Quand la justice refuse de jouer le jeu
C’est un camouflet magistral pour l’administration Trump. Le 14 octobre 2025, le juge fédéral Michael Nachmanoff a rejeté une demande du Département de la Justice visant à restreindre l’accès de James Comey — ancien directeur du FBI — aux preuves utilisées pour l’inculper. Les procureurs voulaient imposer un ordre de protection qui aurait empêché Comey de consulter seul les documents, de les conserver personnellement, de les partager avec des témoins potentiels. Ils arguaient que l’ancien chef du FBI, celui-là même qui a supervisé certaines des enquêtes les plus sensibles de la nation, pourrait fuiter ces informations vers la presse et compromettre l’intégrité du procès. Le juge n’a pas été convaincu. Dans une décision de deux pages, cinglante et sans appel, Nachmanoff a estimé que les restrictions proposées étaient trop vagues, trop larges, et qu’elles entraveraient inutilement la capacité de Comey à préparer sa défense. C’est une victoire précoce pour l’ancien directeur du FBI dans ce qui est devenu l’un des procès les plus politisés de l’histoire récente américaine. Une affaire où Trump, qui a passé des années à réclamer la tête de Comey, a fini par obtenir son inculpation… au prix d’une crédibilité judiciaire en lambeaux. Car tout le monde le sait maintenant : ce procès n’est pas une question de justice. C’est une question de vengeance.
Un acte d’accusation sous pression présidentielle
Revenons un instant en arrière. Le 25 septembre 2025, trois jours seulement après sa nomination comme procureure fédérale du district Est de la Virginie, Lindsey Halligan signe l’acte d’accusation contre James Comey. Halligan n’est pas une procureure chevronnée. Elle n’a aucune expérience en matière pénale. Avant sa nomination, elle était avocate en assurance en Floride, ancienne reine de beauté, et surtout… proche de Donald Trump. Son prédécesseur, un procureur expérimenté, avait jugé les preuves contre Comey insuffisantes et avait préféré démissionner plutôt que de céder aux pressions de la Maison-Blanche. Mais Trump ne lâche jamais. Il a publiquement sommé sa procureure générale, Pam Bondi, de procéder à l’inculpation avant l’expiration du délai de prescription — fixé au 30 septembre 2025. Halligan a été nommée en urgence. Trois jours plus tard, l’acte d’accusation tombait. Coïncidence ? Personne n’y croit. Même les anciens responsables républicains expriment leur malaise. Le processus a été précipité, politisé, manipulé. Et maintenant, face à un juge qui ne semble pas impressionné par la pression présidentielle, l’équipe de Trump découvre que la justice — quand elle est encore indépendante — ne se plie pas toujours aux caprices du pouvoir. C’est une leçon douloureuse. Mais tardive.
Comey contre-attaque avec un avocat d’exception
Face à cette machine de guerre politique, James Comey n’est pas seul. Il a engagé Patrick Fitzgerald, l’un des avocats de la défense les plus redoutables des États-Unis. Fitzgerald n’est pas n’importe qui : ancien procureur spécial, il a notamment poursuivi Scooter Libby, chef de cabinet du vice-président Dick Cheney, dans l’affaire de la fuite de l’identité d’un agent de la CIA. Il connaît les rouages de Washington, les tactiques du Département de la Justice, les failles des poursuites politiques. Et il a immédiatement annoncé la stratégie de défense : plaider la poursuite vindicative (vindictive prosecution). Autrement dit, démontrer que Comey n’a pas été inculpé parce qu’il a commis un crime, mais parce qu’il a osé critiquer Trump. Dans son mémoire de 2018, Comey avait qualifié Trump de « non éthique » et « déconnecté de la vérité ». Il avait témoigné publiquement sur les pressions que Trump avait exercées sur lui pour qu’il abandonne l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection de 2016. Trump l’avait limogé en mai 2017. Depuis, il n’a jamais cessé de menacer de le poursuivre. Tweets rageurs. Déclarations publiques. Pressions sur les procureurs. Et maintenant, l’inculpation. Fitzgerald compte utiliser tout cela pour démontrer que ce procès est une farce. Et le juge Nachmanoff, visiblement, semble disposé à écouter.
Les charges contre Comey : un acte d'accusation lacunaire

Deux chefs d’accusation extrêmement vagues
L’acte d’accusation contre James Comey tient en quelques pages. Il est d’une brièveté déconcertante, d’une imprécision troublante. Le premier chef d’accusation affirme que lors d’une audition devant le Comité judiciaire du Sénat le 30 septembre 2020, Comey aurait fait une déclaration « fausse, fictive et frauduleuse » en violation du code fédéral 18 USC § 1001. Quelle déclaration ? Comey aurait affirmé qu’il n’avait « pas autorisé quelqu’un d’autre au FBI à être une source anonyme » dans des articles de presse concernant une personne non identifiée, référencée comme « Personne 1 » dans l’acte d’accusation. Les procureurs affirment que cette déclaration était fausse parce que Comey avait en réalité autorisé une autre personne — appelée « Personne 3 » — à servir de source anonyme. Le deuxième chef d’accusation affirme que cette conduite constituait une « obstruction de la justice » d’une enquête du Congrès, en violation du 18 USC § 1505. C’est tout. Aucun détail sur l’identité de la « Personne 1 ». Aucune précision sur l’identité de la « Personne 3 ». Aucune explication sur le contexte, sur la nature des articles de presse, sur les raisons pour lesquelles Comey aurait pu autoriser quelqu’un à parler à la presse — ce qui, en tant que directeur du FBI, était parfaitement dans ses prérogatives. Des experts juridiques, y compris d’anciens procureurs fédéraux, ont qualifié cet acte d’accusation de « dérisoire », « absurdement vague », et « rédigé à la hâte ».
Un témoin central qui sape l’affaire
Pire encore pour les procureurs : le témoin central de l’accusation semble avoir sapé lui-même le dossier. Selon des révélations d’ABC News publiées le 7 octobre 2025, un témoin clé de l’affaire a fourni des déclarations qui contredisent la version présentée par les procureurs. Ce témoin — dont l’identité reste confidentielle — aurait affirmé que Comey n’avait pas agi de manière frauduleuse et que ses déclarations devant le Congrès étaient cohérentes avec les pratiques habituelles du FBI. Cette révélation a provoqué un séisme dans le dossier. Car sans témoin crédible, sans preuve tangible, comment prouver que Comey a intentionnellement menti au Congrès ? Le code fédéral 18 USC § 1001 exige de démontrer que la fausse déclaration a été faite « sciemment et volontairement ». Si Comey croyait sincèrement que sa déclaration était exacte, ou s’il existait une ambiguïté dans la formulation de la question posée par les sénateurs, alors il n’y a pas de crime. C’est précisément ce que l’équipe de défense de Comey compte démontrer. Et avec un témoin central qui vacille, les chances de succès des procureurs s’amenuisent considérablement. D’ailleurs, John Durham, l’ancien procureur spécial nommé par Trump pour enquêter sur les origines de l’enquête russe, avait déjà examiné ces mêmes faits en 2019 et avait conclu qu’il n’y avait pas matière à poursuites. Que s’est-il passé entre 2019 et 2025 pour changer cette conclusion ? Réponse : Donald Trump est revenu au pouvoir.
Des précédents judiciaires qui jouent contre Trump
L’histoire judiciaire récente offre peu de réconfort aux procureurs de Trump. Les poursuites pour fausses déclarations devant le Congrès sont notoirement difficiles à gagner. Le cas le plus célèbre est celui de Roger Clemens, l’ancien joueur de baseball, poursuivi pour avoir menti au Congrès sur l’usage de stéroïdes. Après un procès long et coûteux, Clemens a été acquitté en 2012. Autre exemple : Scooter Libby, condamné en 2007 pour avoir menti aux enquêteurs fédéraux, a vu sa peine commuée par le président George W. Bush puis a été gracié par Trump en 2018. Plus récemment, des responsables de l’administration Trump elle-même — comme Steve Bannon et Peter Navarro — ont été condamnés pour outrage au Congrès, mais ces affaires concernaient des refus de témoigner, pas des fausses déclarations. Le cas de Comey est différent, et beaucoup plus fragile. D’ailleurs, plusieurs anciens procureurs fédéraux ont publiquement déclaré que « cette affaire ne devrait jamais aller en procès ». Un article de Politico publié le 26 septembre 2025 résume ce consensus : l’acte d’accusation est tellement lacunaire et vague qu’il pourrait être rejeté avant même d’atteindre un jury. Et si le juge Nachmanoff continue de statuer contre le Département de la Justice, c’est exactement ce qui pourrait se produire.
La bataille autour des preuves

Le Département de la Justice tente de restreindre l’accès
Dès le début de la procédure, le Département de la Justice a tenté de contrôler le flux d’informations vers l’équipe de défense de Comey. Les procureurs ont proposé un ordre de protection (protective order) qui aurait imposé des restrictions sévères sur les preuves fournies à Comey. Concrètement, cet ordre aurait interdit à Comey de conserver personnellement les documents de découverte (discovery), limitant l’accès uniquement à ses avocats, à leur personnel, et à des experts approuvés. L’ordre aurait également exigé que tout « matériel protégé » ne soit utilisé « à aucune autre fin que la préparation de la défense » contre les accusations criminelles. En d’autres termes : Comey ne pourrait pas utiliser ces documents pour écrire un livre, donner des interviews, ou même en parler publiquement. Le Département de la Justice justifiait ces restrictions en arguant que le matériel était « sensible pour l’application de la loi » (law enforcement sensitive) et comprenait des communications internes marquées « pour usage officiel uniquement », ainsi que des courriels et messages textes privés. Les procureurs ont également pointé du doigt une déclaration publique de Comey après son inculpation, dans laquelle il affirmait que sa famille payait « le prix » pour avoir critiqué Trump et citait un ami disant : « La peur est l’outil d’un tyran ». Pour les procureurs, cette déclaration prouvait que Comey pourrait diffuser publiquement des informations sensibles s’il en avait l’accès. Mais cette logique posait un problème majeur : elle reposait sur l’idée que Comey, ancien directeur du FBI, homme ayant supervisé certaines des enquêtes les plus classifiées de la nation, ne pourrait soudainement plus être digne de confiance.
La réponse cinglante de l’équipe de Comey
L’équipe de défense de Comey n’a pas tardé à riposter. Dans une réponse déposée au tribunal, l’avocat Patrick Fitzgerald a souligné l’absurdité de la demande du gouvernement. « M. Comey a été pendant des années responsable de certaines des informations les plus sensibles et les plus gardées du pays », ont écrit les avocats. « Affirmer maintenant qu’il ne peut pas être digne de confiance pour recevoir les preuves dans sa propre affaire contredit sa longue carrière de service gouvernemental distingué aux plus hauts niveaux ». L’argument était puissant. Comment le gouvernement pouvait-il prétendre que Comey, qui avait dirigé le FBI pendant quatre ans, qui avait eu accès aux secrets d’État les plus critiques, qui avait supervisé des enquêtes sur le terrorisme, l’espionnage, et la criminalité organisée, ne pourrait soudainement plus être fiable ? Fitzgerald a également souligné que les ordres de protection proposés par le gouvernement étaient bien plus restrictifs que ceux utilisés dans d’autres affaires de haut profil impliquant de fausses déclarations. Il a cité plusieurs précédents — l’affaire Paul Manafort, l’affaire Scooter Libby, l’affaire Rod Blagojevich — où les ordres de protection étaient beaucoup moins contraignants. Pourquoi Comey serait-il traité différemment ? La réponse était évidente : parce que Trump voulait le museler. Empêcher Comey de parler publiquement, de défendre sa réputation, de mobiliser l’opinion publique. C’était une tentative de contrôle narratif autant qu’une stratégie juridique. Mais le juge Nachmanoff n’a pas été dupe.
Le juge tranche en faveur de Comey
Le 14 octobre 2025, dans une décision de deux pages, le juge Michael Nachmanoff a rejeté la demande du Département de la Justice. « Le tribunal reconnaît la préoccupation du gouvernement concernant le potentiel de diffusion inappropriée d’informations sensibles, ainsi que le droit du défendeur à se défendre efficacement, et l’intérêt des deux parties à garantir un procès équitable », a écrit Nachmanoff. « En pesant ces facteurs, le tribunal conclut que les spécificités de cette affaire ne justifient pas les restrictions suggérées par le gouvernement sur le partage de ‘Matériel protégé’ avec le défendeur ou des témoins potentiels de la défense, car de telles limitations entraveraient inutilement la capacité du défendeur à se préparer correctement au procès. Le tribunal constate également que la définition du gouvernement de ‘Matériel protégé’ est trop vague et excessivement large ». En d’autres termes : le gouvernement en demandait trop, sans justification suffisante. Nachmanoff a ordonné aux procureurs de remettre toutes les preuves requises à l’équipe de Comey avant 17h le 13 octobre, sous peine de tenir une audience d’urgence pour résoudre le différend. Il a également adopté l’ordre de protection proposé par Comey, beaucoup moins restrictif, qui permettait à l’ancien directeur du FBI d’avoir accès direct aux preuves. Dans une note de bas de page, Nachmanoff a souligné que des ordres de protection similaires avaient été utilisés dans de nombreuses autres affaires de fausses déclarations de haut profil, y compris celles de Paul Manafort et Scooter Libby. Le message était clair : rien dans le cas de Comey ne justifiait un traitement exceptionnel. C’était une victoire majeure pour la défense. Et un revers humiliant pour l’administration Trump.
Lindsey Halligan, la procureure controversée

Une nomination express et sans expérience
Si cette affaire pue la manipulation politique, c’est en grande partie à cause de Lindsey Halligan. Nommée procureure fédérale du district Est de la Virginie le 22 septembre 2025, Halligan n’avait aucune expérience en tant que procureure. Avant sa nomination, elle travaillait comme avocate en assurance en Floride, spécialisée dans les litiges civils. Elle avait également été reine de beauté — Miss Florida 2010 — et avait des liens étroits avec l’univers Trump. Elle avait travaillé comme conseillère à la Maison-Blanche sous Trump, ce qui lui avait valu la reconnaissance du président. Mais elle n’avait jamais poursuivi un criminel, jamais plaidé devant un tribunal pénal, jamais dirigé une équipe de procureurs. Sa nomination a été perçue comme un acte de népotisme politique pur et simple. Trois jours après sa nomination, elle signait l’acte d’accusation contre Comey. Trois jours. C’est à peine le temps de lire un dossier de cette complexité, encore moins de l’analyser en profondeur, de consulter des experts, de peser les risques juridiques. Mais Halligan avait une date limite : le 30 septembre, jour où expirait le délai de prescription pour poursuivre Comey. Elle a signé. Et depuis, elle accumule les faux pas. Lors de sa première comparution devant le tribunal dans l’affaire Comey, elle a été décrite par des observateurs comme « nerveuse », « mal préparée », « dépassée ». Une vidéo YouTube intitulée « Trump US Attorney Lindsey Halligan Crashes and Burns in First Court Appearance in Comey Case » a été visionnée plus de 300 000 fois. Halligan a commis des erreurs de procédure, mal orthographié des États (« North Carolina » écrit incorrectement), et proposé des échéances contradictoires. Le juge Nachmanoff a dû corriger plusieurs de ses erreurs.
Un prédécesseur qui a préféré démissionner
Ce qui rend la situation encore plus troublante, c’est que Halligan n’était pas le premier choix. Avant elle, le poste de procureur fédéral du district Est de la Virginie était occupé par un procureur expérimenté qui avait examiné le dossier Comey pendant des mois. Selon plusieurs sources citées par Reuters et ProPublica, ce procureur avait conclu que les preuves contre Comey étaient insuffisantes pour justifier des poursuites criminelles. Il avait informé la Maison-Blanche de sa décision. Trump, furieux, a intensifié la pression. Il a publiquement critiqué le procureur, a menacé de le limoger, a demandé à la procureure générale Pam Bondi d’intervenir. Face à cette pression, le procureur a démissionné. Il a choisi de quitter son poste plutôt que de céder à une demande qu’il jugeait politiquement motivée et juridiquement insoutenable. C’est à ce moment-là que Halligan a été nommée. Elle n’avait pas l’expérience. Elle n’avait pas l’expertise. Mais elle avait la loyauté. Et pour Trump, c’était suffisant. Cette séquence d’événements a provoqué un malaise profond au sein du Département de la Justice. Plusieurs procureurs fédéraux, cités anonymement par divers médias, ont exprimé leur inquiétude face à ce qu’ils considèrent comme une politisation sans précédent de l’institution. Certains parlent d’un retour aux pires excès de l’ère Nixon, lorsque le président avait tenté d’utiliser le Département de la Justice comme une arme politique contre ses ennemis. Mais Nixon avait échoué. Trump, lui, a trouvé des procureurs prêts à obéir.
Les critiques du Brennan Center et d’autres institutions
Le Brennan Center for Justice, organisation non partisane spécialisée dans la défense de l’État de droit, a publié le 2 octobre 2025 une analyse dévastatrice de l’inculpation de Comey. Le titre résume tout : « L’inculpation de Comey montre le danger de procureurs soumis ». L’article souligne que « la poursuite politique d’un ennemi présidentiel a laissé le gouvernement avec une affaire apparemment impossible à gagner — et un système judiciaire entaché par la politique ». Le Brennan Center rappelle que l’indépendance du Département de la Justice est l’un des piliers fondamentaux de la démocratie américaine. Depuis l’ère du Watergate, des normes strictes ont été instaurées pour empêcher les présidents d’utiliser le pouvoir de poursuites criminelles contre leurs adversaires politiques. Ces normes ont été globalement respectées — avec quelques exceptions — jusqu’à l’arrivée de Trump. Mais sous Trump, ces normes volent en éclats. Il ne se contente plus de critiquer ses ennemis. Il exige qu’ils soient poursuivis. Il nomme des procureurs loyaux qui obéissent. Il transforme le Département de la Justice en instrument de vengeance personnelle. Et ce n’est pas seulement Comey. La procureure générale de New York, Letitia James, a été inculpée le 10 octobre 2025 pour avoir prétendument menti sur une demande de prêt hypothécaire. Le sénateur Adam Schiff, qui avait joué un rôle clé dans la procédure d’impeachment contre Trump, fait l’objet d’une enquête criminelle. Le philanthrope George Soros est également ciblé. La liste s’allonge. Et chaque nouvelle inculpation envoie le même message : critiquez Trump, et vous serez poursuivi. C’est la définition même d’un régime autoritaire.
La défense de Comey : plaider la poursuite vindicative

Un seuil de preuve élevé mais des éléments solides
La stratégie de défense de Patrick Fitzgerald repose sur un concept juridique puissant mais difficile à prouver : la poursuite vindicative (vindictive prosecution). Ce concept signifie que des accusations criminelles ont été portées en représailles contre une personne pour avoir exercé ses droits légaux — dans ce cas, le droit de Comey à la liberté d’expression et à critiquer publiquement le président. Pour réussir, Fitzgerald doit démontrer que l’inculpation de Comey a été motivée non pas par la justice, mais par la vengeance. C’est un seuil élevé. Les juges sont généralement réticents à remettre en question les décisions des procureurs, par respect pour la séparation des pouvoirs et pour éviter d’intervenir dans les prérogatives de l’exécutif. Mais Fitzgerald dispose d’éléments solides. Premièrement, Trump a passé des années à réclamer publiquement l’arrestation de Comey. Sur Twitter, dans des interviews, lors de rassemblements, il a menacé de « l’envoyer en prison », de « le poursuivre », de « le faire payer ». Ces déclarations publiques peuvent être utilisées comme preuve que l’inculpation était motivée par un désir de vengeance, et non par des considérations légales. Deuxièmement, le timing est suspect. Pourquoi attendre jusqu’en septembre 2025, à quelques jours de l’expiration du délai de prescription, pour inculper Comey ? Pourquoi nommer en urgence une procureure sans expérience mais loyale à Trump ? Troisièmement, le fait que le procureur précédent ait démissionné après avoir jugé les preuves insuffisantes renforce l’idée que l’inculpation n’était pas justifiée par les faits, mais par la pression politique. Enfin, Fitzgerald peut invoquer les conclusions de John Durham, le procureur spécial nommé par Trump, qui avait examiné les mêmes faits en 2019 et avait conclu qu’il n’y avait pas matière à poursuites. Si Durham, un républicain choisi par Trump, n’a pas trouvé de motif pour inculper Comey, pourquoi le faire maintenant ? La réponse est évidente.
Les déclarations publiques de Trump comme preuve
L’un des atouts majeurs de la défense est l’existence d’un enregistrement public complet des déclarations de Trump contre Comey. Pendant des années, Trump a tweeté, déclaré, menacé. « James Comey est un menteur et un fuyard », a-t-il écrit en mai 2017. « Il devrait être en prison », a-t-il dit lors d’un rassemblement en 2019. « Quand allons-nous enfin poursuivre les criminels ? », a-t-il demandé en 2020, citant nommément Comey. Ces déclarations ne sont pas des opinions privées. Ce sont des déclarations publiques du président des États-Unis, diffusées à des millions de personnes, enregistrées, archivées, incontestables. Elles constituent une preuve directe que Trump voulait voir Comey poursuivi non pas parce qu’il avait commis un crime, mais parce qu’il avait osé le critiquer. Après l’inculpation de Comey, Trump a déclaré aux journalistes : « Il s’agit de justice. Il a menti, et il a beaucoup menti… C’est de la justice, pas de la vengeance ». Mais cette déclaration, loin de dissiper les soupçons, les renforce. Car si Trump ressent le besoin de nier que c’est de la vengeance, c’est précisément parce que c’en est une. Fitzgerald pourra utiliser toutes ces déclarations devant le tribunal pour démontrer que l’inculpation était politiquement motivée. Et si le juge Nachmanoff continue de statuer contre le gouvernement, il est possible qu’il accepte cette argumentation et rejette l’acte d’accusation avant même le procès. Ce serait un désastre pour Trump. Mais ce serait une victoire pour l’État de droit.
Un procès qui pourrait fournir une feuille de route pour d’autres cibles
Si Comey réussit à faire rejeter l’inculpation sur la base d’une poursuite vindicative, il créera un précédent juridique majeur. D’autres cibles de Trump — Letitia James, Adam Schiff, et potentiellement d’autres — pourraient utiliser la même stratégie pour contester leurs propres inculpations. C’est précisément ce que redoute l’administration Trump. Car si les tribunaux commencent à reconnaître que ces poursuites sont politiquement motivées, toute la stratégie de Trump s’effondre. Il ne pourra plus utiliser le Département de la Justice comme une arme contre ses ennemis. Il devra faire face à des juges qui refusent de coopérer. À des procureurs qui démissionnent. À des jurys qui acquittent. C’est ce qui s’est passé avec Nixon. Après avoir tenté d’utiliser le Département de la Justice pour poursuivre ses adversaires, Nixon a été confronté à une résistance institutionnelle qui a fini par provoquer sa chute. Le Saturday Night Massacre — le renvoi du procureur spécial Archibald Cox — a déclenché un scandale qui a mené à la démission de Nixon en 1974. Trump semble suivre le même chemin. Mais contrairement à Nixon, Trump ne semble pas comprendre les limites du pouvoir présidentiel. Ou peut-être qu’il les comprend, mais qu’il s’en fiche. Quoi qu’il en soit, la bataille juridique autour de Comey pourrait devenir un tournant historique. Soit Trump réussit à plier la justice à sa volonté, et l’Amérique bascule définitivement vers l’autoritarisme. Soit la justice résiste, et Trump découvre qu’il existe encore des contre-pouvoirs qu’il ne peut pas contrôler. Pour l’instant, avec le juge Nachmanoff, c’est la seconde option qui semble se dessiner. Mais le combat ne fait que commencer.
Les implications pour la démocratie américaine

L’érosion de l’indépendance du Département de la Justice
Ce qui se joue dans l’affaire Comey dépasse largement le sort d’un homme. C’est l’indépendance du Département de la Justice qui est en jeu. Depuis le Watergate, des normes strictes ont été instaurées pour garantir que le Département de la Justice fonctionne de manière indépendante du pouvoir exécutif. Le président ne doit pas dicter qui doit être poursuivi. Le procureur général ne doit pas obéir aveuglément aux ordres présidentiels. Les procureurs doivent prendre leurs décisions en fonction des faits et du droit, pas en fonction des désirs politiques de la Maison-Blanche. Ces normes ont été globalement respectées pendant des décennies. Même sous des présidents controversés comme George W. Bush ou Bill Clinton, le Département de la Justice a maintenu une certaine distance par rapport au pouvoir politique. Mais sous Trump, ces normes sont systématiquement violées. Trump ne se contente pas de suggérer des poursuites. Il les exige. Il tweete publiquement les noms de ceux qu’il veut voir en prison. Il limoge les procureurs qui refusent d’obéir. Il nomme des loyalistes sans expérience à des postes clés. Il transforme le Département de la Justice en instrument de vengeance personnelle. Cette érosion de l’indépendance est dangereuse. Elle mine la confiance du public dans le système judiciaire. Elle ouvre la porte à des abus de pouvoir massifs. Elle rapproche les États-Unis de régimes où la justice sert le pouvoir, plutôt que de le contrôler. Si cette tendance se poursuit, les États-Unis cesseront d’être une démocratie libérale pour devenir une démocratie illibérale, voire un régime autoritaire. C’est un glissement lent, presque imperceptible. Mais il est réel.
Le précédent pour les futurs présidents
Si Trump réussit à poursuivre ses ennemis politiques sans conséquence, il créera un précédent que les futurs présidents — démocrates ou républicains — pourront invoquer. Imaginez un futur président démocrate qui décide de poursuivre des responsables républicains pour des motifs politiques. Imaginez un futur président républicain qui utilise le Département de la Justice pour cibler des journalistes, des activistes, des opposants. Ce scénario n’est plus de la science-fiction. C’est une possibilité réelle. Car une fois qu’une norme est brisée, elle devient difficile à restaurer. Une fois qu’un président a démontré qu’il peut poursuivre ses ennemis sans être sanctionné, les futurs présidents suivront. C’est ce qu’on appelle l’effet de cliquet : une fois qu’on a franchi un seuil, on ne revient jamais en arrière. Les historiens comparent souvent cette période à l’ère McCarthy des années 1950, lorsque le sénateur Joseph McCarthy a lancé une chasse aux sorcières contre les supposés communistes, détruisant des carrières, des vies, des familles, sur la base de suspicions et de rumeurs. Cette période a laissé une cicatrice durable dans l’histoire américaine. Elle a montré à quel point la peur, la paranoïa, et la soif de pouvoir peuvent détruire les fondements d’une démocratie. Nous y sommes à nouveau. Et si nous ne réagissons pas maintenant, il sera trop tard.
Le rôle crucial des juges et des institutions
Face à cette dérive autoritaire, les juges jouent un rôle crucial. Le juge Michael Nachmanoff, en rejetant les demandes abusives du Département de la Justice, a montré qu’il existe encore des garde-fous institutionnels capables de résister. Mais Nachmanoff n’est pas seul. D’autres juges, dans d’autres affaires, ont également statué contre l’administration Trump. En septembre 2025, un juge fédéral a bloqué la tentative de Trump de révoquer les protections légales de certains groupes d’immigrants. En août 2025, une cour d’appel a invalidé une décision de Trump visant à dissoudre certaines agences fédérales. Ces décisions montrent que le système judiciaire américain, bien qu’imparfait, conserve une certaine capacité de résistance. Mais cette résistance dépend de juges courageux, indépendants, prêts à défendre l’État de droit même face à des pressions politiques intenses. Malheureusement, Trump a nommé des centaines de juges fédéraux pendant son premier mandat, et il continue de le faire. Beaucoup de ces juges sont idéologiquement alignés avec Trump et pourraient être moins enclins à résister. La bataille se joue donc tribunal par tribunal, affaire par affaire. Et chaque décision compte. Chaque juge qui refuse de céder à la pression contribue à préserver ce qui reste de la démocratie américaine. Mais combien de temps tiendront-ils ? Et jusqu’où Trump est-il prêt à aller pour briser leur résistance ? Ces questions restent ouvertes. Et inquiétantes.
Le calendrier judiciaire et les prochaines étapes

Un procès prévu pour janvier 2026
Le procès de James Comey est actuellement programmé pour le 5 janvier 2026 devant le tribunal du district Est de la Virginie à Alexandria. Si l’affaire va effectivement en procès, ce sera l’un des procès les plus médiatisés et les plus politisés de l’histoire récente américaine. Un ancien directeur du FBI, poursuivi par l’administration d’un président qu’il a ouvertement critiqué, devant un jury composé de citoyens ordinaires. Le symbolisme est écrasant. Mais avant d’atteindre le procès, plusieurs étapes cruciales doivent être franchies. La première série de motions préliminaires est prévue pour le 20 octobre 2025. Ces motions incluront probablement une demande de l’équipe de Comey de rejeter l’acte d’accusation sur la base d’une poursuite vindicative, ainsi qu’une contestation de la nomination de Lindsey Halligan comme procureure. Une deuxième série de motions est prévue pour le 30 octobre, suivie d’audiences les 19 novembre et 9 décembre. À chacune de ces étapes, le juge Nachmanoff pourra décider de rejeter l’affaire ou de la laisser avancer vers le procès. Si l’équipe de Comey réussit à convaincre le juge que l’inculpation est politiquement motivée, que les preuves sont insuffisantes, ou que la procédure a été entachée d’irrégularités, l’affaire pourrait être abandonnée avant même d’atteindre un jury. Ce serait une humiliation majeure pour Trump et pour le Département de la Justice. Mais ce serait aussi une victoire pour l’État de droit et pour tous ceux qui s’inquiètent de la dérive autoritaire de l’administration Trump.
Les risques pour Trump si l’affaire est rejetée
Si le juge Nachmanoff rejette l’acte d’accusation, les conséquences politiques pour Trump seront considérables. Premièrement, cela confirmera publiquement que l’inculpation était politiquement motivée, renforçant l’accusation selon laquelle Trump utilise le Département de la Justice comme une arme politique. Deuxièmement, cela donnera des munitions aux autres cibles de Trump — Letitia James, Adam Schiff, et d’autres — pour contester leurs propres inculpations en utilisant la même stratégie de défense. Troisièmement, cela affaiblira la crédibilité du Département de la Justice et de la procureure générale Pam Bondi, qui devra expliquer pourquoi elle a autorisé une poursuite aussi faible et controversée. Quatrièmement, cela pourrait galvaniser l’opposition politique à Trump, en fournissant une preuve concrète de ses abus de pouvoir. Les démocrates pourraient utiliser ce rejet comme un argument électoral en vue des élections de 2026 et 2028. Enfin, cela renforcerait la résistance institutionnelle au sein du système judiciaire, en montrant que les juges sont prêts à se dresser contre les abus de pouvoir présidentiels. Pour Trump, qui a bâti sa carrière politique sur l’image d’un homme fort, capable de dominer ses adversaires, un rejet judiciaire serait un camouflet difficile à digérer. Mais pour l’instant, rien n’est joué. Le combat continue.
Le sort des autres cibles de Trump
Comey n’est pas la seule cible de Trump. Letitia James, procureure générale de l’État de New York, a été inculpée le 10 octobre 2025 pour avoir prétendument menti sur une demande de prêt hypothécaire. James avait dirigé une action civile pour fraude contre Trump et ses entreprises, ce qui lui avait valu la haine du président. Son inculpation, survenue quelques jours après celle de Comey, semble suivre le même schéma : des accusations mineures, un timing suspect, une motivation politique évidente. Le sénateur Adam Schiff, qui avait joué un rôle clé dans la procédure d’impeachment contre Trump en 2019 et 2020, fait également l’objet d’une enquête criminelle. Schiff a nié toute malversation et a qualifié l’enquête de « chasse aux sorcières politique ». D’autres noms circulent : George Soros, le philanthrope progressiste, pourrait être ciblé. Des journalistes qui ont publié des enquêtes critiques sur Trump reçoivent des menaces d’enquêtes. Des activistes sont surveillés. La liste s’allonge. Et chaque nouvelle cible envoie le même message : critiquez Trump, et vous serez poursuivi. Cette stratégie vise à créer un climat de peur, à dissuader toute opposition, à normaliser l’idée que le président peut utiliser la justice comme une arme. Si Comey réussit à faire rejeter son inculpation, cela pourrait encourager d’autres cibles à résister, à se battre, à refuser de plier. Mais si Comey échoue, le message sera clair : personne n’est en sécurité. Et la descente vers l’autoritarisme s’accélérera.
Conclusion

Ce qu’il faut retenir
Le rejet par le juge Michael Nachmanoff de la tentative du Département de la Justice de restreindre l’accès de James Comey aux preuves est bien plus qu’une simple victoire procédurale. C’est un signal. Un signal que la justice américaine, malgré les pressions, malgré les menaces, malgré les nominations politiques, conserve une capacité de résistance. Que des juges existent encore qui refusent de plier, qui défendent l’État de droit, qui rejettent les demandes abusives et politiquement motivées. Mais cette victoire est fragile. Elle dépend d’un juge, d’une décision, d’un moment. Demain, un autre juge, dans une autre affaire, pourrait statuer différemment. Et si Trump continue de nommer des juges loyalistes, si le Département de la Justice continue d’être instrumentalisé, si les normes démocratiques continuent d’être violées, alors cette résistance s’effritera. L’affaire Comey révèle au grand jour ce que beaucoup soupçonnaient déjà : Trump utilise le système judiciaire comme une arme contre ses ennemis. Il ne cherche pas la justice, il cherche la vengeance. Et il est prêt à détruire l’indépendance du Département de la Justice, la crédibilité du système judiciaire, les fondements mêmes de la démocratie américaine pour y parvenir. Ce qui se joue ici dépasse largement le sort d’un homme. C’est l’âme de la démocratie américaine qui est en jeu. Et nous sommes aux premières loges.
Ce qui change dès maintenant
Ce qui change immédiatement, c’est que l’affaire Comey devient un test. Un test pour savoir si le système judiciaire américain peut encore résister aux abus de pouvoir présidentiels. Un test pour savoir si les normes démocratiques peuvent encore être défendues. Un test pour savoir si l’indépendance du Département de la Justice peut encore être préservée. Les prochaines semaines et les prochains mois seront déterminants. Si le juge Nachmanoff rejette l’acte d’accusation, ce sera un précédent majeur qui pourrait freiner les velléités autoritaires de Trump. Si l’affaire va en procès et que Comey est acquitté, ce sera une défaite humiliante pour l’administration Trump. Mais si Comey est condamné, ce sera un signal terrifiant : que personne n’est en sécurité, que critiquer le président peut vous mener en prison, que la justice américaine est désormais au service du pouvoir politique. Ce qui change aussi, c’est que d’autres cibles de Trump — Letitia James, Adam Schiff, et potentiellement beaucoup d’autres — observent cette affaire de près et ajustent leurs stratégies de défense. Si Comey réussit à faire valoir l’argument de la poursuite vindicative, d’autres suivront. Si Comey échoue, ils savent qu’ils devront trouver d’autres moyens de se défendre. La bataille juridique ne fait que commencer. Et son issue déterminera l’avenir de la démocratie américaine.