L’Iran : le pari nucléaire
Le 21 juin 2025, à minuit heure locale, des bombardiers américains larguent leurs charges sur trois sites nucléaires iraniens. L’opération « Marteau de minuit » vise à détruire le programme atomique de la République islamique en une seule frappe coordonnée. Trump, qui avait multiplié les messages énigmatiques sur les réseaux sociaux les jours précédents — promettant quelque chose de « beaucoup plus grand » qu’un simple accord de paix — révèle enfin son plan. Les installations de Natanz, Ispahan et Fordo, où l’Iran enrichissait son uranium, sont réduites en décombres. Le président américain déclare avoir agi « pour arrêter la guerre », une formulation paradoxale puisque ces frappes risquent précisément de déclencher un conflit régional majeur.
Les analystes qualifient l’opération d’« immense pari ». Guillaume Lavoie, membre associé à la Chaire Raoul-Dandurand, souligne que « la volonté d’attaquer l’Iran pour en finir, ce sont des plans que le Pentagone a préparés depuis de nombreuses présidences ». Mais personne avant Trump n’avait osé franchir ce Rubicon. La question centrale demeure sans réponse : ces frappes marqueront-elles la fin du régime iranien et l’ouverture de négociations, ou le début d’une escalade incontrôlable? Trump appelle l’Iran à négocier immédiatement un accord de paix, mais Téhéran, humilié et affaibli, pourrait aussi bien choisir la résistance et les représailles asymétriques — attaques contre les installations pétrolières saoudiennes, sabotage du détroit d’Ormuz, frappes contre des bases américaines par l’intermédiaire de milices alliées.
Le Venezuela dans le viseur
Si l’Iran représente le théâtre moyen-oriental de l’agressivité trumpiste, le Venezuela incarne sa dimension hémisphérique. En octobre 2025, Trump confirme publiquement avoir autorisé la CIA à mener des opérations clandestines létales contre le régime de Maduro. Il ne se contente pas d’opérations secrètes : il envisage ouvertement des frappes aériennes sur le territoire vénézuélien et n’exclut pas l’envoi de troupes terrestres. « Je n’exclus rien », déclare-t-il lorsqu’un journaliste lui demande si des soldats américains pourraient être déployés. Cette franchise brutale constitue une rupture sans précédent : jamais un président américain n’avait admis publiquement planifier l’assassinat d’un chef d’État étranger en temps de paix.
L’administration Trump justifie cette escalade par deux arguments principaux : Maduro dirigerait un régime de « narco-terrorisme » responsable du trafic de drogue vers les États-Unis, et il aurait délibérément vidé les prisons vénézuéliennes pour envoyer des criminels en Amérique. Ces accusations — largement contestées et exagérées — servent de prétexte à une politique qui ressemble de plus en plus à une préparation d’invasion. En août, huit navires de guerre américains et un sous-marin nucléaire se déploient au large des côtes vénézuéliennes, officiellement pour lutter contre le trafic de stupéfiants. En novembre, le porte-avions Gerald R. Ford fait route vers les Caraïbes avec son groupe aéronaval. Des sources militaires évoquent des plans de bombardements des infrastructures militaires vénézuéliennes selon la doctrine du « choc et stupeur » utilisée en Irak en 2003.
Les ambitions territoriales
Mais Trump ne se limite pas aux interventions militaires ponctuelles. Il nourrit des projets d’expansion territoriale qui auraient semblé délirants il y a quelques années encore. Le Canada — oui, le Canada, allié historique et membre du G7 — figure dans sa ligne de mire. Trump menace d’imposer des tarifs douaniers dévastateurs pour forcer Ottawa à « rejoindre » les États-Unis, transformant essentiellement une nation souveraine en cinquante-et-unième État par la contrainte économique. Le Groenland, territoire autonome danois, fait l’objet de convoitises répétées : Trump affirme en avoir besoin pour surveiller les activités navales russes et chinoises dans l’Arctique, et n’exclut pas l’usage de la force militaire si le Danemark refuse de vendre ce territoire de 56 000 habitants.
Le canal de Panama complète ce tableau surréaliste. Trump accuse — faussement — Panama de laisser la Chine opérer le canal et d’imposer des tarifs excessifs aux navires américains. Il exige que les États-Unis reprennent le contrôle de cette voie maritime stratégique, rétrocédée à Panama en 1999 après des décennies de présence américaine. Lorsqu’on lui demande s’il envisage la force militaire, il répond : « Je ne peux exclure aucune de ces deux options » — comprendre : ni la pression économique, ni l’intervention armée. Cette rhétorique expansionniste culmine dans son projet pour Gaza : après le conflit avec le Hamas, Trump propose de vider la bande de Gaza de sa population palestinienne, de la relocaliser de force en Jordanie ou en Égypte, et de transformer le territoire en zone économique spéciale. Un projet de nettoyage ethnique à peine déguisé en plan de développement.
Quand ai-je basculé dans un univers parallèle? Je me rappelle d’une époque où annexer un pays allié aurait déclenché une crise internationale majeure. Aujourd’hui, on évoque l’absorption du Canada comme s’il s’agissait d’une simple transaction immobilière. Les mots ont perdu leur poids, les actes leur gravité. Tout semble permis pourvu qu’on le déclare suffisamment fort, suffisamment souvent. Cette normalisation de l’absurde me glace — car si tout devient acceptable, alors plus rien ne nous protège vraiment.
Les justifications fragiles
La sécurité nationale comme prétexte
Trump et son administration invoquent systématiquement la sécurité nationale pour justifier leurs aventures militaires et leurs ambitions territoriales. L’Iran développe l’arme nucléaire? Sécurité nationale. Le Venezuela envoie des drogues et des criminels? Sécurité nationale. Le Groenland permet de surveiller les Russes et les Chinois? Sécurité nationale. Le canal de Panama pourrait tomber sous influence chinoise? Sécurité nationale. Cette invocation magique transforme n’importe quelle action en nécessité existentielle, court-circuitant tout débat sur la proportionnalité, la légalité ou la sagesse stratégique des décisions prises. C’est le blanc-seing ultime qui autorise tout et n’explique rien.
Mais ces justifications s’effondrent dès qu’on les examine sérieusement. L’Iran, certes, enrichissait son uranium et progressait vers le seuil nucléaire — en grande partie parce que Trump lui-même avait déchiré l’accord nucléaire de 2015 qui limitait précisément ces activités. Bombarder les sites iraniens résout peut-être le problème immédiat, mais au prix d’une déstabilisation régionale massive et d’un précédent terrifiant : désormais, n’importe quel pays sachant qu’il risque des frappes américaines sera incité à accélérer son programme nucléaire tant qu’il le peut encore. Quant au Venezuela, le « narco-terrorisme » de Maduro — aussi réel soit-il — ne constitue pas une menace existentielle pour les États-Unis. Le trafic de drogue vers l’Amérique implique des dizaines de pays et d’organisations ; cibler uniquement Caracas relève davantage du règlement de comptes idéologique que de la stratégie antidrogue cohérente.
Les contradictions manifestes
La politique étrangère de Trump 2025 regorge de contradictions que même ses plus fervents partisans peinent à résoudre. Comment peut-on simultanément prétendre vouloir mettre fin aux guerres et bombarder l’Iran? Comment peut-on dénoncer les guerres interminables en Afghanistan et en Irak tout en planifiant une invasion du Venezuela? Comment peut-on proclamer le respect de la souveraineté nationale tout en exigeant l’annexion du Canada, du Groenland et du canal de Panama? Ces incohérences ne résultent pas de changements tactiques ou d’adaptations stratégiques — elles révèlent la nature profondément opportuniste de « America First ».
Le traitement réservé aux alliés versus les adversaires illustre particulièrement cette confusion. Trump entretient des relations qualifiées de « transactionnelles » avec les alliés traditionnels des États-Unis, oscillant entre l’indifférence et l’hostilité ouverte. Il menace le Canada, insulte le Danemark, déstabilise le Panama, tout en cherchant simultanément des relations plus amicales avec des adversaires comme la Russie de Vladimir Poutine. Son administration a proposé des concessions majeures à Moscou pour mettre fin à la guerre en Ukraine, allant jusqu’à suggérer que Kiev porte une responsabilité partielle dans l’invasion russe. Ces positions ont été unanimement critiquées par les alliés américains et par de nombreuses organisations internationales qui y voient une trahison des valeurs démocratiques que Washington prétendait jadis défendre.
L’inexpertise érigée en vertu
L’une des caractéristiques les plus troublantes de la politique étrangère trumpiste est le mépris affiché pour l’expertise. L’administration 2025 a délibérément marginalisé les diplomates de carrière, les analystes du renseignement et les officiers militaires expérimentés, leur préférant des loyalistes politiques et des hommes d’affaires sans formation internationale. Steven Witkoff, le promoteur immobilier transformé en envoyé spécial, incarne cette approche : il revendique son inexpérience comme un atout, affirmant que cela lui donne un regard « neuf » sur des conflits complexes que les professionnels auraient prétendument compliqués inutilement.
Cette logique anti-intellectuelle séduit une partie de l’électorat trumpiste qui perçoit les experts comme des obstacles bureaucratiques plutôt que comme des ressources précieuses. Mais elle produit des résultats catastrophiques en pratique. Des décisions majeures sont prises sans consultation des services concernés, des opérations militaires lancées sans planification adéquate des conséquences, des relations diplomatiques sabotées par ignorance des protocoles et des sensibilités culturelles. Des chercheurs ont documenté comment Trump confond régulièrement la flatterie de dirigeants étrangers avec un signe de leur volonté de compromettre leurs intérêts nationaux — une lecture naïve et dangereuse qui conduit à des erreurs de jugement stratégiques majeures. L’expertise n’est pas un luxe dans les affaires internationales; son absence se paie en vies humaines et en désastres géopolitiques.
L’anti-intellectualisme a toujours été le refuge des incompétents qui transforment leur ignorance en badge d’honneur. « Je ne sais rien, donc je vois clair » — quel renversement pervers! Comme si la complexité du monde pouvait se résoudre par le « bon sens » d’un homme d’affaires qui n’a jamais mis les pieds dans une zone de conflit. Cette célébration de l’amateurisme en politique étrangère me terrifie plus que n’importe quelle menace externe. Car nos vrais ennemis, eux, n’improvisent pas.
Les conséquences géopolitiques
L’effondrement de la crédibilité américaine
Chaque action unilatérale, chaque menace d’annexion, chaque bombardement surprise érode un peu plus la crédibilité des États-Unis sur la scène internationale. Un sondage du Pew Research Center réalisé en 2025 révèle que dans dix-neuf des vingt-quatre pays sondés, plus de la moitié des répondants déclarent manquer de confiance dans le leadership de Trump en matière d’affaires mondiales. Cette défiance dépasse largement les clivages partisans internes américains — c’est l’image même de l’Amérique qui se détériore globalement. Lorsqu’un pays qui se proclame champion de l’ordre international basé sur des règles viole systématiquement ces mêmes règles, pourquoi d’autres États les respecteraient-ils?
Les alliés traditionnels des États-Unis — Europe, Canada, Japon, Corée du Sud, Australie — observent avec inquiétude et parfois horreur la trajectoire américaine. Le Canada envisage sérieusement de réduire sa dépendance économique vis-à-vis de son voisin du sud, cherchant de nouveaux partenaires commerciaux en Europe et en Asie. Le Danemark refuse catégoriquement de discuter d’une vente du Groenland, qualifiant les demandes trumpistes d’« absurdes ». Panama rejette fermement toute idée de rétrocession du canal. Ces refus ne sont pas de simples postures diplomatiques — ils signalent un effritement profond de la confiance qui unissait ces nations à Washington. Et lorsque la confiance disparaît, les alliances deviennent fragiles, les engagements de sécurité douteux, la coopération internationale problématique.
Le vide comblé par la Chine et la Russie
La Nature ayant horreur du vide, le retrait américain du leadership international crée immédiatement des opportunités pour d’autres puissances. La Chine et la Russie s’engouffrent dans les brèches ouvertes par les politiques trumpistes. Pékin multiplie les initiatives diplomatiques en Afrique, en Amérique latine et même en Europe, se présentant comme un partenaire commercial fiable et prévisible — par contraste avec un Washington impulsif et menaçant. Moscou, encouragée par les signaux amicaux de Trump, intensifie sa pression sur l’Ukraine et teste la résilience de l’OTAN avec des provocations militaires accrues dans les pays baltes et en Pologne.
Les experts en politique étrangère avertissent que le démantèlement des organisations de soft power américain — USAID, Voice of America, les programmes culturels et éducatifs — cède essentiellement l’influence mondiale à ces rivaux stratégiques. La Chine investit massivement dans ses propres équivalents : les Instituts Confucius, les programmes d’aide au développement via l’Initiative Belt and Road, les médias d’État diffusés mondialement. La Russie, bien que moins fortunée, déploie ses propres outils d’influence : RT et Sputnik pour la propagande, les mercenaires Wagner pour la projection militaire, les opérations cybernétiques pour déstabiliser les démocraties occidentales. En abandonnant les outils qui avaient construit l’hégémonie américaine de l’après-Guerre froide, Trump accélère paradoxalement le déclin relatif qu’il prétendait inverser.
Les risques d’escalade militaire
Chaque intervention militaire trumpiste accroît le risque d’une escalade incontrôlable. Les frappes sur l’Iran auraient pu déclencher une guerre régionale impliquant Israël, l’Arabie saoudite, les milices chiites en Irak et au Liban, et potentiellement les grandes puissances. Que Téhéran ait finalement accepté un cessez-le-feu après douze jours de tensions extrêmes relève davantage de la chance que de la stratégie américaine. Au Venezuela, le déploiement de forces navales majeures et les menaces d’invasion créent une situation volatile où un incident — une embarcation vénézuélienne abattue par erreur, un navire américain endommagé — pourrait servir de prétexte à une intervention à grande échelle.
Les scénarios militaires élaborés par les think tanks occidentaux décrivent des campagnes de bombardements dévastatrices contre les infrastructures vénézuéliennes, suivies potentiellement d’une occupation terrestre si le régime Maduro ne s’effondre pas immédiatement. Mais ces plans reposent sur des hypothèses optimistes : que l’armée vénézuélienne ne résistera pas sérieusement, que la population accueillera les Américains en libérateurs, que la Chine et la Russie — qui ont des intérêts économiques et stratégiques majeurs au Venezuela — n’interviendront pas. L’Histoire récente suggère que ces hypothèses sont dangereusement naïves. L’Irak et l’Afghanistan ont démontré que renverser un régime est relativement facile; stabiliser ce qui vient après est infiniment plus complexe et coûteux.
Nous rejouons les mêmes tragédies avec une régularité mécanique, comme si les leçons du passé s’effaçaient dès qu’une nouvelle administration arrive au pouvoir. « Cette fois ce sera différent », se persuade-t-on. « Cette fois nous avons appris ». Mensonges. Cette fois sera exactement comme les précédentes : une victoire militaire rapide suivie d’un bourbier interminable, des promesses de reconstruction trahies, des alliés locaux abandonnés, et des générations entières traumatisées. Mais qu’importe — les décideurs ne paieront jamais personnellement le prix de leurs erreurs.
Les dimensions économiques
Les guerres commerciales permanentes
Parallèlement à ses aventures militaires, Trump mène des guerres commerciales sur tous les fronts. Tarifs douaniers contre la Chine, menaces tarifaires contre le Canada et le Mexique, sanctions économiques contre le Venezuela et l’Iran — la liste s’allonge continuellement. L’administration justifie ces mesures par la nécessité de protéger l’industrie américaine et de réduire les déficits commerciaux. Mais dans la pratique, ces guerres commerciales perturbent les chaînes d’approvisionnement mondiales, augmentent les prix pour les consommateurs américains, et provoquent des représailles qui nuisent aux exportateurs américains.
Le Canada, par exemple, face aux menaces d’annexion économique, envisage sérieusement de diversifier ses partenaires commerciaux pour réduire sa vulnérabilité aux caprices de Washington. L’Union européenne négocie des accords de libre-échange avec d’autres régions pour compenser la perte de prévisibilité dans ses relations avec les États-Unis. La Chine accélère ses efforts pour développer des marchés alternatifs en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Résultat : les États-Unis se retrouvent progressivement marginalisés dans un système commercial mondial qu’ils avaient eux-mêmes créé et dominé pendant des décennies. « America First » produit paradoxalement une Amérique de plus en plus isolée.
Le coût des interventions
Les aventures militaires trumpistes ont un prix astronomique que l’administration préfère ne pas évoquer. Maintenir un groupe aéronaval dans les Caraïbes coûte des centaines de millions de dollars par mois. Les frappes sur l’Iran ont nécessité des missiles de croisière à plusieurs millions de pièce, plus le déploiement de bombardiers stratégiques, plus les opérations de renseignement préalables. Si une invasion du Venezuela se concrétisait, les coûts exploseraient : des dizaines de milliards pour les opérations militaires initiales, puis potentiellement des centaines de milliards pour l’occupation et la reconstruction si les États-Unis décidaient de « finir le travail ».
Ces dépenses militaires massives se produisent alors même que Trump promet de réduire le déficit fédéral et de concentrer les ressources sur les priorités domestiques — infrastructure, santé, éducation. La contradiction est flagrante mais rarement discutée ouvertement. Chaque dollar dépensé pour bombarder des sites nucléaires iraniens ou déployer des porte-avions au large du Venezuela est un dollar qui ne finance pas la réparation des ponts américains ou l’amélioration des écoles publiques. « America First » signifie apparemment placer les interventions étrangères avant les besoins intérieurs, exactement l’inverse de ce que le slogan promettait.
Les sanctions comme arme
Trump utilise massivement les sanctions économiques comme instrument de pression, au point que certains pays commencent à développer des systèmes alternatifs pour contourner le dollar américain et le système financier occidental. Le Venezuela, l’Iran, la Russie — tous frappés par des sanctions américaines dévastatrices — coopèrent pour créer des mécanismes de troc, utiliser des cryptomonnaies, ou commercer en yuans chinois plutôt qu’en dollars. Ces efforts restent marginaux pour l’instant, mais ils signalent une tendance dangereuse pour Washington : la « weaponisation » du système financier mondial finit par inciter les autres acteurs à construire des alternatives.
La Chine, en particulier, observe attentivement comment les États-Unis utilisent les sanctions et le contrôle du système SWIFT pour punir leurs adversaires. Pékin développe activement son propre système de paiement international (CIPS) et promeut l’utilisation du yuan dans le commerce international. Si ces efforts réussissaient à long terme, les États-Unis perdraient l’un de leurs leviers de pouvoir les plus puissants : la capacité de couper n’importe quel pays ou entreprise de l’économie mondiale en appuyant sur un bouton. « America First » accélère ironiquement la fin du privilège exorbitant du dollar, cette capacité unique de financer des déficits massifs parce que le monde entier a besoin de dollars pour commercer.
L’argent parle, dit-on, mais il finit toujours par manquer de vocabulaire face aux réalités géopolitiques. On croit pouvoir acheter la soumission, sanctionner l’obéissance, tarifer la loyauté. Puis on s’étonne que les autres trouvent des chemins de traverse, construisent leurs propres routes loin de notre contrôle. Le pouvoir économique n’est jamais absolu — c’est une illusion fragile qui se brise dès que suffisamment d’acteurs décident de jouer selon d’autres règles. Et nous les poussons activement à chercher ces alternatives.
Les réactions intérieures
La polarisation domestique
La politique étrangère agressive de Trump divise profondément l’Amérique selon des lignes partisanes prévisibles. Les Républicains, dans leur majorité, soutiennent ou du moins tolèrent ces interventions, les présentant comme des démonstrations nécessaires de force américaine face à des ennemis qui ne comprennent que le langage de la puissance. Les frappes sur l’Iran? Une action courageuse pour empêcher un régime hostile d’acquérir l’arme nucléaire. Les menaces contre le Venezuela? Une réponse légitime au narco-terrorisme et à l’envoi de criminels vers les États-Unis. L’ambition d’annexer le Groenland? Une vision stratégique pour sécuriser l’Arctique face aux Russes et aux Chinois.
Les Démocrates, inversement, dénoncent ces politiques comme reckless, dangereuses, et fondamentalement contradictoires avec les valeurs américaines proclamées. Ils rappellent que Trump avait promis de mettre fin aux guerres interminables, pas d’en déclencher de nouvelles. Ils soulignent que les interventions militaires coûtent des vies américaines et des ressources qui seraient mieux utilisées domestiquement. Ils critiquent le mépris affiché pour les alliés traditionnels et la complaisance envers des autocrates comme Poutine. Mais ces critiques restent largement confinées à des audiences déjà convaincues. Le public américain, dans son ensemble, semble étonnamment indifférent aux implications profondes de ces changements de politique étrangère.
La fatigue démocratique
Une partie de cette indifférence s’explique par ce que les analystes appellent la « fatigue démocratique » — un épuisement collectif face au flux constant de controverses, de scandales et de crises qui caractérisent l’ère Trump. Chaque semaine apporte son lot de révélations choquantes, de déclarations outrageuses, de décisions dramatiques. Le bombardement de l’Iran, qui aurait dû dominer le cycle médiatique pendant des mois, a été partiellement éclipsé quelques semaines plus tard par d’autres controverses domestiques. Les menaces d’invasion du Venezuela sont devenues presque routinières, perdant leur capacité à choquer ou mobiliser l’opinion publique.
Cette normalisation de l’extraordinaire constitue peut-être le danger le plus insidieux de l’approche trumpiste. Lorsque tout devient scandaleux, plus rien ne l’est vraiment. Lorsque chaque jour apporte une nouvelle crise, le public développe une forme d’immunité psychologique, un détachement protecteur face au déluge d’informations alarmantes. Les démocrates tentent de mobiliser l’opinion contre ces dérives, mais leurs alarmes répétées finissent par ressembler au garçon qui criait au loup — même quand le loup est réellement là, devant la porte, montrant les crocs. Cette saturation cognitive bénéficie paradoxalement à Trump, lui permettant de poursuivre ses politiques radicales sans rencontrer la résistance publique qu’elles devraient normalement susciter.
Les voix dissidentes marginalisées
Au sein même de l’establishment sécuritaire et militaire américain, des voix critiques s’élèvent — mais elles sont systématiquement marginalisées ou écartées. Des généraux à la retraite, d’anciens directeurs du renseignement, des diplomates de carrière publient des tribunes alarmées dénonçant l’improvisation, le mépris pour l’expertise, et les dangers des politiques trumpistes. Mais ces critiques sont facilement discréditées par l’administration comme émanant du « deep state », cette bureaucratie hostile prétendument déterminée à saboter l’agenda présidentiel. Les loyalistes de Trump ont développé une rhétorique efficace qui transforme toute critique institutionnelle en preuve supplémentaire d’un complot des élites contre le président élu démocratiquement.
Le limogeage du général Alvin Holsey, chef du Commandement Sud américain (USSOUTHCOM), illustre parfaitement cette dynamique. Holsey aurait exprimé des réserves sur les plans d’intervention militaire au Venezuela, arguant que les options présentées étaient irréalistes ou trop risquées. Sa « retraite » forcée en octobre 2025 a envoyé un message clair aux autres officiers de haut rang : conformez-vous aux désirs du président ou votre carrière est terminée. Ce phénomène de sélection adverse — où seuls les yes-men survivent — garantit que Trump n’entendra plus que des conseils conformes à ses préjugés, éliminant les perspectives critiques qui pourraient prévenir des catastrophes.
Le silence des institutions face à leur propre marginalisation reste l’un des mystères de cette époque. Combien de généraux, de diplomates, d’analystes du renseignement savent exactement où mènent ces politiques mais choisissent de se taire pour préserver leur poste? Combien rationalisent leur complaisance en se disant qu’ils font plus de bien en restant à l’intérieur du système qu’en le dénonçant publiquement? Cette lâcheté collective, cette peur de briser les rangs même face à l’absurde, explique comment les démocraties glissent vers l’autoritarisme sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré contre leurs propres citoyens.
Les perspectives futures
L’escalade prévisible
Rien dans la trajectoire actuelle ne suggère un apaisement ou un retour à une politique étrangère plus mesurée. Au contraire, Trump et son entourage semblent grisés par leurs « succès » — l’Iran n’a pas riposté massivement après les frappes de juin, le Venezuela n’a pas attaqué les navires américains malgré les provocations, le Canada et le Danemark ont protesté mollement sans imposer de coûts réels aux États-Unis. Cette apparente impunité encourage l’escalade : si on peut bombarder l’Iran sans conséquences catastrophiques, pourquoi ne pas aller plus loin ailleurs? Si on peut menacer le Venezuela impunément, pourquoi ne pas concrétiser l’invasion?
Les analystes militaires prévoient que les prochaines cibles pourraient inclure la Corée du Nord — dont le programme nucléaire progressif reste une obsession trumpiste — ou même des frappes contre des installations chinoises en mer de Chine méridionale pour « défendre » les alliés asiatiques. Le Pentagone a dévoilé en septembre 2025 un projet de Stratégie de défense nationale qui priorise les missions domestiques et régionales plutôt que la compétition avec la Russie et la Chine, un changement dramatique par rapport aux plans précédents. Mais cette rhétorique de retrait contraste brutalement avec les déploiements militaires effectifs et les interventions réelles, suggérant un fossé grandissant entre la doctrine officielle et la pratique sur le terrain.
Les conséquences pour 2028
La présidence Trump 2025-2029 créera des précédents qui façonneront la politique étrangère américaine pour les décennies à venir, quelle que soit l’identité de son successeur. Si les interventions militaires unilatérales, les menaces d’annexion territoriale, et le mépris pour les alliances traditionnelles deviennent normalisés, les futures administrations — républicaines ou démocrates — hériteront d’un paysage géopolitique radicalement transformé. Les alliés auront diversifié leurs partenariats et réduit leur dépendance vis-à-vis de Washington. Les adversaires auront développé des stratégies pour contourner la puissance américaine. Les institutions internationales auront été affaiblies au point de devenir inefficaces.
Un futur président démocrate cherchant à réparer ces dégâts ferait face à des défis immenses. Comment restaurer la confiance avec le Canada après avoir menacé de l’annexer? Comment convaincre l’Europe que l’engagement américain envers l’OTAN est fiable après des années d’hostilité trumpiste? Comment reconstruire les organisations de soft power démantelées — USAID, Voice of America — alors que la Chine et la Russie auront occupé cet espace pendant des années? Ces tâches de réparation nécessiteraient des décennies d’efforts soutenus, et rien ne garantit qu’elles réussiraient. Certains dommages, une fois infligés, deviennent permanents.
Le monde post-américain
Paradoxalement, « America First » pourrait accélérer l’émergence d’un ordre international post-américain que personne n’avait vraiment anticipé. En détruisant systématiquement les fondations de l’hégémonie américaine — alliances solides, institutions internationales efficaces, soft power culturel, leadership moral — Trump facilite l’émergence d’un monde multipolaire où aucune puissance ne domine complètement. La Chine, la Russie, l’Union européenne (si elle parvient à s’unifier davantage), peut-être même l’Inde ou des coalitions régionales, occuperaient différentes sphères d’influence dans un système plus fragmenté et imprévisible.
Ce monde multipolaire pourrait être plus stable — aucune puissance ne pouvant imposer sa volonté unilatéralement — ou au contraire beaucoup plus dangereux, avec des zones grises où plusieurs puissances rivalisent sans règles claires. Les optimistes espèrent que la perte d’hégémonie américaine forcera Washington à devenir un acteur international plus responsable et collaboratif, un partenaire plutôt qu’un hegemon. Les pessimistes craignent que ce ne soit qu’une phase transitoire vers une nouvelle domination chinoise, ou pire, vers un chaos permanent de confrontations régionales et de guerres par procuration. Dans tous les cas, le monde qui émergera de l’ère Trump sera fondamentalement différent de celui qui l’a précédée — et « America First » aura ironiquement contribué à marginaliser l’Amérique dans ce nouvel ordre.
L’ironie suprême de cette époque restera peut-être celle-ci : un président élu pour restaurer la grandeur américaine aura précipité son déclin relatif. Pas par faiblesse, mais par excès de confiance. Pas par retrait, mais par interventions mal calibrées. Pas par négligence, mais par une action frénétique dans toutes les directions à la fois. L’Histoire appréciera ce paradoxe — une superpuissance qui s’affaiblit précisément en cherchant à démontrer sa force. Nous vivons l’effondrement en direct, mais personne ne semble capable de l’arrêter. Peut-être parce que ceux qui pourraient le faire sont ceux qui en profitent le plus.
Conclusion : l'imposture révélée
« America First » n’a jamais été ce que ses partisans croyaient soutenir. Ce n’était pas un retour à l’isolationnisme, pas un repli sur les priorités domestiques, pas une fin des guerres interminables. C’était — c’est — une doctrine d’unilatéralisme agressif déguisée en patriotisme, une justification pour n’importe quelle action pourvu qu’elle serve les intérêts américains tels que définis par Trump et ses idéologues. Bombarder l’Iran? America First. Menacer d’envahir le Venezuela? America First. Annexer le Canada, le Groenland, le canal de Panama? America First. Le slogan fonctionne comme un chèque en blanc, autorisant tout et n’expliquant rien, court-circuitant tout débat sur la sagesse, la légalité ou la moralité des actions entreprises.
Les contradictions sont désormais impossibles à ignorer. Un président qui promettait de ramener les soldats à la maison multiplie les déploiements militaires et les opérations clandestines. Un slogan censé prioriser l’Amérique finance des aventures étrangères coûteuses au détriment des besoins domestiques. Une rhétorique nationaliste produit une Amérique de plus en plus isolée et affaiblie sur la scène internationale. Ces incohérences ne résultent pas d’ajustements tactiques ou de changements de circonstances — elles révèlent que « America First » était depuis le début une imposture, un emballage marketing pour une politique étrangère aussi interventionniste et impériale que celles qu’elle prétendait remplacer.
Le monde observe, note, tire ses conclusions. Les alliés traditionnels diversifient leurs partenariats, préparant un avenir où Washington ne sera plus le centre incontesté de l’ordre occidental. Les adversaires testent les limites, exploitent les failles, construisent des alternatives au système dominé par les Américains. Les institutions internationales s’affaiblissent, les normes s’érodent, les garde-fous disparaissent. Et au centre de ce tourbillon, un homme convaincu que sa volonté suffit à plier la réalité, entouré de loyalistes trop lâches ou trop idéologiques pour le contredire. « America First » aboutira probablement à une Amérique diminuée, isolée, moins respectée et moins influente qu’elle ne l’était avant que ce slogan ne devienne politique officielle.
Le président qui regarde constamment vers l’étranger tout en clamant « L’Amérique d’abord » incarne cette contradiction fondamentale. Trump ne peut s’empêcher d’intervenir, de menacer, de conquérir — parce que dans son esprit, la grandeur américaine se mesure en territoires contrôlés et en ennemis vaincus, pas en alliances solides ou en influence durable. Cette vision du dix-neuvième siècle appliquée au vingt-et-unième promet des catastrophes en série. Les frappes sur l’Iran n’ont pas résolu le problème nucléaire, elles l’ont simplement déplacé temporairement. Les menaces contre le Venezuela n’élimineront pas le trafic de drogue, elles créeront un nouveau bourbier. Les ambitions territoriales sur le Groenland et le canal de Panama n’amélioreront pas la sécurité américaine, elles aliéneront des alliés essentiels. Mais ces réalités n’importent pas dans l’univers trumpiste où la volonté présidentielle suffit à transformer les fantasmes en succès. Nous paierons tous — Américains et non-Américains — le prix de cette illusion.
Source : nytimes
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