La rivière Cuyuni, théâtre d’un nouveau chaos
L’Essequibo, ce territoire verdoyant que le Guyana administre depuis des décennies, se transforme chaque jour davantage en champ de bataille masqué. Les derniers mois, des échanges de tirs ont éclaté le long de la rivière Cuyuni, là où des hommes armés, sans uniforme, ont ouvert le feu à trois reprises sur les patrouilles guyaniennes, plongeant la région dans une tension suffocante. La riposte n’a, pour l’instant, fait aucun blessé, mais le Venezuela persiste à dire qu’il ne tolère aucune provocation et nie toute attaque. Pourtant, le silence des autorités vénézuéliennes sur la présence de groupes armés, milices ou paramilitaires, laisse planer le doute : geste souverain ou stratégie hybride ? Les frontières tremblent, chaque rive respire la peur, chaque matin ressemble à un compte à rebours… Et, déjà, tout le monde guette la moindre étincelle qui pourrait embraser l’Amazonie.
Derrière ces tirs sporadiques, ce sont les enjeux de pétrole de l’Essequibo qui attisent les extrêmes et poussent les gouvernants dans leur retranchement. L’écho des concessions accordées par le Guyana à ExxonMobil résonne comme un coup de tonnerre dans le ciel vénézuélien. Caracas s’insurge. Georgetown se cabre. Les États-Unis s’en mêlent, et l’ombre du conflit s’étire jusqu’à Washington. Loin des regards, le territoire se prépare aux élections organisées par Nicolás Maduro, sur une terre dont la légitimité fait l’objet d’un déni diplomatique féroce. Chaque jour, le fictionnel cède progressivement la place à la réalité la plus crue.
L’incendie diplomatique qui couve

Des accusations explosives et la “guerre” des mots
Le Venezuela accuse la Guyane d’entretenir un “front de guerre” aux frontières, pointant les doigts vers Washington et ExxonMobil, désignant Georgetown comme un pion servile de l’Occident. “Le Guyana s’agenouille devant les États-Unis”, martèle la diplomatie vénézuélienne, avide de raviver le sentiment d’injustice sur la scène internationale. Pourtant, dans les rues de Caracas, c’est la négation absolue : “Attaque ? Jamais !”, protestent les ministres, tout en exigeant la convocation du mécanisme Argyle pour calmer les nerfs. Jeux d’ombres et de lumières : l’art de nier l’évidence devient une arme stratégique.
Les discours enflamment les réseaux, les slogans se martèlent à la vitesse d’un missile. Il n’est pas rare d’entendre que, derrière chaque déclaration, se cache l’intention d’un affrontement indirect. “Jamais la force contre le Guyana !”, rappellent Maduro et Ali, citant l’accord de Genève de 1966. Cependant, qui peut croire ces mots quand, à chaque incident, les tensions montent d’un cran ? Les frontières ne sont plus de simples lignes — elles sont l’incarnation d’une lutte intestine, une guerre larvée dont le déni est la première salve.
Je me demande si, quelque part dans ces rhétoriques surchauffées, il ne réside pas une peur viscérale d’être dépassé par ses propres mensonges. Chaque fois que j’écris sur cette escalade, je sens le poids d’une histoire qui aurait dû s’arrêter — et qui pourtant continue de jouer son vaudeville tragique, un spectacle où la vérité est en exil.
Un conflit aussi ancien que les forêts profondes de l’Essequibo
L’Essequibo, ce territoire contesté de 160 000 km², n’est qu’un vaste pion sur l’échiquier géopolitique sud-américain. Depuis la découverte des fabuleux gisements pétroliers en 2015, chaque gouvernement tente de s’imposer comme l’unique légitime pour exploiter les richesses de la région. Le Guyana, surgi de l’ombre internationale, s’est vu doter des réserves de brut per capita les plus élevées au monde, ce qui réveille chez Caracas une soif ancienne — celle de l’or noir, celle du territoire perdu.
Le Venezuela, fort de ses miliciens et de ses navires de guerre, clame sa souveraineté. “Ce territoire appartient à la patrie des libérateurs !”, hurle-t-on sur les places publiques. À chaque contrat signé, l’irritation se cristallise, nourrissant les antagonismes, aggravant chaque fracture. La terre rouge de l’Essequibo devient la scène d’une tragédie dont personne ne veut reconnaître l’auteur, chacun préférant endosser le rôle de la victime ou du héros.
Je me laisse envahir par cette obsession du contrôle, cette force sourde qui pousse les États à s’affronter pour des lambeaux de forêt, des rivières, des promesses d’hydrocarbures. Dans l’intimité de l’écriture, je scrute les motifs cachés, la logique dévastatrice qui anime ces affrontements ancestraux. Le sang du passé coule encore dans les veines du présent.
Les milices vénézuéliennes : spectre ou réalité ?
Quatre millions et demi de miliciens mobilisés, une armée de volontaires annoncés par Maduro, armés, prêts à défendre coûte que coûte la souveraineté nationale. Le chiffre fait frémir, mais la logique derrière cette mobilisation massive reste floue. Les analystes y voient plus un geste politique — un aveu de panique latente après l’envoi de destroyers américains dans la région. Les milices, souvent peu entraînées, servent de bras armé du régime dans une démonstration de force que d’aucuns qualifient de désespérée — et possiblement dangereuse pour la population elle-même.
La frontière n’est plus seulement une zone de passage, elle devient un laboratoire où l’agression sournoise côtoie la dissuasion médiatique. Les populations riveraines, otages des gesticulations stratégiques de Caracas, voient leur quotidien transformé en pari existentiel. Les miliciens, eux, avancent masqués, armés, prêt à semer la confusion sous le vernis d’une légalité relative.
Je regarde cette armée de l’ombre et j’imagine leur marche, confuse, incertaine, comme une nuée de sauterelles sur les rives. Les chiffres me donnent le vertige — je ressens la peur, le cynisme, l’amertume d’un peuple pris au piège des ambitions démesurées. Il y a là un mélange de fatalité et de rage brute qui sourd dans chaque geste, chaque regard.
Le pétrole, poison absolu de Sud-Amérique
Ce qui alimente le feu, ce ne sont pas les rancœurs nationales, mais la promesse du pétrole. Depuis qu’ExxonMobil a planté son drapeau sur de nouveaux blocs d’exploitation, la Guyane devient cible — non pas parce qu’elle est faiblement armée, mais parce qu’elle détient le Graal énergétique que le Venezuela revendique de longue date. La bataille est diplomatique, médiatique, économique. Chaque baril devient un argument de plus dans la guerre des nerfs.
La diplomatie vénézuélienne, féroce, attaque les “concessions illégales” accordées à des compagnies américaines. Les mots sont tranchants, les formules violentes : “vol organisé”, “pillages énergétiques”. Le Guyana, de son côté, s’arque-boute sur la légalité internationale, défendant ses choix et affirmant son attachement à la paix. Mais à mesure que les réserves se révèlent, son bras tremble. L’ombre de Caracas plane comme une menace, une nuée noire qui obscurcit l’horizon.
En évoquant cette lutte pour le pétrole, je sens la fièvre de l’avidité. Qui peut résister à l’appât du gain, à la tentation de s’approprier ce cadeau vénéneux ? L’argent, la puissance, la peur — tout semble se confondre. Ecrire sur le pétrole, c’est reconnaître sa propre fragilité. Je tangue sur mes mots, incapable de décrocher le regard de ce poison qui contamine tout.
Washington, invité incontournable du ballet explosif
Les États-Unis, impitoyables, prennent position en soutenant le Guyana contre la “violation claire” du territoire maritime reconnue internationalement. Le message adressé au régime Maduro est clair : toute provocation entraînera des conséquences directes. La présence des patrouilleurs américains et britanniques dans la zone envenime une situation déjà explosive. Les tweets s’accumulent, les déclarations s’enchaînent, et la guerre de communication s’installe sur le devant de la scène.
À Washington, l’inquiétude grandit. Les stratégies sont affinées, chaque mouvement calculé. Dans la maison blanche, on scrute le moindre signal venu de Caracas, prêt à répondre par la force si nécessaire. Les alliés de Georgetown se multiplient, rendant l’échiquier de la crise plus complexe, plus dangereux. Le Venezuela, piégé entre le marteau et l’enclume, joue sa partition sous la pression internationale croissante.
Je devine dans le regard froid des stratèges américains une volonté féroce de dominer. La Guyane, marionnette de géants, n’a pas d’autre choix que de survivre. Moi, je peine à saisir l’ampleur de cette mécanique démentielle où l’humain se dissout dans la stratégie, où chaque phrase officielle est un piège tendu à l’histoire.
La rhétorique vénézuélienne : entre victimisation et menace
Maduro, dans une posture martiale, ne cesse de dénoncer les provocations occidentales, taxant les leaders américains d’“imbéciles” et scandant que “personne ne peut menacer le Venezuela”. Les mots claquent, le style est brutal, parfois désespéré. Pourtant, derrière l’agressivité du discours, se niche un sentiment de vulnérabilité extrême. Le président vénézuélien multiplie les plans de défense, déploie drones et milices, promet la guerre pour protéger la Nation des “prédateurs” étrangers.
Cette rhétorique, survoltée, sert avant tout à rassurer le peuple chaviste, à masquer les failles du pouvoir. Le Venezuela nie toute intention belliqueuse, condamne les “machinations” guyaniennes, mais ne peut empêcher la montée des tensions. Chaque négation est une affirmation de plus du danger, chaque discours guerrier aggrave le climat diplomatique. L’engrenage s’accélère.
Je me surprends à arpenter les failles du langage officiel, cherchant la trace d’une sincérité perdue. Tout est jeu, tout est posture, tout est calcul. Je doute, je rage, je m’interdis l’indulgence dans mon analyse. La vérité, ici, est une absente retentissante — et l’écrire, c’est balancer des coups de poing dans le brouillard.
La peur au ventre, les populations regardent le ciel
Les riverains de l’Essequibo vivent au rythme des patrouilles, des sirènes, des alertes. Les rumeurs courent, grossissent : une attaque, une embuscade, un passage de drone… La peur s’enracine, le quotidien s’érode. Les familles hésitent à quitter une terre qu’on leur promet chaque jour plus dangereuse. Les enfants, eux, grandissent dans la crainte, les parents rêvent d’un exil qui viendra trop tard.
La tension s’invite jusque dans les marchandises, les convois, les écoles fermées. Au Guyana comme au Venezuela, la crise empoisonne les rapports sociaux, démolit toute illusion de paix perpétuelle. Le conflit, bien que dénié par Caracas, se vit intensément dans la chair des anonymes. Le ciel reste lourd, chargé d’un silence que n’ose briser ni les gouvernants, ni les armes.
Je m’effondre face à la masse de souffrances invisibles, à la banalité du mal qui s’installe guide. Le conflit n’a pas besoin d’exploser pour marquer les existences — il suffit à peine d’être évoqué, nié, ressenti. Il y a, dans la peur collective, une densité qui englue la pensée, une lenteur qui fixe le destin. Je ne peux que regarder, sidéré, l’impuissance grandissante des peuples face aux caprices des puissants.
Le jeu trouble des puissances régionales

Trinité-et-Tobago, soutien affiché à la Guyane
Au cœur de ce tumulte, la voix de Trinité-et-Tobago tonne : soutien ferme et indéfectible à la Guyane face à la “menace vénézuélienne”. À peine le mot “agression” évoqué, l’engagement régional se structure, et les alliances se dessinent dans un ballet jusqu’alors inédit sur le continent. Le Guyana n’est plus seul. La solidarité régionale s’amplifie, reconfigurant les rapports de force aux marges du conflit.
Pour Georgetown, cette mobilisation constitue un rempart moral — mais aussi un message politique. Plus qu’un acte de solidarité, c’est une façon de dire à Caracas que l’heure des guerres solitaires est révolue. Le poids des voisins, habituellement silencieux, devient crucial dans la gestion des crises et des affrontements frontaliers.
J’observe la montée de cette solidarité régionale avec suspicion. Derrière les déclarations officielles, je perçois toutes les calculs, tous les non-dits. L’histoire de l’Amérique du Sud est faite d’alliances fragiles qui explosent sous la pression du pétrole, du sang, du pouvoir. Ici, la fraternité n’a rien d’innocent : elle est une monnaie d’échange — et chaque soutien peut se retourner en menace.
Elections à l’ombre des affrontements
Le 25 mai prochain, Nicolás Maduro projette dans la région contestée une élection aux allures de provocations, dans une tour de Babel juridique et politique. La légitimité internationale du Guyana grince, l’agenda de Caracas irritant les partisans d’un statu quo déjà fragile. Dans une zone marquée d’incidents, chaque urne devient le symbole d’un affrontement de légitimités concurrentes.
La tension diplomatique se convertit en agitation politique, chaque vote se charge de la frustration populaire, de la rage patriotique. L’Essequibo, de simple enjeu énergétique, se métamorphose en fétiche nationaliste, en étendard fracturé que chacun brandit pour conjurer la peur. L’élection n’est rien de plus qu’un prétexte pour renouer avec la tradition du chaos géopolitique sud-américain.
L’élection, dans mon esprit, résonne comme la cloche d’un funeste réveil. Qui croit encore à la vertu du suffrage dans ce théâtre ? Je doute, je m’indigne, je confesse une lassitude sans nom devant la répétition des mêmes stratégies, des mêmes échecs. Ici, la démocratie n’est qu’un masque — un décor pour masquer l’impasse totale.
Le rôle trouble de l’Iran : drones et alliances
Face aux menaces, le Venezuela, avec le soutien logistique et technologique de l’Iran, s’est lancé dans la conception et le déploiement de drones combattants. Une première en Amérique latine, qui inquiète Washington et fait grimper d’un cran supplémentaire la tension régionale. Le transfert de savoir-faire militaire inquiète, les forêts du Guyana surveillent les cieux, la diplomatie américaine s’alarme face à cette “évolution dangereuse”.
Le partenariat avec l’Iran, officialisé en 2012, se poursuit dans la discrétion — mais ses effets sont tangibles : capacité de frappe augmentée, surveillance technologique accrue, équilibre régional chamboulé. Les analystes redoutent une course à l’armement qui pourrait engloutir la région dans un cycle interminable de provocations et de ripostes asymétriques.
En croisant Venezuela et Iran, je sens l’odeur âcre des guerres lointaines approcher. Les drones, silhouettes impavides, deviennent les nouveaux démons de cette rivalité. Je m’effraie d’une géopolitique qui s’abandonne à la folie technologique. Ecrire sur ces alliances, c’est déchirer pour moi la certitude naïve qu’on pourrait un jour échapper à l’engrenage de la violence.
Stratégies hybrides, milices et paramilitaires
La multiplication des attaques par des groupes armés non identifiés, souvent depuis la rive vénézuélienne, traduit le recours croissant à des stratégies hybrides — attaques indirectes, opérations clandestines, infiltrations musclées. Le Guyana réplique, tente de garder le contrôle, mais la peur d’une déstabilisation interne demeure. Les milices, soutenues tacitement par Caracas, recommencent à frapper aux portes de l’Essequibo.
Dans cette confusion, la frontière perd sa substance juridique pour se transformer en zone grise, infestée d’agents doubles dont le seul objectif est la provocation permanente. Les chefs militaires guyanien et vénézuélien s’observent, attendant le faux pas qui déchaînerait une tempête. La guerre hybride ne se voit pas, mais elle se sent — elle engendre une fatigue sourde, une méfiance chronique.
Je mesure la perversité des stratégies hybrides. Elles sont le sel de la nouvelle guerre : invisibles, insidieuses, terrifiantes dans leur efficacité. Rien ne se fait à découvert. Ici, la ruse remplace la force, l’ironie remplace la parole. Écrire sur ce théâtre de l’ombre, c’est accepter de n’avoir aucune certitude — et de n’être, moi aussi, qu’un spectateur aveugle.
Le Guyana, petit mais inflexible
Face à la déferlante vénézuélienne, le Guyana fait le choix de la résistance. Son président, Irfaan Ali, “reste attaché à la paix et à l’État de droit” et refuse toute menace contre l’intégrité territoriale. Les Forces de défense guyaniennes durcissent les patrouilles, les soldats veillent sur les points de passage, tandis que la diplomatie brandit les traités internationaux comme dernier rempart.
Ce petit État, longtemps relégué aux marges de l’histoire sud-américaine, se révèle un adversaire redoutable grâce à sa détermination à défendre chaque parcelle de sa zone économique exclusive. Plus la pression monte, plus Georgetown s’affirme comme le symbole d’une résistance — certes fragile — mais exemplaire face au géant vénézuélien.
Je me sens admiratif devant la ténacité du Guyana. Il y a une énergie folle dans cette inflexibilité. On veut croire qu’ici, le droit peut encore triompher du fait. Parfois, j’ai envie de crier, de soutenir cette minuscule nation qui refuse l’effacement. Puis je me ravise, conscient que l’histoire dévore ses héros — mais l’idée de résister continue, envers et contre tout, à me séduire.
Conclusion

Le choc des récits et la vérité impossible
La frontière entre le Venezuela et le Guyana n’est pas une simple démarcation sur la carte : c’est le miroir de nos démons contemporains. Entre accusations de guerre et dénégations rageuses, chaque rive de la Cuyuni veut croire à sa propre vérité. Les milices s’avancent, les drones bourdonnent, les diplomates s’exclament — et, pourtant, rien ne change. L’angoisse grandit, la suspicion prospère. Chacun attend le signal qui fera basculer la région dans une tempête dont nul ne sait s’il sortira indemne.
Le Venezuela nie en bloc tandis que la Guyane hurle à la guerre. Les puissances étrangères manipulent les ficelles de ce théâtre absurde. L’Essequibo, sanctuaire jadis ignoré, devient le centre d’une bataille au goût de sang et de pétrole. Le monde regarde, encore une fois, sans agir. Et chaque mot, chaque silence, chaque hésitation peut faire basculer l’avenir. Ici, la guerre ne fait que commencer…
J’y pense sans relâche. Écrire cet épilogue, c’est admettre l’impuissance, la frustration. L’histoire s’écrit non pas dans la victoire, mais dans la peur, le doute, la rage. J’ai la nausée devant la fatalité. Mais je persiste à croire — quelque part, dans ce brasier invisible — qu’une étincelle de paix n’a pas encore été complètement éteinte.