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L’enquête russe de 2016 : transformer la responsabilité en profit

La première réclamation de Trump, qui représente une partie substantielle des 230 millions réclamés, concerne l’enquête sur les liens entre sa campagne présidentielle de 2016 et le gouvernement russe. Cette investigation monumentale, menée d’abord par le procureur spécial Robert Mueller puis prolongée par d’autres enquêtes fédérales, a duré des années et abouti à l’inculpation de plusieurs membres de l’entourage immédiat de Trump — dont son ancien directeur de campagne Paul Manafort, son conseiller Roger Stone, et son premier conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn. Le rapport Mueller avait identifié de multiples contacts entre la campagne Trump et des représentants russes, documenté des tentatives d’obstruction à la justice par le président lui-même, et conclu que si l’enquête n’établissait pas de « conspiration criminelle » prouvée au-delà de tout doute raisonnable, elle ne pouvait pas non plus exonérer Trump d’obstruction. Pendant toute la durée de cette enquête, Trump l’a dénoncée comme une « chasse aux sorcières » orchestrée par les démocrates pour délégitimer sa victoire électorale de 2016. Maintenant qu’il est revenu au pouvoir avec un contrôle quasi-total sur les institutions fédérales, il a décidé de transformer cette enquête en opportunité financière. Il prétend que le simple fait d’avoir été investigué pour des soupçons d’ingérence étrangère dans une élection présidentielle constitue un préjudice personnel méritant une compensation de plusieurs dizaines de millions de dollars. C’est une inversion complète de la logique juridique et éthique : normalement, si une enquête révèle des comportements problématiques, c’est l’accusé qui devrait assumer les conséquences, pas l’État qui devrait le payer pour avoir osé enquêter.

Mar-a-Lago et les documents classifiés : la perquisition comme « persécution »

La deuxième réclamation, déposée publiquement en 2024 alors que Trump était encore hors du pouvoir, concerne la perquisition du FBI effectuée à sa somptueuse résidence de Mar-a-Lago en Floride le 8 août 2022. Cette opération spectaculaire avait été déclenchée après des mois de négociations infructueuses durant lesquelles Trump avait systématiquement refusé de restituer des dizaines de cartons de documents classifiés qu’il avait emportés avec lui en quittant la Maison-Blanche en janvier 2021. Les agents fédéraux avaient découvert des documents ultra-sensibles relatifs à la sécurité nationale, à des opérations militaires confidentielles, à des renseignements étrangers provenant de sources humaines — certains portant les classifications les plus élevées. L’enquête avait également révélé que Trump avait ordonné à ses employés de déplacer et cacher des cartons pour les soustraire aux enquêteurs, qu’il avait menti aux procureurs fédéraux sur la présence de ces documents, et qu’il avait activement obstrué l’investigation. Pourtant, dans l’univers parallèle trumpien, cette perquisition parfaitement légale et justifiée devient une « persécution malveillante » orchestrée par le procureur spécial Jack Smith et une violation inacceptable de ses droits à la vie privée. Trump ignore commodément le fait qu’il a violé le Espionage Act, une loi fédérale sur la sécurité nationale, et que n’importe quel autre citoyen américain dans sa situation serait probablement en prison. Pour lui, se faire prendre en train de violer la loi constitue en soi une injustice — et il veut être payé généreusement pour cette « souffrance ».

Des réclamations stratégiques devenues machines à cash

Ces deux réclamations administratives avaient été déposées par les avocats de Trump en 2023 et 2024, à une époque où il était encore hors du pouvoir et où il faisait face à de multiples poursuites criminelles dans différentes juridictions. À l’époque, ces demandes de compensation semblaient être des manœuvres juridiques défensives classiques, des tentatives de créer une contre-narration selon laquelle Trump était la véritable victime d’un système judiciaire politisé plutôt que l’auteur de violations graves de la loi. Ses avocats présentaient ces réclamations comme des outils de relations publiques, des moyens de mobiliser sa base électorale autour du thème de la « persécution politique ». Mais avec son retour triomphal à la Maison-Blanche en janvier 2025 et son contrôle désormais absolu sur le pouvoir exécutif, ces réclamations ont pris une dimension complètement différente. Ce qui était une stratégie de défense symbolique est devenu un instrument réel d’enrichissement personnel aux frais du contribuable. Trump a compris qu’il pouvait transformer son pouvoir présidentiel en machine à cash, utilisant sa position pour forcer le gouvernement qu’il dirige à lui verser des sommes astronomiques. C’est du self-dealing élevé au rang d’art politique, une corruption si flagrante qu’elle en devient presque surréaliste. Et le plus terrifiant, c’est qu’il pourrait réussir — parce qu’il contrôle les personnes qui prennent la décision, parce qu’il a systématiquement neutralisé tous les garde-fous institutionnels qui auraient dû empêcher précisément ce genre d’abus.

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