Une amitié qui refuse de mourir
Les liens entre Donald Trump et Jeffrey Epstein ne datent pas d’hier. Durant les années 1990 et le début des années 2000, les deux hommes évoluaient dans les mêmes cercles de l’élite new-yorkaise, fréquentaient les mêmes soirées mondaines, partageaient les mêmes clubs privés. Des photographies les montrent ensemble lors d’événements mondains, souriant, complices. Trump lui-même a déclaré en 2002 au magazine New York que connaître Epstein était « fantastique », ajoutant qu’il « aimait les femmes autant que lui, et beaucoup d’entre elles plutôt jeunes ». Une déclaration qui, relue à la lumière des crimes d’Epstein, prend une résonance glaçante.
Mais l’élément le plus explosif reste ce fameux livre d’anniversaire compilé par Maxwell en 2003 pour les cinquante ans d’Epstein. Parmi les messages personnels figure une note attribuée à Trump — une note dont l’authenticité est désormais impossible à nier malgré les dénégations persistantes de la Maison-Blanche. La porte-parole présidentielle Karoline Leavitt s’est emmêlée les pinceaux lors d’un point presse, affirmant que Trump « n’a pas écrit cette lettre, il n’a pas signé cette lettre », tout en refusant de qualifier le livre lui-même de canular. Trump est le seul contributeur du recueil à contester son message — un détail qui alourdit considérablement les soupçons.
Les tentatives ratées de distanciation
Depuis l’éclatement du scandale Epstein en 2019, Trump a multiplié les efforts pour se distancer du prédateur sexuel déchu. Il a prétendu avoir rompu avec Epstein au début des années 2000 après un différend immobilier à Mar-a-Lago. Il a même suggéré, par la voix de certains alliés comme le président de la Chambre Mike Johnson, qu’il aurait « coopéré » avec l’enquête fédérale initiale contre Epstein — une affirmation que Johnson a rapidement rétractée sous la pression des faits. Ironiquement, c’est Epstein lui-même qui avait évoqué cette prétendue collaboration dans des entretiens avec le journaliste Michael Wolff en 2016 et 2017, ajoutant une couche supplémentaire d’ambiguïté à cette histoire tortueuse.
Mais tous ces efforts de révisionnisme historique s’écroulent face aux e-mails récemment publiés. Impossible de prétendre avoir été un simple connaissance distante quand Epstein écrit à Maxwell qu’une victime présumée a passé « des heures » chez lui en compagnie de Trump. Impossible de jouer l’innocence quand Maxwell elle-même réfléchit à la signification du « silence » de Trump concernant les activités criminelles d’Epstein. Ces documents transforment ce qui était une association embarrassante en une potentielle complicité par omission — ou pire encore, en participation active dont l’ampleur reste à déterminer.
Le livre d’anniversaire maudit
Ce recueil de 2003, assemblé avec soin par Ghislaine Maxwell pour célébrer le demi-siècle de vie d’Epstein, est devenu l’une des pièces à conviction les plus dérangeantes de toute cette saga. Il contient des dizaines de messages personnels de personnalités politiques, d’hommes d’affaires, de célébrités — un bottin mondain de ceux qui gravitaient dans l’orbite du financier criminel. Mais c’est le message attribué à Trump qui a transformé ce simple souvenir en bombe politique. Selon la BBC, ce livre fait basculer le récit « d’une histoire tragique de trafic humain et d’abus vers une intrigue partisane nationale. »
Les conseillers et partisans de Trump continuent de contester l’authenticité de cette contribution, mais leurs arguments sonnent de plus en plus creux. Le livre existe, son origine est documentée, et Trump reste le seul à nier sa participation parmi tous les signataires. Cette obstination à refuser l’évidence crée un effet inverse : elle attire davantage l’attention sur ce que Trump cherche désespérément à cacher. Pourquoi tant d’efforts pour nier un simple message d’anniversaire si celui-ci ne contient rien de compromettant? Le silence assourdissant sur le contenu réel du message alimente toutes les spéculations.
Les manoeuvres politiques désespérées
La stratégie de la transparence factice
Face à la tempête médiatique, l’administration Trump a tenté une manœuvre classique : promettre la transparence totale tout en contrôlant soigneusement l’information divulguée. En août 2025, le Département de la Justice a publié des centaines de pages de transcriptions des entretiens entre Todd Blanche et Ghislaine Maxwell. Ces documents, censés apaiser les critiques, montrent Maxwell niant catégoriquement avoir vu Trump dans des situations sexuellement inappropriées, le qualifiant de « gentleman en tous points ». Une défense si parfaite qu’elle en devient suspecte, surtout quand on la compare aux e-mails d’Epstein prouvant le contraire.
Cette publication sélective de documents ressemble davantage à une opération de relations publiques qu’à une véritable recherche de vérité. Les analystes notent que l’administration a choisi de rendre publiques les déclarations de Maxwell exonérant Trump, tout en gardant le silence sur d’autres aspects potentiellement plus compromettants. Le timing de cette divulgation — survenant après des semaines de pression intense du Congrès et du public — suggère une tentative de contrôle des dégâts plutôt qu’un engagement sincère envers la transparence. CNN a rapporté que cette stratégie pourrait « exacerber le cycle dommageable » plutôt que de le calmer, chaque révélation partielle alimentant de nouvelles théories conspirationnistes.
Le jeu dangereux des pardons présidentiels
Trump a un historique bien documenté d’utilisation — certains diraient d’abus — du pouvoir de grâce présidentielle pour protéger ses alliés. Durant l’enquête sur l’ingérence russe menée par le procureur spécial Robert Mueller, Trump a régulièrement laissé planer la possibilité de pardons pour des figures clés comme Paul Manafort, Michael Flynn et Michael Cohen. Mueller lui-même a inclus ces déclarations dans son rapport comme « preuves » que Trump cherchait potentiellement à influencer la coopération de témoins avec la justice — ce qui constituerait une obstruction. Manafort, qui a effectivement reçu un pardon après avoir refusé de coopérer pleinement, illustre parfaitement ce schéma.
Avec Maxwell, Trump rejoue exactement la même partition. Interrogé à plusieurs reprises sur la possibilité d’une grâce, il refuse systématiquement de l’exclure. « Je suis autorisé à le faire », a-t-il déclaré en juillet 2025 lors d’un voyage en Écosse, ajoutant qu’il n’y avait « pas vraiment pensé » — une formulation qui laisse toutes les portes ouvertes. En octobre, dans le Bureau ovale, il a dit qu’il devrait « en parler au Département de la Justice » avant de prendre une décision. Ces déclarations ambiguës envoient un message clair à Maxwell : coopère, protège-moi, et ta liberté pourrait être au bout du chemin. Un marchandage implicite qui transforme le système judiciaire en monnaie d’échange politique.
Le Congrès monte au créneau
Face à ce qui ressemble de plus en plus à une dissimulation organisée, les membres du Congrès des deux partis commencent à durcir le ton. Le Comité de surveillance de la Chambre, dirigé par les démocrates, a publié les e-mails explosifs d’Epstein et lancé des assignations à comparaître visant le Département de la Justice et plusieurs figures républicaines et démocrates pour obtenir documents et témoignages. Le représentant Jamie Raskin, membre démocrate du Comité judiciaire, a envoyé une lettre de onze pages à Trump le 9 novembre, exigeant que l’administration fournisse des informations sur la demande de commutation de Maxwell et l’exhortant à la rejeter catégoriquement.
Dans cette lettre incendiaire, Raskin énumère point par point les incohérences et mensonges de Maxwell lors de son entretien avec Blanche. Il souligne qu’elle a répété les mêmes « mensonges hilarants et grotesques » qui avaient initialement conduit le Département de la Justice de Trump à l’accuser de parjure en 2020 — notamment sa prétention absurde de n’avoir jamais interagi avec des mineures sur les propriétés d’Epstein. Raskin va plus loin en suggérant que les actions de Blanche « pourraient constituer une violation sérieuse et de grande portée de la loi pénale », insinuant que le procureur général adjoint pourrait lui-même être complice d’obstruction à la justice. Une accusation explosive qui, si elle s’avérait fondée, ferait exploser l’administration Trump de l’intérieur.
Les victimes oubliées
Virginia Giuffre et le prix du témoignage
Virginia Giuffre, l’une des victimes les plus médiatisées du réseau Epstein-Maxwell, s’est tragiquement suicidée plus tôt cette année 2025. Sa mort a bouleversé la communauté des survivantes et relancé le débat sur le traitement réservé à celles qui osent briser le silence. Giuffre avait publiquement accusé Epstein, Maxwell et plusieurs personnalités de premier plan — dont le prince Andrew — d’abus sexuels lorsqu’elle était mineure. Son témoignage courageux avait contribué à la condamnation de Maxwell en 2021. Mais le poids psychologique de revivre sans cesse ces traumatismes, combiné à l’hostilité médiatique et aux attaques juridiques constantes, a fini par la consumer.
Les e-mails récemment publiés font vraisemblablement référence à elle lorsque Epstein mentionne qu’une victime a « passé des heures » chez lui avec Trump. Si cette interprétation est correcte — et tout l’indique —, cela signifie que Giuffre détenait des informations potentiellement explosives sur le président américain, informations qu’elle n’a peut-être jamais pu partager avant sa mort. Sa famille et ses avocats ont déjà exprimé leur opposition véhémente à toute clémence pour Maxwell, arguant que réduire sa peine constituerait une trahison supplémentaire envers les victimes. Mais dans le climat politique actuel, leurs voix risquent d’être noyées sous les calculs de pouvoir.
Le silence imposé aux survivantes
L’une des raisons invoquées par les procureurs pour abandonner les accusations de parjure contre Maxwell en 2021 était d’épargner aux victimes la détresse émotionnelle d’un nouveau procès. Une justification noble en apparence, mais qui révèle une réalité plus sombre : le système judiciaire traite souvent les survivantes d’abus sexuels comme des charges à gérer plutôt que comme des individus méritant justice et réparation. En échange de maintenir sa condamnation principale pour trafic sexuel, Maxwell a évité les chefs d’accusation de parjure — un arrangement qui lui a permis de conserver une certaine crédibilité juridique, celle-là même qu’elle exploite aujourd’hui en cherchant une commutation.
Les survivantes du réseau Epstein regardent avec horreur Maxwell recevoir un traitement préférentiel en prison, négocier en coulisses avec l’administration présidentielle, potentiellement se rapprocher d’une libération anticipée. Pour elles, chaque privilège accordé à leur bourreau constitue une nouvelle violence, un nouveau traumatisme. Plusieurs organisations de défense des victimes d’abus sexuels ont publié des déclarations condamnant la gestion de cette affaire par l’administration Trump. Elles soulignent que le message envoyé est clair : si vous êtes suffisamment puissante, si vous possédez les bons secrets sur les bonnes personnes, même les crimes les plus abjects peuvent être négociés.
La famille Giuffre brise le silence
Depuis la mort de Virginia Giuffre, sa famille est devenue l’une des voix les plus actives contre toute forme de clémence pour Maxwell. Ils ont publiquement averti l’administration Trump que gracier ou commuer la peine de Maxwell enverrait un signal désastreux aux prédateurs sexuels du monde entier : vous pouvez torturer, exploiter, détruire des vies jeunes et innocentes, tant que vous gardez des informations compromettantes sur les puissants. Le frère de Virginia a déclaré dans une interview récente qu’il considérait le traitement préférentiel de Maxwell comme « un crachat au visage de ma sœur et de toutes les autres filles détruites par ces monstres. »
Les avocats représentant d’autres survivantes ont également mis en garde contre les conséquences juridiques d’une commutation. Plusieurs d’entre eux préparent des recours pour bloquer toute tentative de réduction de peine, arguant que cela violerait les droits des victimes garantis par le Crime Victims’ Rights Act. Mais la réalité politique est implacable : un président déterminé peut accorder une grâce ou une commutation indépendamment de toute opposition juridique ou publique. C’est un pouvoir constitutionnel quasi absolu. Et Trump a démontré à maintes reprises qu’il n’hésite pas à l’exercer quand ses intérêts personnels sont en jeu.
Les implications pour 2025 et au-delà
Un second mandat déjà fragilisé
Donald Trump a entamé son second mandat en janvier 2025 avec l’ambition de mettre en œuvre un agenda conservateur radical. Mais l’affaire Epstein-Maxwell consume une quantité phénoménale de capital politique et d’attention médiatique. Chaque nouvelle révélation détourne l’attention des priorités législatives de l’administration — réforme fiscale, immigration, politique étrangère — pour la focaliser sur le passé trouble du président. Les sondages montrent une érosion constante de la confiance publique, même parmi les électeurs républicains traditionnellement fidèles. Selon Newsweek, certains analystes estiment que Trump « pourrait ne pas survivre » politiquement au scandale des dossiers Epstein.
Les conséquences dépassent le simple embarras médiatique. Les alliés républicains au Congrès commencent à prendre leurs distances, craignant que leur association avec Trump ne compromette leurs propres perspectives électorales pour les élections de mi-mandat de 2026. Plusieurs sénateurs républicains ont discrètement fait savoir qu’ils ne soutiendraient pas une éventuelle commutation pour Maxwell, créant une fracture au sein du parti. Cette division interne affaiblit la capacité de Trump à faire passer sa législation et renforce les démocrates qui voient dans cette affaire une opportunité en or pour paralyser l’agenda présidentiel.
Les répercussions internationales
Sur la scène internationale, le scandale Epstein-Maxwell érode la crédibilité américaine. Comment les États-Unis peuvent-ils prétendre promouvoir les droits humains et lutter contre le trafic sexuel dans le monde quand leur propre président est empêtré dans une affaire impliquant un réseau pédocriminel? Les adversaires géopolitiques — Russie, Chine, Iran — exploitent cyniquement cette hypocrisie dans leur propagande, utilisant l’affaire Maxwell pour discréditer les critiques américaines sur leurs propres violations des droits humains. Les alliés traditionnels des États-Unis, particulièrement en Europe, expriment leur malaise en termes diplomatiques soigneusement choisis.
Le Royaume-Uni observe avec une attention particulière, étant donné l’implication du prince Andrew dans cette sordide histoire. Les e-mails récemment publiés mentionnent Andrew disant à Epstein et Maxwell « Je ne peux plus supporter ça » lorsqu’il a été alerté pour la première fois il y a quatorze ans des accusations portées contre lui. Cette connexion transatlantique transforme ce qui pourrait être un scandale purement américain en une affaire diplomatique complexe touchant la monarchie britannique. Les relations américano-britanniques, déjà mises à l’épreuve par le Brexit et d’autres différends commerciaux, subissent une tension supplémentaire difficile à ignorer.
Le précédent juridique terrifiant
Au-delà des implications politiques immédiates, l’affaire Maxwell-Trump établit un précédent juridique profondément troublant. Si Maxwell obtient effectivement une commutation de sa peine de vingt ans pour trafic sexuel de mineurs — et tous les signaux indiquent que c’est une possibilité réelle —, cela enverra un message clair : la justice américaine fonctionne selon deux systèmes distincts. Un pour les puissants possédant des informations compromettantes sur d’autres puissants. Un autre pour le commun des mortels. Ce cynisme institutionnalisé mine les fondements mêmes de l’état de droit.
Les experts juridiques s’inquiètent des ramifications à long terme. Si un président peut gracier ou commuer la peine d’une criminelle condamnée pour protéger ses propres intérêts politiques et personnels, quel garde-fou reste-t-il contre l’abus de pouvoir? La Constitution américaine confère au président un pouvoir de grâce quasi illimité, mais ce pouvoir était censé être exercé avec sagesse et dans l’intérêt public, pas comme monnaie d’échange personnel. L’utilisation potentielle de ce pouvoir par Trump dans l’affaire Maxwell représenterait l’une des perversions les plus flagrantes de cette prérogative constitutionnelle dans l’histoire américaine moderne.
Les théories et la vérité enfouie
Le réseau Epstein au-delà de Trump
Une réalité souvent occultée dans la focalisation sur Trump : Jeffrey Epstein entretenait des relations avec des dizaines — probablement des centaines — de personnalités influentes à travers le monde. Son carnet d’adresses, partiellement révélé, contient des noms de présidents, premiers ministres, membres de familles royales, titans de la finance, célébrités hollywoodiennes, scientifiques renommés. Tous n’ont pas participé à ses crimes, loin de là. Beaucoup ont simplement croisé son chemin dans le cadre mondain ou professionnel. Mais cette toile d’araignée de connexions rend l’enquête infiniment complexe.
Le problème avec Maxwell réside précisément dans cette connaissance encyclopédique du réseau. Elle sait qui a fait quoi, quand, avec qui. Elle possède des informations capables de détruire des carrières, briser des mariages, déclencher des poursuites pénales à travers plusieurs continents. Cette connaissance constitue simultanément sa plus grande vulnérabilité et sa meilleure protection. Si elle parlait vraiment, librement, sans calcul tactique, les ondes de choc traverseraient les sphères du pouvoir mondial. Mais c’est précisément pour cette raison qu’elle ne le fera jamais — sa sécurité personnelle et ses espoirs de clémence dépendent de son silence stratégique.
Les documents encore scellés
Des milliers de pages de documents liés à l’affaire Epstein restent scellés par ordonnance judiciaire. Ces dossiers comprennent des dépositions sous serment, des journaux de vol du jet privé d’Epstein (surnommé le « Lolita Express« ), des témoignages de victimes, des enregistrements vidéo des propriétés d’Epstein. L’équipe juridique de Maxwell s’oppose vigoureusement à leur divulgation, arguant que cela compromettrait ses droits en appel devant la Cour suprême. Le Département de la Justice de Trump a présenté des arguments contradictoires : d’un côté promettant transparence, de l’autre invoquant des raisons de sécurité nationale et de protection des victimes pour maintenir le secret.
Les militants pour la transparence suspectent que ces documents contiennent des révélations explosives sur de nombreuses personnalités — Trump inclus. La bataille juridique autour de leur divulgation se poursuit devant plusieurs tribunaux fédéraux. Un juge de district a récemment ordonné au gouvernement de justifier en détail pourquoi certains documents restent classifiés, signalant une potentielle victoire pour les partisans de la transparence. Mais le processus judiciaire est lent, et l’administration dispose de nombreux outils pour retarder indéfiniment toute publication embarrassante. Cette guerre d’usure juridique garantit que la vérité complète — si elle existe sous forme documentée — pourrait ne jamais voir le jour.
Les théories conspirationnistes et leurs limites
L’affaire Epstein a généré une quantité phénoménale de théories conspirationnistes, certaines plausibles, d’autres complètement délirantes. Le mouvement QAnon, paradoxalement soutenu par de nombreux partisans de Trump, s’est construit en partie autour de l’idée d’un réseau pédocriminel d’élites que Trump combattrait héroïquement. Les révélations sur les connexions réelles de Trump avec Epstein ont créé une dissonance cognitive massive au sein de ce mouvement. Certains abandonnent Trump, déçus. D’autres réinterprètent les faits pour préserver leur vision du monde, arguant que Trump « infiltrait » le réseau pour mieux le démanteler.
Mais au-delà de ces délires, des questions légitimes demeurent sans réponse. Comment Epstein a-t-il réellement accumulé sa fortune? Ses connexions avec des agences de renseignement (suggérées par certains documents mais jamais prouvées) étaient-elles réelles? Qui d’autre dans son cercle a participé aux crimes? Ces questions méritent des enquêtes sérieuses, pas des spéculations internet. Le danger réside dans le fait que la prolifération de théories sans fondement noie les interrogations légitimes dans un océan de bruit informationnel, permettant aux véritables coupables de se dissimuler derrière le chaos.
Le poids médiatique et l'opinion publique
Une couverture médiatique fragmentée
L’affaire Epstein-Maxwell illustre parfaitement la polarisation médiatique américaine. Les médias progressistes — CNN, MSNBC, New York Times — couvrent agressivement chaque révélation, analysent chaque contradiction, questionnent chaque décision de l’administration Trump. Les médias conservateurs — Fox News, Newsmax, One America News — minimisent systématiquement le scandale, détournent l’attention vers d’autres sujets, ou tentent d’impliquer des démocrates dans l’affaire pour diluer la responsabilité de Trump. Cette fragmentation crée deux réalités parallèles où les mêmes faits sont interprétés de manière diamétralement opposée.
Cette division empêche l’émergence d’un consensus national sur la gravité de la situation. Les Américains consomment des informations confirmant leurs préjugés existants, rarement exposés à des perspectives contraires. Résultat: les démocrates et progressistes considèrent l’affaire Maxwell comme un scandale de première magnitude disqualifiant Trump, tandis que les républicains et conservateurs y voient une tempête médiatique artificielle, une nouvelle « chasse aux sorcières » orchestrée par des adversaires politiques. Cette impossibilité de s’accorder sur les faits de base rend toute responsabilisation politique presque impossible.
Les sondages reflètent une nation divisée
Les derniers sondages disponibles montrent une fracture nette selon les lignes partisanes. Environ 78% des démocrates estiment que les connexions Trump-Epstein constituent un problème majeur méritant une enquête approfondie, contre seulement 23% des républicains. Inversement, 71% des républicains considèrent que l’affaire est « exagérée par les médias libéraux », tandis que seulement 14% des démocrates partagent cet avis. Les indépendants — souvent déterminants dans les élections américaines — se situent au milieu mais penchent légèrement vers une perception négative de la gestion par Trump, avec 56% exprimant des inquiétudes.
Plus inquiétant encore : la lassitude du public face au flot constant de scandales. Certains électeurs admettent franchement être « épuisés » par l’avalanche de controverses entourant Trump depuis une décennie. Cette fatigue scandaleuse pourrait paradoxalement jouer en faveur du président — non pas parce que les gens approuvent ses actions, mais parce qu’ils ont simplement cessé d’y prêter attention. Un sondage récent révèle que 41% des Américains disent « ne plus suivre de près » les affaires Epstein, une proportion alarmante considérant la gravité des accusations.
Les réseaux sociaux amplifient le chaos
Sur les plateformes comme X (anciennement Twitter), Facebook et TikTok, l’affaire Maxwell génère des milliards d’interactions. Mais cette visibilité ne se traduit pas nécessairement par une meilleure compréhension des enjeux. Les algorithmes privilégient le contenu émotionnellement chargé et polarisant, créant des chambres d’écho où chaque communauté renforce ses propres croyances. Les vidéos complotistes sur Epstein accumulent des millions de vues, souvent surpassant les analyses journalistiques rigoureuses en portée et engagement.
Les influenceurs politiques des deux bords exploitent l’affaire pour mobiliser leurs bases respectives. À gauche, elle devient l’illustration parfaite de la corruption systémique et du patriarcat protégeant les prédateurs puissants. À droite, elle se transforme en preuve d’une cabale d’élites (souvent avec des sous-entendus antisémites concernant les origines d’Epstein) que seul Trump peut combattre — malgré l’absurdité évidente de cette narration vu ses connexions personnelles. Cette instrumentalisation politique transforme une tragédie humaine réelle en munition rhétorique, déshumanisant encore davantage les victimes.
Conclusion
Novembre 2025 restera gravé dans l’histoire politique américaine comme le mois où le passé de Donald Trump a refusé de rester enterré. L’affaire Ghislaine Maxwell n’est plus un simple scandale judiciaire concernant une criminelle condamnée — elle est devenue un test existentiel pour les institutions démocratiques américaines. Les e-mails révélés par le Comité de surveillance, le traitement préférentiel scandaleusement accordé à Maxwell en prison, les manœuvres transparentes pour obtenir une commutation, l’implication du procureur général adjoint qui est aussi l’avocat personnel du président — chaque élément de cette sordide saga soulève des questions fondamentales sur l’état de droit, la séparation des pouvoirs, l’intégrité présidentielle.
Les analystes politiques ont raison de qualifier Maxwell de « handicap majeur » pour Trump. Elle connaît trop de choses. Elle possède trop de secrets. Et son silence, monnayable contre une éventuelle clémence présidentielle, crée une dynamique de chantage implicite qui corrompt tout le processus judiciaire. Trump se retrouve piégé dans un dilemme insoluble : ignorer Maxwell et risquer qu’elle parle un jour, ou la récompenser et confirmer tous les soupçons de complicité. Dans les deux cas, il perd. Dans les deux cas, la République perd.
Les victimes d’Epstein et Maxwell — ces dizaines de jeunes filles exploitées, traumatisées, certaines aujourd’hui décédées comme Virginia Giuffre — méritaient mieux que ce cirque politique obscène. Elles méritaient une justice impartiale, des enquêtes exhaustives, une responsabilisation complète de tous les complices du réseau. Au lieu de cela, elles assistent impuissantes à un marchandage sordide où leur souffrance devient une variable d’ajustement dans des calculs de pouvoir. L’histoire jugera sévèrement cette époque où les États-Unis ont choisi de protéger les puissants au détriment des vulnérables.
Ce qui se joue en ce moment dépasse largement la question de savoir si Trump survivra politiquement à ce scandale. Il s’agit de déterminer si les sociétés démocratiques modernes peuvent encore exiger des comptes de leurs dirigeants, si la richesse et le pouvoir confèrent une immunité de fait contre les conséquences de ses actes, si la justice reste aveugle ou si elle regarde désormais avec complaisance ceux qui occupent les sommets. Les semaines et mois à venir fourniront des réponses à ces questions — des réponses qui définiront le caractère moral de toute une génération. Pour l’instant, alors que Maxwell négocie sa liberté et que Trump danse autour de ses responsabilités, une chose est certaine : le cauchemar est loin d’être terminé.