Pour comprendre comment Donald Trump en est arrivé à partager cette absurdité, il faut remonter aux origines de cette fausse information et au réseau qui l’a créée. Christopher Blair, un blogueur libéral basé dans le Maine, gère depuis plusieurs années un empire de sites satiriques conçus spécifiquement pour piéger les conservateurs et exposer leur crédulité face aux informations qui confirment leurs préjugés. Son réseau principal, America’s Last Line of Defense (ALLOD), comprend plusieurs pages Facebook et sites web interconnectés, dont le Dunning-Kruger Times, America Loves Liberty, et d’autres variations. Tous ces sites publient sous le pseudonyme de « Flagg Eagleton — Patriot », un nom volontairement caricatural destiné à séduire un lectorat conservateur. La stratégie de Blair est simple mais efficace : créer des titres sensationnels qui confirment les pires suspicions de son public cible, en espérant que ces personnes partageront les articles sans jamais les lire ou vérifier leur véracité. Chaque article, chaque page Facebook, porte clairement la mention « rien sur cette page n’est réel », mais cette mise en garde est souvent ignorée ou invisible pour les utilisateurs qui partagent uniquement les titres et les images.
L’histoire des « redevances Obamacare » est l’une des créations les plus réussies de Blair, ayant circulé à plusieurs reprises depuis des années. La version partagée par Trump en novembre 2025 prétendait que le Department of Government Efficiency (DOGE), l’agence controversée dirigée par Elon Musk chargée de couper les dépenses fédérales, aurait « stoppé les paiements annuels de 2,5 millions de dollars à Barack Obama pour des redevances liées à l’Obamacare ». Le texte affirmait qu’Obama avait collecté ces paiements depuis 2010, totalisant 40 millions de dollars d’argent des contribuables. L’absurdité de cette affirmation saute aux yeux de quiconque réfléchit une seconde : comment un ancien président pourrait-il recevoir des « redevances » pour un surnom informel d’une loi qu’il a lui-même promulguée? Le terme « Obamacare » n’a jamais été déposé comme marque de commerce — il n’existe aucun mécanisme légal permettant à Obama de percevoir des paiements pour son utilisation. De plus, l’idée que le gouvernement fédéral verserait secrètement des millions à un ancien président sans que personne ne le remarque pendant quinze ans relève de la fantaisie complotiste la plus délirante. Mais pour ceux qui veulent croire qu’Obama était un escroc, que l’Obamacare était une arnaque financière, et que l’État profond gaspille l’argent des contribuables, cette histoire semblait trop belle pour être vérifiée.
Le piège du biais de confirmation
L’efficacité de cette fake news repose entièrement sur le biais de confirmation, ce mécanisme psychologique qui nous pousse à accepter sans critique les informations qui confortent nos croyances préexistantes tout en rejetant celles qui les contredisent. Christopher Blair l’a d’ailleurs explicitement reconnu dans une interview accordée à Reuters en mars 2025 : « L’histoire des redevances Obamacare est l’une de celles qu’ALLOD utilise avec succès depuis des années. L’opération prospère grâce au biais de confirmation. » Blair a créé un écosystème où les conservateurs se font piéger encore et encore par les mêmes types de fausses histoires, parce qu’ils veulent désespérément qu’elles soient vraies. Dans une autre interview à NBC News en 2024, Blair a expliqué sa philosophie : « Le but ultime de l’opération est la vérité, croyez-le ou non. Les gens qui ont tendance à croire ces histoires sont à droite, et plus l’histoire confirme leur biais, moins ils ont besoin de prouver qu’elle est vraie. » Cette tactique, bien qu’elle expose effectivement la crédulité de certains conservateurs, soulève également des questions éthiques : contribue-t-elle à l’écosystème de désinformation qu’elle prétend critiquer? En inondant l’internet de fausses histoires, même satiriques, Blair n’aggrave-t-il pas le problème de confiance envers l’information?
Le rôle des réseaux sociaux dans l’amplification
La fausse histoire des redevances Obamacare n’aurait jamais atteint Donald Trump sans l’infrastructure de Facebook et des réseaux sociaux qui permettent aux fake news de se propager exponentiellement. La version de février 2025 avait initialement circulé sur des pages Facebook conservatrices avant d’être démontée par les vérificateurs de faits. Mais dans l’écosystème fragmenté des médias sociaux, où chaque utilisateur vit dans sa propre bulle algorithmique, les démystifications atteignent rarement les mêmes audiences que les mensonges originaux. Lorsque Trump a partagé cette histoire en novembre — probablement après l’avoir vue dans son propre fil ou reçue d’un conseiller — elle a immédiatement gagné une nouvelle vie, amplifiée par l’autorité présidentielle elle-même. Les algorithmes de Truth Social, le réseau de Trump, ne sont certainement pas conçus pour promouvoir la vérification des faits ou pour signaler le contenu satirique. Au contraire, ils favorisent l’engagement et la viralité, récompensant les publications qui génèrent des réactions émotionnelles fortes — exactement le type de contenu que cette fake news provoque. Le résultat est un cercle vicieux où la désinformation circule librement, est validée par des figures d’autorité, puis se répand encore davantage sans jamais être corrigée efficacement.
Trump et son obsession destructrice pour l'Obamacare
Pour saisir pourquoi Donald Trump était si prêt à croire et à partager cette fausse information sur Barack Obama et l’Obamacare, il faut comprendre l’obsession maladive qu’il entretient depuis des années envers cette loi. L’Affordable Care Act, promulgué en 2010, représente l’un des héritages législatifs les plus significatifs d’Obama, ayant étendu la couverture d’assurance santé à des millions d’Américains non-assurés. Pour Trump, détruire l’Obamacare n’est pas simplement une question de politique publique — c’est une croisade personnelle visant à effacer l’héritage de son prédécesseur, un homme qu’il a longtemps dénigré et dont il jalouse manifestement la popularité durable. Dès sa première présidence (2017-2021), Trump avait promis d’« abroger et remplacer » l’Obamacare, une promesse qui est devenue un refrain constant de ses rassemblements et de ses discours. Malgré le contrôle républicain du Congrès pendant ses deux premières années, Trump a échoué spectaculairement à démanteler la loi, en partie à cause de la résistance de certains sénateurs républicains modérés, et en partie parce que son administration n’a jamais présenté de plan de remplacement viable. Ce échec reste l’une des humiliations politiques les plus marquantes de sa première présidence.
Maintenant, lors de sa seconde présidence en 2025, Trump a relancé cette bataille avec une intensité renouvelée. Le contexte politique actuel lui offre une nouvelle opportunité : les crédits d’impôt élargis de l’Affordable Care Act, introduits en 2021 sous l’administration Biden et qui ont permis de faire passer l’inscription à l’Obamacare à 24 millions d’Américains, arrivent à expiration. Les Démocrates au Sénat exigent une extension de ces subventions comme condition préalable à la réouverture du gouvernement fédéral, tandis que les Républicains, encouragés par Trump, refusent de les renouveler. Trump a intensifié sa rhétorique ce week-end du 9 novembre, publiant sur Truth Social une série de messages virulents décrivant les subventions de l’ACA comme une « manne pour les compagnies d’assurance santé » et un « DÉSASTRE pour le peuple américain ». Il a proposé à la place que le gouvernement envoie l’argent « DIRECTEMENT AU PEUPLE » pour qu’ils puissent « ACHETER LEUR PROPRE ASSURANCE SANTÉ, BIEN MEILLEURE, et économiser une FORTUNE ABSOLUE!!! » Cette proposition, techniquement incohérente et économiquement irréaliste, révèle une compréhension superficielle du fonctionnement des marchés d’assurance et des raisons pour lesquelles les subventions gouvernementales sont nécessaires pour rendre la couverture abordable.
La fermeture gouvernementale historique en toile de fond
L’affaire de la fake news sur les redevances Obamacare se déroule dans le contexte explosif de la plus longue fermeture gouvernementale de l’histoire américaine. Depuis le 1er octobre 2025, le gouvernement fédéral est paralysé — quarante jours au moment où Trump a partagé cette désinformation — en raison d’une impasse au Congrès concernant le financement des subventions de l’Affordable Care Act. Les Démocrates, dirigés par le chef de la minorité au Sénat Chuck Schumer, ont insisté pour que les crédits d’impôt de l’ACA soient prolongés avant qu’ils n’acceptent de voter pour rouvrir le gouvernement. Les Républicains, suivant les directives de Trump, ont rejeté cette demande, arguant que la question des subventions devrait être traitée après la réouverture du gouvernement. Cette impasse a des conséquences dramatiques : des centaines de milliers d’employés fédéraux sont en congé forcé ou travaillent sans salaire, des services essentiels sont interrompus, et l’économie américaine subit des dommages quotidiens chiffrés en milliards de dollars. Dimanche 9 novembre, le Sénat a avancé sur une mesure visant à mettre fin au blocage, mais les négociations restaient tendues, avec Trump doublant ses attaques contre l’Obamacare au moment même où un compromis semblait nécessaire.
Le rôle controversé du DOGE d’Elon Musk
La fausse affirmation partagée par Trump mentionnait spécifiquement le Department of Government Efficiency (DOGE), l’agence controversée dirigée par le milliardaire Elon Musk et créée pour identifier et éliminer les « gaspillages » dans les dépenses fédérales. Le DOGE, dont le nom est un acronyme manifestement choisi en référence à la cryptomonnaie Dogecoin adorée par Musk, a été l’un des projets les plus controversés de la seconde présidence de Trump. Créé en janvier 2025, le DOGE a reçu des pouvoirs extraordinaires pour accéder aux systèmes de données gouvernementaux, examiner les budgets fédéraux, et recommander des coupes massives. Musk, qui n’a aucune expérience gouvernementale préalable mais une fortune estimée à plusieurs centaines de milliards de dollars grâce à Tesla et SpaceX, a recruté une équipe de technocrates et d’entrepreneurs privés pour « disrupter » le gouvernement fédéral comme on « disrupte » une startup. Les résultats ont été chaotiques : des programmes de diversité et d’inclusion ont été éliminés sans préavis, des agences entières ont vu leurs budgets coupés drastiquement, et des employés fédéraux de carrière ont été licenciés en masse, souvent en violation des protections syndicales et des lois sur la fonction publique. Les Démocrates et les défenseurs des droits civils ont accusé Musk de conflits d’intérêts flagrants, étant donné que ses entreprises bénéficient de milliards de dollars en contrats gouvernementaux, et ont intenté des poursuites pour stopper certaines des actions du DOGE.
La réaction médiatique et le fact-checking impuissant
Dès que Donald Trump a partagé la fausse affirmation sur les redevances Obamacare dimanche soir, les vérificateurs de faits et les journalistes se sont précipités pour la démonter. Forbes, Yahoo News, Firstpost, Salon, et d’innombrables autres médias ont rapidement publié des articles expliquant que l’affirmation provenait d’un site satirique, que tout était fictif, et que Trump avait « mangé l’oignon » — une expression anglaise (« ate the onion ») désignant quelqu’un qui prend au sérieux un article du site satirique The Onion ou d’un site similaire. Les journalistes ont souligné que le Dunning-Kruger Times indiquait clairement sur sa page « À propos » que tout son contenu était fictif. Ils ont rappelé que cette même histoire avait circulé en février 2025 et avait déjà été débunkée à l’époque. Ils ont contacté la Maison Blanche pour demander des commentaires — sans recevoir de réponse immédiate, comme d’habitude. Forbes a noté avec une pointe de sarcasme que « le président a posté un titre fictif » et que « la raison pour laquelle le président a choisi de partager ce post reste incertaine ». Cette phrase diplomatique masquait à peine l’incrédulité des journalistes face à l’incompétence ou à la malveillance du président.
Mais voici le problème fondamental avec le fact-checking à l’ère de Trump et des médias sociaux : il est largement impuissant. Les articles de démystification atteignent principalement les personnes qui étaient déjà sceptiques de l’affirmation originale — en d’autres termes, ils prêchent aux convertis. Les millions de personnes qui ont vu le post de Trump sur Truth Social, qui l’ont partagé sur Facebook ou Twitter, et qui y ont cru parce qu’il confirmait leur vision du monde, ne verront probablement jamais les corrections. Les algorithmes des réseaux sociaux ne favorisent pas les démystifications ennuyeuses et factuelles — ils favorisent les contenus émotionnellement chargés, controversés et viraux, exactement comme la fake news originale. De plus, dans l’univers parallèle des médias conservateurs, où Fox News, Newsmax, One America News et d’innombrables sites d’information partisans dominent la consommation d’information, les démystifications des médias « mainstream » sont souvent perçues comme des attaques partisanes plutôt que comme des corrections factuelles. Lorsque le New York Times ou CNN dit que Trump a partagé une fake news, une portion significative de son base électorale réagit avec scepticisme, pensant que ces médias mentent pour protéger Obama. Cette fragmentation de la réalité informationelle — où différentes audiences consomment des faits complètement différents et se méfient mutuellement de leurs sources — rend le fact-checking traditionnel presque obsolète.
Le silence assourdissant de la Maison Blanche
Ce qui est peut-être le plus révélateur dans cette affaire, c’est le silence total de la Maison Blanche après que Trump ait partagé cette fake news grotesque. Aucune correction n’a été émise. Aucun conseiller n’a publiquement reconnu l’erreur. Le post est resté sur Truth Social, vu par des millions de personnes, sans jamais être supprimé ou accompagné d’une clarification. Cette absence de responsabilité est devenue la norme sous Trump : lorsque le président dit ou partage quelque chose de manifestement faux, son équipe adopte une stratégie de silence ou de diversion, espérant que le cycle médiatique passera rapidement à autre chose. Parfois, des porte-paroles tentent de réinterpréter ou de « contextualiser » les mensonges présidentiels, utilisant des formulations tortueuses pour éviter de reconnaître l’erreur tout en suggérant que les critiques ont « mal compris » l’intention de Trump. Mais dans ce cas, même cette gymnastique rhétorique semblait impossible — comment peut-on réinterpréter le partage d’une histoire satirique affirmant qu’Obama recevait des redevances pour Obamacare? L’absurdité était trop flagrante pour être défendue. Alors l’équipe de Trump a simplement choisi de l’ignorer, comptant sur le fait que ses partisans ne s’en soucieraient pas et que ses opposants étaient déjà convaincus de son incompétence.
Les précédents inquiétants de désinformation présidentielle
L’incident des redevances Obamacare n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’innombrables cas où Donald Trump a partagé ou créé de la désinformation. Tout au long de sa carrière politique, Trump a été un producteur et un diffuseur prolifique de fausses informations, allant du complotisme pur (comme la théorie du « birtherism » affirmant qu’Obama n’était pas né aux États-Unis) aux exagérations économiques (comme son affirmation récurrente que « 17 000 milliards de dollars » sont investis dans le pays, un chiffre largement gonflé et non-vérifié), en passant par les mensonges sur la taille de ses foules ou les résultats électoraux. Lors d’une interview récente avec 60 Minutes début novembre 2025, les vérificateurs de faits de CNN ont identifié au moins 18 affirmations fausses ou trompeuses faites par Trump, la plupart ayant déjà été démontées à plusieurs reprises. Cette récidive constante — répétant les mêmes mensonges même après qu’ils aient été démystifiés — suggère soit une ignorance profonde des faits, soit une stratégie délibérée de « mentir jusqu’à ce que le mensonge devienne une vérité acceptée » dans l’esprit de ses partisans. Les psychologues et les experts en communication appellent cela l’« effet de vérité illusoire » : plus un mensonge est répété, plus les gens ont tendance à le croire, même s’ils ont été exposés à des corrections.
Christopher Blair et l'éthique de la satire politique
Au cœur de cette affaire se trouve une figure fascinante et controversée : Christopher Blair, le créateur du Dunning-Kruger Times et du réseau America’s Last Line of Defense. Blair se décrit lui-même comme un « troll professionnel » dont la mission est d’exposer la crédulité et les biais des conservateurs américains. Basé dans le Maine, cet homme de cinquante ans gère un empire de sites satiriques qui génèrent des millions de vues mensuelles et qui ont piégé d’innombrables personnalités publiques, de simples citoyens aux célébrités, en passant maintenant par le président des États-Unis lui-même. Dans diverses interviews accordées à des médias comme le Washington Post, NBC News et Reuters, Blair a expliqué sa philosophie : « Le but ultime de l’opération est la vérité, croyez-le ou non. Les gens qui ont tendance à croire ces histoires sont à droite, et plus l’histoire confirme leur biais, moins ils ont besoin de prouver qu’elle est vraie. » En créant des contenus si absurdes que personne ne devrait raisonnablement y croire, Blair espère forcer les gens à réfléchir de manière critique avant de partager des informations en ligne. Mais cette stratégie soulève d’énormes questions éthiques sur lesquelles Blair lui-même semble ambivalent.
D’un côté, on peut argumenter que Blair fournit un service public en exposant les mécanismes de la désinformation et en forçant une conversation sur le biais de confirmation et la littératie médiatique. Lorsque des personnalités publiques comme Donald Trump tombent dans ses pièges, cela prouve de manière irréfutable que même les dirigeants les plus puissants peuvent être victimes de fake news s’ils ne prennent pas le temps de vérifier leurs sources. Ces moments embarrassants deviennent des opportunités d’enseignement, des cas d’étude parfaits pour les éducateurs qui veulent montrer l’importance de la vérification des faits. D’un autre côté, en inondant l’internet de fausses histoires — même satiriques — Blair contribue objectivement à l’écosystème de désinformation qu’il prétend combattre. Chaque fausse histoire qu’il crée est partagée par des milliers de personnes qui la prennent au sérieux, et seule une fraction de ces personnes verra éventuellement une correction. Le résultat net pourrait bien être une augmentation de la confusion et de la méfiance plutôt qu’une amélioration de la littératie médiatique. De plus, la satire ne fonctionne que lorsque le public comprend qu’il s’agit de satire. Lorsque les avertissements « tout ceci est fictif » sont systématiquement ignorés, la satire devient indiscernable du mensonge pur et simple.
Le business model de la désinformation satirique
Il serait naïf d’ignorer que Christopher Blair tire également un profit financier de son réseau de sites satiriques. Comme beaucoup de créateurs de contenu en ligne, Blair monétise son audience à travers la publicité en ligne — plus ses articles deviennent viraux, plus il gagne d’argent. Cette réalité économique complique considérablement sa mission autoproclamée de « vérité ». Est-il vraiment un croisé contre la désinformation, ou est-il simplement un entrepreneur qui a trouvé un marché lucratif en exploitant la crédulité des gens? Blair lui-même a admis dans des interviews que son travail n’était pas seulement motivé par l’idéalisme. Dans une conversation avec NBC News en 2024, il a déclaré : « Le but ultime de l’opération est la vérité, croyez-le ou non », mais il a ensuite ajouté : « Mais mon but n’est pas nécessairement juste de faire une déclaration sur la désinformation. » Cette ambiguïté suggère que Blair est tiraillé entre sa mission satirique et la réalité qu’il profite de l’écosystème qu’il critique. Son réseau America’s Last Line of Defense comprend désormais plusieurs sites et pages Facebook totalisant des millions d’abonnés, générant probablement des revenus publicitaires substantiels. Cette dynamique crée une incitation perverse : plus les gens partagent ses fausses histoires en les prenant au sérieux, plus il gagne d’argent, ce qui le pousse à créer des contenus toujours plus outranciers et viraux.
Les victimes collatérales de la satire mal comprise
Au-delà des personnalités publiques comme Trump, les fake news satiriques de Blair ont également piégé d’innombrables citoyens ordinaires, avec des conséquences parfois sérieuses. En 2024, une histoire satirique affirmant que la chanteuse Reba McEntire avait expulsé Taylor Swift d’un restaurant est devenue virale, provoquant une vague de harcèlement en ligne contre McEntire avant d’être démystifiée. En avril 2025, une autre histoire de Blair affirmant que la représentante démocrate Alexandria Ocasio-Cortez avait frauduleusement encaissé la pension de sa grand-mère décédée a circulé largement, salissant injustement la réputation de la politicienne. Ces exemples illustrent un problème fondamental : lorsque la satire est mal comprise, elle devient de la diffamation. Les personnes nommées dans ces fausses histoires subissent des dommages réputationnels réels, même après que les histoires aient été démystifiées. Et contrairement aux personnalités publiques qui ont des équipes de relations publiques pour gérer ces crises, les citoyens ordinaires qui se font piéger et partagent ces histoires deviennent eux-mêmes des cibles de moquerie et d’humiliation en ligne. Cette dynamique crée un environnement toxique où tout le monde est potentiellement victime — soit en tant que sujet d’une fausse histoire, soit en tant que personne ridiculisée pour avoir cru à une satire.
Les implications pour la démocratie américaine
Lorsque le président des États-Unis partage une fake news grotesque à 11 millions d’abonnés, ce n’est pas simplement une gaffe embarrassante — c’est un symptôme d’une crise démocratique profonde. La capacité d’une société à fonctionner démocratiquement dépend fondamentalement de l’existence d’un discours public basé sur des faits partagés. Les citoyens doivent pouvoir accéder à des informations fiables pour prendre des décisions éclairées lors des élections, pour tenir leurs dirigeants responsables, et pour participer au débat public. Mais lorsque le président lui-même — la personne censée avoir accès aux meilleurs renseignements et conseillers du monde — ne peut pas distinguer la satire de la réalité, cela révèle un effondrement complet de ce système informationnel. Comment les citoyens ordinaires sont-ils censés naviguer dans cet environnement si leur propre chef d’État échoue si spectaculairement? L’incident du 9 novembre 2025 n’est pas isolé — il s’inscrit dans une érosion systématique de la vérité en tant que concept partagé dans la politique américaine. Sous Trump, les « faits alternatifs » sont devenus une stratégie de gouvernance légitime, où les affirmations du président sont considérées comme vraies par définition, indépendamment de toute preuve objective.
Cette dynamique a des conséquences concrètes et dangereuses. Lorsque des millions d’Américains croient que Barack Obama a volé 40 millions de dollars aux contribuables via l’Obamacare — même après que cela ait été démenti — ils développent une méfiance encore plus profonde envers le gouvernement et envers les institutions démocratiques. Cette méfiance alimente le cynisme, l’apathie politique, et la polarisation. Elle rend impossible la résolution de problèmes collectifs, parce que les différentes factions ne peuvent même pas s’accorder sur les faits de base. Le débat sur l’Obamacare, par exemple, devrait porter sur des questions légitimes : les subventions sont-elles efficaces? Sont-elles durables financièrement? Comment peuvent-elles être améliorées? Mais au lieu de cela, le débat est pollué par des mensonges conspirationnistes sur des « redevances » inexistantes. Cette pollution informationnelle rend la gouvernance rationnelle quasi-impossible. Les législateurs qui tentent de trouver des compromis se font attaquer par leurs propres bases électorales, convaincues par des fake news que tout compromis est une trahison. Le résultat est la paralysie gouvernementale — comme la fermeture de quarante jours qui a servi de toile de fond à cet incident — où rien ne peut être accompli parce que personne ne s’accorde sur la réalité.
La normalisation du mensonge présidentiel
L’un des aspects les plus troublants de l’ère Trump est la normalisation du mensonge présidentiel. Historiquement, lorsqu’un président américain était pris en train de mentir — que ce soit Nixon sur le Watergate, Clinton sur Lewinsky, ou Bush sur les armes de destruction massive en Irak — cela provoquait des scandales majeurs avec des conséquences politiques graves. Mais sous Trump, le mensonge est devenu si fréquent, si banal, qu’il ne provoque plus de réaction significative. Pendant sa première présidence, le Washington Post a compté plus de 30 000 affirmations fausses ou trompeuses en quatre ans. Cette avalanche a créé une sorte de fatigue du fact-checking : il y avait tellement de mensonges que les médias ne pouvaient pas tous les couvrir, et le public s’est progressivement habitué à l’idée qu’un président pouvait mentir impunément. Maintenant, lors de sa seconde présidence, cette normalisation est complète. Lorsque Trump partage une fake news sur les redevances Obamacare, la réaction générale est un haussement d’épaules collectif — « encore Trump qui ment, quoi de neuf? » Cette indifférence est profondément dangereuse, car elle signifie que les mensonges présidentiels n’ont plus de coût politique. Trump ne sera pas sanctionné par ses partisans pour avoir partagé cette fausse information ; au contraire, beaucoup le défendront et attaqueront les fact-checkers comme étant « biaisés » ou « anti-Trump ».
L’érosion de la confiance institutionnelle
Chaque fois que Trump partage une fake news et refuse ensuite de la corriger, il contribue à l’érosion de la confiance institutionnelle — non seulement envers la présidence, mais envers toutes les institutions de vérification qui tentent de le contredire. Lorsque des médias comme Forbes, Reuters ou CNN démystifient ses affirmations, Trump et ses partisans les attaquent comme « ennemis du peuple » ou « fake news media ». Cette stratégie, bien que cyniquement efficace pour mobiliser sa base, détruit la possibilité même d’un arbitrage factuel dans le débat public. Si les institutions de fact-checking sont considérées comme politiquement biaisées et donc non-fiables, qui décide de ce qui est vrai? La réponse dans l’univers trumpien est simple : Trump lui-même. Ses affirmations sont vraies par définition, et toute contradiction est une attaque politique. Cette logique circulaire crée un système fermé où la vérité objective n’existe plus, seulement des narratifs concurrents jugés par leur alignement politique. Les conséquences à long terme de cette érosion de confiance sont terrifiantes. Si les citoyens ne peuvent plus faire confiance aux médias, aux scientifiques, aux experts, ou même à leurs propres dirigeants élus, sur quoi peuvent-ils se baser pour prendre des décisions? La réponse semble être l’intuition tribale et l’identité partisane — je crois ce qui renforce mon appartenance à mon groupe, je rejette ce qui la menace.
Les solutions possibles face à l'épidémie de désinformation
Face à cette crise systémique de désinformation dont l’incident du 9 novembre n’est qu’un symptôme parmi tant d’autres, quelles solutions existent? Les experts en communication, les chercheurs en sciences sociales et les défenseurs de la démocratie ont proposé diverses approches, mais aucune n’offre de remède miracle. La première stratégie souvent évoquée est l’éducation à la littératie médiatique : enseigner aux citoyens, dès l’école primaire et tout au long de leur vie, comment évaluer de manière critique les sources d’information, comment identifier les biais, et comment vérifier les faits avant de partager du contenu en ligne. Cette approche est logique en théorie, mais elle se heurte à des obstacles pratiques massifs. D’abord, les systèmes éducatifs américains sont fragmentés et inégalement financés, rendant difficile l’implémentation uniforme de programmes de littératie médiatique. Ensuite, les adultes qui sont déjà piégés dans des écosystèmes de désinformation sont peu susceptibles de s’inscrire volontairement à des cours de fact-checking. Enfin, la littératie médiatique demande du temps et des efforts cognitifs que beaucoup de gens, épuisés par le travail et les responsabilités quotidiennes, ne peuvent ou ne veulent pas investir. Il est beaucoup plus facile de croire instinctivement une information qui confirme nos préjugés que de la vérifier méticuleusement.
Une deuxième approche consiste à réformer les plateformes de réseaux sociaux elles-mêmes, en les forçant à assumer davantage de responsabilité pour le contenu qu’elles diffusent. Cela pourrait inclure des algorithmes qui favorisent les sources d’information fiables plutôt que le contenu viral, des systèmes de fact-checking intégrés qui signalent automatiquement les fausses informations, et des pénalités pour les comptes qui partagent répétitivement de la désinformation. Des plateformes comme Facebook et Twitter (maintenant X) ont tenté diverses versions de ces approches, avec des résultats mitigés. Le problème est que ces plateformes sont fondamentalement motivées par le profit, et le contenu sensationnel — y compris la désinformation — génère plus d’engagement et donc plus de revenus publicitaires que le contenu factuel et nuancé. De plus, toute tentative de modération de contenu est immédiatement dénoncée par les conservateurs comme de la « censure » et du « biais anti-conservateur », créant une pression politique intense pour relâcher les standards. Elon Musk, après avoir acheté Twitter en 2022, a largement démantelé les systèmes de modération de la plateforme au nom de la « liberté d’expression absolue », transformant le site en un égout de désinformation et de théories du complot. Trump lui-même a créé Truth Social précisément parce qu’il voulait une plateforme sans modération où il pourrait dire n’importe quoi sans risque d’être corrigé ou banni.
Le rôle crucial du journalisme indépendant
Une troisième approche, peut-être la plus traditionnelle mais toujours essentielle, est le soutien au journalisme indépendant et de qualité. Les médias d’information professionnels — malgré leurs imperfections et leurs biais occasionnels — restent les institutions les mieux équipées pour vérifier les faits, enquêter en profondeur, et tenir le pouvoir responsable. Mais le modèle économique du journalisme est en crise depuis l’avènement d’internet : les revenus publicitaires ont migré vers Google et Facebook, les abonnements aux journaux ont chuté, et d’innombrables rédactions ont été fermées ou drastiquement réduites. Cette crise financière a créé un vide informationnel dans de nombreuses communautés, vide qui est souvent rempli par des sources de désinformation. Soutenir le journalisme pourrait impliquer des subventions publiques (comme le font certains pays européens avec leurs médias publics), des incitations fiscales pour les abonnements aux journaux, ou des régulations forçant les plateformes technologiques à rémunérer les éditeurs pour le contenu qu’elles diffusent (comme la loi sur les droits voisins en France). Mais ici encore, la polarisation politique complique les choses : dans un environnement où les médias traditionnels sont perçus comme biaisés par une large portion de la population, augmenter leur financement public pourrait simplement renforcer les accusations de propagande gouvernementale.
La responsabilité individuelle et collective
Au-delà des solutions institutionnelles, il existe également une dimension de responsabilité individuelle et collective que nous ne pouvons pas ignorer. Chaque personne qui partage une information en ligne sans la vérifier contribue au problème de désinformation. Chaque fois que nous cliquons sur un titre sensationnel sans lire l’article, chaque fois que nous partageons quelque chose parce que cela nous met en colère ou confirme nos préjugés sans nous demander si c’est vrai, nous participons à la dégradation de l’écosystème informationnel. Cette responsabilité individuelle est difficile à imposer — on ne peut pas légalement obliger les gens à vérifier leurs sources — mais elle peut être encouragée culturellement. Les leaders d’opinion, les éducateurs, les influenceurs et les figures publiques peuvent modéliser de bonnes pratiques informationnelles, en vérifiant publiquement leurs sources, en reconnaissant leurs erreurs lorsqu’ils partagent de fausses informations, et en encourageant la réflexion critique. Mais tant que le président des États-Unis lui-même donne l’exemple inverse — partageant des fake news sans conséquence et refusant de les corriger — il est difficile d’espérer un changement culturel significatif. Trump, par sa position et son influence, normalise la désinformation et enseigne à des millions de personnes que la vérification des faits est inutile, voire suspecte.
Conclusion
L’incident du 9 novembre 2025, où Donald Trump a partagé une fausse information grotesque affirmant que Barack Obama avait reçu 40 millions de dollars en « redevances » pour l’Obamacare, restera dans l’histoire comme un symbole parfait de l’ère post-vérité que nous traversons. Ce n’était pas simplement une gaffe embarrassante ou une erreur innocente — c’était la manifestation d’une crise systémique où le président des États-Unis, la personne censée avoir accès aux meilleurs renseignements du monde, ne peut pas distinguer la satire d’un site web qui proclame littéralement « tout ici est fictif » de la réalité. L’affirmation venait du Dunning-Kruger Times, un site satirique créé par Christopher Blair précisément pour piéger les conservateurs crédules et exposer leur biais de confirmation. Trump, dans toute son arrogance et son incompétence, est tombé dans ce piège avec une facilité déconcertante, avalant l’hameçon avec un simple « WOW! » avant de l’amplifier à 11 millions d’abonnés. Les vérificateurs de faits se sont précipités pour démonter le mensonge, mais comme toujours, leurs corrections ont atteint principalement ceux qui étaient déjà sceptiques. Les millions de partisans de Trump qui ont vu et cru son post continueront probablement à penser qu’Obama est un escroc, même après avoir été exposés aux démystifications. C’est la tragédie de notre époque : la vérité existe encore, mais elle n’a plus de pouvoir pour convaincre ceux qui préfèrent le mensonge.
Cet incident se déroule dans un contexte plus large de guerre politique totale autour de l’Affordable Care Act, avec le gouvernement fédéral paralysé depuis quarante jours par une impasse entre Démocrates exigeant la prolongation des subventions de l’ACA et Républicains suivant les ordres de Trump pour les éliminer. L’obsession maladive de Trump pour la destruction de l’héritage d’Obama le rend particulièrement vulnérable à ce type de désinformation — il veut tellement croire qu’Obama était corrompu que son esprit critique s’évapore entièrement. Le fait que cette fake news mentionnait le DOGE d’Elon Musk, l’agence controversée chargée de couper les dépenses gouvernementales, ajoutait une couche supplémentaire de crédibilité apparente pour ceux qui soutiennent cette initiative. Mais au fond, l’incident révèle des vérités bien plus sombres sur l’état de la démocratie américaine en 2025. Nous vivons désormais dans un monde où les faits partagés n’existent plus, où chaque tribu politique habite sa propre réalité, où les institutions de vérification sont considérées comme politiquement biaisées, et où le mensonge présidentiel est normalisé au point de ne plus provoquer d’indignation significative. Les solutions — éducation à la littératie médiatique, réforme des plateformes sociales, soutien au journalisme indépendant — semblent inadéquates face à l’ampleur du problème. Tant que le président lui-même modélise et récompense la désinformation, comment pouvons-nous espérer que les citoyens ordinaires fassent mieux? Le vrai scandale du 9 novembre 2025 n’est pas qu’une fake news ait circulé — c’est que le président des États-Unis l’ait partagée sans conséquence, que des millions de personnes l’aient crue, et que demain, tout recommencera avec un nouveau mensonge dans ce cycle infernal qui détruit lentement notre capacité collective à distinguer le vrai du faux.