.
Conclusion
Nous voici donc, au crépuscule du vendredi 24 octobre 2025, contemplant les ruines fumantes d’une relation bilatérale essentielle détruite par l’ego présidentiel. Une publicité de 60 secondes utilisant les mots authentiques de Ronald Reagan — un plaidoyer passionné pour le libre-échange et contre les guerres commerciales destructrices — a suffi pour déclencher une explosion diplomatique d’une magnitude rarement vue entre deux alliés aussi proches. Donald Trump, incapable de tolérer que ses politiques tarifaires catastrophiques soient critiquées même par un président républicain vénéré parlant depuis sa tombe, a annulé d’un tweet rageur tous les progrès patiemment construits dans les négociations commerciales canado-américaines. Doug Ford, qui avait osé investir 75 millions de dollars pour dire la vérité au peuple américain, a été forcé de capituler et de retirer sa campagne publicitaire. Et des millions de travailleurs et consommateurs des deux côtés de la frontière continueront de souffrir sous le poids écrasant de tarifs destructeurs qui ne servent aucun objectif national légitime mais qui massent l’ego présidentiel.
Le 5 novembre 2025, la Cour suprême des États-Unis entendra les arguments dans le cas qui pourrait potentiellement détruire l’ensemble de la stratégie tarifaire de Trump. Des dizaines d’anciens juges fédéraux, d’économistes distingués incluant d’anciens présidents de la Fed, et d’innombrables experts juridiques ont tous déclaré que les tarifs présidentiels excèdent l’autorité constitutionnelle et causent des dommages économiques massifs. Les tribunaux inférieurs ont déjà statué contre Trump. Les faits sont écrasants. La loi est claire. Mais dans le monde trumpien, les faits ne comptent pas. La loi ne compte pas. Seul le pouvoir compte. Seule la victoire compte. Même si cette victoire signifie la destruction d’alliances centenaires, l’appauvrissement de millions de citoyens, et l’affaiblissement fondamental de la position de l’Amérique dans le monde. Reagan avait prévenu — il y a presque quarante ans — que « les tarifs élevés mènent inévitablement à des représailles et au déclenchement de guerres commerciales féroces ». Puis, avait-il continué, « le pire arrive. Les marchés rétrécissent et s’effondrent. Les entreprises et industries ferment et des millions de personnes perdent leur emploi ». Nous vivons maintenant cette prophétie. Nous récoltons ce que Trump a semé. Et la récolte est amère au-delà de toute mesure. L’histoire jugera cette folie. Mais pour les familles qui perdent leur emploi aujourd’hui, pour les entreprises qui font faillite cette semaine, pour les communautés qui s’effondrent en ce moment même, le jugement de l’histoire arrive trop tard. Beaucoup trop tard.