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L’appel de la condamnation pour pot-de-vin

Le 28 octobre 2025, les avocats de Trump ont déposé un appel devant une cour d’appel de New York pour annuler sa condamnation pénale de mai 2024 pour 34 chefs d’accusation de falsification de documents commerciaux. Cette condamnation concernait les pots-de-vin versés à la star du porno Stormy Daniels pour acheter son silence sur une prétendue liaison avant l’élection de 2016. En décembre 2024, le juge Juan Merchan avait condamné Trump à une « libération inconditionnelle » — c’est-à-dire aucune prison, aucune amende, aucune probation — reconnaissant que Trump allait reprendre la présidence en janvier 2025. Mais Trump veut plus qu’une libération. Il veut que la condamnation soit complètement effacée de son casier judiciaire. Et son argument principal repose sur la décision historique de la Cour suprême de juin 2024 dans l’affaire Trump v. United States, qui a établi que les présidents bénéficient d’une immunité étendue contre les poursuites pénales pour les « actes officiels » accomplis pendant leur mandat.

Les avocats de Trump soutiennent que certaines preuves utilisées lors de son procès — notamment des témoignages sur des conversations qu’il a eues à la Maison-Blanche pendant son premier mandat — auraient dû être exclues parce qu’elles concernaient des actes officiels protégés par l’immunité. Le juge Merchan a rejeté cet argument, concluant que les actions de Trump pour dissimuler le pot-de-vin concernaient sa vie personnelle et sa campagne électorale, pas ses fonctions présidentielles officielles. Mais Trump poursuit son appel, espérant qu’une cour d’appel — et éventuellement la Cour suprême — verra les choses différemment. Le 5 novembre, une cour d’appel fédérale a effectivement donné à Trump une nouvelle chance, ordonnant à un juge de district de reconsidérer sa décision de maintenir l’affaire dans le système judiciaire de l’État de New York plutôt que de la transférer au système fédéral, où Trump pourrait plus facilement invoquer l’immunité présidentielle. Cette décision n’annule pas la condamnation, mais elle ouvre une nouvelle voie procédurale que Trump peut exploiter pour retarder ou potentiellement éliminer les conséquences juridiques de ses actions.

Comment Epstein sabote l’argument d’immunité

Mais voilà le problème : l’argument d’immunité présidentielle repose sur l’idée que Trump mérite une protection juridique exceptionnelle parce qu’il agissait dans l’intérêt de la nation, dans le cadre de ses fonctions officielles de président. C’est un argument qui, même dans les meilleures circonstances, suscite un profond malaise — l’idée qu’un président puisse être au-dessus de la loi est fondamentalement antidémocratique. Mais cet argument devient complètement intenable si Trump est simultanément impliqué dans des scandales suggérant une conduite criminelle dans sa vie privée. Les dossiers Epstein ne concernent pas des actes officiels. Ils concernent des associations personnelles avec un trafiquant sexuel condamné, des fréquentations dans des propriétés privées, des connaissances présumées d’abus sexuels contre des mineures. Si ces allégations sont vraies — et les emails d’Epstein suggèrent qu’elles pourraient l’être — alors comment peut-on sérieusement arguer que Trump mérite l’immunité pour d’autres comportements criminels potentiels ? Comment convaincre des juges que cet homme devrait être protégé de la loi ordinaire ?

L’impact politique est encore plus dévastateur. Les tribunaux ne fonctionnent pas dans le vide. Les juges lisent les journaux, écoutent les débats publics, ressentent la pression de l’opinion. Si les dossiers Epstein révèlent des informations suffisamment choquantes — disons, des preuves que Trump assistait à des fêtes où des mineures étaient présentes, ou qu’il avait des conversations avec Epstein sur ces filles — alors l’atmosphère autour de ses batailles juridiques changera radicalement. Les juges qui hésitaient à annuler sa condamnation pourraient soudain se sentir justifiés de maintenir le statu quo. Les appels à la responsabilisation deviendraient assourdissants. Et l’argument d’immunité, déjà fragile, s’effondrerait complètement. C’est pourquoi Trump combat si désespérément pour empêcher la publication des dossiers. Ce n’est pas seulement une question d’embarras politique. C’est une question de survie juridique. Si les dossiers sortent et révèlent des informations incriminantes, toute sa stratégie juridique — construite autour de l’immunité présidentielle — devient inopérante. Et il pourrait se retrouver face à des conséquences pénales réelles pour la première fois de sa vie.

La Cour suprême face à un dilemme moral

La Cour suprême, avec sa majorité conservatrice 6-3, a déjà démontré qu’elle est prête à protéger Trump dans une certaine mesure. Sa décision de juin 2024 sur l’immunité présidentielle était extraordinairement généreuse envers l’exécutif, établissant qu’un président bénéficie d’une immunité « absolue » pour les actes centraux de ses fonctions, et d’une « présomption d’immunité » pour d’autres actes officiels. Cette décision a effectivement rendu presque impossible de poursuivre un président pour des actions accomplies dans le cadre de ses fonctions officielles. Mais les dossiers Epstein pourraient placer la Cour suprême face à un dilemme moral qu’elle ne peut pas ignorer. Si des preuves émergent que Trump avait connaissance du trafic sexuel de mineures et n’a rien fait — ou pire, qu’il y a participé d’une manière ou d’une autre — alors comment les juges peuvent-ils sérieusement soutenir qu’un tel homme mérite une immunité juridique exceptionnelle ?

Bien sûr, il y a une différence entre des allégations non prouvées et des condamnations pénales. Trump n’a jamais été accusé formellement dans l’affaire Epstein, et Virginia Giuffre elle-même avait déclaré qu’il ne l’avait pas agressée. Mais l’opinion publique ne fonctionne pas sur des technicalities juridiques. Elle fonctionne sur des perceptions, des impressions, des émotions. Et si l’impression qui émerge des dossiers Epstein est celle d’un homme qui gravitait dans un cercle de prédateurs sexuels, qui « savait pour les filles » mais ne disait rien, qui continuait à fréquenter Epstein même après que des accusations aient commencé à circuler — alors cette impression sera dévastatrice. Elle sapera la légitimité morale de toute protection juridique que Trump pourrait invoquer. Et elle placera la Cour suprême dans une position impossible : soit protéger Trump et être perçue comme complice, soit l’abandonner et risquer de déclencher une crise constitutionnelle. Il n’y a pas de bonne issue. Et c’est précisément pourquoi Trump combat si désespérément pour garder ces dossiers enterrés.

L’immunité. Un mot qui sonne presque médical, stérile, technique. Mais ce qu’il signifie vraiment, c’est l’impunité. Le droit de faire ce que tu veux sans conséquence. Et maintenant, face aux dossiers Epstein, cette impunité est mise à l’épreuve. Peut-on vraiment protéger un homme qui « savait pour les filles » ? Peut-on vraiment dire qu’il mérite une exception à la loi ? Je ne sais pas. Mais je sais que si on le fait, on franchit une ligne dont on ne reviendra jamais.

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