Aller au contenu

L’expérience Reagan : un contraste saisissant

Pour comprendre la profondeur de la critique de Krugman, il faut revenir à son expérience personnelle au sein de l’administration Reagan. En 1982-1983, Krugman a travaillé comme membre technocratique du Council of Economic Advisers, au cœur même de l’élaboration de la politique économique américaine. Ce qui l’a frappé à l’époque, c’est le sérieux avec lequel Reagan et son équipe prenaient leurs engagements internationaux. Même lorsque des considérations politiques nécessitaient l’imposition de certains tarifs, l’administration Reagan restait dans les limites de la loi, utilisant son droit d’imposer des tarifs discrétionnaires comme des soupapes de sécurité plutôt que comme un instrument de caprices personnels.

Krugman écrit dans son article du 27 octobre 2025 : « Reagan et ses collaborateurs — totalement contrairement à Trump — prenaient au sérieux leurs promesses envers les autres pays. Si une politique proposée constituait une violation claire de nos accords internationaux, elle était simplement hors limites. » C’est ce respect des engagements, cette adhésion aux normes établies qui différencie fondamentalement Reagan de Trump. Pour Trump, les accords internationaux ne sont que des suggestions, des obstacles à contourner selon ses besoins du moment. Les tarifs deviennent alors non pas un outil de politique économique raisonné, mais une arme de négociation brutale, un moyen d’exercer un pouvoir personnel.

La réalité des chiffres qui tuent

Les données économiques racontent une histoire que Trump refuse d’entendre. En septembre 2025, l’inflation s’établit à 3 % sur un an, bien au-dessus de l’objectif de 2 % fixé par la Réserve fédérale. Selon Le Monde, publié le 24 octobre 2025, cette tension inflationniste pourrait continuer à être alimentée par les droits de douane. Wall Street, toujours optimiste lorsqu’il s’agit de profits à court terme, estime que ce niveau n’empêchera pas une baisse des taux d’intérêt. Mais les économistes sur le terrain, ceux qui observent les effets réels sur les familles américaines, tirent la sonnette d’alarme.

Le Department of Labor a publié des données en juillet 2025 montrant que, bien que l’inflation globale soit restée stable en juin, des hausses de prix significatives ont été observées dans des catégories spécifiques touchées par les tarifs : jouets, appareils électroménagers, électronique. Ce sont précisément les produits que les familles de classe moyenne et modeste achètent régulièrement. Le marché du travail commence également à montrer des signes de tension, avec des indications que les consommateurs réduisent leurs dépenses. Les économistes anticipent que ces indicateurs deviendront plus prononcés dans les mois à venir, à mesure que les entreprises épuiseront leurs stocks accumulés avant l’entrée en vigueur des tarifs et commenceront à transférer les coûts aux consommateurs.

Le silence assourdissant de l’innovation gelée

Krugman identifie un phénomène encore plus inquiétant : le gel de l’économie en dehors du secteur de l’intelligence artificielle. Les « politiques extrêmement erratiques » de Trump créent une incertitude massive qui dissuade de nombreuses entreprises — essentiellement celles qui ne sont pas dans le secteur de l’IA ou dans un secteur s’adressant aux fortunés — de faire des investissements. « Le résultat est qu’une grande partie de l’économie est gelée — les entreprises n’embauchent pas et n’investissent pas », note Krugman dans son analyse du 23 octobre 2025. Sans le boom — ou la bulle — de l’IA, les États-Unis pourraient déjà être en récession, selon le consensus parmi ses collègues économistes.

Cette bifurcation de l’économie crée une situation où les apparences sont trompeuses. Les gros titres annoncent de nouveaux sommets boursiers, et Trump les brandit comme preuve de son génie économique. Mais sous cette surface luisante, la réalité est autrement plus sombre. Les investissements dans l’IA — largement concentrés entre les mains de quelques géants technologiques et de leurs investisseurs fortunés — masquent la stagnation du reste de l’économie. Le marché du travail est presque à l’arrêt. Les salaires réels des travailleurs ordinaires stagnent ou diminuent. L’inégalité des revenus, qui avait connu une baisse dramatique sous l’administration Biden, recommence à grimper.

facebook icon twitter icon linkedin icon
Copié!

Commentaires

0 0 votes
Évaluation de l'article
Subscribe
Notify of
guest
1 Commentaire
Newest
Oldest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments
Trézéguet
Trézéguet
3 hours ago

Très intéressant mais je vois en parallèle avec les bons scores du CAC 40 en France qui traduisent les succès économiques (et financiers) des grands groupes (bénéfices réalisés essentiellement à l’extérieur de la France) et la réalité économique beaucoup plus alarmante des entreprises plus petites. La différence est que pour l’instant le président français n’insulte pas les thermomètres comme le fait Trump.

More Content