Mars 2018, Salisbury bascule dans l’horreur
Le 4 mars 2018, Sergueï Skripal, soixante-six ans, et sa fille Ioulia, trente-trois ans, sont retrouvés inconscients sur un banc public dans le centre de Salisbury, une ville tranquille du sud-ouest de l’Angleterre. Les premiers intervenants pensent d’abord à une overdose ou à une intoxication alimentaire. Mais très vite, les symptômes observés — convulsions, salivation excessive, pupilles rétrécies — alertent les médecins. Les analyses révèlent la présence de Novitchok, un agent neurotoxique militaire développé par l’Union soviétique dans les années 1970 et 1980. Ce poison, d’une puissance terrifiante, est conçu pour tuer rapidement et de manière indétectable. Sa simple présence sur le sol britannique constitue un acte de guerre chimique.
L’enquête établit rapidement que le Novitchok a été appliqué sur la poignée de la porte d’entrée de la maison de Skripal. Les deux victimes ont été contaminées en touchant cette poignée avant de partir en ville. Ils ont ensuite erré pendant plusieurs heures, visitant un pub et un restaurant, avant de s’effondrer sur ce banc. Miraculeusement, ils survivent tous les deux, mais au prix de semaines de soins intensifs et de séquelles neurologiques permanentes. Un policier, Nick Bailey, qui s’est rendu chez Skripal pour enquêter, est également gravement intoxiqué mais survit. L’affaire provoque une crise diplomatique majeure. Le Premier ministre britannique de l’époque, Theresa May, accuse directement la Russie et expulse vingt-trois diplomates russes. En représailles, Moscou expulse un nombre équivalent de diplomates britanniques. C’est le début d’une escalade qui va entraîner l’expulsion de plus de cent cinquante diplomates russes de pays occidentaux, la plus grande vague d’expulsions depuis la Guerre froide.
Qui était Sergueï Skripal et pourquoi le cibler ?
Sergueï Skripal n’était pas un espion ordinaire. Colonel du GRU, il avait été recruté par les services secrets britanniques dans les années 1990 et avait fourni des informations précieuses sur les opérations russes en Europe. Arrêté en 2004, il avait été condamné à treize ans de prison pour haute trahison. Mais en 2010, il avait été échangé dans le cadre d’un swap d’espions entre la Russie et les États-Unis, le même échange qui avait permis le retour en Russie d’Anna Chapman et d’autres agents russes arrêtés aux États-Unis. Skripal s’était installé à Salisbury, vivant discrètement sous sa véritable identité, sans protection particulière. Pour les services britanniques, il était considéré comme un retraité, un homme du passé qui ne représentait plus de menace pour Moscou.
Alors pourquoi le cibler en 2018, huit ans après son échange ? Plusieurs hypothèses ont été avancées. Certains analystes pensent que Poutine voulait envoyer un message aux traîtres potentiels : même après un échange, même après des années, la Russie n’oublie jamais. D’autres suggèrent que Skripal était peut-être encore actif, consultant pour les services britanniques ou formant de nouveaux agents. Le rapport Hughes avance une troisième explication : l’attaque n’était pas seulement une vengeance, mais une démonstration de puissance. En utilisant un agent chimique militaire sur le sol d’un pays de l’OTAN, la Russie montrait qu’elle pouvait frapper où elle voulait, quand elle voulait, sans craindre de représailles sérieuses. C’était un test de la détermination occidentale, un test que Moscou estimait avoir réussi puisque, au-delà des expulsions diplomatiques et des sanctions, aucune action militaire n’a été entreprise.
Skripal était un traître aux yeux de Moscou. Soit. Mais il avait été échangé, blanchi en quelque sorte par cet accord international. Il vivait tranquillement en Angleterre, un vieil homme qui nourrissait les pigeons et faisait ses courses au supermarché. Et on l’a empoisonné. Avec un produit militaire. Sur le sol britannique. C’est d’une audace folle. Ou d’une arrogance sans limite. Peut-être les deux. Ce qui me frappe, c’est le mépris absolu pour les règles, pour les conventions, pour la vie humaine. Skripal était une cible. Mais Dawn Sturgess ? Elle n’était rien. Juste une femme au mauvais endroit, au mauvais moment. Et ça, c’est impardonnable.
Dawn Sturgess : la victime oubliée d'une guerre secrète
Un flacon de parfum mortel
Le 30 juin 2018, soit près de quatre mois après l’empoisonnement des Skripal, Charlie Rowley trouve un flacon dans une poubelle à Amesbury, une ville située à une quinzaine de kilomètres de Salisbury. Le flacon, qui ressemble à un parfum de luxe, est encore dans son emballage. Rowley le ramène chez lui et l’offre à sa compagne, Dawn Sturgess. Elle l’essaie le lendemain matin, vaporisant le liquide sur ses poignets. Quelques heures plus tard, elle s’effondre, victime de convulsions violentes. Rowley, qui a également manipulé le flacon, tombe malade à son tour mais moins gravement. Dawn Sturgess meurt le 8 juillet 2018, après une semaine de soins intensifs. Les analyses révèlent qu’elle a été exposée à une dose massive de Novitchok, probablement la même substance utilisée contre les Skripal.
L’enquête établit que le flacon contenait suffisamment de Novitchok pour tuer des milliers de personnes. Les agents du GRU l’avaient utilisé pour transporter le poison en Angleterre, puis l’avaient abandonné après avoir appliqué le produit sur la poignée de porte de Skripal. Ils ne se sont pas souciés de le détruire ou de le rapporter en Russie. Ils l’ont simplement jeté, comme un déchet ordinaire, sans aucune considération pour les conséquences. Cette négligence criminelle a coûté la vie à Dawn Sturgess. Le rapport Hughes est particulièrement sévère sur ce point : les agents russes, leurs supérieurs au GRU, et ceux qui ont autorisé l’opération — jusqu’à Poutine lui-même — portent tous une responsabilité morale dans cette mort. Ils ont créé un danger mortel et l’ont laissé dans la nature, se moquant éperdument de qui pourrait en être victime.
Une vie ordinaire fauchée par l’extraordinaire
Dawn Sturgess n’avait rien d’une espionne ou d’une cible politique. C’était une femme de quarante-quatre ans, mère de trois enfants, qui luttait contre des problèmes d’addiction et vivait dans des conditions précaires. Elle n’avait aucun lien avec le monde du renseignement, aucune raison d’être mêlée à une affaire d’espionnage international. Sa mort est le résultat d’une série de hasards tragiques : le flacon jeté dans cette poubelle précise, Rowley qui le trouve, le cadeau qu’il en fait à Dawn, le geste anodin de vaporiser ce qu’elle croit être du parfum. Chacun de ces moments aurait pu se dérouler différemment. Mais ils se sont enchaînés avec une logique implacable, conduisant à sa mort.
Les témoignages recueillis lors de l’enquête dressent le portrait d’une femme attachante, généreuse malgré ses difficultés, aimée de ses proches. Sa famille a exprimé une colère immense face à l’injustice de sa mort. Elle n’était pas censée mourir. Elle n’était même pas censée être impliquée dans cette histoire. Mais elle l’a été, parce que des agents russes ont fait preuve d’une insouciance meurtrière en abandonnant un poison militaire dans un lieu public. Le rapport Hughes insiste sur ce point : Dawn Sturgess est une victime innocente d’une tentative d’assassinat menée par un État. Sa mort n’est pas un accident, c’est la conséquence directe d’une opération criminelle autorisée au plus haut niveau du pouvoir russe.
Dawn Sturgess me hante. Je ne la connaissais pas, évidemment. Mais son histoire me poursuit. Parce qu’elle aurait pu être n’importe qui. Vous. Moi. Quelqu’un qu’on aime. Elle a trouvé un flacon dans une poubelle. Un geste que des milliers de gens font chaque jour. Et ce geste l’a tuée. Il y a quelque chose d’insupportable dans cette banalité du mal. Les agents russes ont jeté ce flacon comme on jette un mouchoir usagé. Ils sont rentrés chez eux, ont repris leur vie. Et Dawn est morte. Seule. Dans un hôpital. Loin de ses enfants. C’est ça qui me révolte. Cette indifférence absolue à la vie humaine.
La réaction russe : déni, contre-attaque et théorie du complot
Moscou rejette toute responsabilité
Depuis le premier jour, la Russie nie catégoriquement toute implication dans l’empoisonnement des Skripal et la mort de Dawn Sturgess. Le ministère des Affaires étrangères russe a qualifié les accusations britanniques de « sans fondement », de « provocations » et de « russophobie ». Moscou affirme que le Royaume-Uni n’a fourni aucune preuve concrète de l’implication russe et que toute l’affaire repose sur des présomptions et des préjugés anti-russes. La porte-parole du ministère, Maria Zakharova, a multiplié les déclarations cinglantes, accusant Londres de monter une campagne de désinformation pour diaboliser la Russie et justifier de nouvelles sanctions.
La Russie a également avancé plusieurs théories alternatives pour expliquer l’empoisonnement. Selon Moscou, le Novitchok aurait pu être fabriqué par les services secrets britanniques eux-mêmes, dans le cadre d’une opération sous faux drapeau destinée à accuser la Russie. D’autres versions suggèrent que Skripal aurait été empoisonné par des agents ukrainiens ou par des dissidents russes cherchant à nuire au Kremlin. Ces théories, largement considérées comme fantaisistes par les experts occidentaux, sont néanmoins relayées par les médias d’État russes et trouvent un écho dans certains cercles complotistes en Occident. Pour Moscou, l’important n’est pas tant de convaincre que de semer le doute et de brouiller les pistes.
Les trois suspects : des touristes ou des assassins ?
En septembre 2018, les autorités britanniques identifient trois suspects : Alexander Petrov, Ruslan Boshirov et Sergey Fedotov. Grâce aux caméras de surveillance, aux données de téléphonie mobile et aux registres d’hôtels, les enquêteurs reconstituent leurs déplacements. Les trois hommes sont arrivés à Londres le 2 mars 2018, se sont rendus à Salisbury le 3 mars pour une reconnaissance, puis y sont retournés le 4 mars pour commettre l’empoisonnement. Ils ont quitté le Royaume-Uni le soir même, rentrant en Russie avant que l’alerte ne soit donnée. Les preuves sont accablantes : on les voit sur les images de vidéosurveillance près de la maison de Skripal, au moment précis où le poison a dû être appliqué.
Mais la Russie a une explication. En septembre 2018, Petrov et Boshirov apparaissent dans une interview télévisée sur la chaîne RT, affirmant qu’ils sont de simples touristes venus admirer la célèbre cathédrale de Salisbury. Ils expliquent qu’ils sont passionnés d’architecture gothique et qu’ils voulaient voir la flèche de la cathédrale, haute de cent vingt-trois mètres. Cette version a été largement moquée en Occident, d’autant que les deux hommes semblent mal à l’aise et récitent manifestement un texte préparé. Des enquêtes journalistiques ultérieures, notamment du site d’investigation Bellingcat, ont révélé que Petrov et Boshirov sont en réalité des officiers du GRU opérant sous de fausses identités. Leurs vrais noms sont Alexander Mishkin et Anatoly Chepiga, et ils ont tous deux reçu des décorations militaires russes pour leurs services.
L’interview de Petrov et Boshirov est surréaliste. Deux types qui prétendent être venus en Angleterre pour voir une cathédrale. En plein hiver. Pour quarante-huit heures. Sans visiter quoi que ce soit d’autre. C’est tellement grotesque que ça en devient presque comique. Sauf que ce n’est pas drôle. Parce que derrière cette mascarade, il y a une femme morte et deux personnes gravement empoisonnées. Ce qui me frappe, c’est l’arrogance. Moscou ne se donne même pas la peine de construire un mensonge crédible. C’est un message : nous savons que vous savez, mais nous nous en fichons. Nous ferons ce que nous voulons, et vous ne pouvez rien y faire.
Le rapport Hughes : des conclusions sans appel
Une enquête minutieuse et indépendante
L’enquête publique sur la mort de Dawn Sturgess a été lancée en 2021, après des années de pression de la part de sa famille. Présidée par Lord Anthony Hughes, ancien juge de la Cour suprême britannique, elle avait pour mission d’établir les circonstances exactes de sa mort et d’identifier les responsables. Pendant des mois, l’enquête a entendu des témoignages de médecins, de policiers, d’experts en armes chimiques, de membres de la famille de Dawn, et de responsables des services de renseignement britanniques. Des milliers de documents ont été analysés, des reconstitutions ont été effectuées, des expertises scientifiques ont été commandées. Le rapport final, publié le 4 décembre 2025, fait plus de trois cents pages et constitue l’analyse la plus complète jamais réalisée sur cette affaire.
Les conclusions de Hughes sont sans ambiguïté. Premièrement, Dawn Sturgess est morte après avoir été exposée au Novitchok contenu dans le flacon trouvé par Charlie Rowley. Deuxièmement, ce flacon avait été utilisé par des agents du GRU pour transporter le poison destiné à Sergueï Skripal. Troisièmement, ces agents ont abandonné le flacon sans prendre aucune précaution, créant ainsi un danger mortel pour le public. Quatrièmement, l’opération d’assassinat contre Skripal a nécessairement été autorisée au plus haut niveau de l’État russe, c’est-à-dire par Vladimir Poutine. Hughes explique que l’utilisation d’un agent chimique militaire aussi sophistiqué que le Novitchok ne peut pas être décidée par des officiers subalternes. Elle requiert l’approbation du président lui-même.
Poutine porte la responsabilité morale
Le rapport Hughes introduit une notion juridique importante : la responsabilité morale. Hughes explique qu’il ne peut pas établir de responsabilité pénale directe de Poutine dans la mort de Dawn Sturgess, car il n’a pas accès aux documents internes du Kremlin et ne peut pas interroger les responsables russes. Mais il peut établir une responsabilité morale. En autorisant l’opération contre Skripal, en sachant que du Novitchok serait utilisé sur le sol britannique, en ne prenant aucune mesure pour s’assurer que le poison serait manipulé de manière sécurisée, Poutine a créé les conditions qui ont conduit à la mort de Dawn Sturgess. Il porte donc une responsabilité morale dans cette mort, tout comme les agents du GRU qui ont abandonné le flacon et leurs supérieurs qui ont planifié l’opération.
Cette notion de responsabilité morale est importante car elle permet de contourner les obstacles juridiques habituels. Dans le droit international, il est extrêmement difficile de poursuivre un chef d’État étranger pour des crimes commis sur le territoire d’un autre pays. Les immunités diplomatiques, le principe de souveraineté, et l’absence de juridiction internationale compétente rendent ces poursuites presque impossibles. Mais en établissant une responsabilité morale, Hughes crée un précédent qui pourrait être utilisé dans d’autres affaires. Il dit en substance : même si nous ne pouvons pas vous juger devant un tribunal, nous pouvons vous tenir pour responsable devant l’histoire et devant l’opinion publique. C’est une forme de justice imparfaite, mais c’est mieux que rien.
La responsabilité morale. C’est un concept étrange, presque fragile. Parce qu’il n’a pas de force contraignante. Poutine ne sera jamais jugé pour la mort de Dawn Sturgess. Il ne passera jamais devant un tribunal. Il ne sera jamais condamné. Mais le rapport Hughes dit : vous êtes responsable. Moralement. Historiquement. Humainement. C’est peu. C’est dérisoire face à l’injustice de cette mort. Mais c’est important. Parce que ça inscrit dans le marbre une vérité que Moscou voudrait effacer : Dawn Sturgess est morte à cause d’une décision prise au Kremlin. Et ça, personne ne pourra jamais le nier.
La réaction de l'ambassadeur russe : une contre-offensive diplomatique
Andrey Kelin dénonce une manipulation politique
Quelques heures après la publication du rapport Hughes, l’ambassadeur russe au Royaume-Uni, Andrey Kelin, publie une déclaration virulente. Il rejette catégoriquement les conclusions du rapport, les qualifiant d’« accusations sans fondement » et de « provocation anti-russe ». Mais surtout, il avance une théorie qui va au-delà du simple déni : selon lui, la publication de ce rapport au moment précis où des négociations russo-américaines sur l’Ukraine prennent forme n’est pas une coïncidence. C’est une manœuvre délibérée du gouvernement britannique pour saboter ces négociations et empêcher tout rapprochement entre Moscou et Washington.
Kelin développe son argumentation dans une longue déclaration. Il rappelle que le Royaume-Uni est l’un des plus fervents soutiens de l’Ukraine, ayant fourni des milliards de livres sterling en aide militaire et en soutien financier à Kiev. Londres a également été à la pointe des efforts pour imposer des sanctions sévères contre la Russie et pour isoler Moscou sur la scène internationale. Dans ce contexte, un accord de paix négocié entre les États-Unis et la Russie, qui pourrait impliquer des concessions territoriales de la part de l’Ukraine, serait perçu comme un échec de la politique britannique. En ravivant l’affaire Skripal, Londres cherche à rappeler au monde entier la nature du régime de Poutine et à rendre politiquement impossible tout rapprochement avec Moscou.
Le timing suspect d’une publication
L’argument de Kelin sur le timing mérite d’être examiné. Il est vrai que la publication du rapport intervient à un moment particulièrement sensible. Début décembre 2025, les émissaires américains Steve Witkoff et Jared Kushner multiplient les rencontres avec des responsables russes et ukrainiens. Ils ont rencontré Poutine à Moscou, puis des membres du gouvernement ukrainien à Miami. Ces discussions, bien que difficiles, semblent marquer une volonté réelle de trouver une issue au conflit. Pour la première fois depuis le début de la guerre en février 2022, un accord de paix paraît envisageable, même si les positions restent très éloignées sur des questions cruciales comme le statut des territoires occupés par la Russie.
Dans ce contexte, la publication du rapport Hughes peut effectivement être perçue comme un obstacle. Elle rappelle brutalement que la Russie est accusée d’avoir commis un acte de guerre chimique sur le sol britannique, d’avoir tué une citoyenne britannique, et que son président porte une responsabilité morale dans cette mort. Comment négocier avec un tel régime ? Comment faire des compromis avec un dirigeant accusé de crimes aussi graves ? Ces questions, légitimes, compliquent considérablement la tâche des négociateurs. Elles renforcent également la position des faucons en Occident qui s’opposent à tout accord avec Moscou et plaident pour une poursuite de la guerre jusqu’à la défaite totale de la Russie.
Je comprends l’argument de Kelin. Vraiment. Le timing est suspect. Mais ça ne change rien au fond. Dawn Sturgess est morte. Les Skripal ont été empoisonnés. Ces faits sont établis. Alors oui, peut-être que Londres instrumentalise cette affaire. Peut-être que la publication du rapport sert des intérêts géopolitiques britanniques. Mais ça n’efface pas la réalité de ce qui s’est passé. On ne peut pas mettre la justice en pause parce que ça arrange la diplomatie. On ne peut pas dire : attendons que les négociations soient terminées pour parler des crimes. C’est inacceptable. Et pourtant… je suis mal à l’aise. Parce que je vois bien que cette affaire est utilisée comme une arme. Et ça me dégoûte.
Les négociations sur l'Ukraine : un contexte explosif
Trump et Poutine : un rapprochement controversé
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en novembre 2024 a changé la donne sur le dossier ukrainien. Contrairement à son prédécesseur Joe Biden, qui avait fait du soutien à l’Ukraine une priorité absolue, Trump a adopté une position plus pragmatique — certains diraient plus cynique. Il a déclaré à plusieurs reprises qu’il voulait mettre fin à la guerre rapidement, même si cela impliquait des concessions de la part de Kiev. Il a également exprimé son admiration pour Poutine, qu’il considère comme un dirigeant fort et un négociateur redoutable. Cette posture a suscité l’inquiétude en Europe, où beaucoup craignent que Trump ne sacrifie les intérêts ukrainiens pour obtenir un accord rapide avec Moscou.
Les premières semaines de la présidence Trump ont confirmé ces craintes. En décembre 2025, il a envoyé deux émissaires à Moscou : Steve Witkoff, un promoteur immobilier proche du président, et Jared Kushner, son gendre et ancien conseiller. Ces deux hommes, qui n’ont aucune expérience diplomatique traditionnelle, ont rencontré Poutine et d’autres responsables russes pour discuter d’un éventuel plan de paix. Les détails de ces discussions restent confidentiels, mais selon des fuites dans la presse américaine, Trump serait prêt à accepter que la Russie conserve une partie des territoires ukrainiens qu’elle occupe actuellement, en échange d’un cessez-le-feu et de garanties de sécurité pour l’Ukraine. Cette position est inacceptable pour Kiev, qui exige le retrait complet des forces russes de son territoire.
L’Europe divisée face aux négociations
L’approche de Trump a créé des divisions profondes en Europe. D’un côté, certains pays, comme la Hongrie et la Slovaquie, soutiennent l’idée de négociations rapides avec Moscou, même si cela implique des compromis territoriaux. Ils estiment que la guerre a assez duré, que les sanctions contre la Russie nuisent à l’économie européenne, et qu’il est temps de trouver une issue diplomatique. De l’autre côté, des pays comme la Pologne, les États baltes et le Royaume-Uni s’opposent fermement à tout accord qui légitimerait les conquêtes russes. Ils considèrent que céder du territoire à la Russie serait une capitulation face à l’agression et encouragerait Moscou à de nouvelles aventures militaires à l’avenir.
Le Royaume-Uni, en particulier, a adopté une position très dure. Le gouvernement de Keir Starmer a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne reconnaîtrait jamais l’annexion des territoires ukrainiens par la Russie et qu’il continuerait à soutenir Kiev militairement aussi longtemps que nécessaire. Cette position est en partie motivée par des considérations de sécurité nationale : Londres estime que si la Russie obtient ce qu’elle veut en Ukraine, elle pourrait ensuite s’en prendre à d’autres pays, notamment les États baltes, membres de l’OTAN. Mais elle est aussi motivée par des considérations de principe : le Royaume-Uni se présente comme le défenseur de l’ordre international fondé sur des règles, et accepter l’agression russe reviendrait à trahir ces principes.
Les négociations sur l’Ukraine me rendent nerveux. Parce que je vois bien qu’on s’achemine vers un accord qui ne satisfera personne. L’Ukraine devra probablement renoncer à une partie de son territoire. La Russie ne sera pas totalement vaincue. L’Occident aura l’impression d’avoir capitulé. Et Poutine pourra clamer victoire. C’est la réalité cynique de la diplomatie : personne ne gagne vraiment, tout le monde perd un peu. Mais au moins, la guerre s’arrête. Au moins, les gens cessent de mourir. C’est déjà ça. Sauf que… est-ce vraiment la paix ? Ou juste une pause avant le prochain conflit ?
La saisie des avoirs russes : un enjeu financier colossal
Des centaines de milliards gelés en Europe
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les pays occidentaux ont gelé environ trois cents milliards d’euros d’avoirs russes, principalement des réserves de la Banque centrale de Russie détenues dans des institutions financières européennes. Ces fonds, qui représentent une part importante des réserves de change russes, sont bloqués et ne peuvent pas être utilisés par Moscou. Mais la question de savoir ce qu’il faut en faire divise profondément les Occidentaux. Certains, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, plaident pour une confiscation pure et simple de ces avoirs, qui seraient ensuite utilisés pour financer la reconstruction de l’Ukraine. D’autres, comme l’Allemagne et la France, s’y opposent, craignant que cela ne crée un précédent dangereux et ne mine la confiance dans le système financier international.
Le débat est complexe. D’un point de vue juridique, la confiscation d’avoirs souverains est extrêmement rare et soulève de nombreuses questions. Elle pourrait être considérée comme une violation du droit international et pourrait inciter d’autres pays à retirer leurs réserves des institutions occidentales, affaiblissant ainsi le rôle du dollar et de l’euro comme monnaies de réserve. D’un point de vue politique, cependant, l’argument en faveur de la confiscation est puissant : pourquoi la Russie devrait-elle conserver ces fonds alors qu’elle a détruit des villes entières en Ukraine et causé des centaines de milliards d’euros de dégâts ? Pourquoi les contribuables occidentaux devraient-ils payer pour la reconstruction de l’Ukraine alors que l’argent russe est disponible ?
L’accusation russe : utiliser Skripal pour justifier le vol
C’est dans ce contexte que l’accusation de Kelin prend tout son sens. Selon l’ambassadeur russe, le Royaume-Uni utilise le rapport Hughes comme une couverture informationnelle pour justifier la confiscation des avoirs russes. En rappelant que la Russie a commis un acte de guerre chimique sur le sol britannique et a tué une citoyenne britannique, Londres crée un climat émotionnel qui rend politiquement acceptable la saisie de ces fonds. Kelin cite même un article du Times publié le jour de la sortie du rapport, qui suggère que les avoirs russes gelés pourraient être utilisés pour indemniser les victimes de l’empoisonnement au Novitchok. Pour Moscou, c’est la preuve que toute cette affaire est une manipulation destinée à légitimer ce qu’elle considère comme un vol pur et simple.
Cette accusation est difficile à vérifier. Il est possible que le gouvernement britannique ait effectivement coordonné la publication du rapport avec ses efforts pour obtenir la confiscation des avoirs russes. Il est également possible que ce soit une coïncidence, ou que les deux processus aient évolué en parallèle sans coordination explicite. Ce qui est certain, c’est que le rapport Hughes renforce l’argument moral en faveur de la confiscation. Il rappelle que la Russie n’est pas seulement un agresseur en Ukraine, mais aussi un État qui commet des actes terroristes sur le sol de ses adversaires. Dans ce contexte, pourquoi devrait-elle bénéficier de la protection du droit international pour ses avoirs financiers ?
L’argent. Toujours l’argent. Trois cents milliards d’euros gelés. Une somme colossale. Assez pour reconstruire l’Ukraine plusieurs fois. Et la Russie veut les récupérer. Évidemment. Mais pourquoi le devrait-elle ? Elle a détruit des villes. Tué des dizaines de milliers de personnes. Déplacé des millions d’autres. Et elle devrait garder son argent ? C’est obscène. Mais en même temps… confisquer des avoirs souverains, c’est franchir une ligne. C’est créer un précédent. Et les précédents, en droit international, ça compte. Parce que demain, ce sera peut-être notre argent qui sera confisqué. Pour de bonnes raisons, bien sûr. Il y a toujours de bonnes raisons.
Les sanctions britanniques : une escalade symbolique
Le GRU dans le viseur de Londres
En réponse au rapport Hughes, le gouvernement britannique a annoncé de nouvelles sanctions contre la Russie. Ces sanctions ciblent spécifiquement le GRU, le service de renseignement militaire russe accusé d’avoir orchestré l’empoisonnement des Skripal. Concrètement, cela signifie que toute entité ou individu lié au GRU verra ses avoirs au Royaume-Uni gelés et se verra interdire de voyager dans le pays. Le gouvernement britannique a également convoqué l’ambassadeur russe pour lui signifier formellement ces mesures et exiger que Moscou mette fin à ses « activités hostiles » contre le Royaume-Uni et ses alliés de l’OTAN.
Ces sanctions sont largement symboliques. Le GRU, comme la plupart des services de renseignement, n’a pas d’avoirs officiels au Royaume-Uni et ses agents opèrent sous de fausses identités. Les sanctions ne changeront donc rien concrètement à ses opérations. Mais elles ont une valeur politique importante. Elles montrent que le Royaume-Uni ne laissera pas l’affaire Skripal être oubliée et qu’il continuera à tenir la Russie pour responsable de ses actes. Elles envoient également un message aux alliés britanniques : Londres reste ferme face à Moscou et ne cédera pas à la tentation d’un rapprochement prématuré.
Une guerre froide qui ne dit pas son nom
Les sanctions contre le GRU s’inscrivent dans une dynamique plus large de confrontation entre le Royaume-Uni et la Russie. Depuis l’empoisonnement des Skripal en 2018, les relations entre les deux pays se sont effondrées. Les échanges diplomatiques sont réduits au minimum, les vols directs entre Londres et Moscou ont été suspendus, et les visas sont délivrés au compte-gouttes. Les médias russes sont interdits au Royaume-Uni, et les médias britanniques sont censurés en Russie. Les deux pays s’accusent mutuellement de mener des campagnes de désinformation et d’ingérence dans leurs affaires intérieures. C’est une guerre froide qui ne dit pas son nom, mais qui est bien réelle.
Cette confrontation a des conséquences concrètes. Les entreprises britanniques ont largement quitté le marché russe, et les investissements russes au Royaume-Uni ont été gelés ou confisqués. Les échanges culturels et universitaires, autrefois florissants, ont pratiquement cessé. Les citoyens russes vivant au Royaume-Uni font face à une suspicion accrue, et certains ont été expulsés ou ont vu leurs visas révoqués. De leur côté, les Britanniques en Russie sont régulièrement harcelés par les autorités et plusieurs ont été arrêtés sous des prétextes divers. C’est un climat de méfiance et d’hostilité qui rappelle les pires moments de la Guerre froide.
Une nouvelle guerre froide. C’est ce que nous vivons. Pas officiellement, bien sûr. Personne ne veut l’admettre. Mais c’est la réalité. La Russie et l’Occident sont en confrontation totale. Pas militaire, pas encore. Mais diplomatique, économique, informationnelle. Et ça s’aggrave chaque jour. Les sanctions s’accumulent. Les accusations fusent. La confiance a disparu. Et je me demande : comment en est-on arrivé là ? Comment deux pays qui étaient alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont vaincu le nazisme ensemble, peuvent-ils se détester à ce point ? L’histoire est cruelle. Et cyclique.
L'opinion publique : entre indignation et lassitude
La réaction britannique au rapport Hughes
Au Royaume-Uni, la publication du rapport Hughes a suscité des réactions contrastées. D’un côté, il y a eu une vague d’indignation face aux conclusions du rapport. Les médias britanniques ont largement couvert l’affaire, avec des titres chocs accusant Poutine d’être un meurtrier et appelant à des mesures plus sévères contre la Russie. Les familles des victimes, en particulier celle de Dawn Sturgess, ont exprimé leur satisfaction de voir enfin la vérité établie officiellement. Elles ont également appelé le gouvernement à faire davantage pour traduire les responsables en justice, même si elles reconnaissent que les chances de voir un jour Poutine ou les agents du GRU devant un tribunal britannique sont pratiquement nulles.
D’un autre côté, il y a aussi une certaine lassitude. L’affaire Skripal remonte à 2018, soit sept ans au moment de la publication du rapport. Pour beaucoup de Britanniques, c’est de l’histoire ancienne. Ils ont d’autres préoccupations : le coût de la vie, le système de santé en crise, l’immigration. La guerre en Ukraine, qui monopolise l’attention médiatique depuis près de trois ans, commence également à fatiguer l’opinion publique. Les gens veulent que ça s’arrête, même si cela implique des compromis. Dans ce contexte, le rapport Hughes, aussi important soit-il, peine à mobiliser l’opinion publique de manière durable. C’est un moment d’indignation, puis la vie reprend son cours.
La perception russe : une victime de l’Occident
En Russie, la perception de l’affaire Skripal est radicalement différente. Les médias d’État, qui contrôlent l’essentiel de l’information accessible aux Russes, présentent toute cette histoire comme une provocation occidentale destinée à diaboliser la Russie. Selon cette version, les accusations britanniques sont sans fondement, le rapport Hughes est un tissu de mensonges, et toute l’affaire n’est qu’un prétexte pour imposer des sanctions et isoler Moscou. Cette narrative est largement acceptée par la population russe, qui a été conditionnée pendant des années à se méfier de l’Occident et à voir la Russie comme une victime de complots étrangers.
Il y a cependant une minorité de Russes, principalement dans les grandes villes et parmi les jeunes éduqués, qui ne croient pas à cette version officielle. Ils ont accès à des sources d’information alternatives, notamment via Internet, et sont conscients que le régime de Poutine a une longue histoire d’assassinats politiques. Ils savent que des opposants comme Alexander Litvinenko, Boris Nemtsov, et Alexeï Navalny ont été tués ou empoisonnés par des agents russes. Pour eux, l’affaire Skripal n’est qu’un exemple de plus de la brutalité du régime. Mais ils sont une minorité, et leur voix est largement étouffée par la propagande d’État.
L’opinion publique. Ce concept étrange. Parce qu’il n’y a pas une opinion publique, il y en a des dizaines. Au Royaume-Uni, certains sont indignés, d’autres s’en fichent. En Russie, certains croient la version officielle, d’autres la rejettent. Et entre les deux, il y a des millions de gens qui ne savent pas quoi penser, qui sont perdus dans le flot d’informations contradictoires. C’est ça, le monde moderne. Un chaos informationnel où chacun choisit sa vérité. Et moi, je me demande : comment peut-on construire une société sur des bases aussi fragiles ?
Les précédents historiques : Litvinenko et les autres
Alexander Litvinenko : le premier avertissement
L’affaire Skripal n’est pas la première fois que la Russie est accusée d’avoir commis un assassinat sur le sol britannique. En 2006, Alexander Litvinenko, un ancien agent du FSB (le service de sécurité intérieur russe) devenu dissident, est mort à Londres après avoir été empoisonné au polonium-210, un isotope radioactif extrêmement rare et mortel. Litvinenko avait fui la Russie en 2000 et s’était installé au Royaume-Uni, où il avait obtenu l’asile politique. Il était devenu un critique virulent de Poutine, l’accusant de corruption, de crimes de guerre en Tchétchénie, et même d’avoir orchestré les attentats terroristes de 1999 à Moscou pour justifier la guerre en Tchétchénie.
L’enquête britannique sur la mort de Litvinenko a conclu en 2016 que Poutine avait « probablement approuvé » son assassinat. Les preuves étaient accablantes : le polonium-210 utilisé pour empoisonner Litvinenko provenait d’une installation nucléaire russe, et les deux suspects identifiés, Andrei Lugovoi et Dmitri Kovtun, étaient des anciens agents du FSB. Lugovoi, qui nie toute implication, est devenu député à la Douma (le parlement russe) et bénéficie donc de l’immunité parlementaire. La Russie a refusé de l’extrader vers le Royaume-Uni. L’affaire Litvinenko a été un tournant dans les relations russo-britanniques, marquant le début d’une période de méfiance et d’hostilité qui n’a fait que s’aggraver depuis.
Une longue liste de victimes
Litvinenko et Skripal ne sont pas des cas isolés. Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, des dizaines d’opposants, de journalistes, et d’anciens agents russes ont été assassinés dans des circonstances suspectes. Anna Politkovskaïa, journaliste d’investigation qui dénonçait les crimes de guerre en Tchétchénie, a été abattue dans son immeuble à Moscou en 2006. Boris Nemtsov, ancien vice-Premier ministre devenu opposant, a été tué en plein centre de Moscou en 2015. Alexeï Navalny, le principal opposant à Poutine, a été empoisonné au Novitchok en 2020, a survécu miraculeusement, puis a été emprisonné à son retour en Russie et est mort en détention en 2024 dans des circonstances non élucidées.
Cette liste macabre témoigne d’une culture de l’impunité au sein du régime russe. Les assassinats politiques sont devenus un outil de gouvernance, un moyen de faire taire les critiques et d’envoyer un message aux opposants potentiels : si vous nous défiez, vous mourrez. Cette stratégie est efficace à court terme, car elle terrorise l’opposition et décourage les dissidents. Mais à long terme, elle isole la Russie sur la scène internationale et renforce l’image d’un régime criminel et autoritaire. C’est un prix que Poutine semble prêt à payer pour maintenir son pouvoir.
La liste des morts me hante. Litvinenko. Politkovskaïa. Nemtsov. Navalny. Et maintenant Dawn Sturgess, qui n’était même pas une cible. Juste une victime collatérale. Combien d’autres ? Combien de noms que nous ne connaîtrons jamais ? Combien de gens qui ont disparu sans laisser de trace ? C’est ça qui me terrifie. Pas seulement les meurtres eux-mêmes, mais la banalisation de la violence. Le fait que ça devienne normal. Acceptable. Juste une autre journée en Russie. Juste un autre opposant mort. Et la vie continue.
Les implications pour l'avenir des relations internationales
Un précédent dangereux pour l’ordre mondial
L’affaire Skripal et la mort de Dawn Sturgess soulèvent des questions fondamentales sur l’ordre international. Si un État peut utiliser des armes chimiques sur le territoire d’un autre État, tuer des civils innocents, et s’en tirer sans conséquences sérieuses, qu’est-ce qui empêche d’autres États de faire de même ? Les sanctions économiques et les expulsions diplomatiques sont des mesures importantes, mais elles n’ont manifestement pas dissuadé la Russie de poursuivre ses activités hostiles. Depuis 2018, Moscou a continué à mener des opérations de sabotage, de cyberattaques, et de désinformation contre les pays occidentaux. L’impunité engendre l’impunité.
Ce précédent est d’autant plus dangereux qu’il intervient dans un contexte de multipolarisation du monde. Les États-Unis ne sont plus la superpuissance incontestée qu’ils étaient après la fin de la Guerre froide. La Chine, la Russie, et d’autres puissances régionales contestent de plus en plus l’ordre international établi après 1945. Dans ce nouveau monde, les règles sont floues, les normes sont contestées, et la force prime souvent sur le droit. L’affaire Skripal montre que même des actes aussi graves que l’utilisation d’armes chimiques peuvent rester impunis si l’État responsable est suffisamment puissant pour résister aux pressions internationales.
La nécessité d’une réponse collective
Face à cette situation, la seule réponse efficace serait une action collective des démocraties occidentales. Si les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, et le Japon s’unissaient pour imposer des sanctions massives et coordonnées contre la Russie, l’impact serait bien plus important que des mesures isolées. Mais cette unité est difficile à obtenir. Les intérêts nationaux divergent, les dépendances économiques (notamment en matière d’énergie) créent des vulnérabilités, et les opinions publiques sont divisées. Certains pays, comme la Hongrie, entretiennent même des relations amicales avec Moscou malgré les sanctions officielles de l’UE.
Le rapport Hughes appelle implicitement à une telle réponse collective. En établissant de manière irréfutable la responsabilité de Poutine dans la mort de Dawn Sturgess, il crée une base factuelle sur laquelle les démocraties pourraient s’appuyer pour justifier des mesures plus sévères. Mais pour que cela fonctionne, il faudrait une volonté politique que nous ne voyons pas actuellement. Les négociations sur l’Ukraine, le débat sur la confiscation des avoirs russes, et les divisions internes en Occident montrent que l’unité est loin d’être acquise. Et tant que cette unité fera défaut, la Russie continuera à agir en toute impunité.
L’ordre international. Un concept noble. Mais fragile. Tellement fragile. Parce qu’il repose sur la bonne volonté des États. Sur leur acceptation des règles. Et quand un État décide de ne plus jouer le jeu, que se passe-t-il ? Rien. Ou presque. Des sanctions. Des condamnations. Des rapports. Mais la vie continue. Les crimes restent impunis. Et l’ordre international s’effrite, petit à petit. Je ne sais pas comment on arrête ça. Je ne sais même pas si c’est possible. Mais je sais qu’on ne peut pas continuer comme ça. Parce qu’un jour, il n’y aura plus d’ordre du tout. Juste le chaos.
Conclusion : entre justice et realpolitik, un équilibre impossible
La mémoire de Dawn Sturgess face aux calculs diplomatiques
Sept ans après sa mort, Dawn Sturgess est devenue malgré elle un symbole. Un symbole de l’innocence sacrifiée sur l’autel des jeux de pouvoir entre grandes puissances. Un symbole de l’injustice fondamentale d’un monde où les puissants peuvent tuer sans conséquence. Un symbole aussi de la difficulté à concilier justice et diplomatie. Le rapport Hughes lui rend justice, en établissant la vérité sur sa mort et en désignant les responsables. Mais cette justice est incomplète, car elle ne sera jamais suivie d’un procès, d’une condamnation, d’une punition. Les agents du GRU qui ont abandonné le flacon de Novitchok vivent tranquillement en Russie. Poutine continue à diriger son pays et à négocier avec les dirigeants occidentaux. La vie continue, comme si rien ne s’était passé.
Et pourtant, quelque chose s’est passé. Une femme est morte. Une famille a été détruite. Une ville a été traumatisée. Ces réalités humaines ne peuvent pas être effacées par les calculs diplomatiques. Elles ne peuvent pas être mises de côté au nom de la realpolitik. Le rapport Hughes nous rappelle cette vérité fondamentale : derrière les grands enjeux géopolitiques, il y a des vies humaines. Des gens ordinaires qui méritent justice et dignité. Dawn Sturgess méritait de vivre. Elle méritait de voir grandir ses enfants. Elle méritait mieux que de mourir empoisonnée par un flacon trouvé dans une poubelle. Et nous lui devons de ne jamais oublier son histoire, même quand les diplomates négocient et que les politiciens calculent.
Un avenir incertain pour les relations russo-occidentales
L’affaire Skripal et la publication du rapport Hughes interviennent à un moment charnière des relations internationales. Les négociations sur l’Ukraine pourraient aboutir à un accord de paix dans les prochains mois, mettant fin à la guerre la plus meurtrière en Europe depuis 1945. Mais cet accord, s’il voit le jour, sera fragile et contesté. Il ne résoudra pas les tensions profondes entre la Russie et l’Occident. Il ne mettra pas fin aux activités hostiles de Moscou contre les démocraties occidentales. Il ne rendra pas justice aux victimes des crimes russes, qu’il s’agisse de Dawn Sturgess, des civils ukrainiens tués par les bombardements, ou des opposants assassinés en Russie même.
L’avenir des relations russo-occidentales dépendra de la capacité des deux camps à trouver un équilibre entre fermeté et pragmatisme. D’un côté, l’Occident ne peut pas ignorer les crimes commis par le régime de Poutine. Il doit maintenir la pression, imposer des sanctions, et soutenir ceux qui luttent pour la démocratie et les droits de l’homme en Russie. De l’autre côté, il doit aussi reconnaître que la Russie est une puissance nucléaire avec laquelle il faudra coexister, qu’on le veuille ou non. L’isolement total de Moscou n’est ni possible ni souhaitable. Il faut donc trouver un moyen de dialoguer avec la Russie tout en restant ferme sur les principes. C’est un exercice d’équilibriste difficile, peut-être même impossible. Mais c’est le défi de notre époque.
Je termine cet article avec un sentiment d’impuissance. Parce que je sais que rien ne changera vraiment. Le rapport Hughes sera oublié dans quelques semaines. Les négociations sur l’Ukraine aboutiront ou échoueront, mais Dawn Sturgess restera morte. Poutine restera au pouvoir. Et le cycle de la violence continuera. C’est déprimant. Mais c’est aussi un appel à l’action. Parce que si nous acceptons cette fatalité, si nous nous résignons à l’injustice, alors nous devenons complices. Nous devons continuer à exiger la vérité. À réclamer justice. À nous souvenir des victimes. Même quand c’est difficile. Même quand ça semble inutile. Parce que c’est la seule chose qui nous reste. La mémoire. Et la conviction que les choses pourraient être différentes.
Sources
Sources primaires
TASS Russian News Agency, « Russian ambassador sees attempt to disrupt Ukraine talks in Amesbury poisoning report », 5 décembre 2025. Reuters, « Putin authorised 2018 Novichok poisoning of ex-Russian spy Skripal, UK inquiry says », 4 décembre 2025. Le Figaro avec AFP, « Vladimir Poutine porte la responsabilité morale de la mort d’une Britannique empoisonnée au Novitchok, selon les conclusions d’une enquête », 4 décembre 2025. The Dawn Sturgess Inquiry, rapport final publié par le gouvernement britannique, 4 décembre 2025.
Sources secondaires
Libération, « Empoisonnement au Novitchok : Poutine porte la responsabilité morale de la mort d’une Britannique selon une enquête », 4 décembre 2025. La Libre Belgique, « Poutine porte la responsabilité morale de la mort d’une Britannique empoisonnée selon les conclusions d’une enquête », 4 décembre 2025. TF1 Info, « Vladimir Poutine porte la responsabilité morale de l’empoisonnement d’une Britannique au Novitchok selon une enquête », 4 décembre 2025. BBC News, « Novichok inquiry: Who was Dawn Sturgess and how was she poisoned », 2025. Al Jazeera, « Russia’s Putin found morally responsible for nerve agent death in UK », 4 décembre 2025. Le Monde, « EN DIRECT, guerre en Ukraine : de nouvelles discussions entre Ukrainiens et Américains prévues aujourd’hui à Miami annonce Kiev », 5 décembre 2025. France Info, « Négociations pour la paix en Ukraine : Quelques progrès mais pas de compromis et surtout un air d’éternel recommencement », 3 décembre 2025.
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