L’homme aux deux visages
Juan Orlando Hernández. Le nom résonne différemment selon qui le prononce. Pour Trump, en 2019, c’était un allié. Un partenaire de confiance. Un combattant contre la drogue. Le président américain l’avait serré dans ses bras lors d’un événement en Floride. «Nous arrêtons la drogue à un niveau jamais atteint», avait-il déclaré. Hernández souriait. L’image était parfaite. Presque trop. Mais voici ce qui se cachait derrière ce sourire : un homme qui avait transformé son pays—le Honduras—en autoroute du cocaine. Pas en chemin. En autoroute. Avec des panneaux et des postes de contrôle tenus par des militaires payés pour laisser passer les camions bourrés de drogue.
De 2004 à 2022, Hernández avait supervisé le passage d’environ quatre cent tonnes de cocaine vers les États-Unis. Quatre cents tonnes. C’est l’équivalent de soixante-sept éléphants adultes. De cocaine pure. Vers les rues américaines. Vers vos voisins. Vers les adolescents qui la sniffent dans des toilettes de lycée. Le jugement du tribunal de Manhattan le dira sans détour : Hernández ne combattait pas la drogue. Il la protégeait. Il l’orchestrait. Et il la vendait.
Il payait—c’est documenté par les procureurs—plusieurs millions en pots-de-vin aux trafiquants. Il utilisait l’armée hondurienne pour escorter les convois. Il avait même établi des partenariats avec des cartels mexicains et colombiens. Le plus ahurissant? Il remerciait publiquement les États-Unis pour leur aide dans la lutte contre le trafic, pendant qu’il en était un des principaux architectes.
J’ai lu cent articles sur ce sujet, et à chaque fois je me demande : comment un homme peut-il mentir aussi consciemment? Comment regarde-t-on un président américain en face et on affirme combattre la drogue alors qu’on la noie dans son propre pays? Il y a une forme de génie malveillant dans cette duperie. Une assurance. Une compréhension tacite des règles du jeu que peu de gens possèdent. Hernández savait qu’on ne le toucherait jamais. Jusqu’au jour où on l’a touché.
Le moment de vérité au tribunal de Manhattan
Mars 2024. Les portes du palais fédéral de Manhattan se ferment sur un homme qui perd ses certitudes. Hernández y comparaît dans un uniforme de prison vert drab. Fini les costumes sur mesure. Fini la prestance. Le jury l’a trouvé coupable en vingt minutes. Presque rien que ça : vingt minutes pour démolir une vie entière de mensonges. Le juge Kevin Castel ne mâche pas ses mots. Il appelle Hernández un «politicien à deux visages assoiffé de pouvoir». Il note que l’accusé possédait des «talents de comédien considérables» pour se faire passer pour un croisé anti-drogue. Et puis le coup de massue : quarante-cinq ans de prison. Plus huit millions de dollars d’amende. Une somme qui ne payera jamais le prix réel de son crime.
Les preuves? Écrasantes. Des enregistrements interceptés. Des SMS échangés avec des narcos du calibre d’El Chapo. Des ledgers documentant les transactions. Des témoins—des anciens trafiquants, des policiers corrompus—qui déversent tous les détails. Son propre frère, Tony Hernández, avait plaidé coupable avant lui. Des millions transitaient par les mains du clan. Le corruption n’était pas accessoire dans le régime de Hernández. C’était la structure même du gouvernement.
Quand j’ai vu les photos du tribunal, j’ai pensé à tous les policiers corrompus qui avaient dû accepter des pots-de-vin pour laisser passer la drogue. À tous les soldats honduriens qui avaient refusé de participer et qu’on avait liquidés. À tous les enfants de Tegucigalpa qui tombaient dans l’addiction avec de la cocaine financée par le gouvernement qu’ils étaient censés respecter. Et puis il y a eu le jugement. La sentence. Et tout le monde a cru que c’était fini. Que la justice avait parlé. Ils ne savaient pas encore.
Trump brise les chaînes et humilie la justice américaine
Une grâce annoncée comme une provocation
Vendredi 28 novembre 2025. Trump publie sur Truth Social : «Je vais accorder une grâce totale et absolue à l’ancien président Juan Orlando Hernandez qui, d’après de nombreuses personnes que je respecte énormément, a été traité de manière très dure et injuste.» Totale et absolue. Les deux mots suffisent. Pas de prison. Pas de condition. Rien. Libération complète. Remise entière des quarante-cinq ans. Et ce qui rend la chose encore plus cynique : le timing. L’annonce tombe la veille d’une élection présidentielle au Honduras. La veille précise. Trump soutient explicitement le candidat Nasry Asfura, du même parti que Hernández—le Parti national, un parti de droite. Ce n’est pas une coïncidence. C’est une interférence délibérée. C’est une intervention électorale masquée sous l’apparence d’une décision présidentielle.
Le message aux électeurs honduriens est transparent : votez pour notre homme, et regardez ce qui arrive. Regardez comme nous prenons soin des nôtres. Regardez comment nous récompensons la loyauté. C’est de la politique brute. Pas du droit. Pas de la justice. De la mécanique politique pure et dure. Et cela fonctionne parce que personne ne peut y faire obstacle. Trump détient le pouvoir exécutif suprême. Il peut gracier qui il veut, quand il veut, pour n’importe quelle raison.
Je lis la justification de Trump—«traité de manière très dure et injuste»—et je dois vraiment me retenir. Le Honduras est classé parmi les pays avec les taux de meurtres les plus élevés de la planète. Des milliers de personnes meurent chaque année à cause de bandes armées financées par des hommes comme Hernández. Des enfants. Des femmes. Des innocents qui n’ont rien demandé sauf d’être en sécurité. Et Trump parle d’injustice envers celui qui a transformé leur nation en zone de guerre. La perversité du message m’étouffe. Mais elle a aussi une certaine logique : Trump récompense ceux qui lui sont utiles. C’est transactionnel. C’est simple. C’est peut-être honnête d’une certaine manière.
Les raisons cachées de la clémence présidentielle
Pourquoi Trump ferait-il cela? Pourquoi gracier un trafiquant de drogue condamné dans le plus grand retentissement public? Les cyniques vous diront que c’est parce que Hernández pourrait être utile. Que son parti au Honduras pourrait être un allié stratégique pour Trump dans ses politiques migratoires. Que contrôler les flux de migration depuis l’Amérique centrale demande d’avoir des régimes complaisants. Et Hernández—même en prison—représente une faction politique que Trump veut soutenir. Une faction de droite. Autoritaire. Disposée à faire ce que Trump demande.
Ou peut-être que c’est plus simple encore. Trump lui-même a été accusé d’être proche de personnages louches. Il a loué Hernández publiquement quand il était en fonction. Il l’a félicité. Il s’était engagé à ses côtés. Maintenant que Hernández est tombé, peut-être que Trump veut effacer les preuves de cette alliance compromettante. En le graciant, il envoie un message : regardez, je suis le patron. Les jugements que vous pensiez définitifs? Je peux les annuler d’un coup de plume. Votre système juridique? C’est moi qui le contrôle.
Il y a quelque chose de terrifiante et séduisant à la fois chez Trump. Il ne cache rien. Il le crie aux toits. «Je vais faire ce que je veux.» Et il le fait. Pendant ce temps, les institutions s’effondrent doucement. Les magistrats regardent. Les procureurs regardent. Ils ne peuvent rien faire. Le pouvoir présidentiel de grâce est absolu. C’est comme regarder les murs d’une prison s’effondrer, pierre par pierre. Et personne ne peut les retenir.
La destruction silencieuse du système judiciaire américain
Quand les quatre-cinq ans de lutte disparaissent en quelques clics
Pensez à cela. Des procureurs fédéraux ont passé quatre années et demie à rassembler les preuves. Ils ont enregistré des appels téléphoniques. Ils ont intercepté des messages. Ils ont persuadé des témoins—certains d’entre eux des criminels à part entière—à se lever en cour et à témoigner sous serment. Ils ont construit un dossier si volumineux, si irréfutable, que le jury a voté coupable en moins de trente minutes. Le juge a passé en revue chaque détail. Il a écouté la défense. Et puis il a prononcé sa sentence : quarante-cinq ans.
Tout ce travail. Toute cette infrastructure. Tous ces citoyens qui ont sacrifié leur sécurité pour témoigner contre un homme puissant. Pour quoi? Pour voir un président changer d’idée un vendredi après-midi. C’est un système qui s’écroule. C’est la fin d’une époque où la loi était censée être supérieure au pouvoir personnel. Trump vient de montrer—en direct, sans hésitation—que la loi n’existe que tant que le pouvoir exécutif décide qu’elle existe.
Et regardez bien les implications. Si le président peut gracier quelqu’un pour des crimes de cette envergure, qu’est-ce qui arrête les futurs présidents de faire la même chose? Qu’est-ce qui empêche le prochain Trump—ou le prochain dictateur en herbe—de gracier ses alliés, ses co-conspirateurs, ses complices? La réponse? Rien. Absolument rien. Il n’y a aucun frein. Aucun contrôle. Le pouvoir de grâce du président n’a pas de limite. C’est un bouton rouge qui attend juste d’être appuyé.
J’écris ces mots et je me demande si je suis en train de décrire le crépuscule d’une démocratie. Parce que c’est peut-être de cela qu’il s’agit. Une démocratie n’existe que si la loi prime sur le pouvoir personnel. Que si personne—pas même le président—n’est au-dessus de la loi. Trump vient de pulvériser cette idée. Il l’a écrasée. Il s’agit de la moment où nous comprenons que les règles n’ont jamais vraiment existé. Elles ne sont que des suggestions. Des lignes tracées à la craie. Prêtes à être effacées quand quelqu’un de suffisamment puissant arrive.
Les procureurs perdent. La drogue gagne.
Dans la corruption, il existe une hiérarchie. En bas : les petits trafiquants qu’on arrête, qu’on emprisonne, qu’on oublie. Au milieu : les plus gros distributeurs qui achètent leur sortie avec de l’argent et des connexions. En haut : les architectes politiques du trafic. Les ministres. Les présidents. Les gens qui créent le cadre légal qui permet au cocaine de circuler. Hernández était au sommet de cette pyramide. Et voilà qu’on lui remet les clés.
Les procureurs savaient cela. Ils savaient qu’ils montaient au sommet. Que chaque témoin qu’ils présentaient risquait sa vie. Que chaque preuves remettaient la main sur le nid de guêpes du pouvoir corrompu. Et ils l’ont quand même fait. Parce qu’ils croyaient au système. Parce qu’ils pensaient que la loi valait la peine. Et puis Trump arrive et dit : non. La loi est un jouet que je contrôle. Et je viens de le lancer par la fenêtre.
Je pense aux procureurs qui se réveillent ce matin-là. Qui voient le tweet. Qui réalisent que le travail de quatre années s’évapore. Et je ne sais pas si je dois les plaindre ou les blâmer. De quel côté faut-il être quand les règles du jeu changent en milieu de partie? De quel côté faut-il se placer quand on découvre que le juge a vu les cartes depuis le début?
L'Amérique centrale regarde et comprend qui commande vraiment
Un message pour le Honduras de la part du plus puissant
Au Honduras, dimanche prochain, les électeurs vont voter. Et ils vont savoir, avec une certitude absolue, que le résultat qui importe vraiment a déjà été décidé ailleurs. À Mar-a-Lago. Ou à Tower Turmp. Ou où que Trump donne ses ordres. L’annonce de la grâce ne vise pas juste Hernández. Elle vise les électeurs honduriens. Elle vise le candidat que Trump soutient : Nasry Asfura. Elle crie : votez pour lui, et regardez comment nous récompensons la loyauté. Regardez comme nous sauvons les nôtres.
C’est de l’interférence électorale. C’est du colonialisme moderne. C’est un pays qui impose sa volonté sur un autre pays, pas par les armes, mais par la démonstration du pouvoir absolu. Trump dit aux Honduriens : votre système judiciaire n’existe que parce que je le permets. Vos élections se déroulent selon ma volonté. Votre avenir se décide à Washington, pas à Tegucigalpa.
Et peut-être qu’il a raison. Peut-être que c’est toujours été comme cela. Peut-être que les Honduriens l’ont toujours su, au fond. Mais Trump refuse de faire semblant. Il refuse de maintenir la fiction que les petits pays ont de l’agentivité. Il envoie la grâce comme un message sans équivoque : vous faites ce que je dis, ou les conséquences seront pires. Et le Honduras, petit pays fragile, ravagé par des années de drogue et de corruption, doit juste accepter.
Conclusion : le moment où la justice capitule devant le pouvoir
Vendredi 28 novembre 2025 restera comme le jour où quelque chose d’essentiel s’est cassé. Pas discrètement. Pas graduellement. En direct. Sous les yeux du monde. Donald Trump a regardé quatre années de travail judiciaire, un procès public, un verdict unanime, et une sentence rendue par un juge fédéral—et il a appuyé sur le bouton d’annulation.
C’est le message : la loi n’existe que si je dis qu’elle existe. Les tribunaux n’ont du pouvoir que si je l’autorise. Les procureurs ne gagnent que si je le permets. Et si tu m’es utile—si tu fais partie de ma faction, de mon équipe, de mon projet—aucune condamnation n’est définitive. Aucune prison n’est inévitable. Je peux tout effacer.
C’est terrifiant. C’est cynique. C’est aussi terriblement honnête. Trump a cessé de prétendre. Il a montré le moteur sous le capot. Et le moteur, c’est le pouvoir pur. Pas plus. Pas moins. Juste le pouvoir brut qui écrase tout sur son passage.
Pour le Honduras, c’est le rappel que le gouvernement des États-Unis ne renoncera jamais à son influence totale sur la région. Pour les États-Unis, c’est le moment où beaucoup doivent admettre que les institutions qui les protégeaient—les tribunaux, la séparation des pouvoirs, la soumission à la loi—n’ont jamais existé que parce que quelqu’un décidait qu’elles existaient. Et maintenant que cette personne a changé d’idée, tout disparaît. Quatre-vingt-dix millisecondes. Un tweet. Une signature. Et quarante-cinq ans s’effondrent.
Source : nytimes
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