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Pour comprendre comment Donald Trump en est arrivé à partager cette absurdité, il faut remonter aux origines de cette fausse information et au réseau qui l’a créée. Christopher Blair, un blogueur libéral basé dans le Maine, gère depuis plusieurs années un empire de sites satiriques conçus spécifiquement pour piéger les conservateurs et exposer leur crédulité face aux informations qui confirment leurs préjugés. Son réseau principal, America’s Last Line of Defense (ALLOD), comprend plusieurs pages Facebook et sites web interconnectés, dont le Dunning-Kruger Times, America Loves Liberty, et d’autres variations. Tous ces sites publient sous le pseudonyme de « Flagg Eagleton — Patriot », un nom volontairement caricatural destiné à séduire un lectorat conservateur. La stratégie de Blair est simple mais efficace : créer des titres sensationnels qui confirment les pires suspicions de son public cible, en espérant que ces personnes partageront les articles sans jamais les lire ou vérifier leur véracité. Chaque article, chaque page Facebook, porte clairement la mention « rien sur cette page n’est réel », mais cette mise en garde est souvent ignorée ou invisible pour les utilisateurs qui partagent uniquement les titres et les images.

L’histoire des « redevances Obamacare » est l’une des créations les plus réussies de Blair, ayant circulé à plusieurs reprises depuis des années. La version partagée par Trump en novembre 2025 prétendait que le Department of Government Efficiency (DOGE), l’agence controversée dirigée par Elon Musk chargée de couper les dépenses fédérales, aurait « stoppé les paiements annuels de 2,5 millions de dollars à Barack Obama pour des redevances liées à l’Obamacare ». Le texte affirmait qu’Obama avait collecté ces paiements depuis 2010, totalisant 40 millions de dollars d’argent des contribuables. L’absurdité de cette affirmation saute aux yeux de quiconque réfléchit une seconde : comment un ancien président pourrait-il recevoir des « redevances » pour un surnom informel d’une loi qu’il a lui-même promulguée? Le terme « Obamacare » n’a jamais été déposé comme marque de commerce — il n’existe aucun mécanisme légal permettant à Obama de percevoir des paiements pour son utilisation. De plus, l’idée que le gouvernement fédéral verserait secrètement des millions à un ancien président sans que personne ne le remarque pendant quinze ans relève de la fantaisie complotiste la plus délirante. Mais pour ceux qui veulent croire qu’Obama était un escroc, que l’Obamacare était une arnaque financière, et que l’État profond gaspille l’argent des contribuables, cette histoire semblait trop belle pour être vérifiée.

Le piège du biais de confirmation

L’efficacité de cette fake news repose entièrement sur le biais de confirmation, ce mécanisme psychologique qui nous pousse à accepter sans critique les informations qui confortent nos croyances préexistantes tout en rejetant celles qui les contredisent. Christopher Blair l’a d’ailleurs explicitement reconnu dans une interview accordée à Reuters en mars 2025 : « L’histoire des redevances Obamacare est l’une de celles qu’ALLOD utilise avec succès depuis des années. L’opération prospère grâce au biais de confirmation. » Blair a créé un écosystème où les conservateurs se font piéger encore et encore par les mêmes types de fausses histoires, parce qu’ils veulent désespérément qu’elles soient vraies. Dans une autre interview à NBC News en 2024, Blair a expliqué sa philosophie : « Le but ultime de l’opération est la vérité, croyez-le ou non. Les gens qui ont tendance à croire ces histoires sont à droite, et plus l’histoire confirme leur biais, moins ils ont besoin de prouver qu’elle est vraie. » Cette tactique, bien qu’elle expose effectivement la crédulité de certains conservateurs, soulève également des questions éthiques : contribue-t-elle à l’écosystème de désinformation qu’elle prétend critiquer? En inondant l’internet de fausses histoires, même satiriques, Blair n’aggrave-t-il pas le problème de confiance envers l’information?

Le rôle des réseaux sociaux dans l’amplification

La fausse histoire des redevances Obamacare n’aurait jamais atteint Donald Trump sans l’infrastructure de Facebook et des réseaux sociaux qui permettent aux fake news de se propager exponentiellement. La version de février 2025 avait initialement circulé sur des pages Facebook conservatrices avant d’être démontée par les vérificateurs de faits. Mais dans l’écosystème fragmenté des médias sociaux, où chaque utilisateur vit dans sa propre bulle algorithmique, les démystifications atteignent rarement les mêmes audiences que les mensonges originaux. Lorsque Trump a partagé cette histoire en novembre — probablement après l’avoir vue dans son propre fil ou reçue d’un conseiller — elle a immédiatement gagné une nouvelle vie, amplifiée par l’autorité présidentielle elle-même. Les algorithmes de Truth Social, le réseau de Trump, ne sont certainement pas conçus pour promouvoir la vérification des faits ou pour signaler le contenu satirique. Au contraire, ils favorisent l’engagement et la viralité, récompensant les publications qui génèrent des réactions émotionnelles fortes — exactement le type de contenu que cette fake news provoque. Le résultat est un cercle vicieux où la désinformation circule librement, est validée par des figures d’autorité, puis se répand encore davantage sans jamais être corrigée efficacement.

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