Introduction
Les mots ont un poids. Parfois, ils tuent. Le 24 octobre 2025, dans une salle d’audience de la Cour d’appel du quatrième circuit, une juge fédérale a tracé une ligne explosive entre le discours prononcé par le président Donald Trump lors de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 et les propos d’un universitaire musulman condamné pour terrorisme. Stephanie Thacker, nommée sous l’administration Obama, a déclaré sans détour que les deux discours sonnaient «pareil». Pareil. Un mot simple, dévastateur, qui vient frapper de plein fouet la rhétorique présidentielle et réveille des fantômes que l’Amérique croyait avoir enterrés. Cette comparaison intervient dans le cadre d’un appel concernant Ali Al-Timimi, un chercheur en cancer et érudit musulman condamné en 2005 pour avoir incité des jeunes hommes à rejoindre les talibans après le 11 septembre. Mais ce n’est pas Al-Timimi qui a retenu l’attention ce jour-là — c’est Trump, dont les paroles prononcées devant le Capitole en flammes résonnent encore dans les tribunaux américains.
Cette déclaration d’une juge fédérale n’est pas anodine. Elle survient alors que Trump, réélu en novembre 2024 et investi en janvier 2025, poursuit sa campagne de répression contre ce qu’il appelle le «terrorisme domestique de gauche». Pendant que son administration bombarde des bateaux dans les Caraïbes et déploie des porte-avions pour traquer des narcotrafiquants présumés, une magistrate ose poser la question qui dérange : et si le vrai exemple de provocation à la violence venait du sommet de l’État ? Et si le discours présidentiel du 6 janvier était, juridiquement parlant, indistinguable de celui d’un terroriste condamné ? La question n’est plus hypothétique. Elle a été posée en plein tribunal, devant des procureurs fédéraux embarrassés, et elle ouvre une brèche immense dans la façade de légitimité que Trump tente de maintenir. Parce que si ses propres mots peuvent être utilisés comme exemple de terrorisme, alors toute sa rhétorique sur la sécurité nationale s’effondre.
Le contexte de l’audience : l’affaire Ali Al-Timimi
L’affaire qui a servi de toile de fond à cette déclaration explosive remonte à septembre 2001. Ali Al-Timimi, chercheur en biologie du cancer et érudit musulman, a été condamné en 2005 pour avoir tenu un discours devant un groupe de jeunes hommes musulmans dans les jours suivant les attentats du 11 septembre. Selon l’accusation, Al-Timimi les a encouragés à se rendre au Pakistan pour recevoir un entraînement militaire et rejoindre les talibans en prévision d’une offensive américaine en Afghanistan. Il a été reconnu coupable d’incitation au terrorisme et condamné à la prison à perpétuité. Mais à l’automne 2024, un juge a annulé certaines de ses condamnations, estimant qu’elles violaient peut-être le Premier Amendement — la liberté d’expression. C’est cet appel que la Cour du quatrième circuit examinait le 24 octobre 2025.
Gordon Kromberg, procureur fédéral expérimenté qui a supervisé plus de 200 condamnations liées au terrorisme, défendait les convictions d’Al-Timimi. Son argument principal ? Les propos d’Al-Timimi n’étaient pas un discours public protégé par la Constitution, mais une incitation privée à commettre des actes violents. «Je ne prends pas position sur ce qui se passe lorsqu’un orateur public s’adresse au monde via la télévision, par opposition à quelqu’un qui sait qu’il s’engage dans des activités illicites et qui dit ‘Éteignez les téléphones, fermez les portes’», a expliqué Kromberg, cherchant à établir une distinction claire entre un discours public et une conspiration secrète. Mais c’est précisément sur ce point que la juge Thacker a frappé, avec une précision chirurgicale.
La comparaison explosive de la juge Thacker
Stephanie Thacker n’a pas tourné autour du pot. Face au procureur Kromberg, elle a posé une question hypothétique qui était, en réalité, tout sauf hypothétique : «Imaginez une grande assemblée d’individus, frustrés par le Congrès, se rassemblant sur le Washington Mall, certains armés et connus pour être armés, pendant qu’un leader se tient devant eux, pas à l’étranger mais ici même, déclarant : ‘Descendez la rue et battez-vous comme des diables. Je serai là avec vous.’» La description était limpide. Thacker parlait du 6 janvier 2021, lorsque Trump, depuis l’Ellipse près de la Maison-Blanche, avait exhorté ses partisans à marcher vers le Capitole alors que le Congrès certifiait la victoire électorale de Joe Biden. «Ça sonne pareil», a-t-elle conclu, établissant un parallèle direct entre les paroles de Trump et celles d’Al-Timimi.
Cette comparaison est dévastatrice pour plusieurs raisons. Premièrement, elle vient d’une juge fédérale, nommée à vie, dont les opinions ont un poids juridique considérable. Deuxièmement, elle est formulée dans le cadre d’une affaire de terrorisme, établissant ainsi un lien formel entre le discours présidentiel et l’incitation terroriste. Troisièmement, elle sape l’argument principal de l’administration Trump selon lequel seuls les «extrémistes de gauche» représentent une menace terroriste. Si le discours de Trump «sonne pareil» à celui d’un terroriste condamné, alors la question devient : qui est vraiment le danger pour la démocratie américaine ? Kromberg, pris au dépourvu, s’est abstenu de commenter directement le comportement de Trump, se contentant de répéter que le cas d’Al-Timimi était différent parce qu’il s’agissait d’une réunion secrète. Mais la graine était plantée, et le parallèle, impossible à effacer.
Le discours de Trump du 6 janvier 2021 revisité
Que s’est-il exactement passé le 6 janvier 2021 ? Pendant des semaines, Donald Trump avait martelé que l’élection présidentielle lui avait été «volée» par une fraude massive — une affirmation sans preuves, rejetée par tous les tribunaux et autorités électorales. Le 6 janvier, alors que le Congrès se réunissait pour certifier la victoire de Joe Biden, Trump a convoqué ses partisans à Washington pour un rassemblement devant la Maison-Blanche. Dans son discours depuis l’Ellipse, il a répété ses mensonges sur la fraude électorale, puis a exhorté la foule à marcher vers le Capitole. «Vous devez vous battre comme des diables, sinon vous n’aurez plus de pays», a-t-il déclaré. «Nous allons marcher vers le Capitole, et je serai là avec vous.» Des milliers de ses partisans, certains lourdement armés, ont alors pris d’assaut le bâtiment du Congrès.
Ce qui a suivi est gravé dans l’histoire comme l’une des journées les plus sombres de la démocratie américaine. Des émeutiers ont brisé des fenêtres, envahi les couloirs sacrés du Congrès, menacé des élus. Ils cherchaient le vice-président Mike Pence, scandant «Pendez Mike Pence» parce qu’il avait refusé d’annuler la certification électorale. Cinq personnes sont mortes ce jour-là, dont un policier battu à mort. Plus de 140 officiers ont été blessés. Et Trump ? Il a regardé les événements se dérouler à la télévision pendant des heures sans intervenir, selon les témoignages recueillis par la commission d’enquête du Congrès. À 14h24, alors que Pence était évacué d’urgence, Trump a tweeté pour attaquer son propre vice-président, alimentant encore davantage la rage de la foule. Des élus républicains, des commentateurs de Fox News, même son propre fils, ont supplié Trump d’ordonner aux émeutiers de se retirer. Il ne l’a fait que des heures plus tard, dans une vidéo où il leur disait qu’il les aimait.
J’essaie d’imaginer ce moment. Un président, assis devant sa télévision, regardant ses partisans saccager le Congrès — et ne faisant rien. Pire : alimentant leur fureur par des tweets vengeurs. Comment appelle-t-on quelqu’un qui incite une foule à la violence, puis refuse de l’arrêter ? En droit, il y a un mot pour ça. Et la juge Thacker vient de le prononcer à haute voix.
La distinction juridique entre discours protégé et incitation criminelle
Le Premier Amendement de la Constitution américaine protège la liberté d’expression, y compris les discours politiques les plus extrêmes. Mais cette protection a des limites. Depuis l’arrêt Brandenburg c. Ohio en 1969, la Cour suprême a établi qu’un discours peut être criminalisé s’il incite de manière «imminente» et «probable» à une action illégale. Autrement dit, si vos paroles poussent directement et immédiatement quelqu’un à commettre un crime, vous n’êtes plus protégé par la Constitution. C’est précisément cette ligne que la juge Thacker explorait lors de l’audience sur Al-Timimi. Où se situe la frontière entre un discours politique vigoureux et une incitation au crime ? Et si les paroles de Trump franchissent cette ligne, pourquoi n’a-t-il jamais été poursuivi pour cela ?
Le juge fédéral Amit Mehta, qui a supervisé plusieurs procès d’émeutiers du 6 janvier, a conclu en 2022 que le discours de Trump constituait «de manière plausible des paroles d’incitation non protégées par le Premier Amendement». Cette analyse s’appuyait sur plusieurs facteurs : Trump savait que certains de ses partisans étaient armés — il avait même ordonné de retirer les magnétomètres pour leur permettre de rejoindre la foule. Il les a dirigés vers le Capitole avec des instructions explicites de «se battre». Et surtout, il a refusé d’intervenir pendant des heures alors que la violence faisait rage. Ces actes manifestes, combinés au discours, transforment des paroles ambiguës en incitation criminelle. Le juriste constitutionnel Eugene Volokh note que lorsqu’un discours politique est ambigu, les actions connexes peuvent clarifier l’intention — et dans le cas de Trump, ces actions pointent toutes vers une volonté délibérée de provoquer la violence.
L’affaire fédérale contre Trump : un procès qui n’aura jamais lieu
Le 1er août 2023, un grand jury fédéral a inculpé Donald Trump dans le district de Columbia pour quatre chefs d’accusation liés à ses tentatives de renverser l’élection de 2020, y compris son rôle dans l’assaut du Capitole. Les charges incluaient la conspiration pour frauder les États-Unis, l’obstruction d’une procédure officielle, et la conspiration contre les droits des citoyens. L’acte d’accusation, rédigé par le procureur spécial Jack Smith, mentionnait six co-conspirateurs non nommés et décrivait en détail les actions de Trump avant, pendant et après le 6 janvier. C’était la première fois qu’un président américain était inculpé pour des actions commises pendant son mandat. Trump a plaidé non coupable le 3 août 2023, devant la juge Tanya Chutkan.
Mais ce procès n’aura jamais lieu. Après sa réélection en novembre 2024, Trump a ordonné le retrait de toutes les poursuites fédérales contre lui, invoquant l’immunité présidentielle. Le ministère de la Justice, désormais sous son contrôle, a abandonné les charges. Jack Smith a été limogé, ses enquêtes classées. Les 43 pages d’accusations détaillées — les faux électeurs, les pressions sur Mike Pence, les tentatives de manipulation des résultats dans des États clés, le refus d’intervenir pendant l’assaut — tout cela a été enterré. Trump a gracié les émeutiers du 6 janvier, qualifiant certains d’entre eux de «patriotes» et de «prisonniers politiques». Plus de 1 200 personnes ont été inculpées pour leur participation à l’assaut ; beaucoup ont maintenant été libérées grâce aux grâces présidentielles. L’homme qui les a incités ? Il siège à nouveau dans le Bureau ovale.
Stephanie Thacker : une juge qui n’a pas peur de défier le pouvoir
Stephanie Thacker n’est pas une inconnue des controverses judiciaires. Nommée à la Cour d’appel du quatrième circuit par Barack Obama en 2012, elle a été confirmée par le Sénat par un vote de 91 contre 3 — un consensus rare dans l’Amérique polarisée d’aujourd’hui. Depuis, elle s’est distinguée par des décisions courageuses, souvent en opposition avec l’administration Trump. En avril 2025, elle a fait partie d’un panel de trois juges qui a ordonné au gouvernement de ramener aux États-Unis Kilmar Abrego Garcia, un immigrant illégal que l’administration avait expulsé par erreur vers le Salvador. Dans son opinion, Thacker a écrit des mots cinglants : «Le gouvernement américain n’a aucune autorité légale pour arracher une personne légalement présente aux États-Unis dans la rue et la retirer du pays sans procédure régulière. L’argument contraire du gouvernement, et son affirmation que les tribunaux fédéraux sont impuissants à intervenir, sont inadmissibles.»
Cette décision a provoqué la fureur de Trump, qui a attaqué Thacker sur les réseaux sociaux, la qualifiant de «juge de gauche» et suggérant qu’elle devrait être destituée. Mais Thacker n’a pas reculé. Son opinion dans l’affaire Abrego Garcia a souligné les dangers d’un gouvernement qui s’arroge le pouvoir de déporter des gens sans procédure régulière : «Si le respect de la procédure régulière n’a aucune importance, qu’est-ce qui empêche le gouvernement de retirer et de refuser de ramener un résident permanent légal, ou même un citoyen de naissance ?» Cette question résonne désormais dans l’affaire Al-Timimi, où Thacker pose essentiellement la même interrogation : si le discours de Trump peut inciter à la violence sans conséquences juridiques, qu’est-ce qui empêche n’importe quel leader politique de faire de même ? La réponse, apparemment, est : rien.
Il faut du courage pour être juge dans l’Amérique de Trump. Pas le courage physique — quoique, avec les menaces qui pleuvent sur les magistrats, peut-être aussi. Mais le courage intellectuel, celui de regarder le pouvoir en face et de dire : «Vous avez tort.» Thacker possède ce courage. Et elle vient de l’utiliser pour dire ce que beaucoup pensent mais n’osent pas formuler : Trump a incité au terrorisme.
La réponse embarrassée du procureur Kromberg
Gordon Kromberg, le procureur fédéral défendant les condamnations d’Al-Timimi, s’est retrouvé dans une position intenable. Comment justifier la condamnation d’un homme pour avoir incité à la violence lors d’une réunion privée, tout en ignorant les paroles d’un président qui a fait de même devant des millions de téléspectateurs ? Kromberg a tenté de maintenir une distinction : Al-Timimi savait qu’il conspirait, puisqu’il avait demandé aux participants d’éteindre leurs téléphones et de fermer les portes. C’était une réunion secrète, avec l’intention claire de cacher des activités illégales. Trump, en revanche, parlait publiquement, devant les caméras. «Je ne prends pas position sur ce qui se passe lorsqu’un orateur public s’adresse au monde via la télévision», a déclaré Kromberg, refusant de commenter directement le comportement du président.
Mais cette distinction tient-elle vraiment la route ? Oui, Al-Timimi a tenu sa réunion en privé. Mais Trump a agi en pleine lumière, devant des millions de témoins — ce qui, si l’on suit la logique de Kromberg, devrait rendre son discours encore plus condamnable, pas moins. Un terroriste qui incite à la violence en secret peut être arrêté avant que ses paroles ne causent des dégâts. Un président qui le fait en direct à la télévision provoque immédiatement une émeute meurtrière. De plus, Trump disposait d’informations que Al-Timimi n’avait pas : il savait que ses partisans étaient armés, il avait ordonné le retrait des détecteurs de métaux, il avait tenté de les accompagner au Capitole (empêché seulement par le Secret Service). Tous ces éléments constituent des actes manifestes qui transforment un discours ambigu en conspiration criminelle. Kromberg le sait. La juge Thacker le sait. Et tout le monde dans cette salle d’audience le savait.
Le précédent dangereux d’une impunité présidentielle
La comparaison de Thacker soulève une question fondamentale : pourquoi Trump n’a-t-il jamais été poursuivi pour incitation à l’émeute ? La réponse tient en un mot : pouvoir. Lorsque le ministère de la Justice a envisagé des poursuites en 2021 et 2022, Trump n’était plus président, mais il restait le leader incontesté du Parti républicain et le favori pour 2024. Poursuivre un ancien président pour ses paroles, aussi incendiaires soient-elles, aurait déclenché une tempête politique. Le procureur général Merrick Garland, prudent à l’excès, a hésité. Ce n’est qu’en novembre 2022, sous la pression de la commission d’enquête du 6 janvier, qu’il a nommé Jack Smith procureur spécial. Mais il était déjà trop tard. Trump a annoncé sa candidature pour 2024, ce qui a compliqué les poursuites. Puis il a gagné l’élection, et toute l’affaire s’est effondrée.
Ce précédent est catastrophique pour la démocratie américaine. Il établit qu’un président peut inciter à la violence, provoquer une insurrection, tenter de renverser une élection — et s’en sortir impunément, tant qu’il conserve suffisamment de pouvoir politique. C’est l’essence même de l’autoritarisme : les lois s’appliquent aux faibles, pas aux puissants. Ali Al-Timimi croupit en prison pour avoir tenu un discours devant une poignée d’hommes dans une pièce fermée. Donald Trump est à la Maison-Blanche après avoir incité des milliers de personnes à attaquer le Capitole en direct à la télévision. La juge Thacker a mis le doigt sur cette injustice criante, et son intervention pourrait bien marquer un tournant. Parce que si les tribunaux commencent à reconnaître publiquement que le discours de Trump «sonne pareil» à celui d’un terroriste, alors l’argument de l’immunité présidentielle devient insoutenable.
Trump et sa guerre contre le «terrorisme de gauche»
L’ironie de cette comparaison judiciaire est qu’elle survient alors que Trump mène une campagne agressive contre ce qu’il appelle le «terrorisme domestique de gauche». Depuis son investiture en janvier 2025, son administration a adopté une série de mesures répressives visant les militants progressistes, les manifestants antifascistes, et même certains groupes écologistes. En septembre 2025, Trump a signé un mémorandum présidentiel ordonnant aux agences fédérales de traquer et de poursuivre les «acteurs violents de gauche». Son ancien chef de cabinet, Stephen Miller, a déclaré qu’il existait «un mouvement important et croissant de terrorisme de gauche dans ce pays, protégé par des élites libérales». Cette rhétorique a justifié des arrestations massives, des perquisitions sans mandat, et même la proposition d’invoquer la loi martiale dans certaines villes.
Mais les données contredisent cette narration. Selon un rapport de NPR publié le 25 octobre 2025, les statistiques du FBI montrent que la majorité des actes de terrorisme domestique aux États-Unis proviennent de l’extrême droite, pas de la gauche. Les suprématistes blancs, les milices d’extrême droite, et les groupes conspirationnistes comme QAnon ont commis l’écrasante majorité des attentats meurtriers depuis 2015. Pourtant, l’administration Trump a réorienté les ressources fédérales pour cibler principalement les groupes de gauche. C’est une inversion complète de la réalité, une manipulation politique destinée à criminaliser l’opposition. Et maintenant, une juge fédérale vient de rappeler une vérité gênante : si quelqu’un a incité au terrorisme, c’est Trump lui-même, le 6 janvier 2021. Pas les antifascistes. Pas les écologistes. Le président des États-Unis.
Projection. C’est le terme psychologique pour décrire quelqu’un qui accuse les autres de ses propres fautes. Trump excelle dans cet art. Il crie au terrorisme de gauche tout en ayant lui-même provoqué l’attaque la plus violente contre la démocratie américaine depuis la guerre de Sécession. Il poursuit des manifestants pacifiques pendant que ses propres partisans, graciés, célèbrent leur assaut contre le Congrès. La juge Thacker vient de briser ce miroir déformant.
Les implications juridiques futures de cette déclaration
La déclaration de Thacker pourrait avoir des répercussions bien au-delà de l’affaire Al-Timimi. En établissant publiquement un parallèle entre le discours de Trump et l’incitation terroriste, elle crée un précédent argumentatif que d’autres juges, avocats, et universitaires pourront citer. Des poursuites civiles contre Trump pour son rôle dans le 6 janvier sont toujours en cours — notamment des actions intentées par des policiers blessés et des membres du Congrès traumatisés. Les avocats de ces plaignants pourraient désormais invoquer les propos de Thacker pour renforcer leurs arguments : si une juge fédérale considère que le discours de Trump «sonne pareil» à celui d’un terroriste condamné, alors il devrait être tenu responsable des conséquences de ses paroles. De plus, cette comparaison pourrait influencer les débats futurs sur la responsabilité pénale des leaders politiques.
Mais il y a aussi un risque. Les conservateurs pourraient utiliser cette déclaration pour alimenter leur narration selon laquelle les juges «de gauche» poursuivent une vendetta politique contre Trump. Déjà, des commentateurs pro-Trump sur les réseaux sociaux ont accusé Thacker de partisanerie, exigeant sa destitution. Trump lui-même pourrait tweeter (ou «Truth» sur son réseau social) une attaque personnelle contre la juge, comme il l’a fait par le passé. Cette escalade pourrait menacer l’indépendance du pouvoir judiciaire, déjà fragilisée par les attaques constantes de Trump contre les magistrats qui osent le contrarier. Mais Thacker semble prête à affronter cette tempête. Son historique montre une juge qui ne recule pas devant les menaces ou les pressions politiques. Et sa question, posée le 24 octobre, restera dans les annales : «Ça sonne pareil, n’est-ce pas ?»
Le silence assourdissant des Républicains
Face à cette comparaison explosive, la réaction du Parti républicain a été… un silence presque total. Aucun leader républicain de premier plan n’a commenté les propos de la juge Thacker. Aucun n’a défendu Trump en affirmant que son discours était fondamentalement différent de celui d’un incitateur terroriste. Ce silence est révélateur. Il suggère que même les plus fervents alliés de Trump savent, au fond, que la comparaison tient la route — et qu’ils préfèrent ignorer le problème plutôt que de le confronter. Après le 6 janvier 2021, certains Républicains avaient brièvement condamné Trump. Le leader de la minorité au Sénat, Mitch McConnell, avait déclaré que Trump était «pratiquement et moralement responsable» de l’assaut. Mais cette fenêtre de lucidité s’est rapidement refermée. Aujourd’hui, le Parti républicain est entièrement sous le contrôle de Trump.
Ce silence complice transforme l’ensemble du parti en coauteur de l’impunité présidentielle. En refusant de reconnaître que Trump a franchi une ligne rouge, les Républicains normalisent l’idée qu’un président peut inciter à la violence sans conséquences. Ils créent un précédent dangereux pour les futures générations : si Trump peut s’en tirer, pourquoi pas le prochain leader autoritaire ? Cette abdication morale rappelle les heures les plus sombres de l’histoire, lorsque des partis politiques entiers se sont ralliés à des dirigeants destructeurs par lâcheté ou opportunisme. La question posée par la juge Thacker devrait forcer chaque élu républicain à se regarder dans le miroir et à se demander : du côté de quelle histoire vais-je me retrouver ? Mais ils ne le feront probablement pas. Parce que le pouvoir, une fois goûté, est une drogue plus puissante que la vérité.
Le silence peut être une forme de violence. Quand on sait qu’une injustice a été commise et qu’on refuse de parler, on devient complice. Les Républicains le savent. Ils ont vu les images du 6 janvier. Ils ont entendu le discours de Trump. Et ils choisissent le silence, parce que dénoncer Trump signifierait perdre le pouvoir. Alors ils se taisent, et la démocratie agonise dans leur mutisme.
La commission du 6 janvier et ses conclusions enterrées
Entre 2021 et 2023, une commission d’enquête bipartisane du Congrès a passé au crible les événements du 6 janvier. Présidée par le représentant démocrate Bennie Thompson et la républicaine Liz Cheney, la commission a interrogé plus de 1 000 témoins, examiné des milliers de documents, et tenu des audiences publiques télévisées. Ses conclusions, publiées en décembre 2022, étaient accablantes : Trump avait orchestré une «conspiration en sept parties» pour renverser l’élection. Il avait menti sur la fraude électorale. Il avait fait pression sur des responsables électoraux dans des États clés. Il avait organisé un plan de faux électeurs. Il avait tenté de forcer Mike Pence à rejeter les votes électoraux. Il avait incité la foule à marcher vers le Capitole. Et surtout, il avait refusé d’intervenir pendant des heures alors que la violence faisait rage, regardant les événements se dérouler à la télévision avec ce qu’un témoin a décrit comme de la satisfaction.
La commission a recommandé que Trump soit poursuivi pour insurrection, obstruction d’une procédure officielle, et conspiration pour frauder les États-Unis. Mais ces recommandations n’avaient aucun poids juridique contraignant. Le ministère de la Justice de Merrick Garland a finalement inculpé Trump en août 2023, mais les poursuites ont traîné en longueur, retardées par des manœuvres juridiques et des appels. Puis Trump a gagné l’élection de 2024, et tout s’est arrêté. Aujourd’hui, le rapport de la commission est un document historique sans conséquence immédiate. Les témoignages — ceux d’anciens collaborateurs de Trump, de membres de sa famille, de responsables républicains — sont enterrés sous une avalanche de propagande et de révisionnisme. Trump a gracié les émeutiers, licencié les procureurs, et effacé toute trace de responsabilité. Mais il ne peut pas effacer les mots de la juge Thacker.
Barack Obama et la défense tardive de la démocratie
Dans ce paysage désolé, une voix s’est récemment élevée avec une force inédite : celle de Barack Obama. L’ancien président, habituellement réservé depuis son départ de la Maison-Blanche, a rompu son silence en août 2025 avec un discours cinglant contre Trump. «Trump a transformé l’Amérique d’un modèle de démocratie en un système autoritaire truqué», a déclaré Obama devant une foule de partisans démocrates. Il a directement accusé Trump d’avoir incité à la violence le 6 janvier, affirmant que les mots d’un président ont un «poids immense» et que, lorsqu’ils alimentent la colère au lieu de favoriser le dialogue, ils encouragent des comportements radicaux. Obama a souligné que la démocratie dépend de la liberté de la presse et du respect des institutions indépendantes — deux piliers que Trump n’a cessé d’attaquer.
Selon des sources citées par Afrimag le 24 octobre 2025, Obama mène désormais des efforts «inédits» en coulisse pour contrer Trump. Il aurait rencontré des leaders démocrates, des donateurs, et même certains Républicains modérés pour construire une coalition de résistance. Mais est-ce trop peu, trop tard ? Trump contrôle désormais tous les leviers du pouvoir fédéral. Il a purgé le ministère de la Justice, nommé des loyalistes à des postes clés, et graciés ses alliés condamnés. L’opposition démocrate est fragmentée et démoralisée. Dans ce contexte, les paroles d’Obama, aussi nobles soient-elles, ressemblent à un cri dans le désert. Pourtant, elles résonnent avec la déclaration de la juge Thacker : tous deux affirment que Trump a franchi une ligne rouge, et que le silence face à cette transgression est inacceptable.
Obama parle enfin. Mais où était-il en 2021, quand Trump incitait à l’insurrection ? Où était-il en 2023, quand les poursuites traînaient en longueur ? Les anciens présidents ont une responsabilité morale de défendre la démocratie, même après leur départ. Obama l’a compris trop tard. Maintenant, il rattrape le temps perdu. Mais le mal est fait.
Les attaques de Trump contre les juges
Trump a toujours eu une relation toxique avec le pouvoir judiciaire. Depuis le début de sa première présidence en 2017, il a attaqué publiquement des dizaines de juges qui ont osé statuer contre lui. Il les qualifie de «partisans», d’«activistes de gauche», de «juges Obama» ou de «juges Clinton», comme si leur nomination déterminait automatiquement leurs décisions. En mars 2025, lorsque le juge James Bosberg a temporairement bloqué l’expulsion de membres présumés du gang vénézuélien Tren de Aragua, Trump l’a attaqué sur Truth Social, le qualifiant de «juge d’extrême gauche fou, fauteur de trouble, tristement nommé par Barack Hussein Obama» — utilisant délibérément le deuxième prénom d’Obama pour jouer sur les préjugés islamophobes. Trump a ajouté que Bosberg, «comme beaucoup de juges corrompus devant lesquels je dois comparaître, devrait être destitué».
Ces attaques ont un effet glacial sur le pouvoir judiciaire. Elles visent à intimider les juges, à saper la confiance du public dans les tribunaux, et à préparer le terrain pour rejeter toute décision défavorable comme politiquement motivée. Mais elles ont aussi provoqué une réponse rare : le juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, habituellement silencieux sur les questions politiques, a publié un communiqué rappelant à Trump que «depuis plus de deux siècles, il est établi que la destitution d’un juge ne peut se faire sur la base de désaccords avec ses décisions». Roberts a souligné l’importance de l’indépendance judiciaire comme pilier de la démocratie. Mais Trump a ignoré cet avertissement, continuant ses attaques. Désormais, avec la déclaration de Thacker, il a une nouvelle cible. On peut s’attendre à ce qu’il la dénonce publiquement dans les jours à venir, amplifiant la pression sur une juge qui ose dire la vérité.
Le parallèle historique avec d’autres régimes autoritaires
Ce qui se passe aux États-Unis n’est pas sans précédent historique. D’autres démocraties ont sombré dans l’autoritarisme en suivant un schéma similaire : un leader charismatique incite à la violence, échappe aux conséquences grâce à son pouvoir politique, puis consolide son contrôle en attaquant les institutions indépendantes. L’historien Timothy Snyder, spécialiste du fascisme européen, a averti dès 2017 que l’Amérique suivait une trajectoire dangereuse. Dans son livre «On Tyranny», il décrit vingt leçons tirées du XXe siècle pour résister à l’autoritarisme. L’une d’elles : «Défendez les institutions». Une autre : «Méfiez-vous des paramilitaires» — un avertissement particulièrement pertinent lorsque Trump a gracié les émeutiers du 6 janvier et a encouragé des groupes comme les Proud Boys et les Oath Keepers.
Le parallèle avec l’Allemagne de Weimar est souvent invoqué, parfois à tort, mais certains éléments résonnent : un leader qui exploite les frustrations populaires, qui dénonce les élites et les institutions, qui incite à la violence tout en prétendant défendre l’ordre. Le putsch de la brasserie en 1923, lorsque Hitler a tenté de renverser le gouvernement bavarois, s’est soldé par un échec et une condamnation à la prison. Mais quelques années plus tard, il était au pouvoir, légitimé par des élections. Trump a échoué le 6 janvier 2021. Mais en 2024, il a été réélu. Et maintenant, il utilise ce mandat pour purger ses adversaires, réécrire l’histoire, et s’assurer que personne ne pourra jamais le tenir responsable. La juge Thacker résiste à cette réécriture. Mais combien d’autres juges, de politiciens, de citoyens ordinaires auront le courage de faire de même ?
L’histoire ne se répète pas, mais elle rime. Les mécanismes de l’autoritarisme sont toujours les mêmes : mentir, intimider, diviser, puis consolider le pouvoir en éliminant toute opposition. Snyder nous a avertis. La juge Thacker nous avertit. Combien d’avertissements faudra-t-il avant qu’on agisse ?
Que peut-on encore faire face à cette dérive ?
La question qui hante l’Amérique aujourd’hui est simple et terrifiante : que peut-on encore faire ? Trump contrôle l’exécutif. Les Républicains contrôlent le Congrès. La Cour suprême, avec sa majorité conservatrice de 6-3, a déjà statué en faveur d’une forme d’immunité présidentielle élargie dans l’affaire Trump c. États-Unis en juillet 2024, rendant encore plus difficile toute poursuite future. Les médias traditionnels sont affaiblis, accusés quotidiennement d’être des «ennemis du peuple». Les réseaux sociaux sont inondés de désinformation pro-Trump. Face à cette concentration de pouvoir, les options semblent limitées. Mais elles existent. Les tribunaux inférieurs, comme celui où siège la juge Thacker, restent des bastions d’indépendance. Des juges courageux peuvent encore, au cas par cas, freiner les abus les plus flagrants. C’est ce que Thacker a fait en avril 2025 dans l’affaire Abrego Garcia, et ce qu’elle a refait le 24 octobre en posant sa question explosive.
Au niveau législatif, des États individuels peuvent adopter des lois pour protéger les droits civils et résister aux surcharges fédérales — une forme de fédéralisme défensif. Des procureurs généraux d’États démocrates ont déjà intenté des dizaines de poursuites contre l’administration Trump pour contester ses politiques. Sur le plan social, des mouvements citoyens peuvent organiser des manifestations, des boycotts, et des campagnes de désobéissance civile. L’histoire montre que même les régimes autoritaires les plus solides peuvent être ébranlés par une résistance populaire déterminée. Mais tout cela nécessite du courage — le courage de parler, de résister, de ne pas se taire face à l’injustice. La juge Thacker a montré ce courage. Barack Obama, tardivement, le montre aussi. Mais ce ne sera pas suffisant. Il faudra des millions de citoyens ordinaires prêts à dire, comme Thacker : «Ça sonne pareil. Et c’est inacceptable.»
Le courage n’est pas l’absence de peur. C’est agir malgré la peur. Thacker sait qu’elle sera attaquée, menacée, peut-être même ciblée par une enquête du ministère de la Justice. Mais elle a parlé quand même. Parce que certaines vérités doivent être dites, peu importe le prix. Nous avons tous ce choix : parler ou nous taire. Résister ou nous soumettre. L’histoire jugera nos décisions.
Conclusion
Le 24 octobre 2025 restera dans l’histoire comme le jour où une juge fédérale a osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas : le discours de Donald Trump lors de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 «sonne pareil» à celui d’un terroriste condamné. Cette comparaison, formulée par Stephanie Thacker dans le cadre d’une affaire de terrorisme, n’est pas une opinion politique — c’est une analyse juridique. Elle établit un parallèle entre les paroles d’un président incitant une foule armée à marcher sur le Congrès et celles d’un érudit musulman encourageant des jeunes hommes à rejoindre les talibans. Les deux discours ont provoqué la violence. Les deux ont franchi la ligne entre la liberté d’expression et l’incitation criminelle. Mais seul l’un des deux orateurs a été condamné. L’autre siège à la Maison-Blanche.
Cette déclaration survient à un moment crucial de l’histoire américaine. Trump, réélu et réinstallé au pouvoir, poursuit une campagne de répression contre ses adversaires politiques sous couvert de lutte contre le «terrorisme de gauche». Il attaque les juges qui osent le contrarier, gracie les émeutiers qui ont saccagé le Capitole, et réécrit l’histoire pour se présenter comme une victime de persécution politique. Pendant ce temps, les institutions démocratiques s’effritent. Le ministère de la Justice est devenu un outil de vengeance personnelle. Le pouvoir judiciaire est sous attaque constante. Les médias sont qualifiés d’ennemis du peuple. Et la vérité elle-même est devenue une marchandise négociable. Face à cette dérive, la voix de la juge Thacker résonne comme un cri d’alarme. Elle rappelle qu’il existe encore des gardiens de la loi, des magistrats prêts à défendre les principes constitutionnels même lorsque cela les met en danger.
Mais une juge seule ne peut pas sauver la démocratie. Il faudra bien plus que cela. Il faudra que d’autres juges suivent son exemple. Que des élus républicains retrouvent leur courage et se dressent contre Trump. Que les citoyens ordinaires refusent d’accepter cette normalisation de la violence politique. Que les médias continuent de rapporter la vérité malgré les menaces. Que la société civile s’organise pour résister aux abus de pouvoir. La comparaison de Thacker entre Trump et un terroriste condamné n’est pas une provocation gratuite — c’est un rappel brutal d’une réalité que trop de gens préfèrent ignorer. Trump a franchi une ligne rouge le 6 janvier 2021. Il a incité à la violence, provoqué une insurrection, tenté de renverser une élection démocratique. Et il s’en est tiré. Non seulement il n’a jamais été condamné, mais il a été récompensé avec un retour triomphal à la présidence.
Cette impunité crée un précédent catastrophique pour l’avenir. Si un président peut inciter à la violence sans conséquences, alors il n’y a plus de limites au pouvoir exécutif. Si les mots d’un leader politique peuvent provoquer une émeute meurtrière sans que ce leader soit tenu responsable, alors la démocratie devient une façade vide. Ali Al-Timimi est en prison pour avoir prononcé des paroles jugées dangereuses lors d’une réunion privée. Donald Trump est à la Maison-Blanche après avoir prononcé des paroles tout aussi dangereuses devant des millions de téléspectateurs. Cette double mesure de justice — sévère pour les faibles, indulgente pour les puissants — est l’antithèse même de l’État de droit. C’est ce que la juge Thacker a voulu souligner. Et c’est pourquoi sa déclaration du 24 octobre 2025 doit être entendue, répétée, et jamais oubliée.
Dans les semaines et les mois à venir, on peut s’attendre à ce que Trump attaque Thacker, comme il a attaqué tous les juges qui ont osé le contrarier. Il la qualifiera de partisane, d’activiste, peut-être même de «traîtresse». Ses partisans la harcèleront sur les réseaux sociaux. Des commentateurs conservateurs exigeront sa destitution. Mais rien de tout cela n’effacera la vérité qu’elle a énoncée : le discours de Trump du 6 janvier sonne pareil à celui d’un terroriste. Cette vérité restera, gravée dans les archives judiciaires, citée par les historiens futurs, rappelée par tous ceux qui refusent d’oublier. Parce que dans une démocratie en péril, la vérité est la seule arme qui nous reste. Et parfois, il suffit d’une juge courageuse pour la brandir.
Quand un juge fédéral compare le discours de Trump du 6 janvier au terrorisme