Plus de 100 morts dans les frappes maritimes
Avant même de parler de guerre ouverte, il faut mesurer ce qui se passe déjà. Depuis septembre 2025, l’armée américaine mène une campagne de frappes contre des embarcations suspectées de trafic de drogue dans les Caraïbes et le Pacifique oriental. Au 18 décembre, selon les chiffres compilés par Wikipedia et confirmés par plusieurs médias, au moins 104 personnes ont été tuées dans 28 frappes sur 29 navires. Ces opérations, présentées par l’administration comme une lutte contre le narcotrafic, ont été lancées après un déploiement massif de la US Navy dans la région à la mi-août. Le 2 septembre, Trump a personnellement annoncé depuis la Maison-Blanche la première frappe, affirmant qu’elle avait détruit un bateau « chargé de narcotiques » et tué 11 membres du cartel vénézuélien Tren de Aragua. Il a publié une vidéo de l’incident sur Truth Social, comme un trophée de chasse.
Mais c’est ce qui s’est passé ensuite qui a provoqué un tollé bipartisan au Congrès. Selon des révélations du Washington Post et de The Intercept, une seconde frappe — un « double tap » — a été ordonnée sur le même bateau après l’attaque initiale. Cette frappe de suivi aurait tué des survivants qui tentaient de s’accrocher aux débris de l’embarcation. Le représentant démocrate Jim Himes du Connecticut, membre du House Intelligence Committee, a pu visionner la vidéo classifiée de l’incident. Ses mots sont glaçants : « Ce que j’ai vu dans cette salle était l’une des choses les plus troublantes que j’aie vues dans ma carrière publique. Vous avez deux individus en détresse manifeste, sans aucun moyen de locomotion, avec un navire détruit, qui ont été tués par les États-Unis. » Himes a ajouté que « tout Américain qui verrait la vidéo que j’ai vue verrait l’armée américaine attaquer des naufragés ». Des naufragés. Pas des combattants. Des gens qui se noyaient.
L’ordre de « tuer tout le monde » ?
L’affaire a pris une dimension encore plus grave avec les allégations concernant le secrétaire à la Défense Pete Hegseth. Selon le Washington Post, avant le début de la campagne, Hegseth aurait donné un ordre explicite : « Tuer tout le monde. » En droit militaire, un ordre de « ne pas faire de prisonniers » ou de « ne pas accorder de quartier » est non seulement illégal, mais constitue un crime de guerre. Les subordonnés ne sont pas seulement autorisés à désobéir à un tel ordre — ils y sont obligés. Hegseth a vigoureusement nié avoir prononcé ces mots, qualifiant les rapports de « fabriqués, incendiaires et diffamatoires ». Il maintient que les opérations étaient « légales selon le droit américain et international ». Mais lors d’une interview récente, il a admis avoir quitté la salle après la première frappe tout en affirmant qu’il « aurait pris la même décision lui-même » concernant la frappe de suivi.
La Maison-Blanche a confirmé que la seconde frappe avait bien eu lieu et qu’elle avait été ordonnée par l’amiral Frank « Mitch » Bradley, commandant du US Special Operations Command, « dans le cadre de son autorité ». L’administration a essentiellement argumenté que tuer des naufragés survivants était une décision « légitime ». Le sénateur républicain Rand Paul du Kentucky, d’habitude aligné avec Trump, a déclaré la semaine dernière que Hegseth « nous mentait… ou était incompétent et n’était pas au courant de ce qui s’était passé ». Le sénateur démocrate Cory Booker du New Jersey est allé plus loin, qualifiant les actions militaires de Trump de potentiels « crimes de guerre ». Des experts juridiques de l’ONU ont affirmé en octobre que l’usage de la force létale en eaux internationales sans base légale appropriée constituait des « exécutions extrajudiciaires ». Les États-Unis, autoproclamés gardiens des droits de l’homme, accusés d’exécutions extrajudiciaires. Nous en sommes là.
Que nous soyons arrivés à un point où le secrétaire à la Défense des États-Unis d’Amérique puisse potentiellement avoir donné un tel ordre… c’est vertigineux. Et même s’il ne l’a pas prononcé — ce qu’il affirme — le résultat est là : des naufragés tués par des frappes américaines, filmés, et le gouvernement qui défend ces actes comme « légaux ». Je pense aux familles de ces hommes, qu’ils aient été trafiquants ou non. Je pense au précédent que ça crée. Je pense à ce que l’Amérique est en train de devenir sous nos yeux. Et franchement, ça me rend malade.
Section 3 : Le blocus — un acte de guerre selon le droit international
Une armada historique dans les Caraïbes
Le déploiement militaire américain au large du Venezuela est sans précédent dans l’histoire moderne de l’Amérique du Sud. Onze navires de guerre patrouillent actuellement dans la région, dont le USS Gerald R. Ford, le porte-avions le plus avancé de la marine américaine. Des navires d’assaut amphibies, des destroyers, des hélicoptères, des V-22 Ospreys et des avions de patrouille maritime P-8 Poseidon complètent cette force de frappe. Selon Axios, au moins 18 pétroliers sous sanctions américaines, chargés de pétrole, se trouvent dans les eaux vénézuéliennes, et huit d’entre eux sont des navires de très grande capacité. La semaine dernière, les garde-côtes et l’armée américaine ont abordé et saisi le Skipper, un pétrolier transportant près de 1,9 million de barils de brut vénézuélien estimés à environ 95 millions de dollars. Le navire se dirigeait vers Cuba et la Chine.
Mardi soir, Trump a franchi un nouveau cap en annonçant un « blocus total et complet de tous les pétroliers sous sanctions » entrant ou sortant du Venezuela. Il a simultanément qualifié le « régime vénézuélien » d’« organisation terroriste étrangère » — une désignation historiquement réservée aux acteurs non étatiques, pas aux gouvernements souverains. Les experts en droit international ont immédiatement réagi. Selon Eddie Fishman, spécialiste des sanctions à l’Université Columbia, l’administration « convertit la guerre économique en guerre militaire réelle ». Le Center for International Policy a qualifié le blocus d’« acte de guerre illégal et imprudent ». Le vice-président exécutif de l’organisation, Matt Duss, a déclaré : « Donald Trump commence une guerre illégale et imprudente avec le Venezuela. » Un blocus, même partiel, constitue traditionnellement un casus belli — une cause légitime de guerre en droit international.
La réponse furieuse de Maduro
Le président vénézuélien Nicolás Maduro n’a pas tardé à réagir. Mercredi, il a dénoncé les « intentions réelles » de Trump, révélées selon lui par ses revendications sur le pétrole et les terres du Venezuela. « C’est simplement une prétention belliciste et colonialiste, et nous l’avons dit de nombreuses fois, et maintenant tout le monde voit la vérité. La vérité a été révélée », a-t-il déclaré lors d’un discours à Caracas. Maduro a qualifié la saisie du pétrolier Skipper d’« acte de piraterie internationale » et a fait appel au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, pour dénoncer les agissements américains. Le représentant vénézuélien aux Nations Unies, Samuel Moncada, a remis mercredi une lettre au président du Conseil de sécurité « dénonçant formellement » la saisie et le « kidnapping » de l’équipage du Skipper.
« C’est un acte de piraterie d’État perpétré par l’usage de la force militaire, qui constitue un vol flagrant d’actifs qui n’appartiennent pas aux États-Unis d’Amérique, mais font partie du commerce international légitime d’un État membre des Nations Unies », indique la lettre. Maduro a également lancé un appel à la Colombie pour qu’elle s’unisse au Venezuela face à ce qu’il qualifie d’agression impérialiste. « Je lance mon appel… au peuple ordinaire de Colombie, à ses mouvements sociaux, à ses forces politiques, aux militaires colombiens, que je connais très bien. Je les appelle à une union parfaite avec le Venezuela pour que personne n’ose toucher à la souveraineté de nos pays. » La présidente mexicaine Claudia Sheinbaum s’est également opposée au blocus. L’Amérique latine se raidit face à ce qu’elle perçoit comme un retour du « gros bâton » américain.
Il y a quelque chose de profondément troublant à voir les États-Unis accuser un autre pays de « piraterie » alors qu’ils saisissent des navires en eaux internationales et tuent leurs équipages sans procès. L’ironie serait comique si elle n’était pas aussi tragique. Maduro est un autocrate, personne ne le conteste. Son régime a plongé le Venezuela dans la misère, provoqué l’exode de millions de réfugiés. Mais depuis quand les États-Unis ont-ils le droit de décider, unilatéralement, de renverser un gouvernement étranger par la force ? Depuis quand un blocus — un acte de guerre — est-il la réponse appropriée au trafic de drogue ? Je ne défends pas Maduro. Je défends le droit international. Je défends l’idée que même les pays puissants doivent respecter des règles. Sinon, qu’est-ce qui nous distingue des empires du passé ?
Section 4 : Le Congrès divisé mais inquiet
Les résolutions sur les pouvoirs de guerre rejetées
Le Congrès américain n’est pas resté silencieux face à l’escalade. Mercredi 17 décembre, les démocrates de la Chambre des représentants ont forcé des votes sur deux résolutions visant à limiter l’autorité du président Trump à frapper le Venezuela et les embarcations suspectées de narcotrafic. Les deux mesures ont échoué. La première, introduite par le représentant démocrate Gregory Meeks de New York, aurait exigé le retrait des forces armées américaines « des hostilités avec toute organisation terroriste désignée par le président dans l’hémisphère occidental », à moins que le Congrès n’ait déclaré la guerre ou autorisé l’usage de la force militaire. Au Sénat, une résolution similaire avait déjà été rejetée le 6 novembre par 51 voix contre 49. Une autre, parrainée par les sénateurs Adam Schiff et Tim Kaine, avait échoué 51-48 le 8 octobre.
Malgré ces échecs, l’inquiétude est bipartisane. Le représentant républicain Don Bacon du Nebraska a déclaré après un briefing qu’il voterait pour autoriser l’action militaire contre le Venezuela, mais qu’il croyait toujours que Trump devait obtenir l’approbation du Congrès. « Je pense qu’il y a suffisamment de soutien au Congrès pour voter une autorisation », a-t-il ajouté. « La mission est juste, mais la poursuite des hostilités nécessite l’approbation du Congrès. » Le président de la Chambre, Mike Johnson, a défendu le président, affirmant qu’il avait l’autorité constitutionnelle d’ordonner les frappes. Mais même dans les rangs républicains, les questions fusent. Thomas Massie du Kentucky, Rand Paul, Lisa Murkowski de l’Alaska — des voix conservatrices qui normalement soutiennent Trump — ont exprimé leurs réserves ou voté pour restreindre l’action présidentielle.
L’absence de justification légale claire
L’un des problèmes majeurs soulevés par les législateurs des deux partis est l’absence de justification légale claire et publique pour ces opérations. Le représentant démocrate Adam Smith de Washington, membre éminent du House Armed Services Committee, a déclaré mercredi : « À ce stade, nous n’avons toujours pas d’idée claire de ce que le président essaie d’accomplir. Mais on dirait bien qu’il essaie d’accomplir un changement de régime au Venezuela, et qu’il est prêt à aller en guerre pour ça, sans aucune autorisation du Congrès. » Le représentant Meeks a été encore plus direct après un briefing classifié mardi : « Ça ne semble pas être uniquement une question de trafic de drogue. Donc si c’est un changement de régime, il me semble que l’administration devrait le dire et venir au Congrès demander cette autorisation, ce qui n’a pas eu lieu. »
Selon Rolling Stone, un mémo de 40 pages du Département de la Justice justifiant les frappes existe mais reste classifié. Le New York Times a obtenu une description du document, qui affirmerait que « les cartels de la drogue tentent intentionnellement de tuer des Américains et de déstabiliser l’hémisphère occidental » et que Trump a « l’autorité légitime » de déterminer si les États-Unis sont engagés dans un conflit armé, même sans l’approbation du Congrès. L’administration a notifié le Congrès le 1er octobre que les États-Unis étaient dans un « conflit armé non international » avec des « combattants illégaux » concernant les cartels des Caraïbes. Une désignation qui, selon les avocats militaires, permet de tuer des « combattants ennemis » même lorsqu’ils ne représentent aucune menace immédiate. C’est le cadre juridique de la guerre contre le terrorisme appliqué à la guerre contre la drogue. Un glissement sémantique aux conséquences potentiellement meurtrières.
J’ai couvert des dizaines de débats au Congrès sur les pouvoirs de guerre au fil des années. C’est rarement passionnant. Des avocats qui ergotent sur des virgules, des sénateurs qui pontifient pour les caméras. Mais cette fois, il y a une urgence palpable. Des gens meurent — maintenant, en ce moment — et le Congrès ne sait même pas exactement sur quelle base légale. Un mémo de 40 pages que personne ne peut lire. Des briefings classifiés qui laissent les parlementaires « avec plus de questions que de réponses ». C’est ainsi que les démocraties glissent vers l’autocratie : dans le secret, dans l’opacité, dans le contournement des institutions censées contrôler l’exécutif. Et je me demande : quand les Américains se réveilleront-ils ?
Section 5 : Le paradoxe du « président de la paix »
Les promesses de campagne oubliées
Il y a quelque chose de profondément ironique dans la situation actuelle. Lors de son discours de victoire en novembre 2024, Donald Trump avait déclaré qu’il « n’allait pas déclencher de guerre » mais « arrêter les guerres », vantant la puissance de l’armée américaine que, « idéalement, nous n’avons pas à utiliser ». Cette année encore, il a dénoncé des décennies de politique étrangère américaine au Moyen-Orient, fustigeant les « interventionnistes occidentaux » qui avaient donné à d’autres pays « des leçons sur la façon de vivre ». Son mouvement America First s’est construit sur le rejet des aventures militaires à l’étranger, sur la critique des néoconservateurs bushistes et de leurs guerres interminables en Irak et en Afghanistan. Les électeurs de la base MAGA ont massivement adhéré à cette vision : l’Amérique d’abord, plus de sang américain versé pour des causes lointaines.
Et pourtant, nous y voilà. Une armada dans les Caraïbes. Plus de 100 morts. Un blocus. Et un président qui « n’exclut pas » la guerre. Comment concilier ces contradictions ? Selon NBC News, la base politique de Trump a offert « peu de résistance » à sa campagne d’escalade contre le Venezuela. Rachel Bovard, vice-présidente du Conservative Partnership Institute, résume le sentiment général : « Les MAGA adorent faire exploser les bateaux. Ils ne veulent pas d’une guerre terrestre avec le Venezuela. » Tant que les opérations restent ciblées, maritimes, sans victimes américaines, la coalition semble prête à fermer les yeux. Mais comme l’a souligné Curt Mills de The American Conservative : « Si l’administration essayait de renverser Maduro, cela pourrait déclencher un débat parmi les conservateurs qui n’a pas encore vraiment éclaté au grand jour, un débat qui pourrait éclipser les disputes sur l’Ukraine et l’Iran. »
L’opinion publique américaine hostile à la guerre
Les sondages sont pourtant clairs. Selon une enquête CBS News du mois dernier, 76 % des Américains estiment que Trump n’a pas expliqué sa position sur le Venezuela, et seulement 13 % considèrent le pays comme une menace majeure pour la sécurité américaine. L’opposition à une intervention militaire est large et traverse les lignes partisanes. Les Américains, échaudés par les désastres de l’Irak et de l’Afghanistan, ne veulent pas d’une nouvelle guerre. Ils veulent que les soldats rentrent à la maison, pas qu’ils partent en Amérique du Sud renverser un dictateur de plus. Trump le sait. C’est précisément pour cela qu’il a calibré sa rhétorique — parlant de « lutte contre le narcotrafic » plutôt que de « changement de régime », présentant les frappes comme des opérations anti-drogue plutôt que comme les prémices d’une guerre.
Mais la réalité rattrape la communication. Mercredi, lors de son interview avec NBC, Trump a refusé de dire si renverser Maduro était son objectif ultime. « Il sait exactement ce que je veux », a-t-il répondu énigmatiquement. « Il le sait mieux que quiconque. » Maduro, de son côté, a affirmé que les actions américaines visaient à le renverser et à prendre le contrôle des ressources pétrolières du Venezuela — les plus grandes réserves de brut au monde. La cheffe de cabinet de Trump, Susie Wiles, a été plus explicite dans une interview à Vanity Fair publiée mardi : le président « veut continuer à faire exploser des bateaux jusqu’à ce que Maduro crie grâce. Et des gens bien plus intelligents que moi sur ce sujet disent qu’il le fera. » Elle a toutefois concédé que des frappes terrestres « nécessiteraient l’approbation du Congrès ». « Si [le président] autorisait une activité sur terre, alors c’est la guerre, alors [il faudrait] le Congrès. » Au moins, quelqu’un à la Maison-Blanche reconnaît la limite constitutionnelle. Reste à savoir si Trump la respectera.
« Les MAGA adorent faire exploser les bateaux. » Cette phrase de Rachel Bovard me hantera longtemps. Parce qu’elle résume, avec une concision brutale, où nous en sommes. La politique étrangère américaine réduite à un spectacle pyrotechnique. Des vies humaines — coupables ou innocentes, on ne sait même plus — sacrifiées sur l’autel de la satisfaction des électeurs. Tant que ça explose, tant que ça fait des images spectaculaires à partager sur les réseaux sociaux, tout va bien. Mais quand ça dérape ? Quand un soldat américain meurt ? Quand Maduro riposte ? Quand l’escalade devient incontrôlable ? Là, soudain, les mêmes qui applaudissaient demanderont des comptes. Et Trump, comme toujours, trouvera quelqu’un d’autre à blâmer.
Section 6 : La doctrine Monroe ressuscitée
L’hémisphère occidental comme « zone d’influence » américaine
Pour comprendre la logique derrière l’offensive de Trump contre le Venezuela, il faut remonter à un document publié plus tôt cette année : sa Stratégie de Sécurité Nationale 2025. Ce texte promettait de « réaffirmer la doctrine Monroe après des années de négligence » en affirmant le rôle des États-Unis dans le maintien de la stabilité de l’hémisphère occidental. La doctrine Monroe, formulée en 1823, stipulait que toute intervention européenne dans les affaires des Amériques serait considérée comme un acte hostile envers les États-Unis. Au fil des décennies, elle a été interprétée de manière de plus en plus expansive, justifiant d’innombrables interventions américaines en Amérique latine — du renversement d’Arbenz au Guatemala en 1954 à l’invasion de Grenade en 1983, en passant par le soutien aux Contras au Nicaragua.
Trump inscrit donc son offensive vénézuélienne dans une longue tradition de « gros bâton » américain. Comme l’a noté Curt Mills de The American Conservative : « Bien que je sois contre les frappes au Venezuela, c’est au moins quelque peu cohérent que cela soit dans notre intérêt national. C’est dans notre propre arrière-cour. Ces gens font entrer de la drogue. La doctrine Monroe est au moins enracinée dans une certaine histoire. » Cette logique trouve un écho chez certains républicains. Mais elle provoque aussi un malaise profond, y compris dans les rangs conservateurs. Car la doctrine Monroe du XIXe siècle, invoquée pour justifier des opérations militaires au XXIe siècle, sent le colonialisme. Elle rappelle une époque où les grandes puissances se partageaient le monde en « zones d’influence », où les petits pays n’avaient pas voix au chapitre. Est-ce vraiment l’Amérique que Trump veut reconstruire ?
Le pétrole, le vrai enjeu ?
Derrière la rhétorique sur le narcotrafic et le terrorisme, une réalité économique se dessine. Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole brut au monde. Des réserves qui, sous Maduro, ont été exploitées en partenariat avec la Chine, la Russie et l’Iran — trois adversaires stratégiques des États-Unis. La « flotte fantôme » de pétroliers qui transportait le brut vénézuélien vers ces pays était une épine dans le pied de Washington depuis des années. Avec son blocus, Trump s’attaque directement à cette source de revenus pour le régime Maduro. Selon les estimations, 90 % de l’économie vénézuélienne repose sur les exportations de pétrole. En les coupant, les États-Unis étranglent financièrement le gouvernement de Caracas.
Maduro ne s’y est pas trompé. « L’impérialisme et la droite nazi-fasciste veulent coloniser le Venezuela pour prendre notre richesse, pétrole, gaz, or, fer, aluminium et autres minéraux », a-t-il déclaré mercredi. « Pas de sang pour le pétrole, pas de guerre pour le pétrole. Les affirmations sur le trafic de drogue sont des fake news, un mensonge, une excuse. » Même si Maduro exagère souvent et se livre volontiers à la propagande anti-américaine, il touche ici un point sensible. Les revendications de Trump sur les « actifs volés » à l’Amérique, sa demande que le Venezuela « rende » son pétrole et ses terres, ne laissent guère de doute sur ses motivations profondes. Ce n’est pas la drogue qui l’intéresse. C’est le contrôle des ressources. Comme toujours, comme partout, dans cette danse géopolitique vieille comme le monde.
« Pas de sang pour le pétrole. » Ce slogan, on l’a entendu en 2003, avant l’invasion de l’Irak. Vingt-deux ans plus tard, il résonne à nouveau. Avec une ironie amère : c’est un Trump qui le provoque, lui qui avait critiqué la guerre en Irak, lui qui avait promis de ne plus envoyer de jeunes Américains mourir pour des intérêts pétroliers étrangers. L’histoire ne se répète pas, dit-on, mais elle rime souvent. Et la rime, cette fois, sent le soufre des champs pétrolifères de l’Orénoque. Je ne suis pas naïf. Le pétrole a toujours été au cœur de la géopolitique américaine. Mais voir cette réalité exposée aussi crûment, sans même le vernis des « armes de destruction massive » ou des « valeurs démocratiques »… c’est à la fois choquant et, d’une certaine façon, libérateur. Au moins, on sait maintenant à quoi s’en tenir.
Section 7 : Les conséquences humanitaires d'un conflit
Un pays déjà à genoux
Le Venezuela est en crise depuis des années. L’effondrement économique sous la gestion catastrophique de Maduro et de son prédécesseur Chávez a provoqué une hyperinflation galopante, des pénuries alimentaires et médicales chroniques, et l’exode de plus de 7 millions de Vénézuéliens — l’une des plus grandes crises migratoires de l’histoire de l’hémisphère occidental. Ces réfugiés ont afflué vers la Colombie, le Brésil, le Pérou, l’Équateur, et jusque aux États-Unis. Beaucoup de ceux qui traversent la frontière sud-américaine pour tenter d’atteindre l’Amérique du Nord sont précisément des Vénézuéliens fuyant la misère de leur pays. Ironiquement, la politique anti-immigration de Trump se heurte aux conséquences de la crise qu’il prétend résoudre par la force.
Une intervention militaire américaine ou un blocus prolongé ne ferait qu’aggraver cette catastrophe humanitaire. Comme l’a souligné David Smilde, professeur à l’Université Tulane et expert du Venezuela, les sanctions sectorielles « affectent l’ensemble de l’économie. Donc elles toucheront le peuple encore plus qu’elles ne touchent Maduro. » Smilde a établi un parallèle avec Cuba : « Plus d’un demi-siècle de sanctions ont en fait solidifié le Parti communiste là-bas. » Autrement dit, les sanctions et la pression économique renforcent souvent les régimes qu’elles sont censées affaiblir, en leur permettant de contrôler la distribution des ressources restantes et de blâmer l’étranger pour les souffrances du peuple. Maduro utilise déjà les actions américaines comme preuve de l’« agression impérialiste » qu’il dénonce depuis des années.
Le spectre d’un chaos régional
Les experts du Council on Foreign Relations ont mis en garde contre les conséquences d’un changement de régime imposé par la force. Selon eux, « un changement de régime imposé par les États-Unis par la force conduirait probablement au chaos et affaiblirait finalement l’opposition vénézuélienne, qui a gagné en importance sous la direction de María Corina Machado » — la lauréate du Prix Nobel de la Paix 2025. Le paradoxe est cruel : en voulant « libérer » le Venezuela de Maduro, Trump risquerait de détruire les forces démocratiques internes qui constituent le meilleur espoir du pays pour un avenir différent. L’Irak et la Libye offrent des précédents terrifiants : des régimes autoritaires renversés par la force, suivis par des années de chaos, de guerre civile, de terrorisme.
Il y a aussi la question des voisins du Venezuela. La Colombie, qui partage une longue frontière avec le pays, est déjà déstabilisée par les activités des groupes armés et des trafiquants de drogue. Une guerre ou une implosion du Venezuela enverrait des vagues de réfugiés supplémentaires dans la région, exacerbant les tensions. Le Brésil, la Guyana et le Trinité-et-Tobago seraient également touchés. Sans parler des répercussions sur les marchés pétroliers mondiaux. Une perturbation majeure des exportations vénézuéliennes — qui représentent environ 780 000 barils par jour — ferait flamber les prix du brut, avec des conséquences pour les consommateurs du monde entier. Y compris les Américains, qui verraient le prix de l’essence augmenter. Une ironie de plus dans cette aventure aux contours mal définis.
Sept millions de réfugiés. Sept millions de personnes qui ont tout quitté — leur maison, leur famille, leur pays — pour fuir la misère. Et maintenant, on nous propose quoi ? Un blocus qui va aggraver cette misère ? Des bombes qui vont créer plus de réfugiés ? J’ai rencontré des Vénézuéliens au cours de mes reportages. Des médecins qui travaillent comme serveurs, des ingénieurs qui font la plonge, des familles entières entassées dans des appartements de fortune. Ils ne veulent pas la guerre. Ils veulent juste vivre. Et les voilà, pris en étau entre un dictateur qui les opprime et un empire qui prétend les sauver tout en les condamnant à souffrir davantage. C’est d’une cruauté sans nom.
Section 8 : María Corina Machado et l'opposition vénézuélienne
Le prix Nobel de la Paix 2025
María Corina Machado est devenue le visage de l’opposition démocratique au Venezuela. Cette femme de 57 ans, ingénieure de formation et ancienne députée, a mené une campagne courageuse contre le régime de Maduro malgré les intimidations, les menaces et les interdictions. En juillet 2024, elle a été empêchée de se présenter à l’élection présidentielle, mais a soutenu le candidat d’opposition Edmundo González. Quand les résultats officiels ont attribué la victoire à Maduro malgré des preuves massives de fraude, Machado a mobilisé des millions de Vénézuéliens dans les rues. La répression a été brutale. Des centaines de personnes ont été arrêtées, plusieurs tuées. Machado elle-même a dû entrer dans la clandestinité. En décembre 2025, elle a reçu le Prix Nobel de la Paix pour son « courage exceptionnel » et son « combat pacifique pour la démocratie ».
Pour recevoir son prix à Oslo, Machado a dû s’échapper du Venezuela avec l’aide d’un groupe de vétérans américains — une opération rocambolesque digne d’un thriller. Mais son triomphe international n’a pas changé la réalité sur le terrain : Maduro reste au pouvoir, l’opposition reste persécutée, et le peuple vénézuélien reste otage d’un régime qui refuse de partir. L’intervention américaine pose un dilemme cruel pour Machado et ses alliés. D’un côté, ils détestent Maduro et souhaitent sa chute. De l’autre, une invasion américaine ou un changement de régime imposé par la force risquerait de les délégitimer, de les faire apparaître comme des marionnettes de Washington, et de détruire les fragiles structures démocratiques qu’ils ont tenté de préserver.
Le piège de l’intervention étrangère
Les analystes du Council on Foreign Relations ont mis en garde : « L’opposition et le régime Maduro feront face à une nouvelle variable à la table des négociations : les États-Unis et leur lourde présence militaire au large des côtes vénézuéliennes. » Cette présence change la dynamique. Elle donne à Washington un levier de pression, certes, mais elle complique aussi tout processus de transition pacifique. Maduro peut maintenant se présenter comme le défenseur de la souveraineté nationale face à l’agression impérialiste. Ses partisans, même ceux qui doutent de lui, peuvent se rallier autour du drapeau. Et l’opposition, si elle est vue comme complice de l’intervention américaine, perd toute crédibilité auprès des nationalistes vénézuéliens — une portion non négligeable de la population.
Trump a confirmé dimanche avoir eu une conversation téléphonique avec Maduro récemment, sans préciser la date ni le contenu. « Je ne dirais pas que ça s’est bien ou mal passé », a-t-il dit. « C’était un appel téléphonique. » Avant cet appel, il avait déclaré être ouvert au dialogue : « Si nous pouvons sauver des vies, nous pouvons faire les choses facilement — c’est bien. Et si nous devons les faire de la manière dure, c’est bien aussi. » La « manière dure » pourrait signifier une guerre. Une guerre que la stratégie de sécurité nationale de Trump elle-même déconseille, puisqu’elle prône un hémisphère occidental « raisonnablement stable et bien gouverné » — un objectif difficilement compatible avec une invasion militaire et ses inévitables conséquences chaotiques.
María Corina Machado mérite son Prix Nobel. Elle s’est battue avec une bravoure extraordinaire, au péril de sa vie, pour les valeurs que nous prétendons défendre : la démocratie, les droits de l’homme, la liberté. Et voilà qu’elle se retrouve coincée dans un étau infernal. Accepter l’aide américaine, c’est risquer de passer pour une agent de l’impérialisme. La refuser, c’est laisser Maduro gagner. Je pense à elle, quelque part en Europe, regardant les nouvelles sur son téléphone, voyant les navires de guerre américains encercler son pays, se demandant si cette « aide » va tout détruire. C’est le drame de tant de démocrates du Sud global : ils se battent pour leur liberté, et quand les grandes puissances « viennent les sauver », ils se retrouvent écrasés entre le marteau et l’enclume.
Section 9 : Les alliés de Maduro — Russie, Chine, Iran
Un conflit aux ramifications géopolitiques
Le Venezuela n’est pas un État isolé. Au fil des années, le régime de Maduro a tissé des liens étroits avec les principaux adversaires des États-Unis sur la scène internationale. La Russie a fourni des armes, des conseillers militaires et un soutien diplomatique indéfectible à Caracas. La Chine a investi massivement dans le secteur pétrolier vénézuélien et reçoit une part importante des exportations de brut du pays. L’Iran a établi des routes commerciales clandestines pour contourner les sanctions américaines, avec des pétroliers faisant la navette entre les deux pays. Ces relations ne sont pas que commerciales — elles sont stratégiques. Pour Moscou, Pékin et Téhéran, le Venezuela représente un pied-à-terre dans l’arrière-cour de l’Amérique, une façon de contester l’hégémonie américaine dans l’hémisphère occidental.
Une intervention militaire américaine au Venezuela ne serait donc pas une affaire purement régionale. Elle aurait des répercussions sur l’équilibre global des puissances. Comment réagiraient la Russie et la Chine si Washington renversait par la force un gouvernement allié ? Probablement pas par une confrontation directe — ni Moscou ni Pékin ne risqueraient une guerre avec les États-Unis pour Maduro. Mais les représailles pourraient prendre d’autres formes : soutien accru à d’autres adversaires américains, cyberattaques, pressions économiques, escalade dans d’autres théâtres comme l’Ukraine ou Taïwan. Selon Pravda, citant des sources russes, « la Russie n’entrera pas en guerre avec les États-Unis à cause des actions agressives de Washington en Amérique latine, parce que le Venezuela lui-même a refusé l’accord pertinent ». Mais cette retenue a des limites.
Le shadow fleet et les sanctions
L’un des enjeux immédiats du blocus américain concerne la « flotte fantôme » de pétroliers qui transporte le brut vénézuélien vers la Chine et d’autres destinations en contournant les sanctions. Selon Atlantic Council, ces navires « agissent comme une bouée de sauvetage financière sur laquelle Maduro compte pour maintenir son système corrompu de patronage ». En les ciblant, les États-Unis s’attaquent directement au portefeuille du régime. Mais cette stratégie a aussi des implications plus larges. La Russie utilise une flotte fantôme similaire pour exporter son pétrole malgré les sanctions occidentales liées à la guerre en Ukraine. Si les États-Unis montrent qu’ils sont prêts à user de la force militaire pour faire respecter leurs sanctions — comme ils l’ont fait en saisissant le Skipper — cela crée un précédent qui pourrait être appliqué ailleurs.
Comme l’a noté Agnia Grigas de l’Atlantic Council : « La flotte fantôme de la Russie survit grâce à l’hypothèse d’une tolérance et d’une ambiguïté. L’action au Venezuela suggère que cette hypothèse s’affaiblit. Pour une économie de guerre dépendante des revenus énergétiques, ce changement compte. » En d’autres termes, l’offensive américaine contre le Venezuela pourrait être un ballon d’essai pour une politique plus agressive contre les flottes fantômes russes et iraniennes. Ce qui nous ramène à la question géopolitique fondamentale : les États-Unis sont-ils prêts à risquer une confrontation avec des puissances nucléaires pour faire respecter leurs sanctions pétrolières ? Trump semble le croire. Ou peut-être bluffe-t-il. Avec lui, on ne sait jamais vraiment.
Quand j’étais étudiant, on m’a appris que la guerre froide était finie. Que le monde était devenu multipolaire, complexe, mais fondamentalement plus sûr. Vingt ans plus tard, je regarde cette carte des Caraïbes avec des navires de guerre américains d’un côté, des pétroliers russes et chinois de l’autre, et je me demande si mes professeurs ne s’étaient pas trompés. Ou si nous n’avons pas collectivement gâché la paix qu’on nous avait léguée. Le Venezuela, ce pays magnifique que j’ai eu la chance de visiter dans ma jeunesse, transformé en pion sur l’échiquier des grandes puissances. Ses habitants, les vrais perdants de ce grand jeu cynique. Ça me brise le cœur.
Section 10 : Les scénarios pour l'avenir
La pression maximale sans invasion
Le scénario le plus probable à court terme est une continuation de la stratégie actuelle : pression maximale sans invasion terrestre. Les frappes maritimes continueront. Le blocus sera appliqué — au moins contre les navires sous sanctions. Des pétroliers supplémentaires seront saisis. L’objectif serait d’étrangler économiquement le régime Maduro au point de provoquer soit son départ volontaire, soit un coup d’État interne par des militaires ou des proches lassés de la pression. C’est la stratégie que Susie Wiles a décrite à Vanity Fair : faire exploser des bateaux « jusqu’à ce que Maduro crie grâce ». Cette approche présente l’avantage de ne pas nécessiter d’autorisation du Congrès — du moins selon l’interprétation de l’administration — et de minimiser les risques de pertes américaines.
Mais cette stratégie a ses limites. Maduro est toujours là après des années de sanctions, de tentatives de coup d’État, de pressions internationales. Il a survécu à tout. Son régime est brutal, mais il contrôle l’armée, les services de renseignement, les milices. Les généraux qui pourraient le renverser sont compromis par leur propre implication dans le trafic de drogue et les violations des droits de l’homme — ils savent que la chute de Maduro signifierait probablement leur propre arrestation et extradition. Quant à l’exil volontaire, Maduro sait qu’il risque de finir comme Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi si les Américains mettent la main sur lui. Il n’a aucune incitation à partir. Et les « gens bien plus intelligents » que Susie Wiles sur ce sujet se trompent peut-être sur sa capacité de résistance.
L’escalade vers la guerre
Le second scénario est celui que Trump « n’exclut pas » : une escalade vers la guerre. Des frappes terrestres, une invasion, un changement de régime forcé. Ce scénario nécessiterait — en théorie — l’autorisation du Congrès. Mais l’administration a montré une capacité remarquable à étirer les limites de l’autorité présidentielle. Si Trump décidait que les « narcoterroristes » vénézuéliens représentaient une menace imminente pour la sécurité nationale, il pourrait ordonner des frappes « limitées » sans consultation préalable. La frontière entre « opérations anti-drogue » et « guerre » est floue. Délibérément floue. Une frappe de drone sur un convoi de drogue en territoire vénézuélien. Une incursion de forces spéciales pour « capturer un chef de cartel ». Un incident qui dégénère. Les guerres commencent souvent ainsi — par des escalades non planifiées, des calculs erronés, des lignes rouges franchies par accident ou par design.
Le sénateur Richard Blumenthal du Connecticut a mis en garde : « Ma préférence serait qu’il y ait un meilleur dirigeant que Maduro en place. Mais ce n’est pas dire que nous pouvons le déplacer par des moyens militaires. » Le représentant Jim Himes a été plus direct : ce qu’il a vu dans la vidéo des frappes était « l’une des choses les plus troublantes » de sa carrière publique. Si les opérations actuelles — ciblant des bateaux en eaux internationales — provoquent déjà une telle controverse, imaginez la réaction si des bombes américaines tombaient sur Caracas. Imaginez les images de civils tués, de bâtiments détruits, de soldats américains en cercueils. Trump pourrait découvrir que sa base MAGA, qui « adore faire exploser les bateaux », a beaucoup moins d’appétit pour une vraie guerre avec de vraies conséquences.
Je ne suis pas un pacifiste naïf. Je comprends que parfois, la force est nécessaire. Que certains dictateurs ne partiront jamais volontairement. Que le monde est dangereux et que l’Amérique a des intérêts légitimes à défendre. Mais ce qui me terrifie dans cette situation, c’est l’imprévisibilité. Un président qui dit « je n’exclus pas » la guerre comme il dirait « je n’exclus pas » un dessert après le dîner. Une administration qui étire les lois au point de rupture. Un Congrès incapable de jouer son rôle constitutionnel. Et au bout du compte, des vies humaines — vénézuéliennes, américaines — qui seront détruites si ça dérape. Nous sommes sur une corde raide, et l’homme qui tient notre équilibre entre ses mains est le moins stable de tous.
Section 11 : Ce que disent les Américains
Un soutien conditionnel et fragile
Les sondages peignent un tableau nuancé de l’opinion publique américaine. D’un côté, il existe un soutien pour l’utilisation de l’armée contre les cartels de la drogue. Lors de la campagne présidentielle de 2024, une enquête NBC News avait révélé que parmi les propositions politiques républicaines testées, « l’utilisation de l’armée pour empêcher les drogues illégales d’entrer aux États-Unis depuis le Mexique » était la plus populaire — tant chez les républicains que dans l’ensemble de l’électorat. Les Américains sont préoccupés par la crise des opioïdes, par le fentanyl qui tue des dizaines de milliers de personnes chaque année. Ils veulent que le gouvernement fasse quelque chose. Et si « faire quelque chose » signifie faire exploser des bateaux de trafiquants, beaucoup sont prêts à l’accepter.
Mais ce soutien a des limites claires. Seulement 13 % des Américains considèrent le Venezuela comme une « menace majeure » pour la sécurité nationale, selon CBS. Et 76 % estiment que Trump n’a pas expliqué sa position sur le pays. Les Américains ne veulent pas d’une nouvelle guerre. Ils sont échaudés par les échecs de l’Irak et de l’Afghanistan, par les milliards de dollars gaspillés, par les vies perdues pour des objectifs mal définis. Si Trump franchit la ligne — s’il ordonne des frappes terrestres, s’il envoie des troupes, si des soldats américains commencent à mourir — le calcul politique changera rapidement. Les mêmes électeurs qui applaudissent les explosions de bateaux sur leurs écrans exigeront des explications, des résultats, une stratégie de sortie. Et Trump, qui a bâti sa carrière politique sur la promesse d’éviter les guerres étrangères, se retrouvera face à ses propres contradictions.
La désinformation et le manque de transparence
L’un des aspects les plus troublants de cette crise est le manque de transparence de l’administration. Le mémo juridique de 40 pages justifiant les frappes reste classifié. Les vidéos des opérations ne sont montrées qu’à quelques parlementaires dans des briefings secrets. Le secrétaire à la Défense Hegseth refuse de rendre publiques les images de la frappe « double tap » du 2 septembre. Les Américains doivent se fier à des fuites, à des rapports anonymes, à des bribes d’information filtrées par des élus qui ne peuvent pas révéler ce qu’ils ont vu. Dans ces conditions, comment un débat démocratique éclairé peut-il avoir lieu ? Comment les citoyens peuvent-ils juger si les actions de leur gouvernement sont légales, morales, efficaces ?
Le sénateur Jack Reed du Rhode Island, membre éminent du Senate Armed Services Committee, a déclaré après un briefing que le Pentagone n’avait « pas le choix » que de publier la vidéo non éditée de la frappe du 2 septembre. « Ce briefing a confirmé mes pires craintes concernant la nature des activités militaires de l’administration Trump, et démontre exactement pourquoi le Senate Armed Services Committee a demandé à plusieurs reprises — et s’est vu refuser — des informations, documents et faits fondamentaux sur cette opération. Ceci doit être et sera seulement le début de notre enquête sur cet incident. » Le Congrès, lentement, commence à exercer son rôle de contrôle. Mais sera-t-il assez rapide pour prévenir une escalade ? L’histoire suggère que non. Les présidents américains ont toujours su manipuler l’information pour entraîner leur pays dans des guerres que le public n’aurait jamais approuvées s’il avait connu tous les faits.
La démocratie meurt dans l’obscurité, disait le slogan du Washington Post. Jamais cette phrase n’a semblé plus vraie qu’aujourd’hui. Un gouvernement qui fait la guerre en secret, qui tue des gens en notre nom sans nous montrer les preuves, qui invoque la « sécurité nationale » pour masquer des actes dont il a honte… ce n’est plus vraiment une démocratie. C’est autre chose. Quelque chose de plus sombre. Je ne sais pas quel nom lui donner. Mais je sais que ce n’est pas ce pour quoi des générations d’Américains se sont battus et sont morts. La liberté d’information n’est pas un luxe. C’est l’oxygène de la démocratie. Et en ce moment, nous suffoquons.
Conclusion : L'Amérique au bord du gouffre
Un tournant historique
Nous sommes à un tournant. Les décisions prises dans les prochaines semaines détermineront si les États-Unis s’engagent dans une nouvelle guerre en Amérique latine — la première depuis l’invasion du Panama en 1989. Le président Trump a clairement indiqué qu’il était prêt à franchir cette ligne. « Je ne l’exclus pas », a-t-il dit. Six mots qui pèsent comme des tonnes de plomb sur l’avenir de deux nations. Le Venezuela, déjà dévasté par la crise économique et la tyrannie de Maduro, pourrait sombrer dans le chaos d’une intervention étrangère. L’Amérique, déjà déchirée par ses divisions internes, pourrait se retrouver embourbée dans un conflit dont personne ne veut. Les leçons de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye — toutes ces aventures militaires qui ont mal tourné — semblent avoir été oubliées.
Il reste des garde-fous. Le Congrès pourrait finalement trouver le courage de voter une résolution limitant l’action présidentielle. Les tribunaux pourraient être saisis. L’opinion publique pourrait se retourner contre l’escalade si les coûts humains deviennent trop visibles. Mais ces garde-fous sont fragiles. Ils dépendent de la volonté d’individus — parlementaires, juges, journalistes, citoyens — de se lever et de dire « non ». De questionner le pouvoir. D’exiger des comptes. De refuser la logique de guerre qui semble s’emparer de Washington. L’histoire jugera. Elle jugera Trump, bien sûr, pour ce qu’il a fait et ce qu’il s’apprête peut-être à faire. Mais elle nous jugera aussi, nous tous, pour ce que nous avons laissé faire ou ce que nous avons réussi à empêcher.
Je termine cet article avec un sentiment de vertige. Pas de la colère cette fois — la colère s’est épuisée au fil des pages. Ce qui reste, c’est une inquiétude sourde, tenace, qui ne me quitte plus. Pour le Venezuela et son peuple martyrisé. Pour l’Amérique et ce qu’elle est en train de devenir. Pour nous tous, spectateurs impuissants d’une escalade qui semble échapper à tout contrôle. Trump a dit qu’il « n’excluait pas » la guerre. Eh bien, moi, je n’exclus pas l’espoir. L’espoir que la raison prévaudra. Que les voix de la modération seront entendues. Que quelqu’un, quelque part, trouvera une issue à cette impasse avant qu’il ne soit trop tard. C’est fragile comme espoir. C’est presque dérisoire face à l’ampleur des enjeux. Mais c’est tout ce qui me reste en refermant ce dossier. Et je m’y accroche comme un naufragé à un débris flottant.
Sources
Sources primaires
NBC News — « Trump not ruling out war with Venezuela », 19 décembre 2025. NBC News — « After Trump promised ‘no new wars,’ Venezuela escalation could test MAGA’s tolerance », 18 décembre 2025. CBS News — « Democrats’ push to limit boat strikes and attacks on Venezuela fails in House », 17 décembre 2025. NPR — « Trump orders blockade of ‘sanctioned oil tankers’ into Venezuela », 16 décembre 2025. CNN — « Analysis: Trump’s threats bring war with Venezuela closer », 1er décembre 2025. CNN — « Venezuela’s Maduro says Trump’s comments on land and oil reveal his true motives », 17 décembre 2025. ABC News — « Venezuela to continue oil trade, Maduro says, after Trump’s blockade announcement », 17 décembre 2025. PBS News — « Trump escalates Maduro confrontation with blockade on Venezuelan oil tankers », 17 décembre 2025.
Sources secondaires
Axios — « Trump orders oil tankers blockade in Venezuela, labels Maduro regime a ‘terrorist’ group », 17 décembre 2025. Al Jazeera — « Trump orders naval blockade of sanctioned Venezuelan oil tankers », 17 décembre 2025. Wikipedia — « 2025 United States military strikes on alleged drug traffickers », consulté le 19 décembre 2025. Atlantic Council — « What Trump’s Venezuela oil blockade means for Maduro and the world », 17 décembre 2025. Council on Foreign Relations — « Trump Can Break Maduro’s Hold of Venezuela Without a War », décembre 2025. Rolling Stone — « Trump’s Boat Strikes Off Venezuela May Be Illegal: Here’s What to Know », décembre 2025. TIME — « Hegseth Says U.S. ‘Just Sunk Another Narco Boat’ Amid Uproar », décembre 2025. The Intercept — « Department of War Disputes Second Attack on Boat Strike Survivors Was a ‘Double-Tap’ », 2 décembre 2025. CT Mirror — « Blumenthal wants Venezuela boat video released; Hegseth says no », 16 décembre 2025. Military.com — « Congress Tries to Pull War Powers Back From White House After Venezuela-Linked Boat Strikes », 12 décembre 2025. Center for International Policy — « Trump’s Venezuela Blockade an Act of War », 17 décembre 2025. Washington Post — « Venezuela’s Maduro, shaken but still standing, aims to wait out Trump », 8 décembre 2025. South China Morning Post — « Trump leaves war with Venezuela on the table », 19 décembre 2025. Reuters — « Trump says he is not ruling out war with Venezuela », 19 décembre 2025.
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