Revenons en arrière. Comprenons comment nous en sommes arrivés là. Le shutdown a commencé le 1er octobre 2025, à minuit, quand le Congrès n’a pas réussi à passer un budget pour l’année fiscale 2026. Pourquoi ? Parce que les républicains, avec leur majorité à la Chambre et au Sénat, ont refusé d’inclure l’extension des subventions santé dans le projet de loi. Donald Trump, de retour à la Maison-Blanche pour son deuxième mandat, a encouragé ce blocage. Il voulait un shutdown. Il l’a dit publiquement : « On va licencier beaucoup de gens qui vont être très affectés, ce sont des démocrates ». C’était son plan depuis le début — utiliser la crise pour réduire la taille du gouvernement fédéral, pour virer des employés qu’il considère comme ses ennemis politiques.
Pendant 41 jours, l’Amérique s’est effondrée par morceaux. Les parcs nationaux ont fermé. Les projets de recherche fédéraux se sont arrêtés net. Les approbations de prêts et de cotations boursières ont été gelées. Mais surtout, les êtres humains ont souffert. 42 millions d’Américains dépendent du programme SNAP (anciennement appelé « food stamps ») pour se nourrir. En novembre, le Département de l’Agriculture a annoncé qu’aucune prestation SNAP ne serait versée. Rien. Des millions de familles à faible revenu se sont retrouvées sans aide alimentaire. Des files d’attente interminables se sont formées devant les banques alimentaires. Maria, une employée fédérale non payée interviewée par ABC News, a déclaré : « Je n’ai pas voté pour ça… Je pense que c’est la partie la plus difficile ; nous n’avons pas demandé ça ». Des juges fédéraux ont dû intervenir pour forcer le gouvernement à distribuer les prestations, mais dans certains États, seules des prestations partielles ont été versées.
Le chaos dans les airs
L’aviation civile a plongé dans le chaos. Les contrôleurs aériens, non payés depuis des semaines, ont continué à travailler par devoir. Mais la pression est devenue insoutenable. Le 7 novembre, l’administration Trump a ordonné aux compagnies aériennes de réduire leurs vols de 4%, avec une augmentation prévue à 10% d’ici le 14 novembre. Résultat ? Plus de 1 530 vols annulés le samedi 9 novembre, avec des milliers d’autres retardés. Des familles coincées dans des aéroports. Des voyages d’affaires annulés. Une économie qui se grippe encore plus. Le coût économique estimé de ce shutdown ? Entre 7 et 14 milliards de dollars pour le premier mois seulement. Chaque semaine supplémentaire enlevait 0,1 à 0,2 point de pourcentage à la croissance économique. C’est colossal. C’est dévastateur. Et c’était évitable.
Les licenciements de masse de Trump
Mais Trump n’a pas juste laissé le gouvernement en standby. Non, il a utilisé le shutdown pour faire ce qu’aucun président n’avait osé faire avant lui : licencier des employés fédéraux en masse pendant la paralysie. Le 10 octobre, plus de 4 100 travailleurs fédéraux ont reçu des avis de licenciement. Le Département du Trésor a perdu 1 446 employés. Le Département de la Santé et des Services sociaux en a perdu 1 100, principalement aux Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Des experts en maladies infectieuses. Des chercheurs sur Ebola. Des épidémiologistes. Virés. Pendant une pandémie mondiale encore fraîche dans nos mémoires. L’Office of Management and Budget avait préparé ces licenciements dès le 24 septembre, avant même que le shutdown ne commence. C’était prémédité. Calculé. Cruel. Des syndicats ont poursuivi le gouvernement en justice, et un juge fédéral a temporairement bloqué certains licenciements, mais le mal était fait. L’incertitude régnait.
La révolte des progressistes
Quand la nouvelle de l’accord du Sénat s’est répandue dimanche soir, la gauche américaine a explosé. Les progressistes, les activistes, les élus de l’aile gauche du Parti démocrate ont hurlé leur rage. Patty Murray, sénatrice démocrate de Washington et cheffe de file du Comité des crédits, a déclaré : « Tant qu’il reste une chance de renverser l’augmentation des coûts de santé MAGA, je crois que nous devons épuiser tous les efforts pour forcer les républicains à négocier ». Mais elle était dans la minorité. Les huit qui ont cédé représentaient une faction modérée, centriste, qui a décidé que les souffrances causées par le shutdown justifiaient un compromis — même un compromis pourri.
L’argument de ces huit sénateurs ? Jeanne Shaheen, l’une des négociatrices principales, l’a résumé ainsi sur CBS Mornings : « Garder le gouvernement fermé pendant une autre semaine ou un autre mois n’indique pas qu’il y aurait un changement dans le résultat ». Autrement dit, ils ont jugé que la bataille était perdue, que les républicains ne céderaient jamais, et qu’il valait mieux sauver ce qui pouvait l’être — le retour au travail des employés fédéraux, la réouverture des services, la distribution des prestations SNAP. Angus King, 81 ans, sénateur indépendant du Maine, a été encore plus direct : « Si une tactique ne fonctionne pas, et qu’il n’y a aucune indication qu’elle va fonctionner, alors passez à autre chose. Ne faites pas souffrir beaucoup de gens pour atteindre un objectif qui n’était pas atteignable ». Mais cette logique ignore un fait crucial : les démocrates gagnaient la bataille de l’opinion publique. Ils avaient le vent en poupe.
Le prix de la modération
Ce qui me frappe, c’est que ces huit sénateurs n’ont aucune élection à affronter en 2026. Deux prennent leur retraite. Les six autres ne sont qu’à mi-chemin de leur mandat de six ans. Ils n’ont pas à craindre la colère des électeurs tout de suite. Ils ont le luxe de pouvoir « être raisonnables », comme ils diraient. Mais ce luxe, les millions d’Américains qui vont perdre leur assurance santé ne l’ont pas. Ce luxe, les employés fédéraux qui ont travaillé sans salaire pendant plus d’un mois ne l’ont pas. Ce luxe, les familles qui ont eu faim en novembre parce que les prestations SNAP ont été suspendues ne l’ont pas. La modération politique a un coût humain. Et ce coût est toujours payé par les plus vulnérables.
Ce que l’accord contient vraiment
L’accord qui a été voté prévoit une extension du financement gouvernemental jusqu’au 30 janvier 2026. Ce n’est qu’une solution temporaire — dans deux mois et demi, nous serons de nouveau au bord du précipice. L’accord inclut également trois projets de loi de crédits complets pour l’année fiscale 2026 : un pour l’Agriculture et la FDA, un pour les Affaires des Anciens Combattants et la construction militaire, et un pour le Congrès lui-même. Le financement du programme SNAP est garanti jusqu’en septembre 2026, ce qui est une victoire mineure. L’accord annule aussi les licenciements de Trump — tous les employés fédéraux licenciés pendant le shutdown seront réembauchés, et aucun nouveau licenciement ne pourra avoir lieu avant le 30 janvier. C’est bien. C’est quelque chose. Mais ce n’est pas assez.
L'Obamacare en danger de mort
Parlons franchement de ce qui est absent de cet accord. L’extension des subventions de l’Affordable Care Act. Ces subventions, appelées crédits d’impôt améliorés pour les primes, ont été introduites en 2021 par le American Rescue Plan Act et prolongées en 2022 par l’Inflation Reduction Act. Elles ont transformé le paysage de l’assurance santé en Amérique. Avant leur introduction, seulement 12 millions de personnes étaient inscrites sur les marchés de l’Affordable Care Act. Aujourd’hui, ce chiffre a doublé pour atteindre 24 millions. Plus de 90% de ces inscrits reçoivent une aide financière, et environ la moitié paient zéro dollar par mois pour leur assurance. Zéro. Grâce aux subventions améliorées.
Mais ces subventions expirent le 31 décembre 2025. Et sans action du Congrès, elles disparaîtront. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Prenons un exemple cité par la Kaiser Family Foundation. Une personne gagnant 28 000 dollars par an paie actuellement environ 1% de son revenu (325 dollars par an) pour une assurance de référence. Si les subventions expirent, cette même personne paiera près de 6% de son revenu (1 562 dollars par an). Une augmentation de 1 238 dollars. Pour quelqu’un qui gagne 28 000 dollars, c’est énorme. C’est insoutenable. Et pour les personnes qui gagnent plus de 400% du seuil de pauvreté fédéral, la perte sera totale — elles perdront toute aide et devront payer le plein prix, qui peut atteindre des dizaines de milliers de dollars par an pour une famille.
Le double coup dur
L’expiration des subventions intervient au pire moment possible. Non seulement les gens perdront leur aide financière, mais les assureurs augmentent également leurs primes pour 2026. C’est ce que KFF appelle le « double whammy » — le double coup dur. Les primes augmentent naturellement chaque année à cause de l’inflation des coûts médicaux. Mais cette année, l’augmentation moyenne est de 114% pour les bénéficiaires actuels des subventions. Oui, vous avez bien lu. Les primes vont plus que doubler en moyenne. Une famille du Connecticut, comme celle de Thompson interviewée par CNBC, verra ses primes mensuelles passer de 1 200 dollars à 3 553 dollars. Soit 43 000 dollars par an. Pour une famille de classe moyenne, c’est un tiers ou plus de leur revenu total. C’est impayable. Beaucoup abandonneront simplement leur assurance et vivront sans protection. Un accident, une maladie grave, et c’est la faillite personnelle assurée.
Les républicains veulent la mort d’Obamacare
Ne nous leurrons pas. Les républicains veulent que ces subventions expirent. Trump et ses alliés au Congrès ont été clairs : ils considèrent l’Affordable Care Act comme un gaspillage gouvernemental. Ils préfèrent des solutions « basées sur le marché » comme les comptes d’épargne santé flexibles. Mais ces alternatives ne fonctionnent que pour les gens qui ont déjà de l’argent à épargner. Pour les millions de travailleurs à faible revenu, les familles qui vivent paie en paie, ces « solutions » sont une blague cruelle. Le refus républicain d’inclure l’extension des subventions dans l’accord de financement n’était pas un accident. C’était une stratégie. Ils savent que si les subventions expirent, beaucoup de gens ne pourront plus s’assurer, et l’ensemble du système des marchés de l’Affordable Care Act pourrait s’effondrer sous le poids de la sélection adverse — seules les personnes les plus malades garderont leur assurance, ce qui fera grimper les primes encore plus, ce qui fera fuir encore plus de gens, et ainsi de suite dans une spirale mortelle.
Les leçons d'une défaite
Alors, que devons-nous retenir de cette débâcle ? Premièrement, que la modération centriste a ses limites. Quand on négocie avec des gens qui ne négocient pas de bonne foi, qui utilisent la souffrance humaine comme levier politique, céder ne mène qu’à plus de défaites. Les huit sénateurs démocrates qui ont voté pour cet accord pensaient faire preuve de pragmatisme. Ils pensaient sauver les employés fédéraux et les bénéficiaires de SNAP. Et c’est vrai, ils l’ont fait — à court terme. Mais ils ont sacrifié quelque chose de plus grand : le pouvoir de négociation pour sauver l’assurance santé de millions de personnes. Et pour quoi ? Une promesse creuse d’un vote en décembre qui n’aboutira probablement à rien.
Deuxièmement, nous devons reconnaître que le Parti républicain moderne est prêt à tout pour imposer son idéologie. Trump a prouvé qu’il est disposé à affamer des familles, à paralyser l’aviation civile, à licencier des chercheurs en pleine crise de santé publique, tout ça pour obtenir ce qu’il veut. Et ce qu’il veut, c’est un gouvernement fédéral réduit à sa plus simple expression, incapable de réguler les entreprises, de protéger les travailleurs, de fournir une assurance santé accessible. Ce n’est pas de la gouvernance. C’est de l’idéologie destructrice. Et tant que les démocrates continueront à croire qu’ils peuvent « travailler avec » ces gens, ils perdront. Encore et encore.
Le Congrès divisé face à l’avenir
L’accord doit maintenant passer à la Chambre des représentants. Le Speaker Mike Johnson a dit que les membres devraient revenir à Washington « immédiatement » pour voter, probablement le mercredi 13 novembre. La Chambre n’a pas voté depuis le 19 septembre — elle est restée en vacances pendant toute la durée du shutdown. Ça aussi, c’est révélateur. Pendant que des millions d’Américains souffraient, les représentants républicains bronzaient dans leurs États d’origine. Maintenant qu’un accord a été trouvé au Sénat, ils vont se précipiter pour voter, dire « mission accomplie », et rentrer chez eux. Mais l’histoire n’est pas finie. Le leader démocrate de la Chambre, Hakeem Jeffries, a indiqué que les démocrates envisagent une « discharge petition » pour forcer un vote sur l’extension des subventions ACA. C’est une procédure rare qui permet à une majorité de représentants de contourner le Speaker et de forcer un vote sur un projet de loi. Ça pourrait marcher — si assez de républicains modérés se joignent aux démocrates. Mais c’est un pari risqué.
Trump jubile
Lundi 10 novembre, dans le Bureau ovale, Trump a déclaré qu’il soutenait l’accord. « Je dirais que oui », a-t-il dit, « basé sur tout ce que j’entends ». Il a ajouté qu’il « respecterait l’accord » et soutiendrait l’annulation des licenciements fédéraux — même s’il avait lui-même ordonné ces licenciements quelques semaines plus tôt. Trump se délecte de cette victoire. Il sait qu’il a gagné. Les démocrates ont cédé, il a obtenu son financement gouvernemental sans avoir à donner quoi que ce soit sur l’assurance santé, et il peut maintenant se présenter comme le président qui a « réouvert le gouvernement ». C’est du spin, bien sûr. C’est lui qui a fermé le gouvernement en premier lieu. Mais dans le monde des relations publiques politiques, peu importe. Ce qui compte, c’est le récit. Et le récit que Trump va raconter, c’est celui d’un président fort qui a forcé les démocrates à plier.
Conclusion : la bataille continue
Le shutdown va prendre fin. Les employés fédéraux vont retrouver leurs salaires. Les prestations SNAP vont reprendre. Les avions vont revoler normalement. Tout va sembler revenir à la normale. Mais ne vous y trompez pas — rien n’est normal. Nous venons de vivre le shutdown le plus long de l’histoire américaine, une crise entièrement fabriquée par des politiciens cyniques qui ont utilisé la souffrance humaine comme monnaie d’échange. Et la plus grande bataille, celle de l’assurance santé pour des millions d’Américains, n’est pas résolue. Elle est juste reportée. Dans quelques semaines, le Sénat votera peut-être sur l’extension des subventions ACA. Peut-être. Mais même si ce vote a lieu, il échouera probablement. Et alors, le 31 décembre arrivera, les subventions expireront, et des millions de familles se réveilleront en 2026 en découvrant que leur assurance santé est devenue inabordable.
C’est ça, le vrai héritage de cette capitulation. Pas la fin du shutdown. Pas la réouverture du gouvernement. Mais l’abandon de la protection de la santé pour les plus vulnérables. Les huit sénateurs démocrates qui ont voté pour cet accord pensaient faire le bon choix. Ils pensaient être pragmatiques, raisonnables, responsables. Mais l’histoire les jugera différemment. Elle les jugera comme ceux qui ont cédé au moment crucial, qui ont laissé tomber des millions de personnes par peur de tenir bon un peu plus longtemps. La politique, c’est un jeu de pouvoir. Et dans ce jeu, celui qui cligne des yeux en premier perd. Cette fois, ce sont les démocrates qui ont cligné. Et nous allons tous en payer le prix. Alors oui, le shutdown est fini. Mais la vraie crise, elle, ne fait que commencer. Elle commencera le 1er janvier 2026, quand les familles ouvriront leurs factures d’assurance et réaliseront qu’elles ne peuvent plus se permettre d’être en sécurité. C’est ça, l’Amérique de Trump. Et ces huit sénateurs viennent de lui ouvrir grand la porte.