Le speaker Mike Johnson : chercher des boucs émissaires sans nommer Trump
Mercredi, lors d’une conférence de presse, le speaker de la Chambre Mike Johnson a tenté de minimiser les dégâts. Il a décrit Zohran Mamdani comme « le nouveau visage du Parti démocrate »—un socialiste radical que les Américains vont rejeter une fois qu’ils comprendront ses vraies positions. Johnson a aussi critiqué les candidats républicains eux-mêmes, les qualifiant de « fondamentalement défectueux » en Virginie.
Mais ce qui est frappant dans les déclarations de Johnson, c’est l’absence totale de mention de Trump. Johnson a blâmé les candidats. Il a blâmé le shutdown (sans mentionner que c’est Trump qui refuse de négocier). Il a même blâmé les donateurs républicains pour ne pas avoir suffisamment investi dans les campagnes. Mais il n’a jamais dit : « Le président Trump devrait peut-être adapter sa stratégie. »
C’est le langage codé des républicains qui savent que critiquer Trump ouvertement risque de les aliéner de la base. Mais le silence sur Trump lui-même est éloquent. Johnson cherche désespérément des explications qui n’impliquent pas d’admettre que le problème central, c’est Trump.
Les candidats « défectueux » : une excuse qui ne tient pas
L’argument républicain selon lequel les candidats eux-mêmes étaient le problème ne résiste pas à l’analyse. En Virginie, le candidat républicain au poste de gouverneur était Winsome Sears—une figure conservatrice respectée, lieutenant-gouverneure sortante, qui avait gagné son poste en 2021. Elle n’était pas inexpérimentée. Elle n’était pas scandaleuse. Elle était exactement le type de candidate que les Républicains devraient être capables d’élire dans un État comme la Virginie.
Et pourtant, elle a perdu par 15 points. Pourquoi ? Parce que Spanberger a mené une campagne laser-focalisée sur les effets du shutdown. Elle a dit aux électeurs : « Vos emplois fédéraux sont menacés. Vos services sont interrompus. Et tout cela parce que Trump et les Républicains refusent de négocier. » C’était un message simple, direct, et dévastateur.
Blâmer les candidats, c’est donc refuser d’admettre que le vrai problème, c’est la stratégie politique globale imposée par Trump. Tant que les Républicains continuent à suivre Trump sans questionnement, ils vont continuer à perdre des élections qu’ils devraient normalement gagner.
Les efforts de redistricting qui échouent : Kansas et Indiana disent non
Un autre aspect de la crise républicaine concerne les efforts de redécoupage électoral (redistricting) que Trump avait demandés dans plusieurs États rouges. L’idée était simple : redesiner les districts électoraux pour maximiser les sièges républicains avant les élections de 2026. Le Texas l’avait déjà fait, gagnant cinq nouveaux sièges républicains virtuellement garantis.
Trump avait exigé que le Kansas, l’Indiana, et d’autres États suivent le même modèle. Mais mardi soir, le speaker de la Chambre du Kansas, Dan Hawkins, a annoncé que les républicains de l’État refusaient de convoquer une session spéciale pour procéder au redécoupage. « Planifier une session spéciale est toujours un combat difficile, » a-t-il déclaré dans un communiqué.
En Indiana, malgré l’enthousiasme du gouverneur Mike Braun pour convoquer une session spéciale, il semble que les législateurs républicains locaux ne soutiennent pas le redécoupage en milieu de cycle. Pourquoi ? Parce que plusieurs d’entre eux craignent que cela rende leurs propres districts plus compétitifs. En essayant de maximiser les gains républicains globalement, Trump risque de mettre en danger des sièges républicains actuellement sûrs.
C’est une rébellion silencieuse mais significative. Des républicains d’États rouges disent essentiellement : « Non, nous n’allons pas suivre Trump sur cette stratégie parce qu’elle pourrait nous nuire localement. » C’est un signe que l’autorité de Trump sur le parti n’est plus absolue.
L'argument de Trump : "Je n'étais pas sur le bulletin"
La théorie de l’absence : quand Trump devient l’excuse
Mercredi matin, Trump a dit aux sénateurs républicains : « Si vous consultez les sondeurs, ils disent que mon absence du bulletin était le facteur le plus important. » C’était une tentative de repositionner les pertes républicaines non pas comme un rejet de ses politiques, mais comme une conséquence de son absence personnelle.
L’argument de Trump est essentiellement : « Les électeurs républicains viennent voter pour moi, pas pour d’autres républicains. Donc quand je ne suis pas là, ils restent chez eux. » C’est une lecture flatteuse pour Trump personnellement, mais c’est une catastrophe stratégique pour le Parti républicain.
Pourquoi ? Parce que Trump ne peut plus se présenter. Les limites de mandat l’empêchent de briguer un troisième mandat présidentiel (malgré ses allusions occasionnelles à l’idée qu’il devrait pouvoir le faire). Donc si les électeurs républicains ne votent que pour Trump et pas pour d’autres républicains, qu’est-ce que ça signifie pour 2026 ? Pour 2028 ? Pour toutes les élections futures où Trump ne sera pas sur le bulletin ?
Le problème structurel : un parti dépendant d’un homme
Ce que Trump a admis sans le réaliser, c’est que le Parti républicain est devenu structurellement dépendant de sa personne. Il a mobilisé des électeurs occasionnels—des gens qui ne votaient pas normalement mais qui se sont déplacés pour lui en 2016, 2020, et 2024. Mais ces électeurs ne sont pas des républicains loyaux. Ce sont des trumpistes.
Et les trumpistes sans Trump ne votent pas. Ou pire, ils votent pour des tiers partis. Ou pire encore, ils votent démocrate si le candidat démocrate leur semble plus « anti-establishment » que le républicain traditionnel.
C’est exactement ce qui s’est passé mardi. Les électeurs qui avaient soutenu Trump en 2024 ont soit voté démocrate, soit sont restés chez eux. Le résultat net : une débâcle républicaine.
CNN cristallise le problème : « Le problème post-Trump du GOP »
CNN a publié une analyse mercredi intitulée « L’élection de 2025 cristallise le problème post-Trump du GOP. » L’article soulignait que les résultats de mardi avaient mis en lumière un défi existentiel pour les Républicains : comment survivre électoralement dans un monde où Trump n’est plus sur le bulletin ?
L’analyse notait que Trump a réussi à mobiliser des électeurs à faible participation, mais si ces électeurs ne se présentent pas—ou ne votent pas républicain—en son absence, alors le parti a un problème structurel majeur. Et mardi a confirmé que ce problème est réel.
Le shutdown : l'arme qui s'est retournée contre son utilisateur
Un an de fermeture : le record historique que personne ne voulait
Le shutdown gouvernemental actuel a débuté en janvier 2025. Nous sommes maintenant en novembre. Cela fait près de onze mois que le gouvernement fédéral américain fonctionne en mode dégradé. Des centaines de milliers de fonctionnaires travaillent sans salaire. Des programmes d’aide alimentaire sont interrompus. Les coûts de l’assurance santé ont explosé pour des millions d’Américains qui dépendaient des subsides fédéraux liés à l’Obamacare.
C’est le plus long shutdown de l’histoire américaine. Et ce n’est pas proche de se terminer. Pourquoi ? Parce que Trump et les leaders républicains du Congrès refusent de négocier avec les Démocrates. Ils exigent des coupes drastiques dans les dépenses fédérales, l’élimination de milliers de postes de fonctionnaires, et des changements fondamentaux aux programmes de santé.
Les Démocrates, de leur côté, refusent de céder. Ils disent : « Nous allons négocier, mais pas sous la menace d’un shutdown permanent. »
La Virginie comme laboratoire : 320 000 emplois fédéraux en otage
La Virginie est devenue le laboratoire politique du coût électoral du shutdown. Avec environ 320 000 fonctionnaires fédéraux et d’innombrables contracteurs, l’État dépend énormément des dépenses fédérales. Quand ces emplois sont menacés—quand les salaires ne sont pas payés, quand les contrats sont gelés—l’économie locale souffre.
Abigail Spanberger a construit toute sa campagne autour de ce message : « Trump et les Républicains détruisent l’économie de la Virginie avec ce shutdown. Votez pour moi et je vais me battre pour rouvrir le gouvernement. » C’était un message simple, concret, et terriblement efficace.
Les Républicains avaient espéré que les électeurs blâmeraient les Démocrates pour le shutdown. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Les électeurs ont blâmé le parti au pouvoir—les Républicains. Et ils ont voté en conséquence.
Trump demande l’abolition du filibuster : une proposition radicale ignorée
Dans une tentative désespérée de forcer une résolution, Trump a demandé aux sénateurs républicains d’abolir le filibuster—la règle du Sénat qui exige 60 votes pour faire passer la plupart des législations. Trump a argumenté que si les Républicains abolissaient cette règle, ils pourraient rouvrir le gouvernement avec une simple majorité et imposer leurs conditions sans avoir besoin des Démocrates.
« Les Républicains doivent être plus durs, » a déclaré Trump dans une interview pour 60 Minutes. « Si nous éliminons le filibuster, nous pouvons faire exactement ce que nous voulons. Nous ne perdrons pas le pouvoir. »
Mais les leaders républicains du Sénat ont rejeté cette idée. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que si les Républicains abolissent le filibuster maintenant, les Démocrates utiliseront cette absence de protection quand ils reviendront au pouvoir. C’est une vision à court terme contre une vision à long terme. Et pour une fois, les républicains du Sénat pensent à long terme.
Les implications pour 2026 : un désastre républicain qui se profile
La Chambre en jeu : des sièges qui basculent
Les élections de mi-mandat de 2026 se profilent comme un désastre potentiel pour les Républicains. Si les tendances de mardi se maintiennent—et il n’y a aucune raison de penser qu’elles ne le feront pas—les Démocrates pourraient reprendre le contrôle de la Chambre des représentants.
Les Républicains détiennent actuellement une majorité mince à la Chambre. Mais plusieurs de leurs membres annoncent leur retraite (comme Jared Golden du Maine), et plusieurs sièges considérés comme sûrs deviennent soudainement compétitifs. Le redécoupage en Californie—si la Proposition 50 survit aux contestations judiciaires—pourrait donner aux Démocrates cinq nouveaux sièges.
Les stratèges républicains commencent à réaliser qu’ils doivent changer de stratégie s’ils veulent éviter une catastrophe en 2026. Mais changez comment ? Trump refuse d’adapter son approche. Et les républicains qui osent le critiquer ouvertement risquent de se faire attaquer par la base trumpiste.
Le problème du message économique : parler de transgenres au lieu d’emplois
Un autre problème identifié par les républicains auto-critiques : le message économique du parti est faible. Pendant que les Démocrates parlaient du shutdown, des emplois fédéraux menacés, et des coûts de santé qui explosent, les Républicains parlaient de… transgenres dans les sports.
C’est devenu un running joke embarrassant dans les cercles politiques. Les républicains avaient misé sur les questions culturelles—les droits des transgenres, les livres « woke » dans les bibliothèques scolaires, etc.—pour mobiliser leur base. Mais les électeurs indépendants, ceux qui décident des élections, ne s’en soucient pas autant que les Républicains le pensaient.
Ils se soucient de pouvoir payer leurs factures. De savoir si leur emploi fédéral sera toujours là le mois prochain. De savoir si leur assurance santé sera abordable. Et sur toutes ces questions, les Républicains n’avaient pas de réponse convaincante.
Les donateurs républicains qui se retirent : un signal d’alarme financier
En privé, les officiels républicains ont aussi critiqué leurs propres donateurs pour ne pas avoir suffisamment investi dans les campagnes de mardi. Mais pourquoi les donateurs se retireraient-ils ? Probablement parce qu’ils voient les mêmes tendances que tout le monde : les Républicains sont en train de perdre, et investir dans des campagnes perdantes n’est pas un bon retour sur investissement.
C’est un cercle vicieux. Les républicains perdent des élections, donc les donateurs retirent leur argent, donc les républicains ont moins de ressources pour gagner les prochaines élections, donc ils perdent encore plus.
Les voix dissidentes : qui ose critiquer Trump publiquement ?
Don Bacon : le républicain du Nebraska qui dit tout haut ce que d’autres pensent
Don Bacon du Nebraska est devenu le visage de la dissidence républicaine modérée. En déclarant que Trump « rate le contexte global, » Bacon a articulé ce que beaucoup de républicains pensent mais n’osent pas dire publiquement.
Bacon représente un district du Nebraska qui est compétitif—il a gagné par des marges serrées dans le passé. Il sait que pour survivre électoralement, il doit se distancer au moins partiellement de Trump. Mais il sait aussi qu’il ne peut pas aller trop loin, sinon il perd la base républicaine.
C’est l’équilibre impossible que doivent naviguer les républicains modérés : comment critiquer Trump suffisamment pour attirer les indépendants, mais pas trop pour aliéner les trumpistes ?
Les anonymes du leadership : critiquer sans signer
D’autres républicains critiquent Trump, mais seulement de manière anonyme. Des sources au sein du leadership républicain ont dit au New York Times que les candidats républicains étaient « fondamentalement défectueux » et que les donateurs n’avaient pas fait leur part. Mais aucun n’a osé dire publiquement : « Le problème, c’est Trump. »
C’est le langage codé de la politique républicaine en 2025. On cherche des explications, des boucs émissaires, des raisons techniques. Mais on évite soigneusement de nommer l’éléphant dans la pièce.
Le silence des leaders : Mitch McConnell et l’art de ne rien dire
Mitch McConnell, le leader républicain du Sénat, a été remarquablement silencieux après les résultats de mardi. Pas de déclaration publique. Pas d’analyse. Juste… le silence.
C’est peut-être le commentaire le plus éloquent de tous. McConnell sait que critiquer Trump publiquement ne ferait qu’empirer les choses. Mais il ne peut pas non plus défendre la stratégie actuelle parce qu’elle est manifestement en train d’échouer. Donc il ne dit rien.
Le silence de McConnell est le silence d’un parti qui ne sait plus quoi faire.
Zohran Mamdani : le nouveau visage que les républicains redoutent
Un socialiste de 34 ans devient maire de New York
Zohran Mamdani, 34 ans, socialiste démocrate autoproclamé, a remporté la mairie de New York mardi soir. Il a battu Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur et figure de l’establishment démocrate. C’est une victoire symbolique énorme pour la gauche américaine.
Mamdani représente une génération qui rejette le capitalisme tel qu’il existe actuellement. Il parle de logements abordables, de santé universelle, de taxation des ultra-riches. C’est un programme qui aurait été considéré comme radical il y a dix ans. Aujourd’hui, il gagne des élections majeures.
Le cauchemar républicain : un adversaire qui énergise la gauche
Pour les Républicains, Mamdani représente un cauchemar stratégique. Pendant des années, ils ont utilisé la peur du « socialisme » pour mobiliser leur base. Mais maintenant, un socialiste réel—qui ne cache pas ses convictions—vient de gagner la mairie de la plus grande ville américaine.
Ça signifie que le message républicain « les Démocrates sont des socialistes dangereux » ne fonctionne plus comme arme de peur. Les électeurs ont regardé Mamdani, ont écouté son message, et ont dit : « OK, essayons ça. »
Trump trouve un nouvel ennemi : « Un peu de souveraineté perdue »
Trump a réagi à la victoire de Mamdani en disant que les États-Unis avaient « perdu un peu de souveraineté » avec cette élection. C’était une tentative de présenter Mamdani comme un extrémiste anti-américain.
Mais cette rhétorique ne semble plus fonctionner. Mamdani a gagné en parlant des vrais problèmes des New-Yorkais : les loyers inabordables, le métro délabré, l’inégalité économique croissante. Trump peut appeler ça « perte de souveraineté ». Les électeurs appellent ça « quelqu’un qui comprend mes problèmes ».
Conclusion : le crépuscule du trumpisme ou juste une mauvaise soirée ?
Mardi 4 novembre 2025 était-il un simple accident électoral—une mauvaise soirée causée par des circonstances spécifiques comme le shutdown—ou était-ce le début de quelque chose de plus profond ? C’est la question qui hante maintenant le Parti républicain. Et les réponses qu’ils donnent révèlent des divisions internes profondes.
Trump dit que c’est le shutdown et son absence du bulletin. Don Bacon dit que Trump « rate le contexte global ». Mike Johnson blâme les candidats. Les donateurs se retirent. Les législateurs d’États rouges refusent de suivre les ordres de redécoupage. Et pendant ce temps, les Démocrates gagnent des élections qu’ils n’auraient jamais dû gagner.
Ce qui est clair, c’est que le modèle trumpiste—mobiliser des électeurs à faible participation avec des messages culturels provocateurs—ne fonctionne plus aussi bien qu’avant. Peut-être parce que ces électeurs se sont habitués à Trump. Peut-être parce que les vrais problèmes—l’économie, les emplois, la santé—comptent plus que les guerres culturelles. Peut-être simplement parce que Trump n’est plus sur le bulletin et que ses supporters ne se déplacent que pour lui.
Mais quelle que soit la raison, le résultat est le même : les Républicains sont en train de perdre. Et ils ne semblent pas avoir de stratégie pour renverser cette tendance. Certains, comme Don Bacon, sonnent l’alarme. D’autres, comme Mike Johnson, cherchent des excuses. Et Trump lui-même refuse d’admettre que quelque chose de fondamental a changé.
Si 2026 ressemble à mardi—si les Démocrates continuent à gagner des élections dans des endroits où les Républicains devraient dominer—alors le Parti républicain devra faire face à une réalité déchirante : le trumpisme était peut-être une stratégie gagnante pour Trump personnellement, mais une stratégie perdante pour le parti à long terme. Et une fois que Trump ne sera plus là pour mobiliser sa base, qu’est-ce qui restera ?
C’est la question qui hante les républicains alarmés des États rouges. Et pour l’instant, personne n’a de réponse.