L’expérience Reagan : un contraste saisissant
Pour comprendre la profondeur de la critique de Krugman, il faut revenir à son expérience personnelle au sein de l’administration Reagan. En 1982-1983, Krugman a travaillé comme membre technocratique du Council of Economic Advisers, au cœur même de l’élaboration de la politique économique américaine. Ce qui l’a frappé à l’époque, c’est le sérieux avec lequel Reagan et son équipe prenaient leurs engagements internationaux. Même lorsque des considérations politiques nécessitaient l’imposition de certains tarifs, l’administration Reagan restait dans les limites de la loi, utilisant son droit d’imposer des tarifs discrétionnaires comme des soupapes de sécurité plutôt que comme un instrument de caprices personnels.
Krugman écrit dans son article du 27 octobre 2025 : « Reagan et ses collaborateurs — totalement contrairement à Trump — prenaient au sérieux leurs promesses envers les autres pays. Si une politique proposée constituait une violation claire de nos accords internationaux, elle était simplement hors limites. » C’est ce respect des engagements, cette adhésion aux normes établies qui différencie fondamentalement Reagan de Trump. Pour Trump, les accords internationaux ne sont que des suggestions, des obstacles à contourner selon ses besoins du moment. Les tarifs deviennent alors non pas un outil de politique économique raisonné, mais une arme de négociation brutale, un moyen d’exercer un pouvoir personnel.
La réalité des chiffres qui tuent
Les données économiques racontent une histoire que Trump refuse d’entendre. En septembre 2025, l’inflation s’établit à 3 % sur un an, bien au-dessus de l’objectif de 2 % fixé par la Réserve fédérale. Selon Le Monde, publié le 24 octobre 2025, cette tension inflationniste pourrait continuer à être alimentée par les droits de douane. Wall Street, toujours optimiste lorsqu’il s’agit de profits à court terme, estime que ce niveau n’empêchera pas une baisse des taux d’intérêt. Mais les économistes sur le terrain, ceux qui observent les effets réels sur les familles américaines, tirent la sonnette d’alarme.
Le Department of Labor a publié des données en juillet 2025 montrant que, bien que l’inflation globale soit restée stable en juin, des hausses de prix significatives ont été observées dans des catégories spécifiques touchées par les tarifs : jouets, appareils électroménagers, électronique. Ce sont précisément les produits que les familles de classe moyenne et modeste achètent régulièrement. Le marché du travail commence également à montrer des signes de tension, avec des indications que les consommateurs réduisent leurs dépenses. Les économistes anticipent que ces indicateurs deviendront plus prononcés dans les mois à venir, à mesure que les entreprises épuiseront leurs stocks accumulés avant l’entrée en vigueur des tarifs et commenceront à transférer les coûts aux consommateurs.
Le silence assourdissant de l’innovation gelée
Krugman identifie un phénomène encore plus inquiétant : le gel de l’économie en dehors du secteur de l’intelligence artificielle. Les « politiques extrêmement erratiques » de Trump créent une incertitude massive qui dissuade de nombreuses entreprises — essentiellement celles qui ne sont pas dans le secteur de l’IA ou dans un secteur s’adressant aux fortunés — de faire des investissements. « Le résultat est qu’une grande partie de l’économie est gelée — les entreprises n’embauchent pas et n’investissent pas », note Krugman dans son analyse du 23 octobre 2025. Sans le boom — ou la bulle — de l’IA, les États-Unis pourraient déjà être en récession, selon le consensus parmi ses collègues économistes.
Cette bifurcation de l’économie crée une situation où les apparences sont trompeuses. Les gros titres annoncent de nouveaux sommets boursiers, et Trump les brandit comme preuve de son génie économique. Mais sous cette surface luisante, la réalité est autrement plus sombre. Les investissements dans l’IA — largement concentrés entre les mains de quelques géants technologiques et de leurs investisseurs fortunés — masquent la stagnation du reste de l’économie. Le marché du travail est presque à l’arrêt. Les salaires réels des travailleurs ordinaires stagnent ou diminuent. L’inégalité des revenus, qui avait connu une baisse dramatique sous l’administration Biden, recommence à grimper.
La coalition des Prix Nobel contre Trump
Une fronde sans précédent de l’élite économique
Krugman n’est pas seul dans sa dénonciation. En juin 2025, six économistes lauréats du Prix Nobel ont publié une lettre exprimant de « graves préoccupations » concernant le projet de budget de Trump. Publiée par l’Economic Policy Institute, une organisation non partisane, cette lettre représente un avertissement collectif rarement vu dans les cercles académiques. Les signataires critiquent deux aspects principaux : des réductions fiscales massives pour les corporations et les individus fortunés, ainsi que des coupes dans les programmes d’assistance vitaux. Ils craignent que la législation n’exacerbe l’inégalité de richesse tout en sapant la sécurité économique de la population générale.
Selon ces économistes, les réductions d’impôts proposées sont principalement avantageuses pour ceux qui ont les revenus les plus élevés. La continuation d’une réduction d’impôt sur les sociétés a également été notée. Les partisans affirment que cela stimulera les investissements des entreprises et les augmentations de salaires, comme l’a déclaré la Maison-Blanche. Mais les économistes contestent vigoureusement cette affirmation. Ils soutiennent que ces réductions fiscales, combinées à d’autres éléments du projet de loi, entraîneront une augmentation de la dette publique et des déficits plus importants. La Tax Foundation a souligné à la fois les avantages et les inconvénients des mesures fiscales du projet de loi, suggérant que bien qu’il inclue certaines « réductions fiscales intelligentes », il opte pour ces réductions plutôt que pour des « stratégies plus efficaces pour améliorer la croissance économique ».
Bernanke et Yellen entrent dans la danse
Le 24 octobre 2025, un événement extraordinaire se produit : près de cinquante économistes, dont les anciens présidents de la Réserve fédérale Ben Bernanke et Janet Yellen, déposent un mémoire d’amicus curiae auprès de la Cour suprême des États-Unis, demandant l’annulation de la majorité des tarifs internationaux de Trump. Leur argument est dévastateur dans sa simplicité : les tarifs reposent sur des incompréhensions fondamentales concernant l’économie mondiale. Les déficits commerciaux entre les États-Unis et d’autres nations sont attendus et ne représentent pas la menace « inhabituelle et extraordinaire » que l’administration Trump a invoquée pour imposer des tarifs généralisés en vertu d’une loi d’urgence.
« Les tarifs réciproques ne résolvent pas les déficits commerciaux », déclarent les économistes dans leur mémoire. « Au contraire, ils auront un effet de plusieurs billions de dollars sur l’économie, touchant chaque ménage et chaque État. » Ils soulignent : « C’est de l’économie de base, mais les conséquences sont considérables. » Ce groupe d’économistes représente un large éventail de parcours et de perspectives politiques, incluant Douglas Holtz-Eakin, ancien directeur du Congressional Budget Office, Greg Mankiw, ancien président du Council of Economic Advisers sous George W. Bush, et Jason Furman, qui a occupé le même poste sous Barack Obama. Cette diversité rend leur consensus d’autant plus frappant et crédible.
Le spectre de la récession plane sur l’Amérique
La Cour suprême doit examiner la légalité des tarifs de Trump lors des arguments oraux prévus le 5 novembre 2025. Entre-temps, diverses organisations partagent leurs opinions par le biais de mémoires d’amis de la cour. Le mémoire des économistes fait partie de plusieurs soumissions avant la date limite pour ceux qui soutiennent les entreprises contestant les tarifs de Trump. D’autres contributeurs incluent trente et un juges fédéraux, d’anciens membres du personnel militaire, des experts en sécurité nationale et des professeurs de politique étrangère. Cette mobilisation sans précédent de l’élite intellectuelle et juridique américaine témoigne de la gravité perçue de la situation.
Les avertissements se multiplient. Selon un sondage AP-NORC, les Américains sont de plus en plus inquiets de leur capacité à joindre les deux bouts. Les économistes, dont le lauréat du Prix Nobel Paul Krugman, ont averti que la stratégie tarifaire de Trump pourrait mener à une récession. Malgré ces avertissements, l’administration Trump continue sur sa lancée, convaincue que les critiques font partie d’un complot de l' »État profond » et des médias mainstream pour saper sa présidence. Cette obstination face à un consensus d’experts aussi large et diversifié est ce qui inquiète le plus les observateurs. Comment une politique peut-elle être corrigée lorsque ceux qui la mettent en œuvre refusent d’écouter toute critique, aussi fondée soit-elle ?
L'anatomie d'un comportement présidentiel problématique
Les réactions hystériques face à la critique
Le terme « hystérique » utilisé par Krugman pour qualifier les réactions de Trump n’est pas choisi à la légère. Il décrit un pattern comportemental qui se répète avec une régularité troublante. Chaque fois qu’un rapport économique défavorable est publié, Trump le dénonce comme un complot. Lorsque les données sur l’emploi deviennent négatives en août 2025, il affirme immédiatement qu’elles sont falsifiées. Parlant à MSNBC, Krugman démolit cette théorie du complot : « Si vous savez réellement quelque chose sur la façon dont les rapports sur l’emploi sont élaborés, cela nécessiterait essentiellement des centaines, voire des milliers de personnes, pour être impliquées dans la conspiration. » Il ajoute : « C’est juste des absurdités, et il est clair que si Trump voit un chiffre ou un fait qu’il n’aime pas, il prétend que c’est une conspiration contre lui. »
Cette incapacité à accepter la réalité objective lorsqu’elle contredit sa narrative personnelle est au cœur de ce que Krugman identifie comme un comportement d’enfant pleurnicheur. Un adulte mature, confronté à des données qui contredisent ses prédictions, réévalue sa position. Un leader responsable consulte ses conseillers, demande des analyses supplémentaires, ajuste sa stratégie. Trump, lui, attaque le messager. Il nie la réalité. Il invoque des complots sans fondement. Et lorsque des experts de la stature de Krugman le critiquent, il recourt aux insultes personnelles plutôt qu’aux arguments factuels.
Le mirage du meilleur marché de l’histoire
Trump se vante constamment que les marchés boursiers atteignent de nouveaux sommets sous sa présidence, affirmant qu’il s’agit du « MEILLEUR MARCHÉ DE L’HISTOY » (avec la faute d’orthographe caractéristique). Mais cette affirmation mérite un examen plus approfondi. Premièrement, les marchés boursiers ne sont pas un indicateur fiable du bien-être économique de la majorité des Américains. Selon la Federal Reserve, les 10 % les plus riches des ménages américains détiennent environ 89 % de toutes les actions. Lorsque le Dow Jones atteint de nouveaux sommets, cela profite principalement aux fortunés, tandis que les 90 % restants ne voient qu’une fraction minime de ces gains, si tant est qu’ils en voient.
Deuxièmement, la performance du marché boursier sous Trump doit être mise en contexte. Certes, les indices ont augmenté, mais à quel coût ? Les réductions d’impôts massives sur les sociétés ont gonflé les profits des entreprises et, par conséquent, les cours des actions. Mais ces réductions ont également creusé le déficit fédéral de manière spectaculaire. Les futures générations devront rembourser cette dette. Les programmes sociaux subissent des coupes pour compenser partiellement ces pertes de revenus. En d’autres termes, les sommets boursiers célébrés par Trump sont en partie financés par l’appauvrissement des plus vulnérables et par un endettement national croissant.
La guerre de classe déguisée en politique commerciale
Krugman, dans son article sur Substack publié en août 2025, ne mâche pas ses mots : « Pour ne pas être ambigu à ce sujet, ce que je vais argumenter dans l’article d’aujourd’hui, c’est que la guerre commerciale de Trump devrait être vue comme faisant partie d’un ensemble de politiques qui équivaut à une guerre de classe — une guerre de classe contre les Américains de revenus moyens et modestes en faveur des aisés, en particulier les 10 % les plus riches de la distribution des revenus. » Cette analyse est dévastatrice car elle remet en question la rhétorique populiste de Trump. Le président se présente comme le champion des travailleurs oubliés, de l’Américain moyen laissé pour compte par la mondialisation. Mais selon Krugman et de nombreux autres économistes, les politiques réelles de Trump produisent l’effet inverse.
Les tarifs douaniers fonctionnent essentiellement comme une taxe régressive sur les consommateurs. Lorsque les prix des biens importés augmentent en raison des tarifs, ce sont les familles à revenus modestes qui en souffrent le plus, car elles consacrent une proportion plus importante de leurs revenus à l’achat de biens de consommation. Les riches, qui dépensent une fraction mineure de leurs revenus en produits de consommation courante, sont relativement isolés de ces augmentations de prix. Simultanément, les réductions d’impôts de Trump bénéficient de manière disproportionnée aux plus fortunés. Le résultat net est un transfert de richesse des pauvres et de la classe moyenne vers les riches — exactement l’opposé de ce que Trump prétend accomplir.
Les implications pour la démocratie américaine
L’érosion du respect pour l’expertise
Au-delà des questions économiques immédiates, la confrontation entre Trump et Krugman illustre un phénomène plus large et plus inquiétant : l’érosion systématique du respect pour l’expertise dans la sphère publique américaine. Lorsqu’un président peut qualifier un Prix Nobel d’économie de « clochard dérangé » sans conséquences politiques significatives, cela envoie un message puissant : l’expertise ne compte pas, les faits sont négociables, et la vérité n’est que ce que le leader décrète qu’elle est. Cette attitude a des répercussions bien au-delà de la politique économique. Elle affecte la confiance du public dans la science, dans les institutions, dans le processus démocratique lui-même.
John Clarke, Prix Nobel de physique, a exprimé des préoccupations similaires concernant l’impact de Trump sur la science américaine. Dans un article publié le 13 octobre 2025, Clarke dénonce comment Trump « paralyse » la science aux États-Unis. Il cite un tweet de Trump publié quelques heures après l’annonce du Prix Nobel de physique 2025 : « Les prix Nobel sont surévalués. Les vrais gagnants sont les entrepreneurs américains qui créent des emplois. » Clarke commente avec une rage contenue : « Voilà où nous en sommes. Le président des États-Unis se fout éperdument que son pays ait perdu son leadership scientifique. Pire : il s’en réjouit. » Cette indifférence n’est pas de l’ignorance, affirme Clarke. C’est une posture idéologique assumée.
Le précédent dangereux du mensonge normalisé
Quand Trump affirme que Reagan « ADORAIT » les tarifs, malgré les preuves historiques accablantes du contraire, il ne s’agit pas simplement d’une erreur factuelle. C’est un mensonge délibéré, facilement réfutable, proféré en toute connaissance de cause. Et c’est précisément cette audace dans le mensonge qui est si corrosive pour la démocratie. Car si un leader peut mentir de manière aussi flagrante sur des faits historiques vérifiables, sans en payer le prix politique, alors la notion même de vérité objective dans le discours public devient obsolète. Nous entrons dans un monde où la vérité n’est plus ce qui correspond aux faits, mais ce qu’une personne suffisamment puissante affirme avec assez de conviction.
Krugman, dans son article du 27 octobre 2025, souligne l’absurdité de cette situation : « Il est facile de parcourir les archives historiques pour découvrir la position réelle de Reagan sur le commerce. Comme le dit le Financial Times, Reagan ‘était un champion dévoué du commerce ouvert qui utilisait les tarifs avec parcimonie et réticence.' » Le fait que Trump puisse nier cette réalité historique bien documentée, et que des millions d’Américains le croient, témoigne de la profondeur de la crise épistémologique que traverse le pays. Ce n’est plus un débat sur les politiques appropriées, c’est un conflit sur la nature même de la réalité.
Le culte de la personnalité remplace les institutions
Un autre aspect troublant de cette saga est la manière dont le Parti républicain et les supporters de Trump semblent avoir abandonné tous leurs principes traditionnels pour s’aligner sur les positions fluctuantes du président. Le Parti républicain était historiquement le parti du libre-échange, des déficits budgétaires réduits, du respect des institutions et de la loi. Reagan, leur héros vénéré, incarnait ces valeurs. Mais sous Trump, le parti a effectué un virage à 180 degrés sur pratiquement toutes ces questions. Les tarifs protectionnistes, autrefois anathèmes pour les républicains, sont maintenant célébrés. Les déficits budgétaires, qui avaient provoqué des crises politiques sous Obama, sont désormais ignorés sous Trump.
Cette transformation révèle que pour beaucoup de supporters de Trump, l’idéologie compte moins que la loyauté personnelle envers le leader. C’est la définition d’un culte de la personnalité, un phénomène que l’on associe généralement aux régimes autoritaires plutôt qu’aux démocraties libérales. Lorsque Krugman décrit Trump comme un « whining toddler » qui tient le parti républicain en otage, il met le doigt sur cette dynamique malsaine. Le parti n’est plus guidé par des principes, mais par les humeurs d’un seul homme. Et cet homme, selon Krugman et de nombreux autres observateurs, se comporte de manière de plus en plus erratique et autocratique.
Les conséquences à long terme de l'instabilité trumpienne
La confiance perdue des partenaires commerciaux
L’un des dommages les plus durables de l’approche erratique de Trump en matière de commerce est la perte de confiance des partenaires commerciaux américains. Krugman souligne ce point dans son analyse d’avril 2025, intitulée « Will Malignant Stupidity Kill the World Economy? » : « Comment quiconque, qu’il s’agisse d’hommes d’affaires ou de gouvernements étrangers, peut-il faire confiance à une administration qui se comporte ainsi ? » C’est une question fondamentale qui va au-delà des chiffres économiques. Le commerce international repose sur la prévisibilité, sur les accords respectés, sur la parole donnée. Lorsqu’un président peut imposer des tarifs massifs du jour au lendemain, violant des accords commerciaux de longue date, puis les modifier ou les suspendre en fonction de ses caprices politiques, il crée un environnement d’incertitude qui paralyse les investissements et le commerce.
Les entreprises qui planifient leurs chaînes d’approvisionnement ont besoin de stabilité. Elles doivent savoir quelles seront les règles dans six mois, dans un an, dans cinq ans. Sous Trump, cette prévisibilité a disparu. Les entreprises ne savent pas si les tarifs actuels seront encore en place le mois prochain. Elles ne savent pas si de nouveaux tarifs seront imposés sur leurs produits demain. Cette incertitude les pousse à différer les investissements, à ne pas embaucher, à adopter une posture défensive. C’est exactement ce que Krugman décrit lorsqu’il parle d’une économie « gelée » où les entreprises ne prennent plus de risques. Et une économie sans prise de risque est une économie stagnante.
L’effritement de la crédibilité internationale
Au-delà du commerce, la crédibilité internationale des États-Unis a subi des dommages considérables sous la présidence de Trump. Le Journal de Québec, dans un article du 11 octobre 2025, explique pourquoi « Donald Trump, vraiment pas de calibre pour le Nobel de la paix ». L’article énumère les actions de Trump qui contredisent directement les valeurs associées au Prix Nobel de la paix : le gel du financement de l’USAID qui met en péril des millions de vies, l’obsession d’expulser les migrants par tous les moyens, les menaces de prendre le contrôle du canal de Panama et d’annexer le Groenland. « Le président se distingue comme un oppresseur des médias, des universitaires, des femmes, des minorités », note l’article.
Cette détérioration de l’image américaine a des conséquences pratiques. Lorsque les États-Unis tentent de former des coalitions internationales, de négocier des accords, de résoudre des crises diplomatiques, leur capacité à le faire efficacement dépend de leur crédibilité. Si les autres nations perçoivent les États-Unis comme un acteur imprévisible, dirigé par un leader qui peut changer d’avis du jour au lendemain, qui viole les accords dès qu’ils ne lui conviennent plus, alors pourquoi feraient-elles confiance aux engagements américains ? Cette perte de confiance prendra des décennies à réparer, bien après que Trump aura quitté la scène politique.
La crise climatique ignorée au nom du profit immédiat
Parmi les critiques les plus graves formulées contre Trump figure son déni des changements climatiques. Comme le souligne l’article du Journal de Québec, « Il fait reculer la planète en prétendant que les changements climatiques n’existent pas. » Dans un monde où le consensus scientifique sur le réchauffement climatique est écrasant, où les effets sont déjà visibles sous forme d’événements météorologiques extrêmes, de montée du niveau des mers et de perturbations écologiques, le refus de Trump d’agir constitue non seulement une irresponsabilité envers les générations futures, mais aussi une menace existentielle pour l’humanité.
Cette attitude s’inscrit dans le pattern plus large identifié par Krugman : le privilège du profit et du gain à court terme au détriment des considérations à long terme. Les tarifs de Trump peuvent sembler stimuler certains secteurs industriels américains à court terme, mais ils nuisent à l’économie globale à long terme. De même, le refus d’agir sur le climat peut éviter des coûts immédiats pour certaines industries, mais il prépare des catastrophes bien plus coûteuses pour les décennies à venir. C’est la quintessence de la pensée à court terme, de l’immaturité intellectuelle que Krugman dénonce en comparant Trump à un enfant pleurnicheur.
Les voix dissidentes au sein même de l'establishment
Les économistes conservateurs rejoignent le chœur critique
Ce qui rend la critique de Krugman particulièrement puissante, c’est qu’elle n’émane pas seulement de la gauche politique. Des économistes de diverses tendances idéologiques, y compris des conservateurs qui ont servi dans des administrations républicaines, ont exprimé des préoccupations similaires. Le mémoire déposé auprès de la Cour suprême en octobre 2025 inclut Douglas Holtz-Eakin, ancien directeur du Congressional Budget Office, et Greg Mankiw, qui a été président du Council of Economic Advisers sous George W. Bush. Ces hommes ne sont pas des progressistes radicaux. Ce sont des économistes conservateurs respectés qui ont néanmoins conclu que les politiques tarifaires de Trump sont économiquement désastreuses.
Cette convergence de vues à travers le spectre idéologique est remarquable. Elle suggère que nous ne sommes pas face à un simple désaccord partisan sur les politiques appropriées, mais face à quelque chose de plus fondamental : un président qui ignore les principes économiques de base acceptés à travers tout le spectre politique. Lorsque des économistes aussi divers que Paul Krugman à gauche et Greg Mankiw à droite arrivent à la même conclusion — que les tarifs de Trump sont néfastes — il devient difficile de rejeter leurs critiques comme étant simplement de la politique partisane. C’est un consensus d’experts, fondé sur des décennies de recherche économique, qui est systématiquement ignoré par une administration qui préfère l’idéologie à l’évidence.
Les médias indépendants sous pression constante
La confrontation entre Trump et Krugman ne peut être comprise sans examiner le contexte plus large des attaques de Trump contre les médias et les voix dissidentes. Krugman, bien qu’il ait quitté le New York Times en décembre 2024, continue d’être la cible des attaques de Trump, qui l’accuse encore de travailler pour le journal. Cette confusion délibérée fait partie d’une stratégie plus large visant à discréditer toute source d’information critique. En qualifiant constamment les médias mainstream de « fake news », en attaquant personnellement les journalistes et les commentateurs, Trump crée un environnement où ses supporters apprennent à rejeter automatiquement toute information qui contredit la narrative présidentielle.
Le HuffPost, dans un article du 21 octobre 2025, rapporte un échange entre le correspondant principal de la Maison-Blanche, S.V. Dáte, et la secrétaire de presse Karoline Leavitt, qui a donné une réponse « childish » — puérile — à sa demande de commentaire. Cet incident illustre comment l’immaturité observée chez Trump se propage à travers son administration. Le ton est donné au sommet, et il se répercute à tous les niveaux de l’appareil gouvernemental. Lorsque le président lui-même traite les critiques avec mépris et insultes plutôt qu’avec des arguments substantiels, ses subordonnés imitent ce comportement. Le résultat est une administration qui devient de plus en plus fermée, défensive, et hostile à toute forme de responsabilisation.
Les juridictions fédérales prennent position
Le fait que trente et un juges fédéraux aient signé un mémoire d’amicus curiae contestant les tarifs de Trump est un développement extraordinaire. Les juges sont généralement extrêmement prudents lorsqu’il s’agit de prendre position sur des questions politiques, préférant laisser leur jugement s’exprimer dans leurs décisions judiciaires plutôt que dans des déclarations publiques. Qu’un tel nombre de juges fédéraux aient ressenti le besoin de s’exprimer publiquement sur cette question témoigne de la gravité perçue de la situation. Ces juges, qui représentent diverses tendances idéologiques et qui ont été nommés par des présidents des deux partis, estiment apparemment que les tarifs de Trump représentent une violation si flagrante des principes juridiques et constitutionnels qu’ils ne peuvent rester silencieux.
Leur mémoire, déposé avant les arguments oraux prévus le 5 novembre 2025 devant la Cour suprême, argumente que Trump a abusé de l’autorité d’urgence qui lui a été conférée par le Congrès. Les tarifs, selon eux, ont été imposés non pas en réponse à une véritable urgence nationale, mais comme un outil de négociation politique et comme un moyen pour Trump d’exercer un pouvoir unilatéral. Si la Cour suprême accepte cet argument, cela pourrait constituer une répudiation majeure de l’approche de Trump en matière de commerce — et plus largement, de sa tendance à étirer et à abuser des pouvoirs exécutifs pour contourner les processus législatifs normaux.
Conclusion
L’affrontement entre Paul Krugman et Donald Trump transcende largement une simple querelle entre un économiste et un président. C’est un symptôme, un révélateur d’une crise plus profonde qui secoue les fondations mêmes de la démocratie américaine. Lorsqu’un Prix Nobel d’économie se sent obligé de décrire le président comme un « enfant grognant et pleurnicheur » dont les réactions sont « hystériques », nous ne sommes plus dans le domaine du débat politique normal. Nous sommes face à une rupture fondamentale entre la gouvernance fondée sur les faits et l’expertise d’une part, et le pouvoir exercé par caprice et ego d’autre part. Cette confrontation révèle l’ampleur du fossé qui s’est creusé entre ceux qui comprennent les mécanismes économiques complexes et celui qui dirige la première économie mondiale sur la base de ses intuitions et de ses rancœurs personnelles.
Les avertissements de Krugman et de ses collègues économistes — qu’ils soient lauréats du Prix Nobel, anciens présidents de la Réserve fédérale ou experts conservateurs — convergent tous vers la même conclusion alarmante : les politiques tarifaires de Trump mènent l’Amérique vers une catastrophe économique évitable. L’économie américaine, déjà fragilisée par une inflation persistante, une inégalité croissante et un marché du travail gelé, pourrait basculer dans la récession si ces politiques erratiques se poursuivent. Les familles américaines ordinaires paient déjà le prix de cette guerre commerciale mal conçue, avec des prix plus élevés pour les produits essentiels et une insécurité économique grandissante. Et pendant ce temps, le président refuse d’écouter, préférant insulter les messagers plutôt que d’entendre le message.
Au-delà des chiffres économiques et des projections sur le PIB, cette saga nous force à confronter des questions plus existentielles sur la nature de la démocratie américaine. Peut-elle survivre à un leader qui rejette systématiquement l’expertise, qui ment sans conséquence, qui gouverne par tweet rageur plutôt que par délibération réfléchie ? La normalisation de ce comportement — le fait que nous en soyons venus à considérer comme banal qu’un président insulte des Prix Nobel — constitue peut-être le danger le plus insidieux. Car lorsque l’extraordinaire devient ordinaire, lorsque l’inacceptable devient toléré, les garde-fous démocratiques s’érodent progressivement jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour les restaurer.
L’histoire se souviendra de ce moment non pas comme d’une dispute entre personnalités, mais comme d’un test décisif pour les institutions américaines. La Cour suprême devra décider si un président peut abuser des pouvoirs d’urgence pour imposer sa volonté économique. Le Congrès devra choisir entre la loyauté partisane et la responsabilité constitutionnelle. Les citoyens américains devront trancher entre les mensonges réconfortants d’un populiste et les vérités inconfortables des experts. Et le monde observe, avec une anxiété croissante, si la plus ancienne démocratie moderne peut se ressaisir avant de plonger dans un autoritarisme populiste dont elle pourrait ne jamais se remettre.
Les mots de Krugman — enfant pleurnicheur, réactions hystériques — resteront gravés comme un témoignage de cette époque troublée. Ils incarnent le désespoir d’un homme de science face à l’irrationalité institutionnalisée, la frustration d’un expert devant le triomphe de l’ignorance, le cri d’alarme d’un citoyen devant la dérive autocratique de son pays. Ce ne sont pas les mots d’un partisan acharné, mais ceux d’un observateur lucide qui voit son pays s’égarer et qui refuse de se taire. L’avenir nous dira si ces avertissements auront été entendus à temps, ou s’ils rejoindront la longue liste des prophéties ignorées dont l’histoire est jonchée. Pour l’instant, une chose est certaine : nous vivons un moment charnière, et les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront l’Amérique — et par extension, le monde — que nous léguerons aux générations futures.
Très intéressant mais je vois en parallèle avec les bons scores du CAC 40 en France qui traduisent les succès économiques (et financiers) des grands groupes (bénéfices réalisés essentiellement à l’extérieur de la France) et la réalité économique beaucoup plus alarmante des entreprises plus petites. La différence est que pour l’instant le président français n’insulte pas les thermomètres comme le fait Trump.