Quand la peur devient uniforme
Dans les rues de Memphis, de Chicago, de Portland, quelque chose a basculé en cet automne 2025. Ce n’est pas un coup d’État, pas encore. Mais c’est une occupation qui ne dit pas son nom. Des soldats de la Garde nationale patrouillent désormais dans des quartiers où personne ne les a appelés… sauf un président qui prétend « restaurer l’ordre ». Donald Trump a déployé des troupes fédérales dans au moins quatre villes démocrates — Los Angeles, Washington D.C., Memphis, et tente d’en faire autant à Chicago et Portland — affirmant que ces métropoles sombrent dans le chaos criminel. Sauf que les chiffres de la criminalité, eux, racontent une tout autre histoire : baisse de 35 % à Washington, taux de violence à un creux historique de 25 ans à Memphis. La réalité ne correspond pas au discours. Ce qui inquiète l’Amérique aujourd’hui — la militarisation des villes, l’invasion de l’espace civil par des forces armées, le flou juridique autour du Posse Comitatus Act — tout cela, les communautés noires le connaissent depuis toujours. Ce que beaucoup découvrent avec effroi n’est qu’un vieux scénario qui refait surface, cette fois sous les projecteurs nationaux.
L’histoire se répète, mais qui écoute ?
L’Amérique blanche se réveille avec un goût amer dans la bouche. Elle voit des images qu’elle croyait appartenir au passé ou aux pays autoritaires : des soldats armés dans les rues, des descentes à l’aube dans des immeubles résidentiels, des enfants détenus, des familles déplacées. À Chicago, une opération fédérale sur un immeuble du quartier de South Shore a semé la terreur : arrestations massives, présence militaire écrasante, voisins sous le choc. À Portland, des agents fédéraux utilisent des gaz lacrymogènes et des grenades fumigènes pour disperser des manifestants pacifiques près d’un centre de détention de l’ICE. Le tout sous prétexte de lutter contre des « terroristes domestiques ». Pourtant, les résidents de ces villes — en majorité noirs ou issus de minorités — ne voient rien de neuf. Pour eux, ce théâtre de la force n’est qu’une répétition amplifiée de ce qu’ils vivent depuis des générations. Le problème, c’est que personne ne les a crus avant. Aujourd’hui, l’Amérique entière commence à comprendre : quand l’État décide de punir plutôt que de protéger, personne n’est à l’abri. Et cette leçon, les Noirs américains l’ont apprise il y a bien longtemps.
Le poids d’un symbole lourd
Le 14 octobre 2025, un article du magazine Time signé par Josiah Bates frappe fort : « Trump’s National Guard Deployment Shows America What Black Communities Have Always Known ». Ce titre résume tout. Ce que nous voyons aujourd’hui n’est pas une anomalie, c’est une constante. Une constante que l’Amérique noire a portée seule, en silence, ou dans des cris étouffés par l’indifférence générale. Les patrouilles d’esclaves du XVIIIe siècle, les milices du Ku Klux Klan pendant la Reconstruction, les descentes policières militarisées des années 1960 pendant le mouvement des droits civiques, la « guerre contre la drogue » lancée par Nixon qui a ravagé les quartiers noirs pendant cinquante ans… Tous ces chapitres partagent un fil rouge : l’usage de la force d’État pour contrôler, intimider, et réprimer les corps noirs. Aujourd’hui, Trump ne fait qu’ajouter un nouveau chapitre à ce livre maudit. Mais cette fois, l’Amérique blanche est témoin. Et elle commence à trembler. Car elle réalise que si ça peut arriver aux autres, ça peut lui arriver aussi. C’est précisément ce que les communautés noires répètent depuis des siècles.
Les racines historiques de la militarisation contre les Noirs

Les patrouilles d’esclaves, premier système de surveillance
Tout a commencé bien avant l’indépendance américaine. Dès le début du XVIIIe siècle, dans les Carolines, des groupes d’hommes blancs armés ont été officiellement créés pour surveiller, traquer, capturer et punir les personnes esclavisées. Ces slave patrols représentent l’un des premiers systèmes formalisés de surveillance étatique sur les corps noirs. Leur mission ? Empêcher les fuites, briser les révoltes, terroriser pour maintenir l’ordre racial. Ces patrouilles avaient le pouvoir d’entrer dans les maisons, de fouiller, d’interroger, de battre. Elles incarnaient une violence légale, sanctionnée par les gouvernements locaux, et qui ne connaissait aucune limite. Elles ne cherchaient pas à protéger la communauté, mais à protéger un système — celui de l’esclavage. Ce modèle a jeté les bases du rapport entre forces de l’ordre et population noire : un rapport fondé sur la méfiance, la brutalité, et le contrôle absolu. Aujourd’hui encore, ce modèle persiste sous d’autres formes. Les chercheurs de la NAACP affirment que les origines du système policier moderne américain peuvent être directement reliées aux patrouilles d’esclaves. Ce n’est pas une métaphore. C’est une filiation historique documentée.
Le Ku Klux Klan et la violence d’État post-guerre civile
Après la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage, le modèle a évolué mais n’a pas disparu. Les milices blanches se sont réorganisées sous des bannières comme le Ku Klux Klan, souvent avec le soutien tacite ou explicite des autorités locales. Pendant la période de la Reconstruction, ces groupes ont terrorisé les citoyens noirs nouvellement libérés qui tentaient d’exercer leurs droits politiques — voter, occuper des fonctions publiques, posséder des terres. Leur objectif était clair : restaurer la domination blanche et saper les gouvernements progressistes issus de la Reconstruction. Sheriffs locaux, anciens soldats confédérés, fermiers blancs… tous se retrouvaient dans ces milices qui opéraient en toute impunité. La frontière entre violence civile et violence d’État devenait floue, voire inexistante. Ces groupes ont ainsi contribué à installer une culture de la terreur dans le Sud américain, une culture qui a perduré pendant près d’un siècle. Ce schéma — utiliser la force pour contrôler une population jugée menaçante — est le même que celui déployé aujourd’hui par l’administration Trump dans les villes à forte population noire. Le nom change, les uniformes aussi. Mais le mécanisme reste identique.
Les années 1960 et la répression des droits civiques
Au XXe siècle, la violence s’est institutionnalisée davantage. Durant l’été 1967, connu sous le nom de « long, hot summer », plus de 150 villes américaines ont connu des soulèvements populaires déclenchés par des années d’abus policiers, de ségrégation, et de négligence. La réponse du gouvernement fédéral ? Pas de l’empathie. Pas de réformes. Mais une occupation militaire. Des troupes de la Garde nationale et des forces de police ont été déployées dans les quartiers noirs sous prétexte de « restaurer l’ordre ». Ce mot — « ordre » — cache toujours autre chose : le contrôle. La Commission Kerner, créée en 1968 pour analyser ces événements, a clairement identifié les « pratiques policières » comme la principale source de griefs dans les communautés noires. Le rapport concluait que militariser la police locale contre les communautés de couleur ne ferait qu’engendrer des résultats « incalculablement dommageables ». Cinquante-sept ans plus tard, nous y sommes. Ce que le rapport Kerner redoutait est en train de se réaliser sous nos yeux, avec une ampleur que même ses auteurs n’auraient pas imaginée. L’histoire n’a rien appris. Ou plutôt, elle a choisi d’ignorer.
La guerre contre la drogue, terreau de la militarisation moderne

Nixon et l’instrumentalisation de la peur
En 1971, le président Richard Nixon déclare officiellement la « guerre contre la drogue ». Ce slogan politique allait se transformer en une campagne de cinquante ans de répression ciblée contre les communautés noires. Sous couvert de lutte contre les stupéfiants, Nixon a instauré une politique de surveillance accrue, de profilage racial, et de déploiement de forces spécialisées dans les quartiers à majorité noire. Des années plus tard, John Ehrlichman, conseiller de Nixon, a admis que cette guerre avait été conçue pour criminaliser les mouvements noirs et la gauche anti-guerre. « Nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être noir, mais en associant les Noirs à l’héroïne, nous pouvions perturber ces communautés », a-t-il confessé. La « guerre contre la drogue » n’était donc pas une guerre contre un produit, mais une guerre contre des gens. Elle a justifié des décennies d’incarcération de masse, de descentes armées, de destructions familiales. Elle a normalisé l’idée que les quartiers noirs étaient des zones de guerre où les forces de l’ordre devaient intervenir avec une logique militaire. Ce cadre mental persiste aujourd’hui. Lorsque Trump parle de « villes sous invasion » ou de « guerre de l’intérieur », il puise dans ce même réservoir rhétorique. Un réservoir toxique, mais efficace.
L’équipement militaire dans les rues civiles
À partir des années 1990, avec le programme fédéral 1033, les forces de police locales ont commencé à recevoir du matériel militaire excédentaire : véhicules blindés, fusils automatiques, grenades, équipements de vision nocturne. Ce qui était destiné aux champs de bataille s’est retrouvé dans les rues de Ferguson, de Baltimore, de Los Angeles. Une étude de 2018 a révélé que les unités de police militarisées aux États-Unis étaient plus fréquemment déployées dans les communautés à forte proportion d’Afro-Américains, même lorsque les taux de criminalité ne le justifiaient pas. Autrement dit, la militarisation n’était pas une réponse à la criminalité, mais à la composition raciale des quartiers. Cette réalité a été documentée par des chercheurs de la Vera Institute of Justice et d’autres institutions. Le message envoyé aux communautés noires était clair : vous êtes considérés comme des ennemis intérieurs, pas comme des citoyens à protéger. Aujourd’hui, en 2025, ce même équipement, cette même logique, sont déployés à l’échelle nationale par l’administration Trump. Sauf que maintenant, ce ne sont plus seulement les quartiers noirs qui sont ciblés. C’est toute ville dirigée par un maire démocrate. La cible s’élargit. Mais le mécanisme reste le même.
Des « task forces » fédérales dans les quartiers
Sous prétexte de « lutte contre le crime », plusieurs administrations ont créé des unités fédérales spécialisées qui opèrent directement dans les villes. En octobre 2025, Trump a lancé le Memphis Safe Task Force, composé de plus de 219 agents fédéraux ayant reçu des pouvoirs élargis. Le conseiller à la sécurité intérieure Stephen Miller leur a déclaré qu’ils étaient « libérés » (unleashed), un terme militaire inquiétant. À Washington D.C., la police métropolitaine a été fédéralisée pendant 30 jours, privant ainsi les autorités locales de tout contrôle. À Chicago, des agents fédéraux ont mené une descente avant l’aube dans un immeuble résidentiel, arrêtant des dizaines de personnes, y compris des enfants, sans mandat clair. Ces opérations rappellent les raids de la DEA dans les années 1980 et 1990, où des quartiers entiers étaient traités comme des territoires ennemis. Sauf qu’aujourd’hui, ces descentes sont justifiées non pas par la drogue, mais par une prétendue insurrection ou par des taux de criminalité qui, en réalité, sont en baisse. Les données du FBI montrent que la criminalité violente à Memphis est à son plus bas niveau en 25 ans. À Washington D.C., elle est à un creux historique de 30 ans. Mais la vérité n’a jamais empêché une bonne opération de communication politique.
Les déploiements de 2025 : chronologie d'une escalade

Los Angeles, juin 2025 : le premier test
Tout commence en juin 2025 à Los Angeles. Sans demander l’autorisation du gouverneur californien Gavin Newsom, Trump ordonne le déploiement de la Garde nationale dans la deuxième plus grande ville des États-Unis. Officiellement, il s’agit de lutter contre la criminalité, le sans-abrisme, et l’immigration illégale. En réalité, Los Angeles est une ville à majorité démocrate, dirigée par un maire progressiste, et elle représente un symbole politique que Trump souhaite abattre. Le 2 septembre 2025, un tribunal fédéral déclare illégal ce déploiement, estimant qu’il viole le Posse Comitatus Act, une loi fédérale de 1878 qui interdit l’usage des forces militaires pour des opérations de police civile. Mais cette décision de justice n’arrête pas Trump. Au contraire, elle semble le galvaniser. Quelques semaines plus tard, il ordonne de nouveaux déploiements ailleurs. Le message est clair : les tribunaux peuvent protester, mais l’administration Trump avance. Ce premier déploiement à Los Angeles sert de test — un test pour mesurer la résistance institutionnelle, l’opposition publique, et la capacité de l’administration à contourner les règles. Le résultat ? Une escalade rapide.
Washington D.C., août 2025 : occupation de la capitale
En août 2025, environ 2 000 soldats de la Garde nationale sont déployés à Washington D.C., dont 800 viennent de l’extérieur de la capitale. Trump « fédéralise » également le département de police métropolitaine de D.C. pour une période de 30 jours, retirant ainsi tout contrôle aux autorités locales. Les soldats sont armés et patrouillent dans les zones touristiques, pas dans les zones à forte criminalité. Pourquoi ? Parce que l’objectif n’est pas de réduire le crime, mais de montrer la force. Trump affirme que ce déploiement a apporté « une sécurité totale » et un « miracle » de réduction de la criminalité, citant une semaine sans meurtres. Pourtant, avant l’intervention militaire, les statistiques du Département de la Justice montraient que Washington était déjà à un creux de 30 ans en matière de criminalité. Plus de 700 arrestations et 91 saisies d’armes illégales sont rapportées fin août. Mais un sondage révèle que près de 80 % des résidents de D.C. s’opposent à ce déploiement. La ville, à presque 50 % noire, se sent occupée par des troupes venues d’États républicains comme le Mississippi ou la Louisiane. Ce ressenti d’occupation n’est pas une exagération : c’est une réalité vécue quotidiennement par des milliers de familles. Et cette occupation s’inscrit dans une longue lignée historique où les corps noirs ont toujours été les premières cibles du pouvoir militaire d’État.
Memphis, Portland, Chicago : extension du modèle
En septembre 2025, Trump annonce le déploiement de troupes à Memphis, ville à forte population noire et dirigée par un maire démocrate. Il déclare que « Memphis est profondément troublée » et qu’il aurait préféré envoyer les troupes à Chicago. Le 1er octobre, une présence accrue d’agents fédéraux est visible dans la ville. Le gouverneur républicain du Tennessee, Bill Lee, affirme que les troupes de la Garde nationale seront désarmées et limitées à 150 personnes, mais la réalité sur le terrain montre une force beaucoup plus imposante. À Portland, Trump ordonne le déploiement de 200 soldats pour « contrer les terroristes domestiques » près d’un centre de détention de l’ICE. Pourtant, les manifestations sont pacifiques et limitées à 9-15 personnes par nuit selon le Portland Police Bureau. Un juge fédéral bloque temporairement ce déploiement, déclarant : « Ceci est une nation de lois, pas de loi martiale ». À Chicago, Trump tente d’envoyer des troupes du Texas, mais le 9 octobre 2025, une juge fédérale bloque le déploiement pour deux semaines, estimant que l’administration viole les 10e et 14e amendements de la Constitution. Le 11 octobre, une cour d’appel confirme que les troupes peuvent rester sous contrôle fédéral, mais ne peuvent pas être déployées. C’est une victoire partielle, mais fragile. Car Trump a déjà montré qu’il ne recule pas devant les décisions judiciaires.
Rhétorique trumpienne : la fabrication de l'ennemi intérieur

Le mythe des « villes hors de contrôle »
Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Trump a multiplié les déclarations alarmistes sur l’état des villes américaines. Selon lui, elles seraient « ravagées par la guerre », « envahies », « hors de contrôle ». Il parle d’une « guerre de l’intérieur », d’une « invasion », de quartiers « en feu ». Cette rhétorique apocalyptique ne correspond à aucune réalité statistique. Les données du FBI et du Département de la Justice montrent que la criminalité violente est en baisse généralisée dans la plupart des grandes villes américaines. À Washington D.C., elle a chuté de 35 %. À Memphis, elle est à son plus bas niveau en 25 ans. À Chicago, bien que les chiffres restent élevés, les tendances montrent une diminution progressive. Mais Trump ne parle jamais de ces chiffres. Il préfère diffuser des images d’archives de troubles passés — notamment les manifestations de 2020 à Portland — pour créer l’illusion d’un chaos actuel. Cette technique de manipulation n’est pas nouvelle. Elle rappelle la rhétorique de Nixon dans les années 1960 (« law and order »), celle de Reagan dans les années 1980 (« rendre l’Amérique à nouveau sûre »), ou encore celle de Bush après le 11 septembre. À chaque fois, l’objectif est le même : fabriquer un ennemi intérieur pour justifier un accroissement du pouvoir de l’État et une restriction des libertés civiles.
Les villes démocrates comme cibles politiques
Un autre élément saute aux yeux : toutes les villes ciblées par Trump sont dirigées par des maires démocrates. Los Angeles, Washington D.C., Memphis, Chicago, Portland, et les villes mentionnées dans ses déclarations futures — New York, Baltimore, Oakland, San Francisco, La Nouvelle-Orléans — sont toutes des bastions démocrates. Ce choix n’a rien d’aléatoire. Il s’inscrit dans une stratégie politique visant à discréditer les élus démocrates avant les élections de mi-mandat. En déployant la Garde nationale, Trump envoie un message aux électeurs : « Regardez, les démocrates ne savent pas gérer leurs villes, j’ai dû envoyer les troupes ». C’est une opération de communication politique déguisée en intervention sécuritaire. Marc Morial, président de la National Urban League, a déclaré que Trump jouait « le pire jeu de politique raciale divisive ». Il souligne que ces villes méritent d’être reconnues pour leurs progrès en matière de sécurité, pas d’être stigmatisées par une opération militaire inutile. Mais dans la logique trumpienne, la vérité n’a jamais été un obstacle. Ce qui compte, c’est l’image, le spectacle, la capacité à marquer les esprits. Et ça fonctionne. Un sondage Reuters d’août 2025 montre que 76 % des républicains soutiennent le déploiement à Washington D.C., contre seulement 8 % des démocrates. L’Amérique est fracturée, et Trump exploite cette fracture avec une précision chirurgicale.
L’invocation de l’Insurrection Act : menace ou bluff ?
Trump a également menacé d’invoquer l’Insurrection Act, une loi fédérale de 1807 qui permet au président de déployer l’armée à l’intérieur des États-Unis en cas de rébellion ou d’insurrection. Cette loi a été utilisée par le passé lors de véritables crises nationales — guerre de Sécession, émeutes raciales des années 1960, catastrophe de l’ouragan Katrina. Mais l’invoquer aujourd’hui, alors qu’il n’existe aucune preuve de rébellion ou d’insurrection dans les villes ciblées, serait une manipulation juridique sans précédent. Le 9 octobre 2025, une juge fédérale de Chicago a déclaré qu’il n’existait « aucune preuve crédible d’une rébellion dans l’État de l’Illinois ». Elle a ajouté que l’administration Trump violait les 10e et 14e amendements de la Constitution. Le gouverneur de l’Illinois, JB Pritzker, a salué cette décision : « Le tribunal a confirmé ce que nous savons tous : il n’y a aucune preuve crédible d’une rébellion en Illinois. Et il n’y a pas de place pour la Garde nationale dans les rues de villes américaines comme Chicago ». Mais Trump ne recule pas. Il continue de parler d’invasion, de guerre, d’ennemi intérieur. Cette rhétorique guerrière prépare le terrain pour des actions futures encore plus radicales. Si l’Insurrection Act finit par être invoquée, ce sera un tournant autoritaire majeur dans l’histoire américaine moderne.
Ce que les communautés noires ont toujours su

Une surveillance constante, une peur quotidienne
Pour les Afro-Américains, ce que nous voyons en 2025 n’est ni nouveau ni surprenant. C’est leur réalité quotidienne depuis des siècles. Un sondage du Pew Research Center de 2020 révèle que plus de 84 % des adultes noirs estiment être traités « moins équitablement » que les Blancs par la police et le système judiciaire. Plus de 80 % des Noirs américains ont déclaré avoir été arrêtés de manière injustifiée par la police en raison de leur race ou de leur origine ethnique — un chiffre cinq fois supérieur à celui des Blancs. Cette surveillance constante, ce profilage racial, cette présence policière écrasante dans les quartiers noirs, tout cela fait partie de l’expérience noire américaine. Les Noirs savent ce que c’est que de voir des policiers armés patrouiller dans leur rue sans raison apparente. Ils savent ce que c’est que d’être fouillés, interrogés, humiliés publiquement. Ils savent ce que c’est que de vivre sous le regard permanent de l’État. Cette anxiété, cette peur, cette vigilance permanente — c’est ce que Josiah Bates appelle « le coût quotidien de la survie en Amérique noire ». Ce que l’Amérique blanche découvre aujourd’hui avec effroi, les Noirs l’ont porté sur leurs épaules pendant des générations. Maintenant, cette peur se propage. Et tout le monde commence à comprendre.
Les alarmes ignorées pendant des décennies
Les communautés noires ont crié pendant des décennies. Elles ont dénoncé la militarisation de la police, les descentes armées, les arrestations massives, la violence d’État. Mais personne n’a écouté. Ou plutôt, personne n’a voulu écouter. Quand Black Lives Matter a émergé en 2013 après la mort de Trayvon Martin, beaucoup ont considéré ce mouvement comme exagéré, radical, voire dangereux. Quand des manifestants ont défilé dans les rues en scandant « Defund the police », on les a traités d’idéalistes naïfs ou d’agitateurs. Quand des organisations comme la NAACP ou la Vera Institute of Justice ont publié des rapports accablants sur la militarisation de la police dans les quartiers noirs, ces documents ont été enterrés dans des tiroirs administratifs. Quand des chercheurs ont prouvé que les unités de police militarisées étaient déployées de manière disproportionnée dans les communautés noires, leurs conclusions ont été rejetées ou minimisées. Aujourd’hui, ces mêmes alarmes résonnent dans toute l’Amérique. Mais il est tard. Très tard. Comme l’écrit Josiah Bates dans Time : « Les alarmes qui sont restées inaudibles dans le passé hurlent maintenant à travers tout le pays ». La question est : est-il trop tard pour les écouter ?
Un système qui n’a jamais été conçu pour protéger
Le système policier américain n’a jamais été conçu pour protéger les Noirs. Il a été conçu pour les contrôler. Cette réalité, documentée par des historiens comme Khalil Gibran Muhammad ou Michelle Alexander, est maintenant impossible à ignorer. Les forces de l’ordre ont été, dès leur origine, un instrument de contrôle racial. Elles ne servaient pas à garantir la sécurité de tous, mais à maintenir un ordre social basé sur la domination blanche. Cette fonction n’a jamais vraiment disparu. Elle s’est simplement adaptée aux époques. Aujourd’hui, elle se manifeste à travers les déploiements militaires, les task forces fédérales, les arrestations massives, les descentes armées. Ce que Trump fait en 2025 n’est pas une anomalie. C’est la norme historique américaine qui refait surface. Et cette fois, elle ne se cache plus. Elle s’affiche en pleine lumière, sous le regard des caméras, devant le monde entier. Les Noirs américains l’ont toujours su : le système n’est pas cassé. Il fonctionne exactement comme il a été conçu. C’est juste que maintenant, tout le monde le voit.
Les conséquences pour l'ensemble de la démocratie américaine

Normalisation du pouvoir militaire en zone civile
Lorsqu’on normalise la présence militaire dans les rues civiles, on franchit une ligne invisible mais déterminante. Cette ligne sépare une démocratie d’un État autoritaire. Une fois franchie, il est extrêmement difficile de revenir en arrière. Ce que Trump est en train de faire, c’est précisément cela : rendre normale l’idée que des soldats armés patrouillent dans les villes américaines. Qu’ils arrêtent des citoyens. Qu’ils fouillent des maisons. Qu’ils imposent un couvre-feu implicite par leur simple présence. Au départ, ces mesures ciblent les communautés noires et les villes démocrates. Mais une fois instaurées, elles ne restent jamais confinées. Elles s’étendent. C’est ce que les communautés noires ont toujours averti : « Si ça nous arrive aujourd’hui, ça vous arrivera demain ». La Vera Institute of Justice a publié en septembre 2025 un article intitulé « Sending in the National Guard Won’t Make Our Cities Safer ». Les chercheurs y démontrent que les arrestations effectuées par les agents fédéraux à Washington D.C. ciblent de manière disproportionnée les personnes noires et se concentrent dans des quartiers déjà sur-policés. Mais l’article avertit également : ce qui commence comme une opération ciblée finira par toucher tout le monde. C’est une question de temps.
Érosion des contre-pouvoirs institutionnels
Les tribunaux ont tenté de résister. À Los Angeles, un juge a déclaré le déploiement illégal. À Chicago, une juge a bloqué temporairement les troupes. À Portland, un juge a empêché la fédéralisation de la Garde nationale de l’Oregon. Mais ces victoires sont fragiles et temporaires. Trump a déjà montré qu’il ne respecte les décisions judiciaires que lorsqu’elles lui conviennent. Dans plusieurs cas, l’administration a fait appel immédiatement, gagnant ainsi du temps pour maintenir les troupes sur place malgré les interdictions. Cette désobéissance institutionnelle est profondément inquiétante. Elle signale que les contre-pouvoirs — justice, États fédérés, gouvernements locaux — sont en train de perdre leur efficacité. Quand un président peut ignorer les tribunaux sans conséquence réelle, c’est toute l’architecture démocratique qui vacille. Le gouverneur Pritzker a déclaré : « Il n’y a pas de place pour la Garde nationale dans les rues de villes américaines comme Chicago ». Mais sa déclaration, aussi juste soit-elle, sonne comme un vœu pieux. Car sur le terrain, les troupes sont déjà là. Et elles ne partent pas. Karl Rove, ancien conseiller de George W. Bush et lui-même républicain, a prédit que ces déploiements « vont finir par mal tourner ». Même les conservateurs modérés commencent à s’inquiéter.
Risque de guerre civile symbolique
L’un des aspects les plus troublants de ces déploiements est leur géographie politique. Six États républicains — Mississippi, Louisiane, Texas, Floride, Alabama, et d’autres — ont envoyé des unités de la Garde nationale à Washington D.C., une ville à près de 50 % noire et à majorité démocrate. Ces États ont des taux de criminalité supérieurs à ceux de Washington, mais leurs gouverneurs ont choisi d’envoyer des troupes ailleurs plutôt que de traiter leurs propres problèmes. Ce déploiement croisé crée une dynamique de guerre civile symbolique : des États républicains « occupent » des villes démocrates. Cette image résonne douloureusement avec l’histoire américaine. Elle rappelle la Reconstruction, lorsque des troupes fédérales occupaient le Sud. Elle rappelle la guerre de Sécession, lorsque le pays était littéralement divisé. Un article publié par l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) en septembre 2025 souligne cette dimension : « Dans une ville où près de la moitié de la population est noire, quel sentiment éprouvent les habitants en voyant la capitale « occupée » par des soldats venus du Mississippi ou de Louisiane contre leur gré ? ». Ce sentiment d’occupation, d’humiliation, de trahison est palpable. Et il nourrit une colère qui pourrait, à terme, exploser. L’Amérique joue avec le feu. Et personne ne sait comment l’éteindre.
Conclusion

Ce qu’il faut retenir
Le déploiement de la Garde nationale par Trump en 2025 n’est pas un événement isolé. C’est l’aboutissement d’une logique historique qui traverse toute l’histoire américaine : l’usage de la force d’État pour contrôler, réprimer, et terroriser les communautés noires. Ce que l’Amérique blanche découvre aujourd’hui avec effroi — la militarisation des villes, la présence de soldats armés dans les rues, les descentes à l’aube, les arrestations massives, la rhétorique guerrière — tout cela, les Noirs américains le vivent depuis des siècles. Des patrouilles d’esclaves du XVIIIe siècle aux milices du Ku Klux Klan, de la répression des droits civiques dans les années 1960 à la guerre contre la drogue lancée par Nixon, le fil rouge est le même : la violence institutionnelle comme outil de contrôle racial. Trump ne fait qu’élargir la cible. Maintenant, ce ne sont plus seulement les quartiers noirs qui sont visés, mais toutes les villes démocrates. Ce qui était autrefois une oppression ciblée devient une menace généralisée. Et c’est précisément ce que les communautés noires ont toujours averti : si ça nous arrive aujourd’hui, ça vous arrivera demain. Aujourd’hui, ce jour est arrivé.
Ce qui change dès maintenant
Ce qui change, c’est que l’Amérique ne peut plus ignorer. Elle ne peut plus prétendre que la militarisation de la police, les descentes armées, la surveillance constante, tout cela ne concerne que « certains quartiers » ou « certaines communautés ». Maintenant, ça concerne tout le monde. Les tribunaux sont en train de perdre leur pouvoir face à un exécutif qui les ignore. Les États fédérés voient leur souveraineté bafouée par des déploiements militaires non sollicités. Les citoyens ordinaires — blancs, noirs, latinos, asiatiques — commencent à ressentir cette peur quotidienne que les Noirs américains connaissent depuis toujours. Ce changement est à la fois tragique et nécessaire. Tragique, car il signifie que la situation s’aggrave pour tout le monde. Nécessaire, car il force enfin une prise de conscience collective. Si cette prise de conscience débouche sur une véritable mobilisation, sur une résistance institutionnelle et citoyenne, alors peut-être — peut-être — l’Amérique pourra éviter le pire. Mais si cette prise de conscience arrive trop tard, si elle se limite à des déclarations indignées sans action concrète, alors ce que nous voyons aujourd’hui ne sera qu’un prélude. Le pire reste à venir.