Le déploiement naval massif dans les Caraïbes
La transformation d’une opération antidrogue en préparatifs de guerre s’est déroulée avec une rapidité déconcertante. Dès la mi-août 2025, la Marine américaine a commencé à déployer des navires de guerre dans les Caraïbes — officiellement pour intercepter le trafic de drogue, mais avec une puissance de feu dépassant largement ce qu’exigerait cette mission. Le 2 septembre, Trump annonçait la première frappe aérienne contre une embarcation au large du Venezuela, tuant les onze personnes à bord. Ce n’était que le début. À ce jour, au moins dix frappes ont été effectuées — huit dans les Caraïbes, deux dans le Pacifique — faisant au minimum 43 morts selon le décompte officiel, peut-être davantage selon certaines sources.
Mais c’est l’arrivée de l’USS Gerald R. Ford qui marque le point de non-retour symbolique. Ce mastodonte de 100 000 tonnes, fleuron de la flotte américaine, arrive accompagné de cinq destroyers, d’un croiseur et d’un sous-marin. Il transporte environ 75 chasseurs et hélicoptères de combat et un équipage de 4 500 personnes. Ce n’est pas un dispositif d’interdiction du trafic de drogue — c’est une force d’invasion, capable de mener des frappes aériennes massives et de soutenir des opérations terrestres à grande échelle. Les analystes du Center for Strategic and International Studies estiment qu’une invasion complète du Venezuela nécessiterait près de 50 000 soldats américains. Le déploiement actuel place déjà environ 10 000 militaires américains dans la région, beaucoup stationnés à Porto Rico et sur des navires de guerre. L’infrastructure est en place. Il ne manque plus que l’ordre d’attaque.
Les frappes « antinarcotics » : exécutions extrajudiciaires en haute mer
Chaque frappe suit le même scénario terrifiant dans sa banalité bureaucratique. Une embarcation est repérée au large des côtes vénézuéliennes ou dans le Pacifique. Aucune tentative d’interception. Aucune sommation. Aucun arraisonnement. Juste un missile qui frappe, et tous ceux à bord meurent instantanément. Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth annonce ensuite la « neutralisation de narcoterroristes » avec des formules standardisées sur les « quantités importantes de stupéfiants » empêchées d’atteindre les États-Unis. Mais aucun nom n’est donné. Aucune preuve des crimes présumés n’est présentée. On ne sait même pas si ces personnes étaient armées, si elles étaient vraiment des trafiquants, ou si parmi elles se trouvaient de simples pêcheurs colombiens au mauvais endroit au mauvais moment.
Le sénateur républicain Rand Paul a osé nommer cette réalité par son véritable nom sur Fox News Sunday : « Ce sont des exécutions extrajudiciaires. C’est semblable à ce que font la Chine et l’Iran avec les trafiquants de drogue. Ils exécutent sommairement des gens sans présenter de preuves au public. Donc c’est mal. » Cette comparaison avec la Chine et l’Iran — pays régulièrement dénoncés par Washington pour leurs violations des droits humains — constitue une accusation dévastatrice venant d’un membre du propre parti de Trump. Paul insiste sur la distinction fondamentale que l’administration efface délibérément : la guerre contre la drogue a toujours été menée par des moyens d’application de la loi, où les suspects sont arrêtés et jugés. En transformant cela en conflit armé, Trump s’octroie le pouvoir de tuer sans procès, sans preuves, sans supervision judiciaire — une transgression constitutionnelle majeure déguisée en politique de sécurité nationale.
L’autorisation de la CIA pour des opérations létales
Le 15 octobre 2025, le New York Times a révélé que Trump avait autorisé la CIA à mener des opérations secrètes au Venezuela, y compris des missions « létales ». Trump lui-même a confirmé cette information lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, dans des termes d’une franchise brutale : « Premièrement, ils ont relâché leurs prisonniers aux États-Unis. Deuxièmement, il y a la drogue. Une quantité significative de drogue arrive du Venezuela, beaucoup par mer, mais nous allons aussi les intercepter par terre. » Lorsqu’on lui a demandé directement si la CIA avait l’autorisation d’éliminer Maduro, Trump a refusé de nier : « Je ne veux pas répondre à une question comme ça… Ce serait ridicule pour moi de répondre. Mais je pense que le Venezuela ressent la pression. »
Cette autorisation de la CIA marque une escalade qualitative majeure. Les frappes navales pouvaient encore être présentées comme des opérations militaires contre des trafiquants en eaux internationales. Des opérations secrètes sur le territoire vénézuélien constituent des actes de guerre contre un État souverain. Historiquement, de telles autorisations ont mené à des assassinats ciblés, des sabotages d’infrastructures, et des soutiens à des groupes d’opposition armés — la boîte à outils classique du changement de régime orchestré par Langley. Maduro a réagi avec fureur, dénonçant les « coups d’État menés par la CIA » et invoquant la mémoire douloureuse du coup contre Salvador Allende au Chili en 1973 et des « disparus » de la dictature militaire argentine. « Combien de temps la CIA va-t-elle continuer ses coups d’État ? L’Amérique latine ne les veut pas, n’en a pas besoin et les répudie », a-t-il déclaré sur la télévision nationale vénézuélienne.
Le projet idéologique de Marco Rubio
Le secrétaire d’État qui cumule les pouvoirs
Derrière cette escalade militaire se trouve un homme : Marco Rubio, secrétaire d’État américain qui cumule également les fonctions de conseiller à la sécurité nationale — un double titre que seul Henry Kissinger avait porté auparavant. Alejandro Velasco identifie Rubio comme le véritable architecte de cette politique : « C’est principalement le projet idéologique de Marco Rubio. » Cubano-américain né à Miami, Rubio nourrit depuis des décennies une obsession pour le renversement des gouvernements de gauche en Amérique latine, en particulier Cuba. Mais il sait qu’il ne peut pas vendre à Trump une intervention fondée sur l’idéologie anti-communiste. Il a donc trouvé un angle différent : la drogue.
En liant le Venezuela au trafic de fentanyl qui ravage effectivement les États-Unis, Rubio transforme un objectif idéologique en impératif de sécurité nationale. Peu importe que les données de la Drug Enforcement Administration montrent que le Venezuela n’est pas une source majeure de fentanyl aux États-Unis — la vaste majorité transitant par le Mexique. Peu importe que les experts en narcotrafic soient sceptiques quant à l’efficacité de bombarder des bateaux pour réduire le flux de drogue. Ce qui compte, c’est la construction narrative qui permet de justifier une campagne militaire autrement indéfendable. Velasco explique : « Il sait qu’il ne peut pas vendre Trump sur l’idéologie. Il ne peut pas vendre Trump sur l’idée qu’on va engager des troupes, qu’on va faire une invasion terrestre, juste pour renverser un communiste. Alors il doit trouver d’autres moyens de le faire. Et il l’a trouvé à travers la drogue. »
Venezuela comme tremplin vers Cuba
Mais le Venezuela n’est pas l’objectif final de Rubio — c’est un tremplin stratégique. Velasco révèle la logique profonde : « Tout ce qu’il veut faire, c’est renverser le gouvernement au Venezuela pour ensuite renverser le gouvernement à Cuba. Il a besoin de renverser le gouvernement au Venezuela pour montrer à Trump que c’est quelque chose qu’on peut faire, et qu’on peut le faire si facilement. Et par conséquent, il n’y a rien que Cuba puisse nous fournir. Le Venezuela peut nous fournir du pétrole ; Cuba ne peut rien nous fournir. Mais c’est bon, parce qu’on a ça sous contrôle. » Cette stratégie révèle une cynisme géopolitique stupéfiant : utiliser la souffrance des Américains victimes du fentanyl comme justification pour renverser un gouvernement étranger, non pas pour régler le problème de la drogue, mais comme première étape d’un projet idéologique plus vaste visant Cuba.
Trump lui-même semble relativement indifférent aux nuances idéologiques. Selon des sources citées par The Guardian, le président ne se soucie vraiment que du pétrole vénézuélien. Le Venezuela possède les plus grandes réserves pétrolières prouvées au monde — plus que l’Arabie saoudite. Bien que la production ait chuté dramatiquement sous Maduro en raison de la corruption, de la mauvaise gestion et des sanctions américaines, ces ressources représentent une tentation irrésistible pour un président obsédé par les transactions économiques. María Corina Machado, figure de l’opposition vénézuélienne qui vient de remporter le prix Nobel de la paix, a explicitement déclaré que l’opposition serait prête à fournir le pétrole aux États-Unis après le renversement de Maduro. Cette convergence d’intérêts — idéologie anticommuniste de Rubio, appétit pétrolier de Trump, ambitions de pouvoir de l’opposition — crée une coalition improbable mais puissante poussant vers la guerre.
La prime de 50 millions de dollars sur la tête de Maduro
Pour souligner la détermination américaine, le Département de la Justice a doublé en août 2025 la récompense offerte pour des informations menant à l’arrestation de Maduro, la portant à 50 millions de dollars. Cette somme astronomique — la plus élevée jamais offerte pour un chef d’État en exercice — transforme effectivement le président vénézuélien en fugitif international avec une cible géante sur le dos. C’est une invitation ouverte aux conspirateurs, aux mercenaires, et aux membres de l’entourage de Maduro tentés par la trahison. L’administration Trump a également désigné le Tren de Aragua, un gang criminel vénézuélien, et le Cartel de los Soles, prétendument lié au gouvernement, comme organisations terroristes étrangères.
Ces désignations légales ne sont pas anodines — elles constituent le fondement juridique de toute la campagne. En étiquetant ces groupes comme terroristes et en affirmant que Maduro les dirige, l’administration crée une boucle légale circulaire : nous pouvons les attaquer parce qu’ils sont terroristes, et nous savons qu’ils sont terroristes parce que nous les avons désignés comme tels. Cette ingénierie juridique permet de contourner les contraintes du droit pénal — où les suspects ont des droits et doivent être jugés — et d’appliquer les règles de la guerre où les ennemis peuvent être tués sans procès. C’est la même logique qui a permis deux décennies de guerre contre le terrorisme après le 11 septembre, exportée maintenant vers l’Amérique latine avec des conséquences potentiellement dévastatrices.
La fabrication d'un cadre juridique pour la guerre
La déclaration unilatérale de « conflit armé »
L’administration Trump a construit un échafaudage juridique sophistiqué pour justifier l’usage de la force militaire sans autorisation du Congrès. En octobre 2025, la Maison-Blanche a formellement notifié le Congrès que les États-Unis sont engagés dans un « conflit armé non international » avec certains cartels désignés comme terroristes. Cette déclaration constitue une étape légale cruciale qui transforme la nature de l’action américaine. Elle déplace les opérations du domaine de l’application de la loi — où les suspects ont des droits constitutionnels — vers le domaine de la guerre — où les règles d’engagement permettent de tuer sans avertissement.
Sous ce nouveau cadre, l’administration a étiqueté les trafiquants présumés comme « combattants illégaux ». Cette classification, utilisée extensivement pendant la guerre contre le terrorisme pour justifier la détention à Guantanamo et les frappes de drones, permet au gouvernement de contourner les protections du droit pénal et d’appliquer les lois de la guerre. Trump a défendu cette stratégie avec sa franchise habituelle : « Ils ont des bateaux plus rapides… mais ils ne sont pas plus rapides que les missiles. » Cette phrase capture parfaitement la logique : pourquoi s’embêter avec des interceptions difficiles et des procédures juridiques compliquées quand on peut simplement détruire les cibles depuis les airs ?
L’opinion juridique classifiée du Département de la Justice
Toute cette architecture légale repose prétendument sur une opinion juridique classifiée du Bureau du conseiller juridique du Département de la Justice. Ce document, que l’administration refuse de divulguer même au Congrès, autoriserait ces exécutions extrajudiciaires contre une liste expansive et secrète de cartels et trafiquants présumés. C’est un précédent terrifiant : un mémorandum secret qui donne au président le pouvoir de vie ou de mort sur des individus non identifiés publiquement, sans supervision judiciaire, sans débat public, sans possibilité pour les citoyens de juger si ces actions sont légales ou morales.
Les sénateurs des deux partis ont exprimé leur frustration face à ce trou noir d’information. La sénatrice Jeanne Shaheen a critiqué l’administration pour faire glisser les États-Unis « plus près d’un conflit ouvert sans transparence, supervision ou garde-fous apparents ». Le sénateur Tim Kaine a décrit le manque d’information comme un « trou noir ». Mais l’administration reste inflexible : les détails de l’opinion juridique, les critères pour cibler quelqu’un, la liste des organisations visées — tout reste classifié. Cette opacité n’est pas accidentelle. Elle permet à l’exécutif d’agir sans contraintes, sans avoir à justifier publiquement ses décisions, et sans risquer qu’un tribunal invalide son interprétation créative de l’autorité présidentielle.
Le contournement du pouvoir de guerre du Congrès
La Constitution américaine confère au Congrès le pouvoir exclusif de déclarer la guerre — une contrainte que l’administration est déterminée à contourner. En s’appuyant sur les précédents de la guerre contre le terrorisme qui ont élargi le pouvoir exécutif contre les acteurs non étatiques, Trump réétiquette des groupes criminels comme organisations terroristes et déclare unilatéralement un « conflit armé » avec eux. En affirmant ensuite que le chef d’un État souverain dirige ces groupes, l’administration étend ce conflit déclaré à un autre pays. C’est un raisonnement circulaire qui crée une boucle de rétroaction juridique : l’exécutif désigne un ennemi, déclare une guerre contre lui, puis utilise cette guerre déclarée pour justifier des actions militaires, le tout sans vote du Congrès.
Ce contournement constitutionnel pose un défi profond à la séparation des pouvoirs. Les Pères fondateurs ont délibérément placé le pouvoir de déclarer la guerre au Congrès précisément pour empêcher qu’un président ne puisse unilatéralement engager la nation dans un conflit. Ils avaient vu les monarques européens lancer des guerres pour des raisons personnelles ou dynastiques, et voulaient s’assurer que les guerres américaines seraient le résultat d’un débat démocratique représentant la volonté du peuple. En court-circuitant ce processus par des désignations légales et des interprétations créatives de l’autorité présidentielle, Trump mine l’un des équilibres fondamentaux de la Constitution américaine.
L'opposition républicaine émergente
Rand Paul : la voix libertarienne de la conscience constitutionnelle
Si une opposition républicaine significative émerge contre la campagne vénézuélienne de Trump, elle sera probablement menée par Rand Paul. Le sénateur du Kentucky, libertarien intransigeant et opposant de longue date aux interventions militaires américaines, a été le plus virulent dans ses critiques. « La Constitution dit que quand on va en guerre, le Congrès doit voter. » Cette position pourrait sembler évidente, mais dans le climat politique actuel où la loyauté à Trump prime souvent sur les principes constitutionnels, elle constitue un acte de dissidence courageux. Paul n’hésite pas à nommer les choses par leur nom : « exécutions extrajudiciaires », comparaison avec la Chine et l’Iran, violation flagrante de la Constitution.
En 2013, Paul avait mené un filibuster historique de 13 heures contre la nomination de John Brennan comme directeur de la CIA sous Obama, exigeant la promesse que l’administration n’autoriserait jamais de frappes de drones contre des citoyens américains sur le sol américain sans procédure légale. Il applique maintenant cette même rigueur à la campagne de Trump, insistant que même les trafiquants de drogue présumés ont droit à un procès, que les États-Unis ne peuvent pas simplement tuer des gens en eaux internationales sans présenter de preuves. Pour Paul, ce n’est pas une question partisane — c’est une question de principes constitutionnels fondamentaux qui transcendent les affiliations politiques.
Lisa Murkowski et les préoccupations institutionnelles
Lisa Murkowski, sénatrice de l’Alaska, représente une forme différente d’opposition républicaine — plus institutionnelle, moins idéologique, mais néanmoins significative. Elle a voté avec Paul contre la poursuite de la campagne de bombardement sans autorisation du Congrès lors du vote d’octobre — les deux seuls républicains à le faire. Mais son opposition est formulée en termes de séparation des pouvoirs plutôt que de critique morale directe. « Bien que je salue les efforts concertés de l’administration pour aborder la dévastation du trafic de drogue sur les communautés à travers le pays, je ne crois pas que les informations que j’ai reçues justifient cette interprétation des pouvoirs de l’Article II du président. »
Cette formulation soigneusement calibrée révèle le dilemme des républicains modérés : comment critiquer Trump sans paraître faibles sur le crime ou indifférents au fléau du fentanyl ? Murkowski trouve l’équilibre en louant l’objectif tout en contestant les moyens. « Je prends très au sérieux ma responsabilité selon l’Article I quand il s’agit du pouvoir du Congrès de déclarer la guerre. » Cette insistance sur les procédures constitutionnelles, même quand elle s’accompagne d’une approbation de l’objectif déclaré, constitue néanmoins une limite tracée que l’administration ne peut ignorer complètement.
Les critiques plus timides mais croissantes
Au-delà de Paul et Murkowski, une constellation de sénateurs républicains commence à exprimer des réserves — prudemment, en termes mesurés, mais néanmoins significativement. Mike Rounds appelle à un « examen plus approfondi ». Thom Tillis insiste : « Je pense que nous devons être très prudents quand on parle d’ordonner une frappe cinétique. » Susan Collins soulève des questions sur la légalité. James Lankford formule peut-être la reconnaissance la plus révélatrice : « Si cela se passait avec ce niveau de transparence sous l’administration Biden, je serais apoplectique. » Cette admission qu’il applique un double standard selon l’identité du président constitue un rare moment d’honnêteté politique — troublant dans ce qu’il révèle sur la corruption du jugement moral par la loyauté tribale, mais encourageant dans sa reconnaissance explicite du problème.
Ces voix restent minoritaires et prudentes. Aucune n’a appelé à l’impeachment ou à des mesures drastiques. Mais leur simple existence — des républicains critiquant publiquement leur propre président sur une question de sécurité nationale — signale que Trump pourrait avoir poussé trop loin, franchi une ligne que même certains de ses alliés ne peuvent ignorer. La question est de savoir si cette dissidence embryonnaire grandira suffisamment pour contraindre l’administration à reculer, ou si elle restera marginale et impuissante face à une majorité républicaine loyale et à un président déterminé à poursuivre son escalade militaire.
Le vote du Sénat et la bataille des pouvoirs de guerre
La résolution démocrate rejetée 51-48
Le 8 octobre 2025, le Sénat américain a tenu un vote crucial sur une résolution proposée par les démocrates Adam Schiff et Tim Kaine invoquant la Loi sur les pouvoirs de guerre de 1973. Cette résolution visait à bloquer la capacité de Trump d’utiliser la force militaire contre des bateaux dans les Caraïbes sans autorisation du Congrès. Le résultat : 51 voix contre, 48 pour — un vote presque parfaitement aligné sur les lignes partisanes. Seuls Paul et Murkowski ont voté avec les démocrates. Tous les autres républicains ont choisi la loyauté à Trump plutôt que le principe constitutionnel, révélant l’étendue de son emprise sur le parti.
Schiff avait averti avant le vote du « risque d’escalade », soulignant que la résolution permettrait également de « répondre aux menaces de l’administration Trump lorsqu’elle affirme pouvoir aller au-delà de faire exploser des bateaux pour attaquer des cibles sur le sol du Venezuela ou ailleurs ». Cette prévoyance s’est révélée prophétique : quelques semaines plus tard, Trump confirmait publiquement avoir autorisé des opérations secrètes de la CIA au Venezuela et mentionnait explicitement que l’administration envisageait maintenant des frappes terrestres. « Nous regardons certainement la terre maintenant parce que nous avons la mer très bien sous contrôle », a-t-il déclaré avec cette désinvolture caractéristique qui transforme des décisions de vie ou de mort en simples ajustements tactiques.
La nouvelle résolution bipartisane d’octobre
Face au rejet de la première tentative et à l’escalade continue, une nouvelle résolution a été réintroduite en octobre — cette fois comme effort explicitement bipartisan. Paul, Schiff et Kaine ont uni leurs forces pour proposer une mesure qui interdirait les attaques « dans ou contre » le Venezuela sans autorisation explicite du Congrès. Cette évolution vers un soutien bipartisan est significative : elle indique que la préoccupation concernant l’expansion de l’autorité exécutive traverse maintenant les lignes partisanes. Le fait que des sénateurs républicains soient prêts à cosigner une résolution avec des démocrates pour limiter les pouvoirs de guerre de leur propre président constitue un développement remarquable dans le climat politique actuel.
Mais il reste à voir si cette résolution bipartisane obtiendra les votes nécessaires pour passer. Elle nécessite le soutien d’au moins quelques républicains supplémentaires au-delà de Paul et Murkowski pour surmonter une majorité républicaine au Sénat. Et même si elle passe, Trump pourrait opposer son veto, nécessitant alors une majorité des deux tiers pour le surmonter — un seuil extrêmement difficile à atteindre. La Loi sur les pouvoirs de guerre de 1973, adoptée après Vietnam pour empêcher précisément ce type de situation, a toujours été contestée et ambiguë dans son application. Les présidents de tous bords l’ont historiquement ignorée ou contournée, affirmant que leurs pouvoirs constitutionnels comme commandant en chef leur donnent l’autorité de déployer des forces militaires pour protéger les intérêts nationaux.
Trump : « Nous allons juste les tuer »
La position de Trump sur la nécessité d’une autorisation du Congrès est d’une clarté brutale. Lorsqu’on lui a demandé s’il prévoyait de solliciter une déclaration de guerre pour des frappes terrestres au Venezuela, il a répondu : « Je ne pense pas que nous allons nécessairement demander une déclaration de guerre. Je pense que nous allons juste tuer les gens qui apportent de la drogue dans notre pays. OK ? Nous allons les tuer. Vous savez ? Ils vont être, genre, morts. OK. » Cette formulation — « genre, morts » — combine désinvolture et menace létale d’une manière qui capture parfaitement l’approche trumpienne : simplifier des questions complexes de droit constitutionnel et international en déclarations de bon sens apparent.
Pour Trump, la logique est simple et viscérale : ces gens tuent des Américains avec leur drogue, donc ils méritent d’être tués, point final. Pas besoin de débats parlementaires interminables, pas besoin d’avocats débattant de subtilités juridiques, pas besoin de procédures qui ralentissent l’action décisive. Cette philosophie de justice sommaire résonne avec une partie significative de l’électorat républicain qui perçoit les institutions démocratiques comme des obstacles bureaucratiques plutôt que comme des protections essentielles. Mais elle horrifie ceux qui comprennent que les contraintes constitutionnelles sur le pouvoir exécutif ne sont pas des irritants procéduraux — ce sont les garde-fous qui empêchent la démocratie de glisser vers l’autocratie.
La réponse de Maduro : défiance et mobilisation
La rhétorique anti-impérialiste et l’appel à la paix
Face à la pression militaire américaine, Nicolás Maduro a déployé une stratégie narrative sophistiquée combinant défiance nationaliste et appels à la paix. Il dénonce constamment les « coups d’État menés par la CIA » et « l’impérialisme yankee », invoquant explicitement la mémoire de l’intervention américaine au Chili en 1973 qui a renversé Salvador Allende. Cette rhétorique résonne profondément à travers l’Amérique latine, où l’histoire des interventions américaines reste une plaie ouverte dans la conscience collective régionale. Maduro se positionne comme un défenseur de la souveraineté nationale contre l’agression impérialiste, un cadrage qui lui permet de rallier même ceux qui ne soutiennent pas son gouvernement autoritaire.
Simultanément, Maduro multiplie les appels à la paix, souvent en basculant vers l’anglais pour délivrer directement son message : « Not war, yes peace » (Pas la guerre, oui la paix). Dans une allocution télévisée nationale, il a déclaré : « Et le peuple des États-Unis sait qu’ils inventent une nouvelle guerre éternelle. Ils ont promis qu’ils n’entreraient jamais en guerre, et ils inventent une guerre que nous éviterons. Comment ? Avec la mobilisation des peuples d’Amérique du Sud, alors que l’Amérique du Sud et les Caraïbes disent toutes non à la guerre, oui à la paix, oui à la prospérité, oui à l’harmonie et au vivre ensemble. » Cette combinaison de défiance et d’appels à la paix est stratégiquement habile : elle le fait paraître simultanément comme un leader fort défendant son pays et comme un acteur raisonnable cherchant à éviter un conflit imposé par l’agression américaine.
La mobilisation militaire et les milices
Pour appuyer sa rhétorique, Maduro a lancé une mobilisation militaire massive. En réponse au déploiement naval américain, le Venezuela a lancé ses propres exercices de défense, mobilisant les forces armées et, selon les affirmations gouvernementales, des millions de membres de la milice civile bolivarienne. Ces manœuvres sont conçues pour projeter une image d’une nation prête et déterminée à se défendre, servant à la fois de dissuasion contre une attaque potentielle et de démonstration de force domestique pour rallier le soutien national. Les Forces nationales bolivariennes comptent environ 123 000 militaires actifs, mais le gouvernement affirme pouvoir mobiliser jusqu’à 1,6 million de miliciens.
Fin septembre 2025, Maduro a signé un décret d’état d’urgence accordant à la présidence des pouvoirs de sécurité élargis en cas d’agression externe. Bien que les détails restent confidentiels, de telles mesures permettent typiquement au gouvernement de suspendre certaines libertés civiles, de procéder à des arrestations sans mandat, et de réprimer la dissidence interne sous prétexte de protéger la sécurité nationale. Cette manœuvre illustre comment Maduro utilise la menace externe des États-Unis pour justifier le renforcement de son emprise autoritaire à l’intérieur. Les analystes soulignent que la campagne de « pression maximale » américaine peut avoir l’effet paradoxal de renforcer Maduro en lui fournissant le parfait ennemi externe pour rallier le sentiment nationaliste et justifier la répression.
La contre-offensive diplomatique internationale
Sur la scène internationale, le Venezuela a lancé une contre-offensive diplomatique visant à présenter les États-Unis comme l’agresseur. En octobre, le gouvernement vénézuélien a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, avertissant d’une « agression imminente » et accusant les États-Unis d’utiliser leur mission antidrogue comme prétexte pour un « changement de régime ». Cette réunion s’est transformée en confrontation tendue où le représentant américain a défendu les frappes comme acte de légitime défense contre les « narcoterroristes », tandis que les ambassadeurs russe et chinois ont vigoureusement dénoncé ce qu’ils ont appelé une campagne de pression politique et militaire visant à renverser un gouvernement.
Le Venezuela a également renforcé ses liens avec ses alliés internationaux. La Russie et la Chine ont fourni un soutien diplomatique crucial à l’ONU et pourraient potentiellement fournir un soutien matériel — armes, munitions, systèmes de défense aérienne — si le conflit s’intensifie. Régionalement, le Venezuela s’appuie sur l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA-TCP), un bloc de gouvernements de gauche incluant Cuba, la Bolivie et le Nicaragua, qui a émis une déclaration forte dénonçant la « politique impérialiste » américaine. Cette mobilisation diplomatique vise à isoler les États-Unis et à présenter Maduro comme la victime d’une agression impérialiste plutôt que comme un dictateur corrompu méritant d’être renversé.
L'opposition publique américaine et internationale
Les sondages : une majorité d’Américains opposés à l’intervention
La campagne militaire de Trump contre le Venezuela se heurte à une opposition publique claire et massive aux États-Unis. Un sondage complet YouGov mené en septembre 2025 révèle que 62% des Américains s’opposent à une invasion du Venezuela, avec seulement 16% en faveur. Cette opposition transcende les clivages partisans : 74% des démocrates, 63% des indépendants, et même 48% des républicains sont contre une invasion. De même, une majorité d’Américains (53%) s’oppose à l’usage de la force militaire spécifiquement pour renverser Maduro, tandis que seulement 18% soutiendraient une telle action. Même l’idée de fournir un soutien militaire à un hypothétique soulèvement vénézuélien divise le public, avec plus d’Américains opposés (39%) que favorables (32%).
Ce manque d’appétit public pour l’intervention est même évident dans la communauté la plus directement affectée par la crise. Un sondage des électeurs du comté de Miami-Dade en Floride — qui abrite la plus grande communauté vénézuélo-américaine aux États-Unis — a révélé qu’une pluralité de résidents (42% contre 35%) s’oppose à l’utilisation de l’armée américaine pour renverser Maduro. Cette constatation mine tout argument politique potentiel selon lequel une intervention serait accueillie favorablement par la diaspora vénézuélienne. Le message est clair : les Américains ne veulent pas d’une nouvelle guerre, surtout une guerre non autorisée par le Congrès, dans un pays qui ne menace pas directement la sécurité nationale américaine.
Les réactions latino-américaines : rejet quasi-unanime
La réaction à travers l’Amérique latine a été de l’alarme généralisée et du rejet quasi-unanime de l’approche militaire américaine. Le président colombien Gustavo Petro, dont le pays a été un partenaire clé des États-Unis, a averti : « Honnêtement, je ne suis pas très fan des politiques poursuivies par le gouvernement actuel du Venezuela… mais je sais ce qui peut arriver en Colombie… si les missiles commencent à tomber là-bas. » Cette déclaration capture l’inquiétude régionale : même ceux qui s’opposent à Maduro craignent les répercussions déstabilisantes d’une intervention militaire américaine. Petro a également accusé les États-Unis de commettre un meurtre en tuant un pêcheur colombien dans l’une des frappes sur les bateaux — une accusation qui a conduit Trump à le qualifier de « lunatique » et de « leader de la drogue illégale ».
Le Brésil, sous le président Lula da Silva, a également exprimé une opposition ferme. Un haut conseiller en politique étrangère a averti du « risque d’escalade » et réitéré que « le principe de non-intervention est fondamental ». Cette position reflète une opposition régionale profondément ancrée à l’intervention militaire américaine, indépendamment des opinions politiques sur le régime de Maduro. Les blocs régionaux se sont également prononcés. L’alliance ALBA-TCP a émis une déclaration forte condamnant la « politique impérialiste de harcèlement et de déstabilisation » américaine. La Communauté des Caraïbes (CARICOM) a été plus divisée, avec Trinité-et-Tobago exprimant un soutien aux opérations américaines, tandis que d’autres nations caribéennes ont invoqué la déclaration de longue date de la région comme « zone de paix » et résisté aux pressions américaines pour accueillir des actifs militaires.
Les voix d’experts et d’organisations pacifistes
Des experts en politique étrangère, des universitaires spécialisés en Amérique latine, et des organisations pacifistes ont multiplié les avertissements contre l’escalade militaire. Le Friends Committee on National Legislation, organisation quaker de défense de la paix, a publié un appel urgent : « Le Congrès doit agir pour arrêter les meurtres illégaux de Trump et pour prévenir une guerre inutile et dévastatrice avec le Venezuela. » Ces organisations soulignent que les États-Unis ont une longue et douloureuse histoire d’interventions militaires en Amérique latine — Panama, Grenade, République dominicaine, Nicaragua, soutien à des coups d’État au Chili et en Argentine — qui ont invariablement laissé des cicatrices profondes et des conséquences imprévues durables.
Les analystes du Center for Strategic and International Studies et du Stimson Center ont publié des évaluations détaillées des risques stratégiques, diplomatiques et économiques d’une intervention. Ils avertissent qu’une invasion nécessiterait près de 50 000 soldats américains, ferait face à une résistance non seulement de l’armée vénézuélienne mais potentiellement de 1,6 million de miliciens, et pourrait dégénérer en un conflit de guérilla prolongé. Les coûts économiques incluraient une hausse de 10-20% des prix du pétrole mondiaux, des coûts militaires astronomiques, et la responsabilité de reconstruire un État en faillite. Le tout accompagné d’un exode massif de réfugiés qui déstabiliserait toute la région pour une génération. Ces avertissements d’experts sont largement ignorés par une administration qui privilégie l’action spectaculaire sur l’analyse stratégique pondérée.
Conclusion
Ce qui se joue dans les Caraïbes en cet automne 2025 dépasse largement une simple opération antidrogue ou même un conflit bilatéral entre deux nations. C’est un test décisif pour la démocratie constitutionnelle américaine, pour le droit international, et pour la capacité des institutions démocratiques à contraindre un pouvoir exécutif déterminé à agir unilatéralement. Donald Trump a systématiquement démantelé toutes les contraintes légales, constitutionnelles et diplomatiques qui étaient censées empêcher précisément ce type d’escalade militaire non autorisée. Il a reclassifié un problème criminel en conflit armé pour contourner les protections du droit pénal. Il a déclaré unilatéralement une « guerre » sans consultation du Congrès. Il a autorisé des exécutions extrajudiciaires en haute mer qui ont fait 43 morts sans noms, sans preuves publiques de leurs crimes, sans procès. Et maintenant, il autorise la CIA à mener des opérations secrètes potentiellement létales sur le territoire d’un État souverain.
Le professeur Alejandro Velasco l’a formulé avec une précision dévastatrice : Trump et son administration « se départissent de toute loi, de toute règle », démontrant non seulement envers le Venezuela mais aussi domestiquement qu’ils sont « au-dessus de la loi » et « ne se soucient pas de la loi ». Cette transgression systématique des normes constitutionnelles et internationales n’est pas un accident ou une série d’erreurs — c’est une stratégie délibérée orchestrée principalement par Marco Rubio pour accomplir un objectif idéologique qu’il poursuit depuis des décennies : le renversement des gouvernements de gauche en Amérique latine, en commençant par le Venezuela comme tremplin vers Cuba. Le prétexte du fentanyl, aussi émotionnellement puissant soit-il, sert à habiller en impératif de sécurité nationale ce qui est essentiellement un projet de changement de régime motivé par l’idéologie et l’appétit pour le pétrole vénézuélien.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes avec une clarté brutale : 62% des Américains s’opposent à une invasion, incluant 48% des républicains. Les voix d’opposition émergent même au sein du propre parti de Trump — Rand Paul, Lisa Murkowski, et une constellation croissante de sénateurs républicains exprimant des réserves constitutionnelles. Toute l’Amérique latine rejette quasi-unanimement cette approche militaire, même les gouvernements qui détestent Maduro. Les experts en politique étrangère avertissent d’un bourbier potentiel nécessitant 50 000 soldats pour envahir et d’un coût économique et humain astronomique. Mais ces voix — publiques, expertes, alliées, même partisanes — sont systématiquement ignorées par une administration convaincue de sa propre infaillibilité et déterminée à agir selon sa propre logique implacable.
L’USS Gerald R. Ford mouille maintenant dans les Caraïbes avec sa puissance de feu écrasante. Les bombardiers B-52 patrouillent au large du Venezuela. La CIA a l’autorisation d’opérer secrètement sur le territoire vénézuélien. Les frappes terrestres sont ouvertement envisagées. Tous les éléments d’une invasion sont en place — il ne manque plus que l’ordre final. Et si cet ordre vient, les États-Unis se retrouveront plongés dans une guerre que personne n’a votée, que la majorité rejette, qui viole la Constitution et le droit international, et dont les conséquences — régionales, diplomatiques, humanitaires, économiques — hanteront l’Amérique pendant des décennies. L’histoire jugera ce moment non pas sur les intentions déclarées de lutter contre la drogue, mais sur la réalité brutale d’un président qui s’est départi de toute loi, de toute règle, de toute contrainte démocratique, pour mener une guerre personnelle dont le monde entier, y compris son propre peuple, ne veut pas. Les tambours de guerre résonnent de plus en plus fort. La question n’est plus de savoir si Trump franchira la ligne — il l’a déjà franchie à maintes reprises. La question est de savoir si quelqu’un peut encore l’arrêter avant que le premier missile ne frappe le sol vénézuélien et que commence une guerre dont personne ne connaît la fin.