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Un coup d’État administratif en neuf mois

En février 2025, à peine quelques semaines après son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a décidé que le Kennedy Center avait besoin de son toucher salvateur. Sa stratégie ? Radicale. D’abord, il a purement et simplement limogé des dizaines de membres du conseil d’administration — des gens qui avaient décennies d’expérience, des mécènes de l’art, des professionnels ayant contribué à la grandeur du centre depuis des années. Ensuite, il a fait quelque chose d’encore plus extraordinaire : il s’est nommé lui-même président de l’institution. Oui, vous avez bien lu. Le président des États-Unis s’est arrogé le contrôle personnel d’un centre culturel supposément indépendant et non-partisan. Puis sont venus les changements. Il a nomé Richard Grenell, ancien ambassadeur des États-Unis, comme nouveau directeur exécutif. Grenell, un fidèle Trump, avait une mission clairement énoncée : détoxifier le centre de son idéologie « woke ». Dans les interviews qu’il a données au Washington Reporter, Grenell n’a pas mâché ses mots : « Nous avions dépensé beaucoup trop d’argent dans des programmes qui ne rapportaient rien ». Translation littérale : les performances LGBTQ+, les événements diversifiés, les spectacles inclusifs — tout cela devait disparaître. Trump lui-même a déclaré en juin 2025 : « Nous allons sauver le Kennedy Center. Nous allons le rendre incroyable. Les os sont très bons ». Les « os », paraît-il, nécessitaient une chirurgie à ciel ouvert. Mais personne n’avait mesuré combien le patient en aurait besoin par la suite — combien cette opération le saignerait à mort financièrement et symboliquement.

L’épuration du répertoire et ses conséquences imprévisibles

Sous la nouvelle direction, le Kennedy Center a entrepris ce qu’on pourrait qualifier poliment de « réorientation stratégique » et plus honnêtement de destruction méthodique de sa programmation artistique. Plus de 20 productions ont été annulées en cascade. Les spectacles mettant en avant des artistes LGBTQ+ ont été purement supprimés du calendrier. La place a été faite à une augmentation spectaculaire de la programmation chrétienne — beaucoup de ces nouvelles productions étant offertes gratuitement au public, ce qui explique partiellement le problème financier qui en découle : si vous donnez les billets gratuitement, vous ne vendez rien, ce qui crée un trou béant dans les revenus. Des artistes de renom ont commencé à refuser les invitations de performer au Kennedy Center. Hamilton, le spectacle musical le plus vendu de la décennie, a annulé sa programmation au centre. Des membres éminents du conseil consultatif artistique, comme le musicien Ben Folds, ont démissionné publiquement en signe de protestation. Des collectifs artistiques comme celui de Micaiah Dempsey se sont fragmentés, avec certains membres refusant catégoriquement de se produire au Kennedy Center. L’ironie suprême ? Malgré la promesse de Trump de « bannir les spectacles de drag », la production 2026 de Mrs. Doubtfire — une comédie musicale centrée sur un homme se déguisant en femme — doit quand même s’y produire. Une contradiction si flagrante qu’on ne sait plus si c’est du cynisme ou de l’incompétence.

Les chiffres qui deviennent des hurlements silencieux

Les statistiques sont — et il n’existe pas d’autre mot — dévastatrices. Du 3 septembre au 19 octobre 2025, seulement 57% des billets disponibles ont été vendus pour les spectacles des trois plus grandes salles du Kennedy Center (l’Opéra House, la Concert Hall et le Eisenhower Theater). Comparons cela à la même période en 2024 : 93% de ventes. En 2023 : 80%. Nous parlons d’une chute de 36 points de pourcentage en un an — une désintégration. Cela équivaut à 50 000 sièges vides sur les quelque 143 000 disponibles. Pour mettre cela en perspective, c’est comme si soudain, quatre salles de cinéma IMAX pleines se vidaient complètement chaque semaine. Le Washington Post, en analysant les données de revenus, a découvert que moins de la moitié de l’argent avait été dépensé en billets de septembre à mi-octobre 2025 par rapport à la même période en 2024. C’est la plus faible performance depuis 2018, hormis bien sûr 2020 quand le centre était fermé à cause du COVID. Mais attendez — ça devient encore plus grave. Une ancienne employée du centre (qui a demandé l’anonymat) a confié au Washington Post des paroles qui glacent le sang : « J’anticipais un déclin à cause de la prise de contrôle sans précédent d’une institution non-partisan et de l’inexpérience de la nouvelle direction, mais c’est vraiment choquant de voir que ces actions ont été pires pour le business au Kennedy Center que les conséquences d’une pandémie mondiale ». Plus mauvais que le COVID. Laissez cela pénétrer votre conscience une seconde.

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