Fox News comme complice permanent
Ce qu’il y a de particulièrement révoltant, c’est la transparence du ciblage. Ces annonces publicitaires ne sont pas diffusées au hasard. Elles sont chirurgicalement positionnées sur les plateformes qu’on sait efficaces pour influencer certaines audiences. Fox News Channel reçoit à lui seul environ 9 millions de dollars de cette campagne publicitaire—neuf millions pour accabler un seul réseau de spots anti-immigrés. Les shows du matin, « Today », « CBS Morning », « Good Morning America »—l’administration Trump cible délibérément l’heure où des millions d’Américains commencent leur journée, au moment où leurs esprits sont les plus malléables, les plus réceptifs.
Puis il y a la sophistication numériquement perverse de tout cela. Grâce aux données de la bibliothèque publicitaire de Meta, on peut voir exactement qui le gouvernement essaie de manipuler : les gens qui aiment la musique pop mexicaine, la musique latine, le Grand Prix du Mexique, la cuisine mexicaine, l’équipe nationale de soccer mexicaine. C’est du micro-ciblage prédateur—on sait exactement qui vous êtes, ce que vous aimez, et on adapte le message d’effroi en conséquence. Les publicités sont en anglais avec des sous-titres en espagnol, comme si le gouvernement disait : « Nous savons que certains d’entre vous comprennent l’espagnol. Nous nous assurons donc que le message vous perce le cœur. »
L’absence de vigilance démocratique
Voici ce qui devrait vraiment vous tenir éveillé la nuit : ces campagnes ont commencé en octobre, après que la fermeture du gouvernement ne soit déjà en cours. Pas avant. Pas en prévention. Pendant. Pendant que l’aide alimentaire s’asséchait. Pendant que les files d’attente s’allongeaient. Pendant que les enfants rentraient à la maison avec des estomacs vides. C’est un calcul politique délibéré, pensé, exécuté avec une précision bureaucratique glaciale.
Et pourtant, où est la couverture exhaustive? Où sont les directs sans fin des chaînes d’information mainstream? Où est l’indignation parlementaire rugissante? On en parle à peine. Quelques reportages ici et là, des nuances journalistiques polies. Mais où est la rage? Où est cet éclair d’électricité morale que devrait produire la découverte qu’un gouvernement crève volontairement ses citoyens de faim pour financer de la propagande présidentielle?
La campagne de recrutement : l'agenda caché
Dix millions juste pour convaincre les gens de traquer les migrants
Au-delà des 51 millions généraux, il existe une autre couche à cette histoire d’hémorragie budgétaire : le recrutement. L’ICE—Immigration and Customs Enforcement—a alloué quatre millions et demi de dollars aimantant juste dans les trois premières semaines de la fermeture pour des annonces de recrutement. Quatre millions et demi pour convaincre les Américains de devenir les bras de la répression gouvernementale. Pendant ce temps, le Département de la sécurité intérieure a dépensé plus de 5,3 millions supplémentaires en campagnes promouvant l’auto-expulsion et remerciant Trump pour avoir « sécurisé la frontière ».
Combiné, cela dépasse les dix millions en quelques semaines uniquement. Dix millions pour recruter des agents de répression. Dix millions pour glorifier une administration. Zéro million, ou presque, pour nourrir ceux qui meurent de faim. C’est une stratégie d’allocation des ressources qui révèle les véritables priorités du régime. Les migrants ne sont pas un problème à résoudre. Ils sont un ennemi à fabriquer, à cultiver, à agrandir, à utiliser comme justification pour des augmentations budgétaires.
Le contrat de 200 millions : un deal sans concurrence
Voici ce qui rend tout cela encore plus obscène : les entreprises gagnant ces contrats publicitaires massifs ont remporté le marché sans processus d’appel d’offres normal. People Who Think et Safe America Media ont décroché un contrat pouvant atteindre jusqu’à 200 millions de dollars, justifié par le ministère sur la base d’une « urgence inusuelle et impérieuse ». Ce jargon bureaucratique signifie simplement : « On n’a pas besoin de transparence. On n’a pas besoin de vérifier si quelqu’un d’autre pourrait faire ça moins cher ou mieux. On veut juste dépenser cet argent. Maintenant. »
Un contrat de 200 millions attribué sans concurrence. Pendant une fermeture. Pendant que les gens crèvent de faim. Les noms des entreprises ressemblent eux-mêmes à de la propagande : « People Who Think »—comme si la pensée était une commodité achetable, un produit qu’on peut commander en gros. « Safe America Media »—comme si la sécurité ne pouvait être garantie que par une pluie de spots publicitaires terrorisants. C’est du marketing de régime, pur et simple.
Le Mexique devient la vitrine de la propagande
Des annonces qui crèvent les yeux pendant la Liga MX
Pourquoi le Mexique? Pourquoi ces millions de dollars américains sont-ils spécifiquement alloués pour bombarder le Mexique de publicités pro-Trump? La réponse est cynique : parce que c’est efficace, c’est stratégique, et c’est offensant. Les annonces apparaissent sur la télévision mexicaine régulièrement, sans discrimination temporelle. Elles s’insèrent entre les matchs de football, la Ligue MX—un moment où les foyers mexicains sont captifs, détendus, émotionnellement engagés. C’est du timing prédateur.
Imagine la scène : une famille mexicaine regarde le match du week-end, et puis soudain, Kristi Noem apparaît à l’écran, menaçante, intimidante, mettant en garde contre « les criminels », et les images des migrants courent à travers les frontières. C’est pas juste une annonce. C’est une invasion psychologique. C’est le gouvernement américain entrant littéralement dans les foyers mexicains pour y semer la peur, la division, le doute.
La réaction mexicaine et l’inaction américaine
La présidente mexicaine Claudia Sheinbaum n’a pas mâché ses mots. Elle a qualifié ces annonces de « discriminatoires », affirmant qu’elles violaient la dignité humaine et risquaient d’encourager la violence contre les migrants. Elle a demandé aux stations de télévision mexicaines de retirer les pubs. Elle a même promis d’envoyer une législation au Congrès pour interdire ces types de campagnes étrangères. Mais à Washington? Silence crickets. Zéro indignation officielle. Zéro remise en question de cette stratégie d’intimidation transfrontalière.
Ce que cela montre, c’est que l’administration Trump n’est absolument pas intéressée par les relations diplomatiques normales, par le respect mutuel entre nations, par les liens de voisinage. Elle veut simplement projeter sa puissance, son message, sa domination narrative partout où elle le peut, quand elle le peut, sans restrictions. Le Mexique n’est pas un partenaire. C’est un écran blanc sur lequel projeter sa propagande.
L'architecture cruelle du silence budgétaire
Six milliards en réserve d’urgence, mais rien pour les affamés
Ici, il faut que ce soit très clair : l’argent existe. L’administration Trump dispose d’environ 6 milliards de dollars en fonds d’urgence disponibles pour le programme SNAP—le programme d’aide alimentaire. Six milliards. Cet argent pourrait être déployé immédiatement. Il pourrait arrêter l’hémorragie alimentaire en une journée. Mais il ne l’est pas. Pourquoi? Parce que l’administration préfère—activement, délibérément, cyniquement—utiliser la faim comme arme politique.
La fermeture du gouvernement s’étire maintenant sur 33 jours et se rapproche dangereusement du record de 35 jours établi en 2019, quand Trump lui-même avait forcé une fermeture pour obtenir du financement pour son mur frontalier. Et encore une fois, ce sont les pauvres qui souffrent. Ce sont les enfants qui mangent moins. Ce sont les mères qui s’endorment le cœur déchiré parce qu’elles ne peuvent pas nourrir leur famille. Mais les publicités? Les pub continuent. Les millions continuent de s’envoler vers les agences de marketing, vers les slots publicitaires sur Fox News, vers les écrans mexicains.
Le paradoxe du « coût de la crise »
Les bureaucrates en défense disent qu’ils « attendent les directives des tribunaux » avant de libérer les fonds SNAP. C’est du sophisme juridique transparent. Deux juges fédéraux ont d’ores et déjà ordonné à l’administration de financer les prestations alimentaires. Deux fois. Mais l’administration continue de faire traîner, de retarder, de « compliquer » ce qui devrait être une transaction simple : vous avez l’argent, dépensez-le pour nourrir les gens qui en ont besoin. Au lieu de cela, on nous dit que les Démocrates devraient « traverser l’allée » et voter pour réouvrir le gouvernement. Comme si le Trump n’était pas responsable de cette catastrophe.
Pendant ce temps, le trésorier du gouvernement Scott Bessent se demande—avec une tranquillité franchement hallucinante—comment l’argent va s’envoler avec autant de facilité vers les annonces publicitaires, mais comment « trouver » l’argent pour nourrir les affamés est soudainement un mystère mathématique insoluble. C’est pas de l’incompétence. C’est un choix politique délibéré.
Le coût politique invisible
La culpabilité partagée du silence institutionnel
L’un des aspects les plus troublants de cette affaire, c’est comment elle met à nu l’architecture entière de l’impuissance institutionnelle en Amérique. Le Congrès pourrait arrêter cela. Demain. Les démocrates pourraient—avec une volonté politique réelle—forcer une réouverture du gouvernement, établir les priorités budgétaires clairement, et s’assurer que l’argent destiné à nourrir les gens n’est jamais détourné vers des campagnes publicitaires. Mais ils ne le font pas. Pourquoi? Peut-être parce qu’arrêter Trump semblerait trop brutal. Peut-être parce que les élections s’en viennent. Peut-être parce que l’inaction est plus facile que la confrontation.
Et la presse? Où est l’enquête approfondie? Où sont les reporters bivouackant devant les bureaux de People Who Think et Safe America Media, demandant des comptes sur le contrat de 200 millions sans concurrence? Où est la couverture incessante de cette histoire? Nulle part. Il y a quelques reportages, quelques titres indignés, et puis on passe à la prochaine catastrophe de 24 heures. C’est l’économie de l’attention complice de l’indifférence institutionnelle.
Les déchiffrants d’une démocratie brisée
Ce qui nous ramène à la question fondamentale : comment pouvons-nous vivre dans une démocratie où le gouvernement peut, sans crainte significative de représailles politiques, détourner des ressources destinées à nourrir les affamés pour financer sa propre propagande? Comment le système de poids et contrepoids s’est-il désintégré au point que cela devient presque normal? C’est pas juste un problème politique. C’est un effondrement systémique.
Les Républicains qui contrôlent la Chambre pourraient arrêter ça. Ils ne le feront pas. Les gouverneurs qui voient leurs États recevoir moins d’aide alimentaire fédérale pourraient protester publiquement. Beaucoup ne le font pas. Les organisations de défense des droits de l’homme qui devraient crier sur les toits pourraient mobiliser des manifestations massives. Elles le font timidement. Et nous, les citoyens, nous regardons par nos écrans, un peu engourdis, un peu fatigués, un peu résignés au fait que oui, probablement, les gouvernements vont continuer à être cruels comme ça.
L'absence complète de proportionnalité
Quand 51 millions pour les annonces dépasse 8 milliards pour la nourriture
Essayez de placer cela dans une perspective qui a du sens : le gouvernement fédéral américain a libéré—après intervention judiciaire—8 milliards pour le programme SNAP. Huit milliards pour nourrir 42 millions d’Américains pendant une fermeture de cinq semaines. C’est environ 190 dollars par personne. Pour un mois d’aide alimentaire. Pendant ce temps, 51 millions sont dépensés en annonces. Juste en annonces. Pas en nourriture réelle. Pas en aide réelle. En messages.
Là est le véritable affront. L’administration évalue que transmettre un message—soit visant à effrayer les migrants, soit visant à remercier Trump—vaut 51 millions de dollars. Mais nourrir les enfants affamés? C’est une question. C’est quelque chose à débattre judiciairement. C’est quelque chose à « étudier ».
Le calcul cynique : la peur vaut plus que la nourriture
Cette inversion des priorités n’est pas accidentelle. Elle révèle une philosophie gouvernementale fondamentale : la peur est plus précieuse que le bien-être. La propagande est plus importante que l’aide concrète. Les messages contrôlés sont plus puissants que les vies sauvées. C’est une machine qui a décidé que dépenser des ressources massives pour terrifier les migrants était un investissement rentable, tandis que dépenser la même quantité pour nourrir les citoyens était un drain budgétaire à minimiser.
Et ça marche. Ça marche parce que la plupart des gens ne voient pas les budgets. Ils ne voient que les publicités. Ils ne voient que le message. Ils ne voient pas l’architecture cachée de la cruauté qui le rend possible. L’administration Trump l’a bien compris : dans une guerre pour l’imagination, 51 millions en images effrayantes battent probablement 8 milliards en chèques d’aide alimentaire qui arrivent silencieusement par la poste.
Conclusion : l'impensable devenu réalité
Le gouvernement américain, pendant une fermeture qui affame 42 millions de ses citoyens—dont 16 millions d’enfants—continue de dépenser des dizaines de millions en publicités glorifiant l’administration qui provoque cette fermeture. Au Mexique. Pour terrifier les migrants. C’est pas une typo. C’est pas un malentendu. C’est la réalité politique de novembre 2025 en Amérique. C’est l’allocation des ressources publiques reflétant une hiérarchie morale abyssale : la propagande avant la nourriture. Le message avant la miséricorde. Le contrôle narratif avant l’aide concrète.
Pendant un mois et demi, nous avons observé un gouvernement choisir l’effroi sur l’alimantation. Choisir les images chocs sur l’aide réelle. Choisir la peur transfrontalière sur la charité envers ses propres enfants. Et dans cette éclaircie lamentablement révélatrice, nous voyons pas juste une crise politique. Nous voyons l’effondrement d’une morale civique, l’absence de conscience, l’arrivée ouverte d’une époque où les gouvernements se sentent totalement confortables à faire des choix aussi moralement répugnants devant tous. Il n’y a pas de détour. Pas d’euphémismes. Juste une cruauté nue et sans vergogne, et notre incapacité collective à l’arrêter pendant qu’elle se déploie devant nos yeux.
Et c’est peut-être ça le vrai scandale : pas que ça se produise. Mais que nous—tous ensemble, aucune exception—regardions ça se produire et ne fassions… pratiquement rien.